LEIGH, CHARLES, négociant et voyageur ; il fut le premier Anglais à tenter d’établir une colonie sur le Saint-Laurent ; troisième fils de John Leigh et de Joan Oliph, d’Addington, dans le Surrey, né à Addington le 12 mars 1572, mort en 1605.
On ne sait rien de la jeunesse de Leigh, bien qu’il ait probablement été marin et marchand à l’étranger avant de se consacrer à des entreprises coloniales à partir de 1597. Il subissait déjà alors l’influence des séparatistes de Robert Browne, secte à laquelle l’Église et l’État étaient hostiles (George Johnson parle de « master Leigh [...] un de nos frères dans la foi »). Il était en outre associé à deux négociants londoniens d’origine hollandaise, Abraham et Stephen van Harwick, dont le premier avait peut-être certains liens de sympathie avec la secte de Robert Browne, et qui possédaient une entreprise de métallurgie à Rotherhithe, dans le Surrey. Il est possible qu’Abraham van Harwick y ait connu Master Peter Hill qui, en 1593, avait mis des fonds dans une infructueuse expédition de chasse au morse à Ramée (les îles de la Madeleine, dans le Saint-Laurent), apparemment sur les instances de Lord Burghley [V. La Court de Pré-Ravillon, Fisher et Wyet].
Étant donné que Ralph Hill, orfèvre de Londres et peut-être parent de Peter Hill, s’était intéressé à l’expédition de 1597, il est logique d’y voir le prolongement et l’expansion du projet d’établissement d’une entreprise de chasse au morse dans le Saint-Laurent, projet qui prit naissance à la suite de la capture d’un vaisseau breton en 1591. La différence entre ce projet et les tentatives antérieures, c’est que cette fois on songeait à un établissement permanent qui permettrait de défendre les îles contre Bretons et Basques et de commencer l’exploitation au début de l’année avant que les navires aient pu pénétrer dans le golfe. Le personnel de la colonie devait provenir d’un groupe de séparatistes protestants qui, emprisonnés avec leur pasteur, Francis Johnson, désiraient recouvrer leur liberté tout en restant fidèles à la reine. On ignore comment il arriva à Leigh de se voir confier la tâche délicate d’emmener ces « Brownistes » en Amérique. (Il n’est pas du tout impossible que ce soit l’œuvre de Lord Burghley, qui était alors vieux et malade.) En tout cas, les quatre principaux « Brownistes » [V. George Johnson] devaient faire la traversée avec Leigh et passer l’hiver aux îles de la Madeleine avec un seul navire (et probablement aussi avec quelques chasseurs de morses) ; le reste des fidèles devaient les rejoindre au printemps de 1598. Ils durent promettre d’obéir à Leigh et de ne pas rentrer en Angleterre sans sa permission.
Les navires quittèrent la Tamise le 8 avril et Falmouth le 28 avril ou peu après ; il y avait le Hopewell, navire de Londres jaugeant 120 tonneaux et ayant à son bord Leigh comme capitaine, William Craston comme officier de navigation et Francis Johnson, Daniel Studley et Ralph Hill comme passagers, et le Chancewell, vaisseau de 70 tonnes ayant à bord Stephen van Harwick comme capitaine, Stephen Bennet comme officier de navigation et les deux autres brownistes. Après une bonne traversée de l’Atlantique, les navires atteignirent les Grands Bancs le 18 mai. Pendant quelque temps, ils perdirent contact l’un avec l’autre dans le brouillard, mais ils se retrouvèrent à la baie de la Conception le 20 mai. Leigh longea la côte, cherchant à acheter des bateaux – des chaloupes pour la pêche et la chasse – à des pêcheurs anglais à Farillon (Ferryland) et à Renewse ; ils n’obtinrent toutefois qu’une seule chaloupe avariée. Après l’avoir réparée, ils doublèrent le cap Race dans la brume et perdirent le contact le 5 juin à l’entrée de la baie de Plaisance. Le Hopewell, dont le pilote était probablement déjà allé à Rainée, continua seul sa route, relevant le Cap-Breton le 11 juin et poussant jusque dans le golfe. Leigh a été le premier Anglais à signaler la présence des grandes colonies d’oiseaux des roches aux Oiseaux ; ses compagnons et lui virent aussi de nombreux morses sur les rochers et prirent de l’excellente morue au large de l’île Brion. Ils ne contournèrent l’extrémité sud-ouest des îles de la Madeleine que le 18, pour pénétrer enfin dans le havre intérieur, le havre aux Basques, qu’ils désignèrent de son nom basque d’Halabolina (situé entre l’île Amherst et l’île aux Meules), indiquant nettement par là que certains d’entre eux avaient déjà visité ces parages. Le Hopewell ne trouva pas les îles inoccupées. Deux vaisseaux bretons (qui représentaient peut-être le syndicat formé en 1591 par La Court de Pré-Ravillon) et deux vaisseaux basques venus de Ciboure, ville située du côté français de la frontière espagnole, se trouvaient à Halabolina. Il y avait aussi des vaisseaux basques et français dans l’autre havre (maintenant le havre de Grand Entrée). Il existait en outre, dans l’île Blanche, des chafauds pour la pêche de la morue ; on ne se bornait donc pas à chasser le morse. D’ailleurs, il n’y avait pas que des Européens dans les îles : 300 Indiens venus peur la pêche d’été (il s’agissait vraisemblablement de Micmacs de l’actuelle île du Prince-Édouard et de la terre ferme) commerçaient avec les Français et pratiquaient la pêche.
Bien qu’il fût un intrus dans ce havre, Leigh invita les autres capitaines à son bord. Les Bretons acceptèrent ; un des capitaines basques se présenta et prouva que son navire était français et venait de Ciboure, mais on soupçonnait que l’autre était basque d’origine espagnole, donc sujet à capture. Leigh exigea que les Basques lui remissent leur poudre et leurs munitions comme preuve de leur bonne foi ; ils refusèrent, et Leigh chargea un groupe d’abordage d’occuper un des navires. Il mit bientôt fin au pillage et rendit tout aux Basques, sauf les munitions. Mais les hommes, apparemment sous la direction de William Craston, ancien pirate, se disposaient à s’emparer du vaisseau basque lorsqu’un groupe de Bretons et de Basques apparut sur le rivage le 20 juin. Le parti comprenait quelque 200 hommes venus des divers navires ancrés dans les deux havres ; ils montèrent trois canons sur le rivage et obtinrent le concours d’environ 300 Indiens. Le « combat » dut se limiter à un tir intermittent entre le navire et le rivage. Enfin, Leigh envoya Ralph Hill et le second maître à terre pour parlementer. Le capitaine Charles, d’un vaisseau breton, vint leur demander la chaloupe qu’ils avaient obtenue à Farillon et essaya de manœuvrer son navire en position d’abordage, mais le Hopewell réussit à déjouer son projet. Leigh céda la chaloupe, sans recouvrer les deux otages. Les Français ne libérèrent Hill et son compagnon que lorsque Leigh eut coupé ses amarres. Mais déjà le Hopewell avait dérivé sur un rocher et Leigh était trop occupé pour chercher à se venger. (Il convient de noter que, satisfaits de sa retraite, les Français n’attaquèrent pas davantage.) Le Hopewell se dégagea le 21 et longea la côte jusqu’à l’île Blanche pour essayer de recouvrer sa chaloupe et son ancre, mais un coup de canon tiré du rivage lui signifia de se tenir à distance. Les Français avaient gagné la partie et étaient trop bien retranchés pour qu’on pût songer à établir la moindre colonie. Leigh tenta alors de mettre le cap sur Grande Coste (probablement la rive du golfe, au nord-ouest d’Anticosti) à la recherche d’un autre emplacement à coloniser, mais l’officier de navigation, William Cranston, avait pris la direction du navire et refusait d’aller plus loin ; on décida donc de retourner au Cap-Breton. Ils atteignirent Menego (île Saint-Paul) le 25 juin, longèrent la côte jusqu’au cap et eurent la veine extraordinaire de rencontrer, le 27, une chaloupe du Chancewell qui avait été envoyée, comme l’a raconté George Johnson, pour attirer l’attention de ces sauveteurs providentiels. Le Chancewell ayant été détruit et pillé par les pêcheurs basques, les hommes n’avaient plus que leurs chaloupes. Le Hopewell les prit tous à bord. Les quatre Pèlerins brownistes se trouvaient réunis et c’est probablement là, dans la baie de Sainte-Anne ou près de celle-ci, que Leigh les dégagea officiellement de leur promesse de rester au Canada, mettant ainsi fin au projet de colonisation.
Leigh amorça alors une campagne longue et ardue pour reprendre aux vaisseaux basques, du moins en partie, les gréements qu’ils avaient volés au Chancewell. Il en recouvra sur un navire de Ciboure qui se trouvait dans la baie ; plus tard il en retrouva d’autres à bord d’un vaisseau basque espagnol, le Santa Maria de San Vicente, à English Port (la baie de Mire ?), mais lorsqu’il donna l’impression qu’il allait peut-être, en outre, essayer de capturer ce navire, Basques et Bretons s’unirent de nouveau pour le chasser. Entre-temps, il pêchait la morue et il prit contact avec les Indiens, s’emparant d’un canot d’écorce puis le restituant aux Indiens – auxquels il offrit des cadeaux – lorsqu’ils vinrent le lui réclamer. L’incident provoqua la venue sur le rivage du chef de l’endroit, accompagné de sa femme et de toute sa suite. Leigh apprit qu’il se nommait Itarey et que le havre s’appelait Cibo (de Ciboure ?), ce qui porte à croire que les Indiens parlaient français. Leigh distribua encore une fois des cadeaux et chercha vraiment à établir de bonnes relations, peut-être dans le dessein de revenir plus tard au Cap-Breton.
Craston et les hommes du Hopewell étaient résolus à s’emparer d’un navire coûte que coûte ; ils se tournèrent donc vers la côte basque du littoral sud de Terre-Neuve que Wyet avait visitée sous le signe de l’amitié en 1594. Le 18 juillet, dans la baie Saint-Laurent (apparemment le Grand Saint-Laurent), Craston surprit le Catalina, navire basque-espagnol d’Orio, jaugeant 120 tonneaux et chargé de poisson et d’huile. Le lendemain, Craston essayait de reprendre contact avec le Hopewell lorsqu’il fut fait prisonnier par l’équipage d’un navire de La Rochelle, qui les retint, lui et ses hommes, comme otages contre la restitution du Catalina. L’échange se fit après un marchandage compliqué et le Hopewell partit enfin pour la baie Sainte-Marie où sa dernière tentative de capture d’un navire, le 25 juillet, fut couronnée de succès. Après un combat violent, mais guère sanglant, au cours duquel le capitaine Leigh faillit de peu être blessé, le groupe captura un navire de 200 tonnes venu de Belle-Isle, port breton de la Ligue catholique ; c’était probablement une bonne prise et Leigh s’en chargea lui-même. Il insista alors pour mettre le cap sur la métropole sans faire de descente sur la côte nord de Terre-Neuve, comme le voulait Craston. Le 5 août, le Hopewell prit la route du retour et passa par les Açores, à la recherche de nouvelles prises ; le 5 septembre, Leigh et les Pèlerins atteignaient l’île de Wight où Francis Johnson et les autres Pèlerins demeurèrent pendant que Leigh amenait la prise à Londres pour la faire évaluer en vue de partager le butin.
Les brownistes n’essayèrent pas de poursuivre l’aventure et ils s’exilèrent en Hollande. Mais Leigh était très désireux de continuer ce qu’il avait si mal commencé. Il rédigea une bonne relation du voyage, ainsi qu’une description des Îles de la Madeleine – la première – où il se dit fermement convaincu que les îles Se prêtaient a la colonisation. En outre, le 4 octobre, il consignait dans son « Briefe platform » son projet d’aller en 1598, avec trois navires, établir une colonie qui priverait à jamais les Français de ces îles de la Madeleine en s’y rendant un mois avant eux et en fortifiant la petite île située à l’embouchure du havre basque appelé Duoron (île d’Entrée), ainsi qu’une éminence de terrain semblable dans l’autre havre. Le roi d’Espagne serait ainsi privé du poisson que lui envoyaient les Français, tandis que les colons trouveraient les îles habitables, bien que d’un climat plus rigoureux que celui de l’Angleterre. Le Privy Council, auquel le document était adressé, n’offrit aucune aide et on abandonna le projet ; cependant, les conseils et les propositions en vue de l’établissement d’une colonie dans le Saint-Laurent se succédèrent jusqu’en 1602, date à laquelle, semble-t-il, les Anglais abandonnèrent la partie, cédant la place aux Français.
Nous ignorons si Leigh fit d’autres voyages de prospection en 1598 ou en 1599, mais après 1599, il déserta l’Amérique du Nord. Il s’était marié et avait deux enfants dont l’aîné, Olyph, était né au début de 1597. On le retrouve commerçant à Alger en 1600–1601, puis, en 1601–1602, dirigeant une expédition contre des pirates anglais et des navires de commerce espagnols dans la Méditerranée. Rentré de la Barbarie, il s’en alla prospecter en Guyane en 1602 et choisit les rives du Wiapoco (Oyapock) comme emplacement d’un petit comptoir. Il établit ce poste en 1604 et s’y maintint jusqu’à l’arrivée de secours en 1605 ; toutefois, affaibli par la maladie, il mourut en mer au mois de mars 1605. La colonie mena alors une existence précaire jusqu’à l’année suivante.
Leigh ne manquait pas d’esprit d’entreprise ni d’imagination. Il savait que, pour avoir la moindre chance de réussir, les petits établissements doivent jouer un rôle économique précis. Les îles de la Madeleine offraient un terrain propice à une telle expérience, bien que la nature saisonnière des opérations de chasse et de pêche ne nécessitât guère l’établissement d’une colonie ; il ne parvint pas, cependant, à égaler les Bretons et les Basques qui avaient sur lui le double avantage d’être plus forts et de mieux connaître la région, sans compter l’étroite collaboration qu’ils étaient disposés à s’accorder mutuellement contre l’envahisseur anglais. L’idée qu’il eut d’utiliser l’idéalisme des Pèlerins dénotait un homme avisé, mais il avait mal choisi le théâtre de cette initiative.
[Pour de plus amples détails sur l’expédition, V. George Johnson.]
BM, Add. MS, 12 505, ff.474–478.— Hist. mss Com., 9, Salisbury (Cecil) mss, XI.— PRO, H.C.A. 13/32, Deposition of Francisco de Cazanova, 7 Nov. 1597 ; Acts of P.C., new ser., 1596–97, 1597, 1597–98.— Hakluyt, Principal navigations (1903–05), VIII : 166–182.— George Johnson, A discourse of some troubles ([Amsterdam], 1603).— Purchas, Pilgrimes (1905–07), XVI. — R. Douglas, Place-names on Magdalen Islands, Que., Geog. Bd., Can., 17th Report (1922), 66–74. — G. Leveson-Gower, Notices of the family of Leigh of Addington, Surrey Arch. Coll., VII (1880) : 77–123, constitue la meilleure histoire de la famille Leigh.— Rogers, Newfoundland,— The Victoria history of the counties of England : Surrey, ed. W. Page (5 vol., 1902–14), II–IV.— J. A. Williamson, The English colonies in Guiana and on the Amazon, 1604–1668 (Oxford, 1923).— Au sujet des Brownistes, V. Champlin Burrage, The early English dissenters (2 vol., Cambridge, Eng., 1962).— H. M. Dexter, The Congregationalism of the last 300 years (London, 1880) ; H. M. Dexter et Morton Dexter, The England and Holland of the Pilgrims (London and Boston, 1906).— F. J. Powicke, Henry Barrow (London, 1900).
David B. Quinn, « LEIGH, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/leigh_charles_1F.html.
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Auteur de l'article: | David B. Quinn |
Titre de l'article: | LEIGH, CHARLES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 13 déc. 2024 |