LEMOINE DESPINS, JACQUES-JOSEPH, négociant, né à Boucherville (Québec) le 15 juillet 1719, fils de René-Alexandre Lemoine, dit Despins, et de Marie-Renée Le Boulanger, décédé à Montréal le 16 avril 1787.

C’est sans doute dans sa famille que Jacques-Joseph Lemoine Despins apprit la conduite des affaires ; son père était marchand et un de ses oncles, Alexis Lemoine*, dit Monière, avait bien réussi dans le commerce des fourrures. Dès 1743 ou 1744, Lemoine Despins s’associait à Jean-Baptiste-Grégoire Martel de Saint-Antoine, qui venait d’être nommé garde-magasin du roi à Montréal. Cette première association lui permit d’entrer au service du roi – il devint le commis de Martel – et par la suite de participer à des entreprises de plus en plus lucratives. Lors de la signature de son contrat de mariage, le 22 avril 1747, à Montréal, avec Marguerite, fille du marchand Jean-Baptiste Guillon (Guyon), une dizaine de marchands montréalais étaient présents. Lemoine Despins possédait alors, d’après son contrat, 16 000 #, « tant en argent comptant qu’en marchandises », dont il se réservait environ les deux tiers en nature en propre, c’est-à-dire hors de la communauté de biens. Cette clause inhabituelle lui permettait d’affecter la plus grande partie de ses biens à son commerce sans entraves légales.

Les affaires de Lemoine Despins prospérèrent rapidement. En effet, en 1748, le commissaire de la Marine à Montréal, Jean-Victor Varin de La Marre, se joignit à Despins et Martel. Cette « société de grand commerce », comme le rapportait Mme Bégon [Rocbert*] au mois de décembre de cette année, s’occupait de « toutes les fournitures » du roi ; elle vendait aussi au détail et possédait des intérêts dans les pays d’en haut. Un cousin par alliance de Lemoine Despins, Louis Pennisseaut, négociant qui sera lié à l’aide-munitionnaire François Maurin*, s’associa également à eux en 1755. En 1763, au cours de son procès au Châtelet, lors de l’Affaire du Canada, Martel déclarera que c’était Lemoine Despins qui administrait les affaires de la société – qui dura jusqu’en 1757 – et qu’il s’agissait d’une société en commandite.

Lemoine Despins s’intéressa également au commerce des fourrures. Il engagea quelques voyageurs en 1751 et en 1752, puis s’associa à Louis de La Corne*, pour l’exploitation du poste de l’Ouest, à l’automne de 1752. Il eut par la suite des intérêts dans la traite des fourrures à Détroit et, dès 1755, au fort Témiscamingue (près de Ville-Marie, Québec).

En 1755, Lemoine Despins, dont la première épouse était décédée en 1752, convolait à Québec, le 6 novembre, avec la nièce de Mme Bégon, Marguerite-Charlotte, fille de Louis-Joseph Rocbert de La Morandière, ancien garde-magasin à Montréal. Comme Despins avait eu de son premier mariage deux fils, Jacques-Alexis et Jean-Baptiste, qui, au décès de leur mère, avaient droit à la moitié de la succession de leurs parents, il dut faire dresser, en septembre 1756, l’inventaire de ses biens. L’ampleur de son commerce y est clairement établie. Si le mobilier de la maison semble modeste, les marchandises stockées dans la voûte, le magasin et la cour, propriétés de la société que Lemoine Despins administrait pour Martel et Varin, furent évaluées à plus de 100 000 #; les créances de cette société s’élevaient à environ 200 000# contre seulement 30 000# de dettes. Il est difficile de savoir ce qui appartenait à Lemoine Despins en propre, mais celui-ci tenait de toute évidence, en plus des affaires de la société, un commerce à son compte : il possédait une boulangerie, des intérêts dans une goélette, et son correspondant québécois, le négociant Jacques Perrault, lui devait une somme de 50 000#.

À la fin de 1756, Lemoine Despins s’engageait envers le munitionnaire Joseph-Michel Cadet « pour le Service du Roy ». Martel écrivit plus tard que « le Sr Lemoine avoit été chargé de faire par économie toutes les fournitures de farines de lards & de pois aux Troupes, & pour l’approvisionnement général des Forts ; ces fournitures étoient immenses », et il accusa Lemoine Despins d’avoir falsifié des factures. En 1758, ce dernier demandait à Jacques Perrault de faire « Entr[er] dans la depence ceux à Quis Sa est avantageux ». Ces pratiques peu recommandables, et les profits qui en découlaient, suscitèrent le ressentiment des Montréalais.

Après la Conquête, le nom de Lemoine Despins se trouva sur la liste des accusés dans l’Affaire du Canada, mais lorsque le jugement fut rendu, il fut simplement déclaré « qu’il sera plus amplement informé des faits mentionnés au Procès ». Selon Pierre-Georges Roy*, Lemoine Despins passa en Angleterre en 1765, puis en France où il obtint des lettres de réhabilitation, avant de revenir au Canada. Quoi qu’il en soit, Despins semble avoir eu peu de difficultés à remettre ses affaires en marche sous le Régime britannique. Il fut mis en relation avec les négociants Daniel et Antoine Vialars de Londres, qui servaient souvent de fournisseurs aux marchands canadiens, et avec lesquels il transigea par l’intermédiaire de Jacques Perrault de Québec. Il semble avoir continué en affaires jusqu’à sa mort. Lorsque ses fils devinrent majeurs, il leur accorda la part de l’héritage laissé par leur mère, soit 60 000# chacun. Ils reçurent des marchandises, des établissements et des fonds qui leur permirent de former une société pour le « commerce des marchandises propres pour ce pais ». Despins se mêla peu de politique sous le nouveau régime. À la suite de la demande des citoyens de Québec, en 1765, il vit à la nomination de huit députés montréalais « pour ce trouver a Quebec lorsquil Sera Convoqué une assamblé General pour le bien commun ». Il avait procédé discrètement, selon les conseils de son correspondant Perrault. En 1775, il fut de ceux qui effectuèrent les préparatifs de défense avant l’arrivée des Américains à Montréal.

Comme plusieurs autres marchands, Lemoine Despins avait été durant sa carrière marguillier et capitaine de milice. Sachant user de ses relations de famille et d’affaires, il érigea une fortune considérable qui provenait beaucoup plus de privilèges douteux que d’un commerce honnête, ce qui le séparait de la plupart des négociants de Montréal.

José E. Igartua

AN, Col., E, 276 (dossier Le Mercier).— ANQ-M, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Montréal, 16 juill. 1719, 24 avril 1747, 17 avril 1787 ; Greffe de J.-B. Adhémar, 9 mars 1752, 17 juin, 8 juill., 2 oct. 1753 ; Greffe de L.-C. Danré de Blanzy, 22 avril 1747, 28 sept. 1756, 22 mai 1759 ; Greffe de Pierre Panet, 24 sept. 1757, 13 juill. 1763, 25 mai, 7 juill., 14 nov. 1764, 7 juin, 20 sept. 1765, 27 avril 1767, 30 avril, 23 juill., 25 oct., 15 nov. 1768, 11 sept. 1769, 10 nov. 1770, 21 sept. 1771, 19 mai 1772 ; Greffe de François Simonnet, 6 déc. 1754.— ANQ-Q, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 6 nov. 1755 ; Greffe de Claude Barolet, 5 nov. 1755.— APC, MG 18, H50.— Bégon, Correspondance (Bonnault), ANQ Rapport, 1934–1935, 17, 176.— J.-B.-J. Élie de Beaumont, Observations sur les profits prétendus indument faits par la société Lemoine des Pins, Martel & Varin (Paris, 1763).— État général des billets d’ordonnances [...], ANQ Rapport, 1924–1925, 246–342.— [J.-B. Martel de Saint-Antoine], Mémoire pour Jean-Baptiste Martel, écuyer, ci-devant garde des magasins du roi à Montréal (Paris, 1763).— Mémoires sur le Canada, depuis 1749 jusqu’à 1760.La Gazette de Québec, 8, 29 déc. 1766, 1er sept. 1768, 19 déc. 1771, 12 mars 1772, 8 janv., 28 nov. 1778, 29 avril 1779, 18 mai, 15 juin 1780, 17 mai 1781, 20 juin 1782, 31 mars, 12 mai 1785, 29 juin, 19 oct. 1786.— Marguilliers de la paroisse de Notre-Dame de Ville-Marie de 1657 à 1913, BRH, XIX (1913) :279.— É.-Z. Massicotte, Inventaire des actes de foi et hommage conservés aux Archives judiciaires de Montréal, ANQ Rapport, 1921–1922, 105 ; Répertoire des engagements pour l’Ouest, ANQ Rapport, 1930–1931, 421, 426, 429, 443 ; 1931–1932, 330, 337–340, 360.— J.-E. Roy, Rapport sur les archives de France, 871, 875.— Tanguay, Dictionnaire.— Frégault, François Bigot, II : 86, 89–91.— P.-G. Roy, Bigot et sa bande, 163–168.— Jacques Mathieu, Un négociant de Québec à l’époque de la Conquête : Jacques Perrault l’aîné, ANQ Rapport, 1970, 46, 56, 80.

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José E. Igartua, « LEMOINE DESPINS, JACQUES-JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lemoine_despins_jacques_joseph_4F.html.

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Auteur de l'article:    José E. Igartua
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
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