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LESCARBOT, MARC, avocat, voyageur et écrivain, né vers 1570 à Vervins, en Thiérache, pays-frontière entre la France et les Pays-Bas espagnols, mort en 1641.
Sa famille venait probablement de Guise, mais lui-même nous dit que ses ancêtres étaient originaires de Saint-Pol-de-Léon, en Bretagne. Il étudia d’abord au collège de Vervins, puis à Laon. Grâce à la protection de Mgr Duglas, évêque de cette dernière ville, il put aller compléter ses études à Paris, comme boursier du collège de Laon. Il y fit des humanités très sérieuses, apprit le latin, le grec et l’hébreu, et acquit une connaissance approfondie des littératures anciennes et modernes. Il étudia ensuite le droit canonique et le droit civil.
Licencié en lois en 1598, il joua un petit rôle lors des négociations du traité de Vervins, entre l’Espagne et la France. À un moment où les pourparlers semblaient voués à l’échec, Lescarbot prononça un Discours latin pour la paix. Après la conclusion du traité, il composa une Harangue d’action de grâces, rédigea une inscription commémorative et publia des Poèmes de la Paix. Reçu avocat au parlement de Paris en 1599, il traduisit en français trois ouvrages latins : le Discours de l’Origine des Russiens et le Discours véritable de la Réunion des Eglises du cardinal Baronius, et le Guide des Curés de saint Charles Borromée, dédié au nouvel évêque de Laon, Godefroy de Billy, mais qu’il ne publia qu’après la mort de ce personnage (1613).
Il résidait habituellement à Paris, où il fréquentait les gens de lettres, comme les érudits Frédéric et Claude Morel, ses premiers imprimeurs, et le poète Guillaume Colletet, qui écrivit de lui une biographie malheureusement perdue. Il s’intéressait aussi à la médecine et traduisit en français une brochure du docteur Citois, l’Histoire merveilleuse de l’abstinence triennale d’une fille de Confolens (1602). Mais il voyageait aussi et gardait contact avec son pays natal, où il comptait des parents et des amis, comme les frères Laroque, ses émules en poésie, et recrutait quelques clients. Une cause qu’il perdit par suite de la vénalité d’un juge le dégoûta momentanément du barreau. Aussi, quand un de ses clients, Jean de Biencourt de Poutrincourt, associé aux entreprises canadiennes du sieur Dugua de Monts, lui offrit de les accompagner dans un voyage en Acadie, Lescarbot accepta sans retard. Il rima un Adieu à la France et s’embarqua à La Rochelle, le 13 mai 1606. Arrivé à Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.) en juillet, il y passa le reste de l’année et fit, au printemps suivant, une excursion à la rivière Saint-Jean et à l’île Sainte-Croix. Mais à l’été de 1607, la révocation du privilège de de Monts força toute la colonie à rentrer en France.
Dès son retour, Lescarbot publia un poème épique sur La Défaite des Sauvages Armouchiquois (1607), puis entreprit de composer une vaste histoire des établissements français en Amérique, l’Histoire de la Nouvelle-France. La première édition de cet ouvrage parut à Paris en 1609 par les soins du libraire Jean Millot. L’auteur y raconte d’abord les voyages de Laudonnière, Ribaut et Gourgues en Floride, ceux de Durand de Villegaignon et Jean de Léry au Brésil, puis ceux de Verrazzano, Cartier et La Rocque de Roberval au Canada. Cette partie, la moins originale de son ouvrage, n’est guère qu’une compilation refondue.
Il entreprend ensuite de raconter les entreprises de de Monts en Acadie, et cette partie de son œuvre est nettement originale. Il a passé un an à l’habitation de Port-Royal et rencontré les survivants de l’éphémère colonie de Sainte-Croix ; il a conversé avec les promoteurs et les membres des voyages précédents, François Gravé, de Monts et Champlain ; il a fréquenté les vieux capitaines pêcheurs, familiers de Terre-Neuve et des côtes acadiennes ; il raconte donc ce qu’il a vu lui-même ou appris des acteurs et témoins directs des événements.
Dans les éditions successives de son Histoire, en 1611–1612 et 1617–1618, et dans ses brochures complémentaires, La Conversion des Sauvages (1610) et la Relation dernière (1612), il remanie et complète son récit. Il raconte le rétablissement de la colonie par Poutrincourt, les démêlés de ce dernier et de son fils Charles de Biencourt avec leurs concurrents et les Jésuites Biard, Massé et Du Thet, puis la ruine de la colonie par Argall. Il n’a pas vu ces incidents et les narre seulement d’après les rapports de Poutrincourt, de Biencourt, d’Imbert ou d’autres témoins. Ces témoignages peuvent paraître entachés de partialité ou servir des fins publicitaires ; mais Lescarbot, en les conservant, nous a fait connaître des incidents et des textes que nous aurions ignorés sans lui.
Lescarbot consacre toute la dernière partie de son Histoire à décrire les Premières Nations. Il s’est vivement intéressé à elles, a fréquenté assidûment les chefs et les guerriers souriquois (micmacs) ; il a observé leurs mœurs, recueilli leurs réflexions, noté leurs chants. Sur bien des points, il estime les membres des Premières Nations plus civilisés et plus vertueux que les Européens, mais, en bon Français, il les plaint d’ignorer les plaisirs du vin et de l’amour.
Dans toute son œuvre, Lescarbot ne se contente pas de raconter, mais il exprime beaucoup d’idées personnelles. Il a des opinions très précises sur les colonies, où il voit un champ d’action pour les hommes courageux, un débouché économique, un bienfait social et un moyen de rayonnement pour la mère patrie. Il favorise le monopole commercial comme méthode de pourvoir aux frais d’établissement ; pour lui, la liberté de commerce n’aboutit qu’à l’anarchie et ne produit rien de stable. Dans la querelle de Poutrincourt contre les Jésuites, il prend évidemment parti pour son protecteur ; mais il est impossible qu’il ait rédigé le Factum de 1614 [V. bibliographie générale], que certains auteurs lui attribuent ; il séjournait en Suisse quand parut ce libelle.
Toutes les éditions de l’Histoire comportent, en appendice, un court recueil de vers intitulé Les Muses de la Nouvelle-France, publié aussi séparément. Dans sa dédicace à Brulart de Sillery, Lescarbot le prie d’excuser ces muses « mal peignées et rustiquement vêtues », nées au fond des bois. En effet, si l’auteur possédait de réels dons poétiques, la poésie ne fut jamais pour lui, comme pour Malherbe, son contemporain, qu’un divertissement de circonstance et un moyen de plaire aux grands. Il possède le sens de la nature et une vive sensibilité, et rencontre parfois des rythmes et des images agréables ; mais ses vers, maladroits et forgés à la hâte, obéissent au mauvais goût de l’époque et n’ajoutent rien à sa gloire.
Son Théâtre de Neptune, qui fait partie des Muses, présente cependant de l’intérêt. C’est une espèce de spectacle nautique, organisé pour fêter le retour de Poutrincourt à Port-Royal. Le dieu Neptune vient, en barque, souhaiter la bienvenue au voyageur, entouré d’une cour de tritons et d’Autochtones qui récitent à tour de rôle les louanges des chefs de la colonie, en vers français, gascons ou souriquois, puis chantent en chœur la gloire du roi, pendant que les trompettes résonnent et que l’on tire du canon. Cette pièce, jouée le 14 novembre 1606 dans le décor grandiose du bassin de Port-Royal, fut la première et peu banale représentation théâtrale en langue française en Amérique du Nord.
Peu après la seconde édition de son Histoire, dédiée au président Jeannin, Lescarbot accompagna en Suisse, comme secrétaire, Pierre de Castille, gendre de Jeannin, nommé ambassadeur auprès des Treize-Cantons. Il dut apprécier cette nomination qui lui permit de voyager, de visiter une partie de l’Allemagne et de fréquenter les villes d’eaux. Il en profita pour composer un Tableau de la Suisse, en vers et en prose, mi-descriptif et mi-historique, qui lui valut peut-être sa charge de commissaire de la Marine et lui mérita, lors de sa publication (1618), une gratification de 300# du roi. Cette incursion du poète dans la diplomatie et l’administration ne forma toutefois qu’un court et brillant épisode dans sa vie.
Bien qu’il appréciât la compagnie des dames, Lescarbot demeura longtemps célibataire. Une idylle avec Isabelle de Mouroy, en 1609, l’avait bien amené devant un notaire ; le 19 février, ils avaient même passé leur contrat de mariage, mais, pour des causes inconnues, leurs beaux projets s’évanouirent et leurs promesses furent annulées deux mois plus tard. Lescarbot dut faire intervenir la justice pour rentrer en possession d’une bague de fiançailles que la femme refusait de rendre. Cette mésaventure le rendit prudent. Il avait près de 50 ans quand il épousa, le 3 septembre 1619, à Saint-Germain-l’Auxerrois, une jeune veuve de famille noble, Françoise de Valpergue, entièrement ruinée par des exploiteurs ; en guise de dot, elle ne lui apportait qu’une belle cause à défendre. La maison et les terres de sa famille, chargées de rentes impayées, avaient été saisies par des créanciers qui les occupaient depuis 30 ans. Lescarbot, galant homme et brillant avocat, employa toutes ses ressources pour reconstituer le patrimoine de sa femme. Il réussit à reprendre possession de la maison des Valpergue, au village de Presles, et d’un domaine agricole, la ferme de Saint-Audebert. Mais il lui fallut défendre inlassablement ces biens dans une interminable série de procès, qui consommèrent tous les maigres revenus de ces terres pauvres et empoisonnèrent le reste de sa vie.
En 1629, il tenta d’attirer l’attention du cardinal de Richelieu par deux récits en vers du siège de La Rochelle : La chasse aux Anglais et La Victoire du Roy. Il continua de s’intéresser à la Nouvelle-France et garda des relations avec Charles de Biencourt et Charles de Saint-Étienne de La Tour. Le rôle d’embarquement d’un navire qui porta des ravitaillements à La Tour, en 1633, mentionne un Marc Lescarbot parmi les passagers ; mais c’est probablement un neveu de l’avocat, portant le même prénom. On sait cependant qu’il correspondit avec Isaac de Razilly. On a gardé la réponse du gouverneur, datée du 16 août 1634, à l’une de ses lettres. Razilly lui communique d’intéressants détails sur la fondation de La Hève et l’invite à venir s’établir en Acadie avec sa femme. Lescarbot dut passer les dernières années de sa vie à Presles. Il y mourut sans enfants, au printemps de 1641, laissant ses biens à son frère Claude et à son neveu. Sa femme lui survécut.
Figure très pittoresque, Lescarbot tient une place à part parmi les annalistes de la Nouvelle-France. Entre Champlain, l’homme d’action un peu rude, et les missionnaires préoccupés d’apostolat, cet avocat-poète apparaît comme un lettré et un humaniste, disciple de Ronsard et de Montaigne. Il possède la curiosité d’esprit, le goût de l’érudition et la culture gréco-latine de la Renaissance. Catholique, il entretient des amitiés chez les protestants et conserve, en matière religieuse, une attitude de critique et de libre examen qui l’ont fait juger peu orthodoxe. Par tous ces traits de caractère, il reflète bien son époque et paraît un digne sujet du roi Henri IV, qu’il vénérait.
Son oeuvre abondante et diverse témoigne de son intelligence et de la variété de ses talents. À part les ouvrages déjà mentionnés, on connaît de lui quelques notes manuscrites et des poèmes épars. En outre, il est probable qu’il écrivit plusieurs brochures, publiées sous l’anonymat ou restées inédites, parmi lesquelles un Traité de la Polygamie, dont il a parlé lui-même. Il était aussi musicien, calligraphe et dessinateur, et les folkloristes canadiens peuvent le considérer comme leur précurseur, puisqu’il enregistra le premier la notation de chants des Premières Nations.
Mais son grand oeuvre, par l’importance matérielle et l’influence, demeure sûrement son Histoire de la Nouvelle-France. Cet ouvrage considérable eut trois éditions, enrichies de cartes. Écrit dans un style agréable, il rencontra une large diffusion en France et à l’étranger et reçut l’honneur d’une traduction allemande et de deux traductions anglaises, par Erondelle et Purchas. Il parait certain, par les nombreuses citations qu’on en rencontre, qu’il exerça une grande influence et contribua, avec d’autres facteurs, au mouvement colonial qui se produisit en Europe au début du xviie siècle. Charlevoix* le cite avec éloges ; H. P. Biggar l’a nommé « l’Hakluyt français » et G. Atkinson le proclame « le meilleur des historiens de la Nouvelle-France ». Malgré les réserves que l’on peut apporter à des jugements si favorables, il demeure évident que Lescarbot est l’auteur de l’un des premiers grands livres de l’histoire canadienne.
La deuxième édition de l’Histoire de la Nouvelle-France (Paris, 1611 et 1612) a été réimprimée par Edwin Tross [V. bibliographie générale : Lescarbot, Histoire (Tross)]. La troisième édition de l’œuvre (Paris, 1617 et 1618) a été réimprimée, avec une traduction anglaise qui reproduit en partie celle d’Erondelle, par W. L. Grant et H. P. Biggar [V. bibliographie générale : Lescarbot, Histoire (Grant)].— Le Théâtre de Neptune en la Nouvelle-France a été réédité séparément et traduit en anglais : The Theatre of Neptune in New France [...], French text with translation by Harriette Taber Richardson (Boston, 1927).
ACM, B.5654, no 33.— AN, H, 2 8037 ; T, 201143 ; XIb ; 1 135 ; Y, 160, f.323 ; Minutier central des notaires, une quinzaine d’actes.— Bibliothèque de Laon, MS 166bis, tome I, p.123.— BN, MSS, Fr. 4 519, f.135v ; 13 423, f.349 ; MSS, Lat. 9 956, f.3 ; MSS, NAF 9 281 (Margry), f.9.— BN, Imprimés : Rés. Thosiy 414, f.336 ; Rés. Z. Payen 1064, p.69.— G. Atkinson, Les Relations de voyages français du XVIIe siècle et l’évolution des idées (Paris, 1927) ; Les Nouveaux Horizons de la Renaissance française (Paris, 1935), passim.— V. Beuzart, La Religion de Marc Lescarbot, Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, LXXXVII (1938) : 237–260.— H. P. Biggar, The French Hakluyt : Marc Lescarbot of Vervins, AHR, VI (1901) : 671–692.— G. Chinard, L’Amérique et le Rêve exotique dans la littérature française au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle (Paris, 1913) : 100–115.— A. Demarsy, Note sur Marc Lescarbot, avocat vervinois (Vervins, 1868).— A. Jal, Dictionnaire critique de biographie et d’histoire [...] (2e éd., Paris, 1872).— La Thiérache, Bulletin de la Société archéologique de Vervins (Aisne, 1873–1949) : cette revue contient plusieurs articles sur Lescarbot par M. Noël, M. G. Lecocq, E. Dedrus, E. Creveaux et autres.
Bibliographie de la version modifiée :
Arch. nationales (Centre d’arch. de Paris), MC/ET/XIV/5, 25 avril 1609 ; MC/ET/XVIII/264, 31 mai 1641 ; MC/ET/LXXXV/117, 2 août 1619.— Marc Lescarbot, Voyages en Acadie (1604–1607) suivis de la description des mœurs souriquoises comparées à celles d’autres peuples, M.-C. Pioffet, édit. ([Québec], 2007).— Éric Thierry, Marc Lescarbot (vers 1570–1641) : un homme de plume au service de la Nouvelle-France (Paris, 2001).
René Baudry, « LESCARBOT, MARC », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lescarbot_marc_1F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/lescarbot_marc_1F.html |
Auteur de l'article: | René Baudry |
Titre de l'article: | LESCARBOT, MARC |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 2023 |
Date de consultation: | 11 oct. 2024 |