LESPÉRANCE, ZOTIQUE, tailleur de cuir et organisateur syndical, né le 22 novembre 1865, fils de Jacques Lespérance (Talon, dit Lespérance) et d’Angélique Brabant ; le 20 juin 1899, il épousa à Montréal Élizabeth Lamarche, et ils eurent quatre enfants ; décédé le 29 mai 1929 au même endroit.
Tailleur de cuir de son métier, Zotique Lespérance travailla dans des manufactures de chaussure de la ville de Montréal. Dans les années 1880, il s’initia au syndicalisme par l’entremise des Chevaliers du travail, organisation américaine qui s’implantait de plus en plus au Québec. En août 1894, plusieurs tailleurs, dont Lespérance, quittèrent leur assemblée de Chevaliers pour former un syndicat autonome de tailleurs de cuir. Ce syndicat joignit un syndicat américain, le Boot and Shoe Workers’ Union (il en forma le local no 249), en janvier 1901, et Lespérance en devint l’agent d’affaires. Chargé de recruter des syndiqués et de s’assurer de l’application des conventions collectives de travail, il eut fort à faire dans la métropole, car la rivalité était intense avec les syndicats nationaux de la chaussure, qui mirent sur pied, en novembre de cette année-là, la Fédération canadienne des cordonniers dans le but de regrouper tous les ouvriers de la chaussure du Canada. Selon Lespérance, « l’Internationale [était] supérieure parce que chez elle, il ne f[allait] ni religion, ni frontières, ni différence de races ». À compter de 1905, il devint agent d’affaires et organisateur du Conseil conjoint des syndicats de la chaussure de Montréal affiliés au Boot and Shoe Workers’ Union. Le 1er avril 1905, il fut également nommé membre de la direction générale de ce syndicat, poste qu’il occupa jusqu’à son décès. Les syndicats montréalais de la chaussure qui y étaient affiliés comptaient environ 300 membres en 1907. Leur effectif augmenta sensiblement avec la disparition de la Fédération canadienne des cordonniers en 1911 ; il oscilla entre 1 200 et 1 500 de la Première Guerre mondiale à 1930.
Lespérance se frotta au clergé catholique en 1912 à l’occasion d’un lock-out à la manufacture Tebbutt Shoe and Leather Company Limited, de Trois-Rivières. En octobre de cette année-là, le propriétaire, J. T. Tebbutt, congédia tous les membres qui venaient de former un syndicat affilié au Boot and Shoe Workers’ Union quand ceux-ci demandèrent une augmentation de salaires. Il refusa de rencontrer Lespérance venu pour trouver un terrain d’entente. Après avoir essayé sans succès de recruter des travailleurs à Québec et à Montréal, le propriétaire se tourna du côté du clergé local pour qu’il convainque les employés de retourner au travail. Le curé montra de la sympathie pour les réclamations des travailleurs, mais l’évêque du lieu, Mgr François-Xavier Cloutier*, réagit fort différemment : il décida de mettre sur pied des syndicats catholiques « pour arracher [les] ouvriers à l’emprise des unions neutres ». Le syndicat international rendit l’âme le mois suivant. La décision de l’évêque marquait le début de l’implantation du syndicalisme catholique à Trois-Rivières. Ce mouvement s’étendrait aux syndicats de la chaussure de la ville de Québec et de Montréal quelques années plus tard [V. Gaudiose Hébert]. Lespérance, qui serait organisateur général du Boot and Shoe Workers’ Union à compter de 1918 au moins, eut certainement maille à partir avec ces syndicats. Comme les autres dirigeants des syndicats internationaux de l’époque, il a ressentit sûrement la difficulté de combattre des organisations qui avaient l’appui du clergé catholique.
Comme bon nombre d’entre eux également, Lespérance s’intéressa à la dimension politique de l’action syndicale. Actif au sein du Conseil des métiers et du travail de Montréal (CMTM), qui défendait les droits des syndiqués auprès des pouvoirs municipaux, il fut aussi à plusieurs reprises, de 1910 à 1916, membre du comité exécutif de la province de Québec du Congrès des métiers et du travail du Canada, comité chargé de présenter les doléances de l’organisme au gouvernement de la province. Il occupa également le poste de délégué du CMTM au Parti ouvrier en 1908 et le comité central du parti appuya sa candidature à titre d’échevin du quartier Longue-Pointe en 1914 ; il connut toutefois la défaite. De toutes les réformes réclamées par les syndicats internationaux, Lespérance avait particulièrement à cœur l’accessibilité des fils et filles de travailleurs à l’éducation publique. Il avait fait partie du comité qui avait préparé le mémoire du Parti ouvrier à la commission royale concernant les écoles catholiques de Montréal en 1909. On y proposait la gratuité scolaire, l’uniformité des manuels, une commission scolaire unique à Montréal et la création d’un ministère de l’Instruction publique. Le 29 mai 1917, il fut nommé membre de la nouvelle commission de la bibliothèque chargée de faire le choix des livres, revues, journaux et autres que renfermerait la Bibliothèque de la ville de Montréal.
Syndicaliste engagé jusqu’à la fin de sa vie, Zotique Lespérance peut être considéré comme un important artisan de l’implantation du syndicalisme international au Québec au début du xxe siècle. À sa mort, le Monde ouvrier (Montréal), dont il avait été un fidèle collaborateur, souligna qu’il avait travaillé « toute sa vie dans l’intérêt de la classe ouvrière » et que son « jugement sain et pondéré » ne lui avait valu « que des amis tant dans les rangs ouvriers que dans les autres sphères de la société ».
ANQ-M, CE601-S15, 20 juin 1899.— BCM-G, RBMS, Notre-Dame de Montréal, 20 mars 1902, 11 nov. 1903, 17 juin 1906 ; Sacré-Cœur de Jésus (Montréal), 22 juill. 1901, 28 sept. 1902 ; Sainte-Brigide (Montréal), 10 mai 1907 ; Saint-Louis-de-France (Montréal), 12 nov. 1903 (mfm).— VM-DGDA, VM1, Procès-verbaux du Bureau des commissaires, 29 mai 1917 ; VM6, Règlement 624.— Le Monde ouvrier (Montréal), 1er juin 1929, 31 août 1935.— La Patrie, 1er avril 1903, 6 août 1907, 4 juin 1909.— Éric Leroux, « les Syndicats internationaux et la commission royale d’enquête sur l’éducation de 1909–1910 », RCHTQ [Regroupement des chercheurs-chercheuses en hist. des travailleurs et travailleuses du Québec], Bull. (Montréal), 23 (1977), no 1 : 5–28.— Jacques Rouillard, « Implantation et Expansion de l’Union internationale des travailleurs en chaussures au Québec de 1900 à 1940 », RHAF, 36 (1982–1983) : 75–105 ; les Syndicats nationaux au Québec, de 1900 à 1930 (Québec, 1979), 56–65, 106–111, 191–193.— Robert Tremblay, « Répertoire biographique du mouvement ouvrier québécois, 1880–1914 » (rapport postdoctoral, univ. du Québec à Montréal, 1995), 69s.
Jacques Rouillard, « LESPÉRANCE, ZOTIQUE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lesperance_zotique_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/lesperance_zotique_15F.html |
Auteur de l'article: | Jacques Rouillard |
Titre de l'article: | LESPÉRANCE, ZOTIQUE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 13 déc. 2024 |