LESPINAY, JEAN-MICHEL DE, officier au Canada, gouverneur de la Louisiane ; originaire de la région de Fougères en Bretagne, mort à Fort-Royal (Martinique) le 3 janvier 1721.

Entré aux gardes-marine à Rochefort le 25 juillet 1683, il passa au Canada comme enseigne dans les troupes en 1687, fut promu lieutenant réformé en 1690 et lieutenant en pied en 1691. Cette même année, il fut nommé, sur sa demande, par Buade* de Frontenac, capitaine de port à Québec. Il s’était offert « de prendre soin d’empescher que ledit port ne fut gasté par la quantité d’immondices que divers particuliers y jettoient ». Ces fonctions ne comportaient pas d’émoluments et Frontenac renouvela, le 24 octobre 1694, une demande de commission du roi, affirmant que le poste de capitaine de port était « une chose qui sera très utile pour le public et d’aucune charge au roi ». Mais Lespinay songeait à quitter le Canada où il servait depuis huit ans et demanda un congé pour passer en France et vaquer à ses affaires de famille. Frontenac essaya bien de le retenir en lui faisant miroiter de l’avancement, mais sans succès. Le 20 avril 1695, il reçut un congé d’un an et ne revint pas. Le 1er mai 1698, il obtint en effet la permission de rester en France pour servir à Rochefort comme enseigne de vaisseau, grade qu’il avait obtenu le 5 mai 1695. Nous ne savons rien de ses activités pendant les années qui suivent, si ce n’est sa promotion de lieutenant de vaisseau le 1er novembre 1705.

Après la mort de Louis XIV, il fut protégé par le comte de Toulouse, président du Conseil de Marine, et par le financier Crozat qui avait formé en septembre 1714 une compagnie détenant le monopole du commerce en Louisiane. Lespinay en fut nommé gouverneur le 12 mars 1716. Il quitta la France le 21 décembre, sur le Ludlow, qu’il commandait, et arriva à son poste en février 1717. Pour l’attacher à ses intérêts, Crozat lui accorda des avantages financiers assez importants, en particulier un intérêt de 2 p. cent sur tous les produits exportés par la colonie.

Avant de partir, le nouveau gouverneur avait sollicité la croix de Saint-Louis, par souci, prétendait-il, d’accroître son prestige aux yeux des Indiens, ceux-ci « sachant que c’est une marque de distinction parmi les gens de guerre en France ». On lui donna satisfaction le 21 octobre 1716. Il devait disposer de pouvoirs sensiblement plus étendus que ceux de son prédécesseur, Cadillac [Laumet] ; ce changement provoqua dans la colonie un mécontentement d’autant plus vif que, à peine débarqué, il n’hésita pas à outrepasser ses instructions et à mettre seul la haute main sur les finances et la justice. On se plaignit très vite de son arrogance, de sa dureté avec les populations. Il mena une politique indigène maladroite qui, selon Marcel Giraud, « trahit une ignorance élémentaire de la mentalité des populations primitives ». Un tel comportement tendrait à prouver qu’il n’avait eu, lors de son séjour au Canada, que peu de contacts avec les Indiens. En Louisiane, il les traita avec hauteur et avarice, lésinant sur les présents annuels dont il s’était réservé la distribution et annulant ainsi l’heureuse influence de Le Moyne* de Bienville. Il resta d’ailleurs trop peu de temps dans le pays pour en visiter tous les postes.

Lespinay mit en veilleuse le Conseil supérieur nouvellement créé, l’obligea à siéger à son domicile personnel et le dépouilla pratiquement de ses attributions judiciaires et administratives. Il s’intéressa toutefois aux recherches minières menées dans l’intérieur mais le manque de moyens freina l’exploration. On se borna à envoyer des secours au fort Rosalie des Natchez et à créer un nouveau poste chez les Alibamons.

L’ordonnateur Hubert émit même des doutes sur l’honnêteté du gouverneur qu’il accusait de mener une vie scandaleuse. Toutes ces critiques, la démission de Crozat et le passage de la Louisiane sous l’autorité de la Compagnie d’Occident de John Law, entraînèrent, dès la fin de 1717, le rappel de Lespinay. Il ne tomba pas pour autant en disgrâce puisque le 1er novembre 1717 on le nommait au gouvernement de la Grenade. Il eut cependant quelques ennuis. Le 20 septembre 1718, Jean-Baptiste Duché, un des directeurs de la Compagnie d’Occident, adressait au comte de Toulouse un mémoire sur la conduite de Lespinay : en Louisiane : « s’il se trouve vray comme on nous le mande qu’après onze mois de commandement, il en rapporte 15 000 piastres, j’espère que Votre Altesse jugera qu’il est juste d’en faire un exemple ». Ses effets furent mis sous séquestre à Rochefort et il resta en France toute l’année 1719. Était-il victime de calomnies ou bénéficia-t-il de puissantes protections ? On ne sait. En tout cas aucune sanction ne fut prononcée contre lui.

Le 18 mai 1720, il quitta l’île d’Aix sur l’Atalante pour rejoindre son nouveau gouvernement de Grenade où il débarqua le 28 juin n’y faisant qu’un bref séjour puisqu’il mourut six mois plus tard.

Lespinay semble avoir été un officier actif mais autoritaire, vaniteux et plus préoccupé de ses intérêts personnels que de ceux du service.

Étienne Taillemite

AN, Col., B, 16, ff.26, 192v. ; 17, f.236v.— , 20, f.64 ; 38, f.329 ; 39, f.451 ; Col., C8A 27, f.75 ; 28, f.1 ; Col., C11A, 13, ff.42v., 66 ; Col., C13A, 4, 5 ; Col., D2C, 49, ff.31v. 136, 41v. ; Col., E, 278 ; Col., F3, 241, f.141 ; Marine, B1, 9, ff.444, 458, 461, 554, 645 ; 19, ff.493, 495 ; Marine, C1, 150, ff.298, 353, 451 ; 161 ; Marine, C7, 181.— Giraud, Histoire de la Louisiane française, II.— O’Neill, Church and State in Louisiana, 106–114.

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Étienne Taillemite, « LESPINAY, JEAN-MICHEL DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lespinay_jean_michel_de_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    6 déc. 2024