LONGWORTH, FRANCIS, marchand, constructeur de navires et homme politique, né le 3 octobre 1807 à Charlottetown, troisième fils de Francis Longworth* et d’Agnes Auld ; le 3 août 1835, il épousa Sarah Parker Watts, et ils eurent 12 enfants ; décédé à Charlottetown le 12 juin 1883.

Issu d’une famille de propriétaires fonciers anglo-irlandais de religion anglicane, le père de Francis Longworth quitta le comté de Westmeath (République d’Irlande) au début des années 1790 pour venir s’établir à Charlottetown où il devint un membre éminent de la société locale et occupa plusieurs emplois publics, dont celui de shérif en chef du comté de Queens. On sait peu de chose sur l’éducation et les études du jeune Francis. Son nom est mentionné pour la première fois en 1833 : il agit alors à titre d’agent de divers périodiques américains pour l’Île-du-Prince-Édouard. L’année suivante, son frère aîné, Robert, le prit avec lui dans son magasin de Charlottetown où il vendait des « marchandises britanniques et étrangères de toutes sortes ». Il semble que l’entreprise R. and F. Longworth prospéra, car, en 1839, les deux frères faisaient leurs premières tentatives dans l’industrie de la construction navale qui prenait de l’expansion dans l’île. En novembre 1842, ils mirent fin à leur association d’un commun accord, et Francis Longworth décida d’ouvrir son propre magasin à Charlottetown en société avec Albert Hinde Yates. Longworth exerçait principalement l’activité d’un « marchand général » commissionnaire, mais il continua de s’intéresser à la construction navale et au courtage ; entre 1840 et 1855, il posséda, seul ou en copropriété, 47 navires jaugeant au total 6 352 tonneaux. À plusieurs reprises, il allait être partagé entre ses intérêts commerciaux et la poursuite de sa carrière politique.

Comme tous les membres de sa famille, Longworth évoluait à l’aise parmi l’élite de la société de Charlottetown, et, de ce fait, il fit partie du Family Compact qui dominait la vie économique et politique de la ville et de l’île. En 1838, cette élite le désigna pour représenter, avec Edward Palmer, le comté de Charlottetown and Royalty à la chambre d’Assemblée de l’île. Il soutint les intérêts de Charlottetown et défendit la classe possédante contre les empiétements du mouvement en faveur de l’escheat (confiscation des terres), dirigé par William Cooper*, puis s’opposa à l’instauration du gouvernement responsable ; en retour, il fut réélu sans interruption à neuf reprises. De fait, Longworth et Palmer briguèrent souvent les suffrages sans opposition, ce que le Palladium, journal de Charlottetown d’Edward Whelan*, attribuait à la crainte que le Family Compact inspirait aux électeurs et même aux candidats réformistes éventuels. En 1847, Whelan mentionna le nom de Francis Longworth dans un éditorial intitulé « Black Watch » où il décrivait les relations d’affaires et les liens de famille qui composaient le régime du Family Compact.

Ayant fait son apprentissage politique sous les chefs conservateurs Joseph Pope* et Palmer, Longworth adopta une attitude partisane. D’après ses adversaires réformistes, il utilisait des tactiques qui « ne visaient pas à convaincre » et il « ne lançait guère autre chose que des bordées d’injures ». Malheureusement pour la cause des conservateurs, il ne fut pas d’une très grande utilité à l’Assemblée étant donné les longs voyages d’affaires qu’il fit de l’autre côté de l’Atlantique. Aux élections de 1842 et de 1850, il se fia à des mandataires pour assurer sa réélection, et il manqua une session complète en 1846. En outre, Longworth se montrait rarement brillant à l’Assemblée ; il ne prenait pas souvent la parole, même à propos des questions litigieuses, et, lorsqu’il rompait son silence, ses interventions n’avaient ordinairement que peu de résultat. Ce n’est que lors des débats sur le gouvernement responsable, notamment au cours des sessions de 1847 et de 1849, que son action à l’appui des conservateurs se révéla un tant soit peu redoutable. Toutefois, il ne mérita à aucun moment le qualificatif de « leader émérite du parti conservateur » que lui décerna l’historien Walter Ross Livingston. Cette interprétation excessive du rôle joué par Longworth – reprise par la suite par William Stewart MacNutt* – s’explique dans une large mesure par le fait que Livingston lui attribue faussement les amendements modérés au projet de responsabilité ministérielle qui furent proposés à la fin des années 1840 par son frère John. En alliant les vues conservatrices de l’un avec les amendements modérés de l’autre, Livingston a inventé un personnage plus complexe et plus machiavélique que Francis Longworth ne le fut jamais. À la vérité, l’attitude de ce dernier à l’égard du gouvernement responsable fut en tous points conforme à celle du Family Compact.

La signification et l’importance de la responsabilité ministérielle à l’Île-du-Prince-Édouard furent l’objet d’un débat confus [V. George Coles* ; John Longworth]. « Aucun des admirateurs [de ce régime] ne parai[ssait] savoir ce dont il s’agi[ssait] », constata Francis Longworth. Si les réformistes entendaient par responsabilité ministérielle la mainmise absolue de l’Assemblée sur le Conseil exécutif et, par le biais de cet organisme, sur le lieutenant-gouverneur, alors Longworth ne voyait que des calamités pour l’avenir. Il estimait que, si la ligne de démarcation entre les libertés de la population et les prérogatives de la couronne n’était pas maintenue, l’heureux équilibre qui protégeait le mieux le peuple contre lui-même serait perdu et la cause de la liberté retardée. Il ne pouvait se faire à l’idée de confier le gouvernement à des gens qui n’avaient pas de propriétés, locataires insoumis qui tomberaient facilement sous la coupe du « spéculateur politique [...], du tribun à la langue bien pendue ». Non seulement ce changement ébranlerait-il la stabilité de la société, mais encore il allait inévitablement, selon lui, fournir l’instrument « qui romprait finalement le lien qui [...] subsist[ait] entre la mère patrie et les provinces britanniques ». Longworth fut l’un des trois députés de l’Assemblée qui refusèrent de voter pour la responsabilité ministérielle en 1847 ; les événements le forcèrent d’appuyer la version modérée du projet présentée par son frère deux ans plus tard, mais « il craignait qu’il n’en résulte des torts et des destructions ». Même après que le gouvernement responsable eut été institué en 1851, Francis Longworth n’abandonna pas la partie. Il donna son appui au projet tory d’un gouvernement « non departmental » dans lequel des tories élus siégeraient au Conseil exécutif et des tories non élus occuperaient des postes rémunérés en qualité de responsables soi-disant « non politiques » des services gouvernementaux. En même temps qu’ils tentaient de raffermir leur emprise sur les fonctions politiques et administratives, les tories présentèrent un projet visant à rendre électif le Conseil législatif dans l’espoir de réduire la domination que les libéraux exerçaient sur ce corps. C’est ainsi que Longworth et les tories auraient pu, selon Daniel Cobb Harvey*, « reprendre le pouvoir réel tout en en laissant l’illusion aux prétendus vainqueurs ».

Longworth se retrouva dans les coulisses du pouvoir exécutif lorsqu’il devint secrétaire colonial dans le gouvernement de John Myrie Holl*, dont le mandat débuta en février 1854. Quand le lieutenant-gouverneur, sir Alexander Bannerman*, procéda en juin à la dissolution de l’Assemblée sans le consentement du Conseil exécutif, Longworth l’accusa ouvertement d’avoir agi d’une manière inconvenante. Cette impertinence amena Bannerman à démettre Longworth de ses fonctions, mais celui-ci n’accepta de remettre sa démission que lorsque le gouvernement de Holl fut battu aux élections qui suivirent.

Longworth ne se présenta pas aux élections de 1859 que remportèrent les tories. Toutefois, le nouveau gouvernement le récompensa en lui confiant le poste de contrôleur des douanes et des lois maritimes, et celui de receveur des douanes pour le port de Charlottetown. En 1873, il devint appréciateur des douanes perçues au port et conserva ce poste jusqu’à sa retraite en 1880. Juge de paix, il fut nommé à trois reprises shérif en chef du comté de Queens ; en avril 1869, il présida une exécution publique qui fut à ce point gâchée – l’une des cordes était mal mesurée, l’autre se rompit – qu’elle fut l’une des dernières que l’on fit en public dans l’île. Longworth occupa plusieurs fois la présidence de la Benevolent Irish Society et fut l’un des membres fondateurs de l’institut des artisans de l’île. Il s’intéressait activement à la vie commerciale de Charlottetown et fit partie de nombreux conseils d’administration, dont ceux de la Charlottetown Gas Light Company et de la Steam Navigation Company de l’Île-du-Prince-Édouard.

Même s’il fut député durant plus de deux décennies, Longworth se souciait trop de ses intérêts commerciaux et n’avait pas les aptitudes requises pour jouer un rôle prépondérant dans la politique de l’île. Néanmoins, ardent partisan de la cause conservatrice, il exprima sa ferme conviction que la classe possédante avait le droit de gouverner. Avec les années, la foi qu’il gardait en de tels principes l’éloigna du cœur de la vie politique de l’Île-du-Prince-Édouard.

M. Brook Taylor

L’auteur remercie Lewis R. Fischer qui lui a fourni les chiffres se rapportant à l’activité de Francis Longworth dans la construction de navires. Les plus importantes sources de renseignements sur la carrière politique de Longworth sont les rapports de l’Assemblée et les journaux de l’époque : Î.-P.-E., House of Assembly, Debates and proc., 19, 29 mars 1855, 11 avril 1857 ; Journal, 18 mars 1847, 17, 30 mars, 18 avril 1849. Quant à ses nominations au Conseil exécutif et au poste de shérif en chef, V. PAPEI, RG 1, Commission books, 5 mai 1848, 22 avril 1854, 12 avril 1859, 7 mai 1867, 6 mai 1868 ; RG 5, Minutes, 17, 18 févr. 1854, 11 avril 1859. En ce qui concerne les campagnes électorales, les assemblées publiques et les débats de l’Assemblée avant 1855, V. Royal Gazette (Charlottetown), 30 oct. 1838, 11 févr. 1840, 17 mai 1842, 14 juill., 11 août 1846, 13 avril 1847, 30 mars 1849, 15 janv. 1850 ; Islander, 25 févr., 22 juill. 1853, 2, 16, 23 juin 1854 ; Examiner (Charlottetown), 14 août 1847, 5, 12 juin 1854 ; Palladium (Charlottetown), 15 févr. 1844. Concernant les opérations commerciales de Longworth, V. Royal Gazette, 29 oct. 1833, 30 déc. 1834, 3 mai, 1er nov. 1842, 1er août 1843, 24 juin 1853, 4 juin 1858 ; Islander, 4 févr. 1853. On trouve une notice nécrologique dans l’Examiner, 13 juin 1883.

Pour ce qui est des grandes questions et des problèmes débattus à l’époque de Longworth, les sources secondaires les plus pertinentes sont : Duncan Campbell, History of Prince Edward Island (Charlottetown, 1875 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972) ; Basil Greenhill et Ann Giffard, Westcountrymen in Prince Edward’s Isle : a fragment of the great migration (Newton Abbot, Angl., et Toronto, 1967), particulièrement le chap. 10 ; D. C. Harvey, « Dishing the Reformers », SRC Mémoires, 3e sér., 25 (1931), sect. ii : 37–44 ; W. R. Livingston, Responsible government in Prince Edward Island : a triumph of self-government under the crown (Iowa City, 1931), 27s., 49s. ; MacKinnon, Government of P.E.I., chap. 3–5 ; W. S. MacNutt, « Political advance and social reform, 1843–1861 », Canada’s smallest prov. (Bolger), 116–119, 121 ; J. B. Pollard, Historical sketch of the eastern regions of New France[...] also, Prince Edward Island : military and civil (Charlottetown, 1898), 201.  [m. b. t.]

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

M. Brook Taylor, « LONGWORTH, FRANCIS (1807-1883) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/longworth_francis_1807_1883_11F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/longworth_francis_1807_1883_11F.html
Auteur de l'article:    M. Brook Taylor
Titre de l'article:    LONGWORTH, FRANCIS (1807-1883)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    9 nov. 2024