MacBRAIRE, JAMES, agent commercial, marchand, officier dans l’armée et dans la milice, fonctionnaire et juge de paix, né en 1757 à Londonderry (Irlande du Nord) ; le 29 mars 1792, il épousa à Bristol, Angleterre, Elizabeth Bower, et de ce mariage naquit un fils ; il eut aussi un fils illégitime avec Mary Herald, de Harbour Grace, Terre-Neuve ; décédé le 24 mars 1832 à Berwick-upon-Tweed, Angleterre.
On se souvient surtout de James MacBraire comme d’un marchand prospère qui fut sans doute, en même temps, le plus grand philanthrope terre-neuvien de sa génération. Or, de son vivant, il se distinguait déjà par sa personnalité complexe. Homme de bien, sincèrement préoccupé du sort des pauvres (irlandais surtout), il sut se gagner la confiance des fonctionnaires de l’île et, fait plus rare encore, se tenir à l’écart des querelles politiques et sociales qui agitèrent Terre-Neuve pendant les 30 premières années du xixe siècle. Par ailleurs, il était si âpre au gain que, parmi les marchands de son époque, il fut probablement celui qui obtint le plus d’assignations contre les pêcheurs et petits fournisseurs qui avaient des dettes envers lui. Aussi mourut-il riche et généralement estimé, ce qui prouvait qu’à Terre-Neuve un marchand pouvait à la fois avoir du succès en affaires et conserver sa popularité auprès de toutes les classes sociales. Peu nombreux sont les marchands qui ont réussi à en faire autant depuis.
MacBraire cultivait apparemment un certain mystère autour de ses origines et de sa jeunesse, qui ne ressemblaient pas à celles de la moyenne des hommes de sa classe. Son lieu de naissance était singulier, car peu de gens du nord de l’Irlande s’étaient intéressés aux pêcheries de Terre-Neuve. MacBraire aimait laisser croire qu’il avait su échapper à une condition modeste, mais ses antécédents n’étaient peut-être pas aussi humbles qu’il le laissait supposer. Il semble qu’il s’enrôla dans l’armée britannique à l’âge de 18 ans et en sortit sergent en 1780 après avoir servi cinq ans contre les rebelles américains. Ensuite, il entra semble-t-il à titre d’apprenti commis à la William Danson and Company de Bristol, qui expédiait des marchandises à Harbour Grace. On dit qu’il demeura à l’emploi de cette entreprise jusqu’en 1786 et acheta alors une propriété à Harbour Grace. Cette histoire est peut-être véridique, mais dans ce cas MacBraire ne devint ni riche ni important tout de suite. Il est significatif que, lorsque son nom apparaît dans des documents, ce soit non pas en tant que marchand ou commerçant indépendant mais en sa qualité de représentant terre-neuvien de la Joseph Bower and Company de Bristol.
Le 29 mars 1792, MacBraire épousa Elizabeth Bower, fille unique de Joseph Bower qui mourut peu après. Bower aurait dû léguer la plus grande part de sa fortune à son fils James, mais pour une raison quelconque, toute la succession, constituée principalement de biens à Harbour Grace et de navires, alla à Elizabeth. Loin d’avoir dû déployer de grands efforts, MacBraire était donc presque certainement devenu riche en posant un geste traditionnel : épouser la fille de son employeur. Il subsiste tout de même un mystère autour de sa jeunesse, à savoir comment, en ces temps où le lieu d’origine et la classe sociale d’un individu déterminaient tellement le cours de son existence, un jeune sergent pauvre, venu de Londonderry, avait pu obtenir un emploi d’avenir dans une compagnie négociant avec Terre-Neuve à partir de Bristol. L’explication pourrait venir du mariage en 1765 d’un nommé MacBraire, associé d’une entreprise de quincaillerie, à l’héritière d’une grosse fortune, de Bristol. Il est probable que James MacBraire était un parent de cet homme et que ce fut grâce à son influence qu’il eut accès au monde des affaires de Terre-Neuve.
Quoi qu’il en soit, dès 1793 MacBraire se trouvait dans une situation encourageante, malgré des perspectives d’avenir sans doute assez limitées. Grâce à l’héritage de sa femme, il disposait d’un capital d’importance moyenne et d’une entreprise qui, tout en étant petite, était solidement établie à Harbour Grace et dans les environs. Cette région s’avérant passablement peuplée, la production de poisson et la demande de matériel et de vivres étaient élevées. Par le fait même cependant, la concurrence était forte, probablement plus grande que dans toutes les autres parties de Terre-Neuve, et les chances d’expansion assez minces. En outre, MacBraire avait perdu, à la mort de son beau-père, un atout essentiel dans bien des aspects du commerce, soit l’affiliation à une « maison anglaise », ce qui le plaçait dans une position fort désavantageuse par rapport à d’autres marchands de la baie Conception. À l’époque, la réussite venait à ceux qui prenaient au moins une des initiatives suivantes, mais de préférence les trois : s’établir à St John’s, où les communications avec le monde extérieur se révélaient beaucoup plus faciles et d’où ils pouvaient commercer avec tous les coins de Terre-Neuve ; ouvrir une entreprise dans quelque nouvel établissement dont la population s’accroissait rapidement et où d’autres commerçants ne s’étaient pas encore taillé de place ou se montraient lents à prendre de l’expansion ; fonder avec des parents ou des associés une société ou une succursale au Royaume-Uni pour multiplier au maximum les possibilités d’échanges internationaux.
MacBraire fit tout cela, ce qui allait lui permettre de quitter Terre-Neuve en 1817 avec une fortune de quelque £80 000. Mais bien avant, il se trouva un point d’attache au Royaume-Uni en formant avec la James Henderson and Company de Falkirk, en Écosse, une association qui se révéla profitable pour les deux parties. On ne sait pas comment MacBraire et Henderson se connurent, mais la compagnie de ce dernier regroupait des armateurs et des négociants qui envoyaient apparemment des navires à Terre-Neuve depuis les années 1780. Les détails de l’association ne sont pas clairs non plus. Cependant, des indices permettent de supposer qu’elle commença vers 1796, et on sait que les associés possédaient, ensemble et individuellement, des navires au long cours qui faisaient du commerce avec Terre-Neuve. Il est probable que l’association ne concernait pas les transactions terre-neuviennes de MacBraire, mais seulement ses opérations d’import-export.
En 1795, MacBraire avait obtenu une commission de capitaine dans le Royal Newfoundland Fencible Régiment de Thomas Skinner*. Deux ans plus tard, il s’installait à St John’s. Il ne se lança pas tout de suite, semble-t-il, dans le commerce du poisson, mais entra plutôt à l’hôpital maritime à titre de commissaire, poste intéressant qui n’offrait toutefois que des perspectives limitées. En 1798, il fit venir sa femme d’Angleterre et commença d’acheter des propriétés à St John’s et dans la région. Le moment était bien choisi : cette année-là, en raison de la fermeture de presque tous les marchés européens, le commerce terre-neuvien traversait une grave dépression, et nombre de négociants et marchands étaient insolvables. MacBraire acheta bientôt un quai et un magasin et ne tarda pas à devenir un marchand important de la région de St John’s.
La dernière initiative de MacBraire, d’ailleurs la plus heureuse, fut d’ouvrir vers 1806 une succursale à Kings Cove, dans la baie Bonavista. Pour la gérer, il fit venir d’Irlande un de ses compatriotes, Michael Murphy, qui se révéla un représentant singulièrement compétent et digne de confiance. Il y avait des pêcheurs et des colons anglais dans la baie Bonavista depuis le xviie siècle mais, jusqu’à la Révolution américaine, Bonavista, Greenspond et Salvage avaient été les principaux centres de peuplement. Les habitants étaient approvisionnés par les commerçants de Trinity, dans la baie Trinity. Cependant, en 1806, la population de la baie Bonavista croissait rapidement, et nombre d’anses et d’îles nouvelles accueillaient des colons. En établissant à Kings Cove un commerce permanent, ouvert toute l’année, MacBraire put exploiter les possibilités de la région et il ne pouvait que prospérer à mesure que la population se multipliait.
La baie Bonavista ne produisait pas que de la morue. C’était un excellent emplacement pour la chasse au phoque et ses forêts recelaient d’appréciables quantités de bois de première qualité, qui s’avéra excellent pour la construction des navires. Dès 1810, les charpentiers de MacBraire avaient construit dix bâtiments jaugeant de 30 à 140 tonneaux ; en 1812, la production de morue atteignait les 15 000 quintaux. À partir de Kings Cove, MacBraire arracha aux marchands de Fogo et de Twillingate une part de plus en plus grande de l’approvisionnement des trappeurs et pêcheurs de la région de la baie des Exploits. Dès 1808, il exploitait les pêcheries de saumon de la baie Gander.
Au fil du temps, Kings Cove se révéla la plus profitable et la plus durable des entreprises commerciales de MacBraire. Pourtant, celui-ci ne s’y rendit guère apparemment, préférant le confort de St John’s. De 1800 à 1804, il se départit de ses intérêts et de son commerce de Harbour Grace, mais il continua sans relâche de multiplier ses transactions avec les pêcheurs d’abord le long du Southern Shore et, à compter de 1810, jusqu’à la baie de Plaisance. En 1809, les installations de MacBraire à St John’s se classaient au troisième rang dans la ville en terme de valeur assurée. Devenu l’un des marchands et citoyens les plus en vue de la communauté, il ne pouvait manquer d’être propulsé sur la scène sociale.
MacBraire se tint apparemment à l’écart de toutes les querelles politiques et sociales qui absorbèrent la plupart des membres de l’élite de St John’s durant cette période. L’équanimité de son caractère, comme son sens manifeste des affaires, lui mérita de toute évidence la confiance et l’estime de ses concitoyens. Au lieu de se mêler aux disputes, il employa ses énergies et sa position de façon constructive. En 1807, il joua un rôle clé dans la formation de la Society of Merchants, ancêtre de l’actuel Board of Trade, et en fut élu président, poste qu’il occupa plusieurs années avant son départ de l’île. Son travail au sein de cette société lui gagna l’estime et la reconnaissance de ses concitoyens, mais ce fut la part qu’il prit à la fondation et à l’expansion de la Benevolent Irish Society qui lui valut le plus de considération et fit qu’on se souvint de lui par la suite. Dès 1806, le rythme de l’immigration vers Terre-Neuve s’accroissait rapidement, et une bonne partie des nouveaux arrivants, originaires surtout du sud de l’Irlande, débarquaient dans les grands centres comme St John’s, qui vit sa population doubler en moins de 20 ans. La ville, dépourvue de régime d’assistance publique, présentait un spectacle tragique, surtout entre les mois de février et mai : il s’y trouvait en très grand nombre des pauvres qui n’avaient ni terre à cultiver ni travail et qui, ayant épuisé leurs économies de l’été précédent, connaissaient la misère et même la famine.
Troublés par cette situation, les résidents irlandais mieux nantis se réunirent en 1806 pour fonder la Benevolent Irish Society. Même si la plupart des Irlandais de la classe moyenne (et même, à ses débuts, nombre de marchands et négociants anglais) la soutinrent de bon cœur, ce furent surtout MacBraire et le capitaine William Haly, officier de la garnison, qui la mirent sur pied et la dirigèrent d’abord. Tous deux étaient protestants, mais à l’époque l’œcuménisme florissait à Terre-Neuve, et leur initiative suscita l’approbation et l’enthousiasme de toutes les classes sociales. En 1811, MacBraire prit la succession de Haly à la présidence et, en 1819, il fut élu « président à perpétuité ». Bien qu’il ne soit pas question de déprécier la générosité dont MacBraire fit preuve dans le cadre de cette société et en général (par exemple, pendant les famines de 1817, il offrit beaucoup plus de repas gratuits aux pauvres que tout autre particulier), son attitude était loin de nuire à ses transactions commerciales, qu’il faisait presque toutes avec des pêcheurs irlandais. Apparemment, sa charité fit plus que compenser les effets de son âpreté envers les pêcheurs et de sa propension à obtenir des assignations et des saisies d’hypothèque en cas de dettes.
Le seul démêlé que MacBraire eut avec les autorités survint en 1812 et il avait un motif personnel plutôt que politique. Au début de la guerre contre les États-Unis, le gouverneur sir John Thomas Duckworth* décida de former de nouveau dans l’île un corps de milice, les St John’s Volunteer Rangers. Comme MacBraire était le marchand le plus en vue de la ville et qu’il avait commandé les Royal Volunteers of St John’s, on lui demanda de prendre la tête des rangers à titre de capitaine. Estimant sans doute qu’il méritait un grade plus élevé que celui qu’il avait déjà eu, il exigea d’être promu major. En 1813, après un compromis temporaire, il reçut sa promotion.
En 1815, la grande époque de MacBraire tirait à sa fin même si celui-ci n’en était peut-être pas conscient. Ses affaires florissaient toujours et il demeurait incontestablement la plus grande figure de St John’s, position que vint renforcer sa nomination comme juge de paix de la ville la même année. Cette nomination s’avérait plus inhabituelle qu’il n’y paraît, car tous les autres juges de paix qui avaient été choisis étaient des fonctionnaires. Cette année-là, MacBraire fut aussi marguillier à l’église anglicane. En 1817, il atteignit la soixantaine. Même s’il avait séjourné au Royaume-Uni pendant de nombreux hivers, il avait passé beaucoup plus de temps à Terre-Neuve que la plupart de ses pairs et, comme eux, il avait toujours projeté de retourner dans la métropole au moment de sa retraite pour vivre tranquillement ses dernières années dans un domaine. Le 10 juillet, son association avec James Henderson fut dissoute et, ayant reçu les hommages de ses concitoyens, il s’embarqua pour l’Écosse aux acclamations de la foule. Les témoignages les plus vibrants lui étaient venus de la communauté irlandaise qui, chaque année, continua de commémorer son nom au dîner de la Saint-Patrice.
Après avoir quitté Terre-Neuve, MacBraire loua ses installations de St John’s, mais conserva et étendit même son commerce de Kings Cove. Pendant les années 1820, cette entreprise fournit annuellement de 16 000 à 20 000 quintaux de poisson et de 4 000 à 8 000 phoques. En 1827, MacBraire avait comme associé son ancien représentant, Michael Murphy. Dans les années 1820, il ne mêla pas sa voix à celles des partisans du gouvernement représentatif mais, en 1830, il fut élu membre d’un comité de Britanniques éminents qui présentèrent au gouvernement impérial une pétition en faveur d’une réforme politique. À ce moment cependant, sa vie approchait de la fin. Murphy mourut à Kings Cove en août 1831 et MacBraire mourut à son tour en mars 1832. Il quitta donc la scène avant que le gouvernement britannique ne modifie de façon permanente l’île qu’il avait connue en lui accordant un gouvernement représentatif. Mais il est douteux qu’il ait tenu à assister à cette innovation : apparemment, ses préoccupations étaient la charité et les affaires, non la politique et la rhétorique.
L’entreprise de James MacBraire à Kings Cove alla à son fils John Joseph qui, refusant de visiter Terre-Neuve, en confia la gestion à un représentant. John Joseph n’avait rien d’un homme d’affaires : quand il mourut en 1839, l’entreprise n’était plus que l’ombre de ce qu’elle avait été. Restée vacante jusqu’en 1845, la propriété fut alors reprise par l’un des fils de Michael Murphy, qui l’exploita.
Keith Matthews est mort avant d’avoir fait parvenir la bibliographie de cet article. Le dbc/dcb remercie pour leur aide deux membres du personnel de la Memorial Univ. of Nfld. (St John’s), Roberta Thomas du Maritime History Group et John Mannion du Department of Geography, qui ont fourni les éléments nécessaires pour préparer la bibliographie.
Hunt, Roope & Co. (Londres), Robert Newman & Co., journal, août 1796 (mfm aux Maritime Hist. Arch., Memorial Univ. of Nfld.).— Maritime Hist. Arch., Conception Bay plantation books, 1804, 1806 (copies) ; MacBraire name file.— PANL, GN 2/1/A, 13–15 ; 17 ; 19–21 ; 24 ; GN 5/1/B, Harbour Grace records, 1798, 1790, 1793, 1795 ; GN 5/2/A/1, 1798–1800, 1802–1804, 1807–1808 ; GN 5/2B, 1827 ; James MacBraire file, box 1096 ; P1/5 ; P3/B/22.— Phoenix Assurance Company Ltd. (Londres), Jenkin Jones, report to Matthew Wilson on St John’s, 6 juin 1809 (photocopie aux PANL).— PRO, ADM 50/111 ; BT 107 (copies aux Maritime Hist. Arch.) ; CO 33/18 ; 33/23 ; 194/47 ; 194/54 ; 194/56 ; 199/18 ; WO 12/11020–11023 ; 17/240.— St Paul’s Anglican Church (Harbour Grace, T.-N.), Conception Bay mission, reg. of baptisms, marriages, and burials, 7 janv. 1778 (mfm aux PANL).— Felix Farley’s Bristol Journal (Bristol, Angl.), 25 mai 1765.— Lloyd’s List (Londres), 1810.— Newfoundland Mercantile Journal, 7 mars, 11 avril, 6, 8 juin 1817, 25 févr. 1819.— Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 17 févr. 1811, juin 1813, 16 mars, 31 août 1815, 4, 17 mars, 1er, 8, 18 juill. 1817, 21 sept. 1830, 16 août, 15 nov. 1831, 1er mai, 26 juin 1832.— The register of shipping (Londres), 1806–1810.— Centenary volume, Benevolent Irish Society of St. John’s, Newfoundland, 1806–1906 (Cork, république d’Irlande, [1906]).— C. R. Fay, Life and labour in Newfoundland (Toronto, 1956), 168.— J. W. McGrath, « James MacBraire, merchant and pioneer, 1795–1840 », Winning entries in the Newfoundland government sponsored competition for the encouragement of arts and letters, etc., 1970 (St John’s, [1970]).— Prowse, Hist. of Nfid. (1895), 383.
Keith Matthews, « MacBRAIRE, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/macbraire_james_6F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/macbraire_james_6F.html |
Auteur de l'article: | Keith Matthews |
Titre de l'article: | MacBRAIRE, JAMES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 12 déc. 2024 |