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MONK, HENRY WENTWORTH, fermier, réformateur social, auteur et journaliste, né le 6 avril 1827 dans le canton de March, Haut-Canada, fils cadet du capitaine John Benning Monk et d’Eliza Ann Fitzgerald ; décédé célibataire le 24 août 1896 à Ottawa.
Henry Wentworth Monk était le fils d’une catholique et d’un protestant. Natif de la Nouvelle-Écosse, le capitaine Monk s’était établi en 1819 dans le canton de March, sur l’Outaouais, en même temps que d’autres officiers à la demi-solde. En 1834, il envoya Henry, alors âgé de sept ans, dans une école privée de Londres, Christ’s Hospital. Henry revint en 1842 pour aider sa famille à la ferme, mais la piété qui régnait à l’école lui avait instillé un goût pour la religion qui n’allait jamais faiblir. La Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts lui décerna en 1846 une bourse afin qu’il se prépare au ministère anglican. Toutefois, au bout d’un an, il abandonna ses études (qu’il fit probablement à Cobourg, auprès d’Alexander Neil Bethune*) et rompit pour toujours avec la théologie orthodoxe du christianisme. Il retourna alors à l’agriculture et se mit à exploiter sa propre ferme à South March, mais en 1853, gagné par l’enthousiasme des millénaristes américains pour un retour imminent des Juifs en Palestine, il paya son voyage jusqu’à Jaffa (Tel-Aviv, Israël) en travaillant comme marin.
Monk était ouvrier agricole à la colonie d’Ourtass, près de Jérusalem (l’une des premières colonies agricoles juives de Palestine), lorsqu’il fit la connaissance du jeune peintre préraphaélite William Holman Hunt. Venu acquérir à Jérusalem une expérience directe pour peindre des sujets religieux, ce dernier fit le portrait de Monk en prophète contemporain, le prit comme modèle du Christ dans des ébauches et adopta au moins quelques-unes de ses idées religieuses. Selon l’auteur Richard Stanton Lambert, les deux hommes projetaient de lancer un appel pour l’instauration d’un nouvel ordre moral en faisant de la peinture et de la littérature prophétiques. On peut considérer The scapegoat, de Hunt, comme le pendant du principal ouvrage de Monk, A simple interpretation of the Revelation [...], opuscule utopiste rédigé durant les deux années qui suivirent son retour dans le Haut-Canada en 1855. À la fin de 1857, Monk se rendit en Angleterre pour le faire publier. Le livre parut en 1859 grâce à des fonds versés sous le couvert de l’anonymat par le célèbre critique d’art John Ruskin.
Dans ce livre, Monk, qualifié communément de sioniste chrétien (protestant de tendance millénariste qui pressait les Juifs de retourner en Terre Sainte pour faciliter le second avènement du Christ), disait clairement que pour lui « la restauration de Juda et Israël » ne touchait ni tous les Juifs ni uniquement les Juifs. En associant « Juda » aux Juifs, et « les dix tribus perdues d’Israël » aux « nations européennes ou chrétiennes de nom », il souhaitait seulement que « les meilleurs éléments de l’humanité » s’installent en Israël. Malgré sa sympathie pour les Juifs, il n’échappait pas à l’ethnocentrisme anglo-américain : en 1871, dans un autre opuscule, il allait user d’un argument phrénologique pour expliquer pourquoi « les races européennes, ou caucasiennes, surpassent toutes les autres ». Sans doute l’attrait qu’il présentait pour des hommes tels Ruskin et Hunt venait-il en partie de sa conviction que l’on pouvait relier tous les progrès mécaniques du xixe siècle à des prophéties bibliques. Monk soutenait que le chemin de fer, le navire à vapeur et le télégraphe rendaient possible la formation d’un gouvernement mondial qui aurait son siège à Jérusalem et dont le premier acte de justice serait l’émancipation pleine et entière des Juifs.
Malgré l’appui qu’il témoignait à Monk, Ruskin maintenait une distance critique et exigeait que ce dernier démontre ses prétentions de prophète. En 1862, il paya son retour dans le Haut-Canada en lui imposant, comme « épreuve », de mettre fin à la guerre de Sécession. Dans son plan de paix, Monk proposait que le Nord laisse le Sud se séparer à condition d’abolir l’esclavage. En mars 1863, il rendit visite au président Abraham Lincoln, stupéfié, mais il ne parvint pas à pénétrer en territoire confédéré. Après cet échec, Monk retourna à Londres, puis à Jérusalem, où il découvrit que la colonie d’Ourtass n’existait plus. Après avoir fait appel à des Juifs fortunés et à des leaders chrétiens, il reprit la route du Haut-Canada. Son navire coula au large du Massachusetts le 24 mars 1864. Unique survivant de la catastrophe, il traversa une période très dure et souffrit vraisemblablement d’amnésie partielle. Il regagna finalement Ottawa et recouvra la santé grâce aux soins de sa famille. Le travail agricole lui redonna sa vigueur, mais il avait « diverses manies » : il refusait toujours de se couper les cheveux et la barbe, craignait énormément d’être contaminé par des microbes, voulait vivre dehors autant que possible (y manger et y dormir) et soulageait ses violents maux de tête en « se plongeant toute la tête dans l’eau glacée ».
En méditant l’échec de sa prophétie, Monk se remit à l’étude de la Bible et tenta de moderniser sa vision en recourant à des expériences scientifiques et à la cosmologie. En 1868, il entreprit, en subvenant lui-même à ses besoins, une tournée dans diverses communautés utopistes ou millénaristes des États-Unis. En août 1872, il retrouva Hunt à Londres, et proposa de grandioses projets de colonisation de la Palestine qu’auraient financés les gouvernements ou de grands hommes d’affaires. Il tenta de diffuser son nouveau message dans un livre qui devait paraître en fascicules, Our future [...]. Après la parution du premier numéro en décembre 1872, Ruskin, de plus en plus agacé par l’échec des prophéties de Monk, lui retira son aide, et il n’y eut jamais de deuxième numéro. Découragé, Monk retourna à Ottawa où il se lança dans le journalisme. Après que la Free Press eut publié une série de lettres dans lesquelles il exposait ses idées, l’Ottawa Daily Citizen lui commanda une série d’articles sur l’actualité. En 1875, Monk était devenu un personnage bien connu dans la ville, et il commença à s’occuper principalement du Palestine Restoration Fund, qu’il avait organisé afin de lever des fonds pour acheter la Palestine à la Turquie. Enthousiasmé par son prestige croissant et par les perspectives de réussite de ses projets, il retourna à Londres en 1880, encore une fois avec l’espoir d’intéresser les puissants à sa vision millénariste de la colonisation de la Palestine et de la paix mondiale. Il fut quelque temps correspondant du Jewish World ; comme il n’avait pas réussi à influencer les riches, il tenta de couler son millénarisme dans un moule scientifique. En janvier 1883, il publia une petite brochure intitulée World-life [...], dans laquelle il reprenait ses théories cosmologiques. Toutefois, dès 1884, il avait à nouveau perdu son auditoire ; sans le sou, il retourna à Ottawa.
Jusqu’à sa mort, Henry Wentworth Monk exposa inlassablement ses idées dans des articles de journaux, des opuscules et des lettres aux grands de ce monde. Son sujet favori était la création d’un tribunal international qui assurerait la paix mondiale. En mars 1889, le premier ministre sir John Alexander Macdonald lui accorda un entretien. À la fin de la même année, à la chambre des Communes, le conservateur George Moffat annonça la présentation d’une motion en vertu de laquelle Monk, à titre de représentant du Canada, chercherait à convaincre la Grande-Bretagne et les États-Unis d’appuyer la création de ce tribunal. Cette motion ne fut jamais présentée. En mars 1896, peu avant la mort de Monk, Charles Arkoll Boulton présenta sans succès au Sénat une proposition d’approuver la création d’un tribunal international. Même si ses plans ne s’étaient jamais réalisés, Monk avait exercé une influence dans différents cercles, apparemment en raison de sa formation de gentleman anglais, de la force de sa personnalité et de son attachement à une idée unique.
L’ouvrage de R. S. Lambert, For the time is at hand : an account of the prophesies of Henry Wentworth Monk of Ottawa, friend of the Jews, and pioneer of world peace (Londres, 1947), est la seule étude complète sur Henry Wentworth Monk ; il contient une liste exhaustive de ses publications. D’autres renseignements sur Monk se trouvent également dans W. H. Hunt, Pre-Raphaelitism and the Pre-Raphaelite Brotherhood (2 vol., Londres, 1905–1906), 1 : 432–435, et H. F. Wood, Forgotten Canadians (Toronto, 1963), 112–119.
Peter Angus Russell, « MONK, HENRY WENTWORTH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/monk_henry_wentworth_12F.html.
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Auteur de l'article: | Peter Angus Russell |
Titre de l'article: | MONK, HENRY WENTWORTH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 13 nov. 2024 |