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RANGER, MARIE-ALPHONSINE-EULALIE, dite Maillet, religieuse hospitalière de Saint-Joseph, infirmière, pharmacienne, supérieure locale et éducatrice, née le 10 novembre 1846 à L’Acadie, Bas-Canada, fille de François Ranger et de Geneviève Bourassa ; décédée le 30 mars 1934 à Saint-Basile (Edmundston, Nouveau-Brunswick) et inhumée le 3 avril au même endroit.
Nièce de l’artiste Napoléon Bourassa*, cousine du futur homme politique Henri Bourassa* et fille d’un patriote [V. Pierre-Théophile Decoigne*], Marie-Alphonsine-Eulalie Ranger naît dans la localité de L’Acadie. Elle y étudie chez les Dames de la Congrégation de Notre-Dame, puis entre au noviciat des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph de l’Hôtel-Dieu de Montréal le 4 août 1864. Elle fait profession en 1866 et prend le nom de sœur Maillet, en l’honneur de Marie Maillet*, une des fondatrices de l’Hôtel-Dieu de Montréal.
Après avoir exercé les professions d’infirmière et de pharmacienne dans cet établissement, sœur Maillet se joint à un groupe de six religieuses hospitalières appelées à prendre en charge le couvent de Saint-Basile, dans la région du Madawaska, au Nouveau-Brunswick, et à y ouvrir un hôpital. Elles doivent y remplacer les Sisters of Charity of Saint John [V. Honoria Conway*], qui, subissant le contrecoup du Common Schools Act adopté en 1871 [V. George Edwin King*], ont été contraintes d’abandonner leur œuvre. Le 11 octobre 1873, à l’âge de 26 ans, sœur Maillet arrive à Saint-Basile. Le petit couvent, qui fait aussi office d’école, d’orphelinat et d’hôpital (que les sœurs nomment Hôtel-Dieu Saint-Joseph), est situé dans une vieille maison d’un étage. Bien que l’installation officielle et canonique des religieuses hospitalières, présidée par l’évêque de Chatham, Mgr James Rogers*, ait lieu le 10 novembre, les fondatrices reçoivent leur premier malade le 5 novembre. La population locale semble ressentir de la réticence envers ces femmes, dont elle se méfie et qu’elle craint de devoir soutenir financièrement. Les religieuses manquent de tout, notamment de nourriture et de médicaments. Pharmacienne de l’hôpital, sœur Maillet doit faire preuve de créativité pour traiter ses patients. Dans son journal intitulé le « Commencement de notre fondation », elle raconte que, pour soigner les malades, « n’ayant pas de remèdes[, elle ne pouvait] que leur appliquer de l’huile de N. D. de Pitié ». Après la mort, en février 1874, de mère Louise-Virginie Davignon, supérieure du petit groupe, sœur Maillet assume de plus en plus de responsabilités. Enfin officiellement nommée supérieure locale en 1880, à l’âge de 33 ans, elle reste en poste presque continuellement jusqu’en 1919 (elle remplit en fait huit mandats de trois ans). Sa santé fléchissant, elle s’installe ensuite à l’infirmerie, où elle se consacre au soin des vieillards et des garçons malades, et à l’enseignement religieux. Elle accomplit ces tâches jusqu’à ce que, en 1926, son état exige son retrait.
Dès janvier 1874, les Religieuses hospitalières de Saint-Joseph ont pris en charge l’académie de Madawaska – l’école que dirigeaient leurs prédécesseures – et ont mis sur pied un pensionnat pour jeunes filles. L’école admet de jeunes externes à partir de 1879, et devient publique et mixte en 1885. Cette année-là, les sœurs ouvrent un pensionnat et un orphelinat pour garçons.
En septembre 1876, au moment où la maison mère de Montréal menaçait de rapatrier les religieuses en raison de leur excessive pauvreté, sœur Maillet a orchestré une entreprise de sauvetage et obtenu l’appui de l’évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget*. Les religieuses peuvent alors, l’année suivante, commencer à bâtir un petit hôpital en bois indépendant du couvent, dont la construction se termine en 1881. L’agrandissement et l’amélioration des propriétés, qui permettent le développement des œuvres hospitalières et d’éducation des religieuses, se sont accélérés après l’élévation de sœur Maillet au titre de supérieure locale. Afin de poursuivre cette expansion, mère Maillet commande la mise sur pied d’une briqueterie en 1885. L’usine produit notamment les briques pour l’érection d’un édifice imposant qui comprendra un hôpital, un orphelinat, un monastère et une chapelle. Les briques sont aussi utilisées dans la réalisation de nombreuses bâtisses de la région. En 1907, le gouvernement provincial décide toutefois d’exproprier le terrain où se trouve l’usine pour y construire le chemin de fer National Transcontinental. Il compensera justement la communauté en 1909 seulement. Cette affaire mène à la cessation des activités de l’usine en 1908. Les religieuses peuvent enfin accueillir leurs patients dans le grand édifice de briques en 1915.
Les annales de la congrégation révèlent que mère Maillet est une administratrice chevronnée et une pharmacienne dévouée. À plusieurs reprises, les journaux locaux rapportent que les religieuses soignent gratuitement des personnes pauvres. Sur l’ordre de mère Maillet, elles ont même traité un patient dont le curé a interdit l’admission. Sous sa direction, le couvent et l’orphelinat prospèrent. L’académie devient une école supérieure reconnue officiellement par la province en 1912. Cependant, les religieuses hospitalières se distinguent avant tout par leurs services aux malades. En 1888, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a accepté de réserver pour l’hôpital une allocation annuelle de 150 $, progressivement élevée à 600 $ en 1907. Un bazar, organisé d’année en année à partir de 1877, complémente le budget de la congrégation. De plus, les sœurs tourières (les cuisinières du couvent, seules religieuses non cloîtrées du groupe) participent à des quêtes de financement.
Malgré les sérieuses difficultés des premières années, les activités des religieuses à Saint-Basile se déroulent bien en 1923, année du jubilé d’or des soins hospitaliers qu’elles donnent depuis leur arrivée. Mgr Louis-Napoléon Dugal, vicaire général du diocèse, s’adresse à la foule réunie et salue les milliers d’élèves des deux sexes auxquels elles ont enseigné, dont les pensionnaires et ceux qui, sortis des classes supérieures, ont poursuivi leurs études dans des universités. Il rapporte aussi que, parmi les 19 339 patients qu’elles ont traités depuis 1873 à Saint-Basile, les sœurs n’en ont perdu que 586. Il souligne le mérite de mère Maillet dans ces réussites.
En effet, l’importance de mère Maillet dans le développement du Madawaska est largement reconnue au début du xxe siècle. En février 1933, l’Évangéline publie le texte d’une radiocauserie du frère Antoine Bernard, clerc de Saint-Viateur et historien de l’Acadie, où mère Maillet est présentée comme la « bienfaitrice » des Acadiens. Les journaux acadiens du Nouveau-Brunswick annoncent sa mort, survenue le 30 mars 1934, un Vendredi saint, à la suite d’une pneumonie lobaire aggravée par des troubles cardiaques. On déplore la disparition d’une fondatrice du Madawaska et souligne son service, son leadership et sa dévotion. On la compare à Marguerite Bourgeoys* et à Jeanne Mance*. Mère Maillet est sans contredit l’une des figures dominantes de l’œuvre des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph. Son nom « vivra dans la mémoire du peuple du Madawaska » ; c’est ce que l’abbé Thomas Albert a écrit en 1920 dans son Histoire du Madawaska. Le premier collège classique pour jeunes filles de langue française du Nouveau-Brunswick, fondé en 1949 à Saint-Basile, sera désigné en son honneur.
APNB, RS141C5, F18971, 2 mai 1934.— Arch. des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph (Saint-Basile, N.-B.), « Commencement de notre fondation : notes depuis 1873 jusqu’à 1914, par sœur Maillet » (texte manuscrit, s.l.n.d.).— BAnQ-CAM, CE604-S1, 13 nov. 1846.— L’Évangéline (Moncton, N.-B.), 13 sept. 1916 ; 2 févr. 1933 ; 5, 12 avril 1934.— Thomas Albert, Histoire du Madawaska d’après les recherches historiques de Patrick Therriault et les notes manuscrites de Prudent L. Mercure (Québec, 1920).— Antoine Bernard, les Hospitalières de Saint-Joseph et leur œuvre en Acadie (Vallée-Lourdes, N.-B., 1958).— Georgette Desjardins, les Religieuses hospitalières de Saint-Joseph au Madawaska, 1873–1973 (Cap-Saint-Ignace, Québec, 1998) ; « le Rôle des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph dans l’éducation au Madawaska depuis 1873 », SCHEC, Sessions d’étude, 48 (1981) : 57–66.— Georgette Desjardins et Corinne LaPlante, « Œuvres des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph du Nouveau-Brunswick (1868–1986) », Soc. hist. du Madawaska, Rev. (Edmundston, N.-B.), 14, nos 1–2 (janvier–juin 1986) : 1–70.— Gérard Desjardins, le Madawaska raconté par le Moniteur acadien, 1867–1926 (Dieppe, N.-B., 1999).— L.-N. Dugal, « Notice historique sur l’Hôtel-Dieu de Saint-Basile de Madawaska, N. B. (de 1873 à 1910) », Soc. hist. du Madawaska, Rev., 25, no 4 (octobre–décembre 1997) : 3–22.— [Émilie Lefrançois], « la Contribution des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph dans le domaine de la santé au Madawaska : 1873 à 2001 », Soc. hist. du Madawaska, Rev., 29, no 4 (octobre–décembre 2001) : 1–35.— Mère Maillet, fondatrice de l’Hotel-Dieu de St-Joseph de Saint-Basile, Nouveau-Brunswick : 1846–1934 (Edmundston, [1934]).— N.-B., Commission royale d’enquête sur l’enseignement supérieur au Nouveau-Brunswick, Rapport (Fredericton, 1962).— Saint-Basile : berceau du Madawaska, 1792–1992, [sous la dir. de Georgette Desjardins] (Montréal, 1992).
Caroline-Isabelle Caron, « RANGER, MARIE-ALPHONSINE-EULALIE, dite Maillet », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/ranger_marie_alphonsine_eulalie_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/ranger_marie_alphonsine_eulalie_16F.html |
Auteur de l'article: | Caroline-Isabelle Caron |
Titre de l'article: | RANGER, MARIE-ALPHONSINE-EULALIE, dite Maillet |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2021 |
Année de la révision: | 2021 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |