À l’âge de 20 ans, Antoine Rodrigue (1722–1789) avait déjà amorcé sa carrière en mer. Établi à Louisbourg, il possédait plusieurs navires et avait formé un partenariat avec son frère à La Rochelle. Toutefois, les dettes s’accumulèrent, les frères se brouillèrent et, après la prise de Louisbourg par les Britanniques en 1758, on envoya Rodrigue en France. Grâce à ses aptitudes et sa conduite, il obtint le poste de capitaine de port des îles Saint-Pierre et Miquelon, où il s’installa.

RODRIGUE, ANTOINE, capitaine de navire, négociant et officier colonial, né le 17 décembre 1722 à Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), fils de Jean-Baptiste Rodrigue* et d’Anne Le Borgne de Belle-Isle, décédé le 2 mai 1789 à Port-Louis, en France.

Antoine Rodrigue et deux de ses frères, un cadet, Pierre, et un aîné, Joseph-Baptiste, se virent accorder un brevet de majorité, par décision d’un tribunal, à l’époque du remariage de leur mère, en 1738. En 1742 – et probablement plus tôt – Antoine avait déjà commencé sa carrière sur mer. Son activité dans le domaine des affaires jusqu’au siège de Louisbourg de 1745 reste peu connue, mais, pendant cette période, il fut copropriétaire, avec Michel de Gannes* de Falaise, de la goélette Salamandre et il reçut sa part des 5 000# payées par le commissaire ordonnateur Bigot pour l’acquisition par le roi du terrain et de la maison des Rodrigue, sur le quai du port de Louisbourg.

En mai 1749, Antoine s’associa à son frère aîné, Michel, et cette association fut reconduite en avril 1751. Entre autres clauses de cette entente, Antoine devait être employé, au salaire de 1 000# par année, à titre d’agent de la compagnie à Louisbourg, pendant que son frère résiderait à La Rochelle. En 1749, 1750 et 1751, Antoine fut capitaine à bord du Grand St Esprit, armé par Michel. En 1752, il était établi à Louisbourg où il s’était fait construire une maison au coin des rues Saint-Louis et Orléans. Un esclave noir, qui lui appartenait, fut baptisé à l’église de Louisbourg le 9 février 1754. Son activité commerciale consista d’abord à ravitailler la ville et la garnison, et à louer les navires de la compagnie aux fonctionnaires locaux. Fort d’une avance de 6 000ª provenant des fonds de Jean Laborde, agent des trésoriers généraux de la Marine, il obtint en 1752, avec Beaubassin, Silvain et Compagnie, un contrat de trois ans pour la fourniture des viandes ; mais, incapable de remplir ses obligations, Antoine dut se retirer de cette entreprise. En 1753, il fournit une partie du foin nécessaire au bétail destiné à l’abattoir, mais l’inondation d’une prairie, à Miré (Mira), l’empêcha de fournir suffisamment de fourrage, de sorte que 11 têtes de bétail périrent au cours de l’hiver.

Déjà dépendant jusqu’à un certain point du crédit local, Antoine s’enlisa davantage dans les dettes quand son frère de La Rochelle ne put honorer des lettres de change, pour un montant de plus de 10 000#, qu’Antoine avait tirées sur lui au cours de l’hiver de 1752–1753. Même si Antoine fit des arrangements pour payer, s’il s’endetta et vendit deux de ses chaloupes, il fut incapable de satisfaire ses créanciers, à la tête desquels se trouvaient Nicolas Hamelin, Daniel Augier, Pierre Boullot et Tanguay Merven, qui s’unirent pour poursuivre les deux frères en novembre 1753. Les affaires d’Antoine étaient dans un si triste état en 1754 que son serviteur dut engager des procédures pour toucher des arrérages de 620# sur ses appointements. Antoine et Michel se brouillèrent bientôt, Antoine affirmant que Michel lui devait 150 925#; les deux frères portèrent leur querelle devant les tribunaux de La Rochelle, dans une série de poursuites judiciaires qui se terminèrent en 1777 seulement. Alors que toutes ces questions restaient en suspens, Antoine exploita, à Louisbourg, une mine de charbon avec Nicolas Larcher, en vertu d’un contrat d’approvisionnement pour les casernes et la forteresse ; il dirigea aussi une entreprise de pêche à Louisbourg, géra la ferme et la scierie de Larcher à Miré, et possédait au moins un bateau, les Deux Sœurs, de 55 tonneaux, qui fut détruit après avoir été réquisitionné pour servir de brûlot, lors du second siège de Louisbourg. Il n’est pas impossible qu’il ait aussi été capitaine de port de Louisbourg, peu avant la chute de la forteresse.

Après la prise de la forteresse, en 1758, Rodrigue fut envoyé en France sur le Duke of Cumberland, un transport britannique dont l’équipage était en partie formé de mains français destinés à être échangés comme prisonniers de guerre. Le capitaine britannique refusant de donner à ses marins français des rations suffisantes, Rodrigue leur acheta, à ses propres frais, de la nourriture acquise de ses compagnons de voyage. Ce geste, les pertes qu’il avait encourues pendant le siège et le témoignage en sa faveur de François-Gabriel d’Angeac et de Jacques-François Barbel, respectivement gouverneur et commissaire ordonnateur à Saint-Pierre et Miquelon, de même que ses connaissances de la mer, lui valurent le poste de capitaine de port de ces îles, en 1765. Rodrigue s’y était déjà rendu en 1763, avait obtenu la concession d’un poste de pêche et avait commencé à monter sa maison ; son fils aîné, Antoine, y avait aussi un poste de pêche. En 1767, Rodrigue et l’autre grand entrepreneur des îles, Jean-Baptiste Dupleix Silvain, affirmèrent avoir consacré à eux deux, et avec l’aide de leurs bailleurs de fonds français, 80 000# à leurs établissements ; mais le piètre rendement des pêches au cours des années 1760 fut cause du lent développement de leurs entreprises, si bien que, pendant un certain temps, ils songèrent à émigrer en Louisiane. En 1777, toutefois, Rodrigue employait 61 pêcheurs. Avec les autres colons, il fut chassé des îles après que les Britanniques s’en furent emparés en 1778, mais, six ans plus tard, quand ils furent autorisés à y retourner, Rodrigue possédait encore, selon un relevé, un brick, une goélette, sept chaloupes, une « demi-chaloupe », deux canots et deux warys. Il ne revint probablement jamais en Amérique du Nord, restant plutôt en France. Brisé, dit-on, par l’âge, la goutte et le chagrin que lui causèrent ses échecs commerciaux, il avait résigné ses fonctions de capitaine de port en 1778.

Antoine Rodrigue avait épousé Jeanne-Françoise Jacau, sœur de Louis-Thomas Jacau de Fiedmont, de Port-Dauphin, le 19 mai 1750. Ils eurent au moins neuf enfants. L’aîné, Antoine, occupa quelque temps le poste de garde-magasin du roi à Saint-Pierre et Miquelon en 1783, mais retourna à l’entreprise de son père, en association avec son frère Claude, qui fut son représentant aux îles, pendant qu’un autre frère, Michel, travaillait à Port-Louis. Bientôt, Antoine, fils, partit lui aussi pour Port-Louis. Il y épousa le 20 juin 1783 Marie-Josèphe Ramondine et ils eurent six enfants. Pendant la Révolution française, les deux frères affirmèrent être les représentants des habitants de Saint-Pierre et Miquelon, et tentèrent de persuader les autorités françaises de leur consentir un prêt de 200 000#, pour dix ans, en vue de l’approvisionnement de la colonie en vivres. Ils essuyèrent un refus et firent faillite en 1792. Antoine s’orienta alors vers le ministère de la Marine, atteignant le rang de sous-commissaire au Havre, en 1796. La fille d’Antoine, père, Jeanne-Françoise, devint, en 1775, la seconde épouse de Charles-Gabriel-Sébastien de L’Espérance, gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon.

J. F. Bosher et T. J. A. Le Goff

AD, Charente-Maritime (La Rochelle), B, 1460, 1797 ; Minutes Chameau (La Rochelle) ; Minutes Fredureaux-Dumas (La Rochelle) ; Morbihan (Vannes), Es, 186, État civil, Port-Louis, 13 mai 1789. AN, Col., B, 65–68 ; C12, 2 ; 6 ; 12, ff.95–98v. ; E, 356 (dossier Rodrigue) ; Marine, C2, 44, 62 ; C7, 281 (dossier Rodrigue) ; Section Outre-mer, G1, 408, 414, 467 ; G2, 185, 201 ; G3, 2 041–2 042, 2 044, 2 046–2 047.— Calendrier des armateurs de La Rochelle, 1748–1751. J.-Y. Ribault, Les îles Saint-Pierre et Miquelon des origines à 1814 (Saint-Pierre, 1962) ; La pêche et le commerce de la morue aux îles Saint-Pierre et Miquelon de 1763 à 1793, Congrès national des soc. savantes, Section d’hist. moderne et contemporaine, Actes du quatre-vingt-onzième congrès, Rennes, 1966 (3 vol., Paris, 1969), I : 251–292 ; La population des îles Saint-Pierre et Miquelon de 1763 à 1793, Revue française d’hist. d’outre-mer (Paris), LIII (1966) : 5–66.

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J. F. Bosher et T. J. A. Le Goff, « RODRIGUE, ANTOINE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 5 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/rodrigue_antoine_4F.html.

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Titre de l'article:    RODRIGUE, ANTOINE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
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