ROGERS, ALBERT BOWMAN, ingénieur civil, né le 28 mai 1829 à Orleans, Massachusetts, fils de Zoar Rogers et de Phebe S. Kenrich ; en 1857, il épousa Sarah Lawton (décédée en 1858), de New York, puis Nellie Brush, de l’Iowa ; décédé à Waterville, Minnesota, le 4 mai 1889.

Jeune homme, Albert Bowman Rogers fut apprenti chez un charpentier affecté aux travaux de réparation des navires, mais ne fit qu’un voyage en mer. Il entra à la faculté de génie de la Brown University, à Providence, Rhode Island, en 1851 et, après être passé à Yale, Connecticut, l’année suivante, il obtint son baccalauréat en 1853. Une fois diplômé, il travailla comme ingénieur sur le canal Érié, avant de déménager dans l’Iowa, puis au Minnesota. En 1862, au cours du soulèvement des Sioux du Dakota, il reçut du gouverneur du Minnesota, Alexander Ramsey, une commission de major dans la cavalerie des États-Unis. L’année précédente, il s’était joint au personnel des ingénieurs de la Chicago, Milwaukee and St Paul Railroad, où il acquit le surnom de « Railway Pathfinder » pour ses travaux relatifs aux tracés des voies. Ceux-ci attirèrent sur lui l’attention de James Jerome Hill*, de St Paul, membre du bureau de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique. Hill l’engagea à la fin de février 1881 et le chargea de fixer tous les tracés de la compagnie dans les montagnes.

La tâche principale de Rogers consistait à trouver deux cols au Canada à travers les montagnes Rocheuses et les monts Selkirk, et à y faire les tracés, de façon à doter le chemin de fer canadien du Pacifique d’une voie directe jusqu’au Pacifique. En avril, il dépêcha des équipes d’arpenteurs pour remonter la rivière Bow à partir du fort Calgary (Calgary, Alberta) et explorer le col Howse et celui du Cheval-qui-rue, dans les Rocheuses. Rogers avait l’intention de s’attaquer lui-même aux Selkirk, car on croyait généralement qu’il n’y avait pas de cols dans ces monts. Il avait étudié le rapport de Walter Moberly, un ingénieur du gouvernement de la Colombie-Britannique, qui, en 1866, dans l’espoir de trouver un col, avait envoyé l’un de ses hommes escalader le versant ouest de ces monts, le long de la route de la rivière Illecillewaet. Le voyage échoua : Moberly ne croyait pas à l’existence d’un col. Mais Rogers, accompagné de son neveu, Albert L. Rogers, et d’un groupe de la Première Nation de Kamloops, suivit la même route vers le sommet de ce qui allait devenir le mont Sir Donald. De cette position avantageuse, Rogers crut apercevoir, à la fin de juin 1881, une voie à travers la muraille. Il ne put s’en assurer : à court de vivres, il dut renoncer à explorer les 18 milles qui l’en séparaient. Néanmoins, il rapporta, dans son enthousiasme, qu’il existait une route praticable.

Rogers voulait absolument trouver le col, auquel Hill avait promis de donner son nom. « Son ambition première était d’avoir son nom inscrit dans l’histoire », a dit de lui son ami Thomas Edmonds Wilson*. « Pour cela, il affronta des dangers inconnus et endura des privations. » « Voir le col dominant des Selkirk porter son nom, telle était l’ambition qu’il s’efforça de réaliser. »

À l’été de 1881, Rogers fit le tracé de la ligne à travers le col du Cheval-qui-rue. En mai de l’année suivante, il s’attaqua de nouveau aux Selkirk, procédant cette fois à partir de l’est, en passant par la rivière Beaver, depuis son point de rencontre avec le fleuve Columbia. De nouveau il manqua de vivres et dut rebrousser chemin. Le 17 juillet, il fit un nouvel essai, suivant la Beaver et son affluent, la Bear, pour atteindre enfin le pré entouré de montagnes qu’il avait observé du sommet des pentes du futur mont Sir Donald, au mois de juin de l’année précédente. À l’avenir, ce col serait connu sous le nom de col Rogers. C’était le 24 juillet 1882.

Personnage controversé, Rogers mâchait du tabac et faisait figure d’excentrique et de grand jureur ; il se fit un grand nombre d’ennemis à cause de son irascibilité et de sa parcimonie quand il s’agissait de nourrir ses hommes et aussi à cause de la jalousie qu’il suscita, de la part en particulier des ingénieurs canadiens, irrités de la présence de ce rival américain. Marcus Smith, chargé des travaux de construction en Colombie-Britannique, voyait en Rogers « un fieffé imposteur » ; Charles Æneas Shaw, un autre collègue, faisait écho à cette appréciation. A. E. Tregent, qui travailla pour Rogers dans les Rocheuses, le décrivit comme « un type bizarre, tout plein de bluff et de fanfaronnades ». Pour John Frank Stevens, l’un de ses assistants, il était « monomane au sujet de la nourriture ». D’autre part, George Monro Grant*, qu’on envoya, avec Sandford Fleming*, surveiller le travail de Rogers à l’été de 1883, ne tarit pas d’éloges sur lui. « Pas un ingénieur sur cent n’aurait mis en péril, de façon répétée, [sa] santé et [sa] vie comme il l’a fait », écrivit-il. Le compagnon de Rogers, Wilson, le tenait pour un grand incompris : « Il affectait une manière bougonne afin de cacher ses émotions, qu’il semblait honteux de manifester à qui que ce soit. » Quant à William Cornelius Van Horne*, directeur général de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, tout en admettant que Rogers fût « quelque peu excentrique et porté à « faire un boucan de tous les diables », il le considérait comme « un très bon homme dans le domaine de la construction, honnête et juste dans ses procédés ».

Hill ne jurait que par Rogers et, au terme de la construction du chemin de fer canadien du Pacifique en 1885 (Rogers assista à la pose du dernier clou, à Craigellachie, Colombie-Britannique), il l’engagea, comme ingénieur traceur au service de la future Great Northern Railroad. La carrière de Rogers prit fin en 1887 dans les monts Cœur d’Alene, dans l’Idaho, où il travaillait pour Hill, par suite de graves blessures subies lors d’une chute de cheval. Il mourut deux ans plus tard chez son frère, à Waterville, après une longue et pénible maladie, d’un cancer de l’estomac.

Pierre Berton

APC, MG 28 III20, 1, C. Van Horne letterbook, no 1 : 234–240 ; 2, C. Van Horne letterbook, no 7 : 483–485.— Arch. du Canadien pacifique (Montréal), Lettres de A. B. Rogers.— Glenbow-Alberta Institute, T. E. Wilson et W. E. Round, « The last of the pathfinders » (1929) ; publié sous le titre de Trail blazer of the Canadian Rockies, H. A. Dempsey, édit. (Calgary, Alberta, 1972).— Minnesota Hist. Soc. (St Paul), Cannon River Improvement Company papers ; Scrapbooks, 2.— PABC, Add. mss 767, Marcus Smith à Joseph Hunter, 23 févr. 1885.— C.-B., Lands and Works Dept., Columbia River exploration, 1865–6 : instructions, reports, & journals [...] (2 vol. en 1, Victoria, 1866–1869), II : 15.— A. L. Rogers, « Major A. B. Rogers’ first expedition up the Illecillewaet valley, in 1881, accompanied by his nephew, A. L. Rogers : an account of the trip », A. O. Wheeler, The Selkirk range (2 vol., Ottawa, 1905), I : 417–423.— Winnipeg Daily Times, 23 janv. 1882.— Obituary record of graduates of Yale University deceased from June, 1880, to June, 1890 [...] (New Haven, Conn., 1890), 535s.— Pierre Berton, The national dream : the great railway, 1871–1881 (Toronto et Montréal, 1970) ; The last spike : the great railway, 1881–1885 (Toronto et Montréal, 1971).— J. M. Gibbon, Steel of empire : the romantic history of the Canadian Pacific, the northwest passage of today (Toronto, 1935).— J. H. E. Secretan, Canada’s great highway : from the first stake to the last spike (Londres et Ottawa, 1924).— J. F. Stevens, An engineer’s recollections (New York, 1936) ; réimpr. de Engineering News-Record (New York), 114 (janv.–juin 1935)–115 (juill.–déc. 1935).— G. M. Grant, « The C.P.R. by the Kicking Horse Pass and the Selkirks – X : the Rogers’ Pass », Week (Toronto), 1er mai 1884.— B. A. McKelvie, « They routed the Rockies ! Railway pathfinders forged steel links from east with west », Vancouver Daily Province, 3 févr. 1945, supplément.— C. Æ. Shaw, « A « prairie gopher » makes reply », Vancouver Daily Province, 27 oct. 1934, supplément.

Bibliographie de la version révisée :
New York Times, 8 août 1890.— Poors manual of railroads (New York), 1909.

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Pierre Berton, « ROGERS, ALBERT BOWMAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 13 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/rogers_albert_bowman_11F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    2020
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