SAWTELLE, JEMIMA (Phipps ; Howe ; Tute), captive, née vers 1723, fille de Josiah Sawtelle et de Lydia Parker ; décédée le 7 mars 1805 à Vernon, Vermont.

Le 5 juillet 1745, Jemima Sawtelle, jeune femme au début de la vingtaine, perdit son premier mari, William Phipps, dans une escarmouche à Great Meadow (Putney, Vermont) avec des Indiens alliés aux Français alors en guerre contre les Britanniques. Deux ans plus tard, les Indiens emmenèrent son jeune frère Jonathan à Montréal. Pourtant ce n’était que le début des malheurs de la famille de Jemima. Le 27 juin 1755, à l’époque où Français et Britanniques se livraient une guerre non officielle, 12 Indiens assaillirent peu avant le coucher du soleil son deuxième mari, Caleb Howe, deux de ses jeunes fils et deux compagnons qui revenaient des champs aux alentours de Bridgman’s Fort (près de Hinsdale, New Hampshire). Howe, lui-même fils d’un ancien prisonnier des Indiens, fut mortellement blessé, et ses deux fils furent capturés. Les Indiens s’attaquèrent alors au hameau fortifié, privé de défenseurs, et s’emparèrent facilement des trois femmes et du reste des enfants.

Après avoir pillé les lieux, les Indiens firent partir leurs prisonniers pour le Canada. Mme Howe, avec ses 7 enfants de 6 mois à 11 ans, était la plus accablée. Au cours des neuf jours de voyage vers le fort Saint-Frédéric (près de Crown Point, New York), elle fut surprise, comme bon nombre de prisonniers américains, par la douceur avec laquelle les Indiens les traitèrent. Du fort Saint-Frédéric, la plus jeune fille de Jemima, Submit Phipps, et d’autres captifs furent emmenés à Montréal « dans l’intention de les vendre aux Français », mais les acheteurs manquaient ; par conséquent, Submit Phipps fut donnée au gouverneur Vaudreuil [Rigaud*].

On amena alors tous les captifs, sauf Submit Phipps, au village abénaquis de Saint-François-de-Sales (Odanak), en passant par le fort Saint-Jean, sur le Richelieu. Au village, Jemima Howe et chacun des enfants qui lui restaient furent adoptés par des familles distinctes ; on lui permit, dira-t-elle plus tard, de garder le bébé « en vue de leur éviter le trouble de s’en occuper, et de le nourrir de [son] lait ». Lorsque l’hiver arriva, Jemima Howe, qui craignait de ne pas survivre au climat, convainquit sa « mère » indienne de l’amener à Montréal et de les vendre, elle et son bébé. On ne trouva pas d’acheteur et une dame s’exclama : « Sacrebleu ! Je n’achèterai pas une femme qui a à s’occuper d’un enfant. » Le groupe revint à Saint-François-de-Sales, mais la mère indienne avait attrapé la petite vérole et en mourut peu après. Sa fille et son gendre servirent alors de famille à Jemima Howe.

Avec ce couple, Jemima Howe souffrit de très dures privations physiques auxquelles s’ajoutait l’inquiétude quant au sort fait à ses enfants dispersés. Au cours de l’hiver de 1755–1756, elle et certains de ses enfants furent emmenés par leur famille respective à la chasse aux alentours de la baie Missisquoi, à l’extrémité nord du lac Champlain. Son dernier-né mourut là, mais par hasard elle et ses deux plus jeunes fils, Caleb et Squire, furent réunis momentanément. Au fort Saint-Jean, le printemps suivant, son maître indien, « en état d’ébriété », la vendit tout à coup à un gentilhomme français, Joachim de Sacépée (Saccapee). Sa nouvelle situation « de liberté complète, par rapport à ce qu’elle avait vécu chez les Indiens barbares », lui procurait néanmoins un bonheur mitigé. Elle pouvait maintenant prêter assistance aux prisonniers anglais qui passaient au fort Saint-Jean, mais elle avait besoin d’« une forte dose de prudence » dans ses relations avec « le bon vieil homme » et « un fils ardent et déterminé » qui, tous deux, « au même moment et sous le même toit, devenaient [...] exagérément fous de [sa] compagnie ». Heureusement, Vaudreuil entendit parler de sa situation fâcheuse ; il ordonna immédiatement au fils, alors officier de l’armée française, de revenir « du champ de Vénus au champ de Mars », et avertit le père de surveiller ses manières. C’est de cette situation améliorée que Jemima Howe et trois de ses fils furent tirés, en novembre 1758, par le colonel Peter Schuyler* qui les racheta pour la somme de 2 600# (et 170# de frais divers), après quoi ils retournèrent vraisemblablement au New Hampshire. Ses trois autres enfants, Moses Howe ainsi que Submit et Mary Phipps, restèrent au Canada. Jeanne-Charlotte de Fleury Deschambault, femme de Vaudreuil, plaça les filles chez les ursulines, à Québec ; elles y rencontrèrent une autre ancienne captive, Esther Wheelwright*, dite de l’Enfant-Jésus, et elles se convertirent au catholicisme. Peu après juin 1759, Mme de Vaudreuil amena les filles avec elle à Montréal, où elle les mit au couvent de la Congrégation de Notre-Dame.

Après la prise de Montréal en 1760, Jemima Howe revint au Canada pour y reprendre ses trois derniers enfants. Mary avait déjà été emmenée en France par Vaudreuil, mais Jemima dénicha Moses et Submit. Cette dernière, à la veille de partir pour la France, n’en fut empêchée que par un ordre de Thomas Gage* ; gouverneur de Montréal, demandant qu’elle quitte la Congrégation de Notre-Dame et retourne en Nouvelle-Angleterre avec sa mère.

L’indomptable Jemima Sawtelle, qui survécut à un troisième mari, Amos Tute, et aux deux enfants de leur mariage, mourut le 7 mars 1805, à 82 ans. Elle fut inhumée à Vernon, dans un cimetière surplombant la rivière Connecticut, en face de Hinsdale, près du lieu où elle avait été faite prisonnière 50 ans plus tôt.

James Axtell

Jemima Sawtelle a raconté son histoire au révérend Bunker Gay, de Hinsdale, New Hampshire, qui l’a communiquée dans une lettre à Jeremy Belknap. Ce dernier publia la lettre de Gay dans The history of New-Hampshire (3 vol., Philadelphie et Boston, 17841792), 3 : 370388. Par la suite cette lettre fut publiée par Gay lui-même sous le titre de A genuine and correct account of the captivity, sufferings & deliverance of Mrs. Jemina Howe, of Hinsdale, in New-Hampshire [...] (Boston, 1792) et reproduite dans plusieurs ouvrages, mais de façon la plus exacte dans Indian captivities : being a collection of the most remarkable narratives of persons taken captive by the North American Indians [...], Samuel G. Drake, édit. (Boston, 1839), 156–165. La version romancée des aventures de Jemima Sawtelle racontée dans David Humphreys, An essay on the life of the Honorable Major-General Israel Putnam [...] (Hartford, Conn., 1788 ; réimpr., New York et Londres, 1977), 74, est largement fictive. Le livre d’Emma Lewis Coleman, New England captives carried to Canada between 1677 and 1760 during the French and Indian wars (2 vol., Portland, Maine, 1925), 2 : 180, 198, 314321, contient les renseignements biographiques connus sur Jemima Sawtelle.

La vie de Jemima Sawtelle a inspiré le roman de Marguerite Allis, Not without peril, a novel [...] founded on the life and adventures of Jemima Sartwell, one of the first settlers in Vermont (New York, 1941), et le poème narratif d’Angela Marco [Annie L. Mearkle], Fair captive, a colonial story (Battleboro, Vt., 1937).  [j. a.]

Arch. du monastère des ursulines (Québec), Livre des entrées et sorties des pensionnaires, 1756–1757.— PRO, ADM 1/3818 : f.10.— Benjamin Doolittle, A short narrative of mischief done by the French and Indian enemy, on the western frontiers of the province of Massachusetts-Bay [...] (Boston, 1750 ; réimpr., New York, 1909), 5s.— Boston Weekly News-letter, 4 juill. 1755.— The affecting history of Mrs. Howe [...] (Londres, [1815] ; réimpr., New York et Londres, 1977).

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James Axtell, « SAWTELLE, JEMIMA (Phipps ; Howe ; Tute) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sawtelle_jemima_5F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
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