SHARP, MINNIE BELL (Adney), professeure de musique et femme d’affaires, née le 12 janvier 1865 à Upper Woodstock, Nouveau-Brunswick, fille de Francis Peabody Sharp* et de Maria Shaw ; le 12 septembre 1899, elle épousa à Woodstock, Nouveau-Brunswick, Edwin Tappan Adney*, et ils eurent un fils ; décédée le 11 avril 1937 dans cette ville.

Fille du plus éminent pomologue canadien de son temps, Minnie Bell Sharp gardait le souvenir d’une enfance « glorieuse », où toute la famille participait à l’entretien du verger et du jardin maraîcher de son père. « J’avais l’impression à cette époque-là de vivre dans un véritable monde féérique », écrirait-elle en 1919, ajoutant qu’elle était une « enfant très précoce et très gâtée » de parents apparemment aisés. Dès l’âge de cinq ans, on la plaça « au centre du cercle admiratif » des employés de son père pour qu’elle leur fasse la lecture. Afin d’encourager les talents musicaux qu’elle manifesta à l’adolescence, son père importa ce qu’elle prétendrait être le premier piano Steinway de la province.

À 14 ans, Minnie Bell fréquenta pendant une année le Collège des dames de Compton, au Québec, avant de passer un semestre au St Margaret’s Hall, à Halifax. Vers 1883, elle commença à étudier la voix et le clavier à New York durant les mois d’hiver ; un de ses maîtres était l’interprète et compositeur William Mason, ancien élève de Liszt. Ce fut là qu’elle entama sa propre carrière de professeure. Quand elle dut rentrer à la maison, à cause de problèmes financiers familiaux, elle subvint à ses besoins en donnant des leçons à Fredericton, puis à Woodstock, où elle ouvrit un studio au printemps de 1890. La presse loua un concert « recherch[é] » et « rigoureusement classique » qu’elle présenta avec ses élèves et un artiste invité de New York. On attribuait à Mlle Sharp le mérite d’avoir fait découvrir à la ville la « musique raffinée » et la dépeignait comme « une musicienne accomplie » douée du « rare talent de transmettre de la manière la plus efficace [son] enseignement selon les meilleures méthodes modernes ».

En 1893, Mlle Sharp partit vivre en Colombie-Britannique ; elle élut domicile à Victoria, où elle fit l’acquisition du Conservatory of Music et de sa liste d’élèves pour environ 1 200 $. Décrite dans les annonces publicitaires comme la directrice de l’établissement, Mlle Sharp, avec son personnel enseignant majoritairement féminin, offrait une formation en théorie musicale, en interprétation et en langues à quelque 60 élèves. Dans les journaux, les critiques de concerts étaient favorables. À cette époque surgirent deux problèmes qui seraient récurrents dans la vie de Mlle Sharp : elle était sérieusement obérée, incapable de finir de payer sa dette pour le conservatoire, et elle se mit ses pairs à dos en revendiquant de façon extravagante la supériorité de sa technique pédagogique apprise à New York.

Mlle Sharp resterait à Victoria jusqu’en 1900, mais retourna à Upper Woodstock plusieurs étés pour aider ses frères et sœurs à entretenir le verger ; elle se décrirait comme « la patronne qui mettait la main à la pâte ». Au cours de sa visite en 1897, elle fut arrêtée pour non-paiement des taxes scolaires locales. Les conseillers scolaires reconnurent qu’ils en firent un exemple parce qu’elle « avait une bicyclette et des vêtements dispendieux, et qu’elle faisait des voyages coûteux ». Elle passa les 17 jours suivants à la prison du comté de Carleton. D’après sa famille, elle fut malade et hystérique la plupart du temps ; selon le geôlier, elle fit un usage immodéré du téléphone, conduisit sa bicyclette et donna des leçons. Le seizième jour de sa détention, Mlle Sharp découvrit en lisant la loi provinciale applicable que, à titre de non-résidente, elle ne pouvait être arrêtée. (Les avocats des conseillers scolaires, dont faisait partie Frank Broadstreet Carvell*, admirent qu’ils ignoraient un changement récent dans la loi.) Libérée le lendemain, elle intenta une poursuite contre les autorités pour détention illégale et réclama 2 500 $ en dommages. Elle eut gain de cause, mais le jury ne lui accorda que 1 $ en dommages. Ce verdict fut annulé en appel ; quand un nouveau procès fut ordonné, les conseillers scolaires tentèrent, sans succès, de porter l’affaire devant la Cour suprême du Canada. En avril 1900, la plaignante gagna le second procès et reçut 75 $ en dommages, mais seulement après que les conseillers scolaires eurent encore interjeté appel et perdu.

Pendant le litige, qui dura trois ans, Mlle Sharp épousa Edwin Tappan Adney, artiste, naturaliste et ethnologue malécite. Elle l’avait rencontré à New York, quand elle était en pension chez la mère de celui-ci, et avait exposé ses aquarelles au conservatoire à Victoria, où la sœur de l’artiste avait d’ailleurs enseigné quelque temps. Mme Adney créa sa Woodstock School of Music, donna des cours dans des studios situés dans plusieurs villages de l’ouest du Nouveau-Brunswick et continua de s’attirer des éloges ; quant à son mari, il connut bientôt la célébrité pour son livre sur la ruée vers l’or du Yukon, The Klondike stampede, publié à New York et à Londres en 1900. Tous deux apportaient leur aide au verger familial. Leur seul enfant, Francis Glenn, naquit en 1902 ; sa mère lui montrerait la musique et il deviendrait le chef d’un orchestre de danse. Le mariage des Adney, qui dura 38 ans, ne fut en général ni conventionnel ni heureux. Les époux vécurent peut-être séparément près de la moitié de cette période : Adney travailla en Alaska et à New York au début, et il fut dans l’armée un certain temps. Dans son article de journal autobiographique paru en 1919, Mme Adney ne ferait aucune allusion à son mari.

Les affaires des Sharp avaient subi d’importants revers dans les années 1890 [V. Francis Peabody Sharp]. Mme Adney avait « beaucoup de succès » comme professeure, selon ce qu’elle affirma en 1919, mais les revenus du couple étaient insuffisants pour sauver la propriété familiale, qui fut vendue – « volée », déclara-t-elle – en 1904, l’année après la mort de son père. À partir de 1920, quand les portes du crédit lui étaient encore ouvertes, elle fut souvent poursuivie devant les tribunaux pour rupture de contrat par des grossistes de pianos dont elle s’était engagée à promouvoir et à vendre les produits en échange d’une commission. L’entreprise de Robert Sloane Gourlay et l’Amherst Pianos Limited eurent des relations d’affaires difficiles avec elle ; leurs ententes durent être résiliées et les commerçants reprirent possession de leurs instruments. Outre les litiges prolongés avec les créanciers au sujet des terres familiales et des affaires concernant son mari, Mme Adney connut des déboires juridiques avec des propriétaires, des élèves et la Woodstock Choral Society. Apparemment seule, elle manqua souvent de nourriture et de bois de chauffage. Le 27 avril 1920, elle mit une petite annonce dans le Woodstock Press pour la « fête de charité de Mme Adney ». « J’ai attendu longtemps une œuvre caritative à la hauteur [des] services et [du] travail méritoire [que j’ai effectués] en votre nom », informait-elle la communauté. Trois jours plus tard, dans le Carleton Sentinel, elle décrivait les dons qu’elle souhaitait recevoir, de la nourriture à « une automobile Ford à 4 places », en passant par des « sommes d’argent significatives ». Elle écrivit, avant de signer : « avec respect et espoir ».

L’année précédente, cette femme douée, anxieuse et maintenant franchement originale avait annoncé sa candidature au Parlement après la démission de Carvell dans la circonscription fédérale de Victoria and Carleton. La motivation positive de Mme Adney était de veiller à ce que les soldats revenus d’outre-mer après la Première Guerre mondiale obtiennent une « compensation convenable ». L’élément négatif qui l’attira, comme beaucoup d’autres, dans la politique de l’après-guerre était le mécontentement devant l’hypocrisie et la corruption qui régnaient dans ce milieu. La presse l’appela souvent la « candidate des femmes » ; toutefois, la seule préoccupation vaguement féministe qu’elle exprima touchait la création d’une économie qui permettrait de bien élever les enfants. Elle ne doutait pas de son propre potentiel. Affirmant que, depuis ses jeunes années, elle avait « une foi infinie dans [sa] capacité d’accomplir de grandes choses », elle annonça : « Si je suis élue, comme je le dois, je réaliserai la plus grande œuvre qui soit. » Son nom ne fut pas inscrit sur les bulletins de vote, oubli qu’elle attribua à des malversations ; en vérité, même si les femmes avaient alors le droit de voter aux élections fédérales [V. sir Robert Laird Borden], elles ne pouvaient pas encore être candidates à la Chambre des communes. En 1921, elle ne réussit pas à récolter les 200 $ nécessaires au dépôt de sa mise en candidature et allégua que le Parti libéral aurait dû la financer. La dernière, et la mieux organisée, des quatre tentatives de Mme Adney pour se faire élire eut lieu pendant la campagne fédérale de 1925 ; sur le bulletin de vote, son nom côtoyait ceux de James Kidd Flemming* et de Thomas Wakem Caldwell. Son slogan, Vous les reconnaîtrez à leurs fruits, constituait une allusion particulièrement astucieuse à son héritage. Le Parti conservateur lui ayant refusé l’investiture au profit de Flemming, elle se présenta comme « candidate par la grâce de Dieu » et obtint 84 voix.

On sait peu de chose de la vie des Adney après le milieu des années 1920. Leur fils, qui étudiait à la McGill University pour devenir actuaire tout en continuant de diriger un orchestre de danse, envoyait régulièrement de l’argent à ses parents et insista à plusieurs reprises pour que son père place sa mère dans un établissement psychiatrique.

En 1930, Minnie Bell Adney subit une chirurgie à Montréal pour traiter une maladie dégénérative des yeux. Elle vécut encore sept ans, près de Montréal et à Woodstock, pauvre, aveugle et furieuse. Cependant, même dans la détresse, elle affirmait que les musiciens pouvaient transcender la cupidité et le matérialisme, et finalement « gravir les sommets et marcher dans les jardins de Dieu au paradis ».

D. G. Bell

APNB, MC339 (Minnie Bell Adney campaign poster) ; RS43 (Court of Appeal records), Adney c. Gourlay, 1914 ; Adney c. Gourlay, 1915 ; Amherst Pianos Ltd c. Adney, 1915 ; RS48 (Supreme Court : causes, 1903–1979), Adney c. Gourlay, 1913-105 ; Amherst Pianos Ltd c. Adney, 1915-4.— BAC, R233-34-0, N.-B., dist. Carleton (180), sous-dist. Woodstock (a) : 11.— Peabody Essex Museum (Salem, Mass.), E 7 (E. Tappan Adney papers), box 21, M. B. Adney to S. True, 16 mars 1931.— Carleton Observer (Hartland, N.-B.), 24 juin, 30 sept., 28 oct., 4 nov. 1925.— Carleton Sentinel (Woodstock, N.-B.), 16 sept. 1899 ; 28 avril 1900 ; 10, 24 oct. 1919 ; 30 avril 1920 ; 19, 23 juin, 7 juill., 16, 27, 28 oct. 1925.— Daily Colonist, 10 janv. 1896, 31 mars 1900.— Dispatch (Woodstock), 19, 26 oct., 5, 9, 12 nov. 1898 ; 25 avril 1900 ; 8 juill. 1914.— Press (Woodstock), 5, 12 mai 1914 ; 9 sept., 7, 21 oct. 1919 ; 27 avril 1920 ; 1er nov., 13 déc. 1921 ; 23 juin, 7 juill., 3, 10 nov. 1925.— Sentinel Press (Woodstock), 8 août 1957.— Victoria Daily Times, 5 sept. 1893.— Woodstock Press, 2 juin 1886 ; 26 avril 1887 ; 14 avril, 27 oct. 1890.— E. T. Adney, The Sharp family, descendants of Alexander Sharp, of Edinburgh, Scotland, and the province of New Brunswick (Saint-Jean, N.-B, 1908).— Amherst Pianos, Ltd c. Adney (1915–1917), New Brunswick Reports (Toronto), 44 : 7–11.— D. [G.] Bell, « The lady music teacher as entrepreneur : Minnie Sharp and the Victoria Conservatory of Music in the 1890s », BC Studies (Vancouver), no 191 (automne 2016) : 85–110.— In the Supreme Court of Canada, on appeal from the Supreme Court of New Brunswick, the trustees of School District No.6, in the parish of Woodstock, in the county of Carleton (defendant), appellant and Minnie A. Sharp (plaintiff), respondent (s.l., [1898 ?] ; publié à compte d’auteur, exemplaire conservé à la Carleton County Hist. Soc., Woodstock).— R. D. McIntosh, A documentary history of music in Victoria, British Columbia (2 vol., Victoria, 1981), 1 (1850–1899).— M. H. Miller, History of Upper Woodstock (Saint-Jean, 1940).— S. M. Risk, « “The magnitude of my services” : Minnie Bell Adney and the women of Woodstock », dans Making up the state : women in 20th-century Atlantic Canada, Janet Guildford et Suzanne Morton, édit. (Fredericton, 2010), 35–44.— Sharp c. Trustees of School District No.6, Woodstock (1899–1902), New Brunswick Reports (Saint-Jean), 35 : 243–248.— A souvenir of musical Toronto, H. H. Godfrey, compil. (Toronto, 1897).

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D. G. Bell, « SHARP, MINNIE BELL (Adney) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sharp_minnie_bell_16F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
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