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SKINNER, CONSTANCE LINDSAY (à sa naissance, elle reçut les prénoms de Constance Annie), écrivaine, journaliste et éditrice, née le 7 décembre 1877 à Stanley, Colombie-Britannique, unique enfant de Robert James Skinner, commis au poste de traite de la Hudson’s Bay Company à Quesnel, non loin de Stanley, et d’Annie Lindsay, ex-institutrice ; décédée célibataire le 27 mars 1939 à New York.
Même si presque toute sa carrière se déroula aux États-Unis, Constance Lindsay Skinner était, de par ses origines et son éducation, aussi profondément ancrée en Colombie-Britannique que pouvait l’être une non-autochtone. Son grand-père paternel, Thomas James Skinner, était l’un des trois membres de la gentry anglaise recrutés en 1852 par la Puget’s Sound Agricultural Company pour administrer les vastes fermes que cette filiale de la Hudson’s Bay Company possédait dans l’île de Vancouver, alors colonie britannique. Son grand-père maternel, l’Écossais Daniel Lindsay, avait été attiré dans la colonie par la ruée vers l’or de 1858 et tint un magasin général à Victoria. Constance avait dix ans lorsque, en 1887, ses parents quittèrent la région de Cariboo pour Victoria, puis Vancouver, où elle fréquenta une école privée. À partir de la mi-adolescence, elle se mit à composer de la musique et à écrire des pièces de théâtre, de la poésie et des articles de journaux. Elle écrivait souvent sous un pseudonyme, par exemple C. Lindsay Skinner ou Constant Lindsay, peut-être afin d’éviter de ne pas être prise au sérieux parce qu’elle était de sexe féminin. En 1895, elle publia sous le nom de Constance Lindsay un article touristique sur l’intérieur de la Colombie-Britannique dans le plus grand périodique torontois, le Canadian Magazine. Elle commencerait à signer ses poèmes Constance Lindsay Skinner en 1913 et utiliserait ce nom pour tous ses écrits à compter de 1920.
À l’âge de 20 ans, Mlle Skinner était déterminée à vivre de sa plume. Vancouver, qui n’était encore qu’une petite agglomération, l’étouffait. Au lieu d’aller quelque temps à Toronto, comme on l’y invitait, elle partit en 1900 pour Los Angeles. Son choix montre combien la Colombie-Britannique était isolée du reste du Canada. Grâce à sa force de persuasion, elle décrocha un emploi de critique dramaturgique et musicale au Los Angeles Times. Dès le milieu de 1901, ses articles étaient reproduits dans des journaux de tout le pays. En 1903, elle passa au Los Angeles Examiner, propriété de William Randolph Hearst. Elle fut de plus l’une des premières « sob sisters », ces femmes journalistes qui écrivaient des histoires d’intérêt humain. En entrevue, elle excellait dans l’art d’amener les célébrités à dévoiler leurs secrets les plus intimes. En 1908, elle suivit le rédacteur en chef du journal, Arthur L. Clarke, à Chicago, où elle travailla comme critique de théâtre. Installée à New York en 1912, elle subviendrait à ses besoins par l’écriture jusqu’à son décès en 1939.
Passant d’un genre littéraire à l’autre selon le travail qui se présentait, Mlle Skinner acquit de la crédibilité dans chacun d’entre eux. Le 9 juillet 1910, une des pièces qu’elle avait écrites du temps où elle vivait à Los Angeles, un drame biblique intitulé David, inaugura le Forest Theater, théâtre en plein air situé dans la colonie artistique de Carmel, en Californie. The birthright, drame contemporain ayant pour thème l’exploration des frontières de la sexualité interraciale et pour cadre la côte nord de la Colombie-Britannique, fut présenté dans les théâtres des frères Shubert à Chicago en 1911 et à Boston en 1912. La première de Good morning, Rosamond !, pièce légère au sujet d’une jeune et riche veuve anglo-québécoise qui retrouve l’amour, eut lieu dans l’un des théâtres new-yorkais des frères Shubert en 1917.
La poésie de Constance Lindsay Skinner connut une grande diffusion et reçut plusieurs prix prestigieux. On trouve ses vers novateurs, écrits du point de vue d’hommes et de femmes autochtones, dans l’ouvrage de George William Cronyn, The path on the rainbow : an anthology of songs and chants from the Indians of North America, paru à New York en 1918 et maintes fois réédité. La Coward-McCann Publishing Company de New York publia en 1930 un recueil de ses poèmes sous le titre Songs of the coast dwellers.
En 1918, à la demande de Robert Pollock Glasgow*, Mlle Skinner avait accepté de collaborer à Chronicles of America, collection de monographies historiques destinée au grand public et publiée par les Yale University Press. La plupart des auteurs sollicités par Glasgow appartenaient au monde universitaire, et peu d’entre eux étaient des femmes. Mlle Skinner produisit, pour cette collection, Pioneers of the old southwest : a chronicle of the dark and bloody ground (New Haven, Connecticut, 1919), à propos de la frontière du Kentucky et du Tennessee à l’époque du pionnier Daniel Boone, et Adventurers of Oregon : a chronicle of the fur trade (New Haven, 1920), sur la côte nord-ouest de l’Amérique. Pour un ouvrage déterminant de l’historien Herbert Eugene Bolton, The Spanish borderlands : a chronicle of old Florida and the southwest, paru à New Haven en 1921 dans la même collection, elle fit un travail d’édition tel qu’on peut la considérer comme la prête-plume de Bolton. Parmi ses autres œuvres, on peut signaler Adventurers in the wilderness, publié aussi par les Yale University Press à New Haven en 1925 et écrit en collaboration avec l’anthropologue Clark Wissler et l’historien William Charles Henry Wood*, de même qu’une histoire de la traite des fourrures, Beaver, kings and cabins, parue en 1933 à la Macmillan Company of New York. En 1934, elle convainquit une maison d’édition en plein essor, la Farrar and Rinehart de New York, de l’engager à titre de directrice de la collection Rivers of America, qu’elle conçut comme une suite à Chronicles of America. Avant son décès, six volumes paraîtraient dans cette série très prisée de monographies encore rééditée au début du xxie siècle.
Pour des raisons économiques, Constance Lindsay Skinner s’était tournée vers d’autres genres littéraires. En 1922, elle avait à son actif au moins 25 nouvelles publiées dans des magazines à grand tirage. De 1925 à 1934, elle fit paraître, surtout chez Macmillan, dix récits d’aventures pour la jeunesse. Des historiens de la littérature lui reconnaîtraient le mérite d’avoir été l’un des premiers écrivains à choisir des filles comme personnages principaux. Toujours journaliste, elle collabora régulièrement à titre de critique littéraire à Books, presque dès le lancement, en 1924, de cette publication hebdomadaire du New York Herald Tribune, et elle écrivit un grand nombre de courts articles pour des magazines destinés aux adultes ou aux jeunes. Dans ces genres comme dans les autres, elle analysait la signification des frontières dans la vie des hommes et des femmes. Pour elle, ces frontières pouvaient être un lieu physique, une contrée inexplorée où des gens étaient prêts à affronter l’inconnu, mais aussi des limites imposées par le sexe, la sexualité ou la race, qui pouvaient être transgressées ou non.
Sur le plan artistique, Constance Lindsay Skinner eut moins de succès comme romancière. Ses romans se passaient au Canada, ce qui n’attirait pas les lecteurs aux États-Unis, et le public canadien ne s’y intéressait pas non plus. Good-morning, Rosamond ! (New York, 1917) faisait écho à la pièce du même nom. The search relentless (Londres, 1925) s’inspirait des aventures de son père dans la traite des fourrures. Red willows (New York, 1929) racontait la ruée vers l’or dans la région de Cariboo. Son autre roman, The white leader (New York, 1926), se déroulait à la frontière du Kentucky et du Tennessee, région sur laquelle elle avait fait des recherches pour Pioneers of the old southwest et qu’elle avait choisie pour cadre de certains de ses écrits pour la jeunesse.
De son vivant, Mlle Skinner publia 19 livres en tant qu’auteure et 6 en tant qu’éditrice, plus d’une trentaine de nouvelles, au moins 75 poèmes et une profusion d’articles et de critiques de livres, de théâtre et de musique. De plus, elle entretint une correspondance pleine d’esprit avec un grand nombre de personnalités, notamment le critique William Arthur Deacon*, le dramaturge Herbert Heron, le peintre Wilfred Langdon Kihn, l’acteur de cinéma Chief Buffalo Child Long Lance [Sylvester Clark Long], les écrivains Jack London et Madge Macbeth [Lyons*], l’explorateur de l’Arctique Vilhjalmur Stefansson* et l’historien Frederick Jackson Turner. Dans ses œuvres de fiction, elle reprit souvent des éléments de sa jeunesse canadienne, soit tels quels, soit en les adaptant à un contexte américain comparable. Bien qu’admise dans le panthéon de la littérature américaine, elle pose un dilemme aux chercheurs canadiens. En partie parce qu’elle ne travailla jamais à Toronto – longtemps le foyer littéraire du Canada –, on a très souvent oublié de l’inclure parmi les nombreux écrivains canadiens qui, pour vivre de leur plume, durent quitter leur pays natal sans pour autant le renier.
À la fois en tant que femme et auteure, Constance Lindsay Skinner fit preuve d’une détermination et d’une audace exceptionnelles pour son époque. La plupart des écrivaines avec qui elle correspondait avaient un mari ou un autre moyen de subsistance, tandis qu’elle rejetait le mariage et toute autre option afin de vivre uniquement du fruit de son travail. Certains écrivains de son temps explorèrent les mêmes frontières qu’elle, mais, à la différence de ces auteurs majoritairement masculins, elle mit en scène des personnages controversés : des filles aussi courageuses et débrouillardes que leurs frères, des femmes qui refusaient de s’incliner devant les hommes simplement parce qu’ils étaient des hommes, des autochtones qui avaient une riche vie affective, des partenaires sexuels de race différente. Elle vécut et mourut indépendante.
On trouve une version plus élaborée de la présente biographie, ainsi que des références détaillées dans trois de nos publications : Constance Lindsay Skinner : writing on the frontier (Toronto, 2002), qui contient une chronologie de la vie de Constance Lindsay Skinner et une liste de ses publications ; « “Vancouver’s first playwright” : Constance Lindsay Skinner and The birthright », BC Studies (Vancouver), no 137 (printemps 2003) : 47–62 ; et l’introduction à la pièce de Mme Skinner, Birthright (Toronto, 2005). Il y a également de l’information sur Mlle Skinner dans American national biography, J. A. Garraty et M. C. Carnes, édit. (24 vol., New York, 1999), 20 : 67–69, et dans D. M. A. Relke, Greenwor(l)ds : ecocritical readings of Canadian women’s poetry (Calgary, 1999). Ses papiers sont déposés à la New York Public Library, Humanities and Social Sciences Library, mss and Arch. Div. ; l’instrument de recherche, qui comprend un index des correspondants, peut être consulté à l’adresse www.nypl.org/sites/default/files/archivalcollections/pdf/skinner.pdf. On trouve de la correspondance de Constance Lindsay Skinner dans plusieurs collections littéraires, dont les Herbert Heron papers à la Harrison Memorial Library, Henry Meade Williams Local Hist. Dept. (Carmel-by-the-Sea, Calif.), les W. Langdon Kihn papers, à la Smithsonian Institution, Arch. of American Art (Washington, D.C.), le Madge Macbeth fonds à BAC (R2057-0-2), la Vilhjalmur Stefansson corr. dans la Stefansson Coll. à la Dartmouth College Library, Rauner Special Coll. Library (Hanover, N.H.), ainsi qu’à National Arch. and Records Administration (Washington), XESN, Evelyn Stefansson Nef family papers.
Jean Barman, « SKINNER, CONSTANCE LINDSAY (Constance Annie) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/skinner_constance_lindsay_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/skinner_constance_lindsay_16F.html |
Auteur de l'article: | Jean Barman |
Titre de l'article: | SKINNER, CONSTANCE LINDSAY (Constance Annie) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2013 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 9 nov. 2024 |