SPENCER, JAMES, ministre méthodiste et journaliste, né le 7 février 1812 dans le canton de Stamford, Haut-Canada ; il épousa en 1843 Sarah Lafferty, du canton de West Flamborough, et ils eurent neuf enfants ; décédé le 9 octobre 1863 à Paris, Haut-Canada.

James Spencer fut élevé dans une famille méthodiste et subit l’influence d’Ephraim Evans* en 1830. Il en arriva à la conclusion qu’il devait se faire prédicateur méthodiste itinérant, mais, parce qu’il avait le sentiment profond d’en être indigne, il n’obéit pas à sa conviction. Après avoir fait des études, en 1836, à l’Upper Canada Academy, récemment ouverte et où « sa conduite exemplaire et son ardeur au travail » lui valurent le sobriquet « d’évêque », il devint aspirant pasteur en 1838. Cette décision intensifia son tourment intérieur. « Parfois je ne sais plus que faire. Je suis de plus en plus convaincu que je ne suis pas dans la voie qui me convient. » Il fit part de ses doutes à son conseiller, le révérend John Carroll*, et, en 1841, lorsqu’il lui fallut changer de « circuits », il écrivit : « Je suis à peu près décidé de quitter immédiatement et pour toujours le ministère. »

L’occasion de changer de vocation se présenta en 1842 quand on lui accorda un congé pour aller exercer les fonctions de chargé de cours au nouveau Victoria College, à Cobourg. Malheureusement, ses aspirations et sa personnalité l’empêchèrent d’atteindre son but. On lui demanda d’enseigner l’anglais mais il désirait enseigner les sciences. Le directeur, Adolphus Egerton Ryerson*, lui accorda un congé pour lui permettre d’aller étudier les sciences de la nature à la Wesleyan University, à Middletown, Connecticut, et, à son retour, lui offrit un poste de stagiaire ; furieux, Spencer refusa, ce qui mit fin à sa carrière universitaire. Cet épisode fut probablement l’une des causes de l’hostilité qui marqua ses relations avec Ryerson par la suite.

Spencer revint à ses fonctions de prédicateur itinérant. De 1843 à 1851, il fut assigné aux circuits de Dundas, Toronto, Nelson et Guelph ; il écrivait également des lettres dans le journal méthodiste de Toronto, le Christian Guardian, dans lesquelles il attaquait les prétentions de l’Église d’Angleterre et la doctrine de la succession apostolique. Cette polémique lui valut une certaine notoriété parmi ses confrères, avec le résultat qu’il fut nommé rédacteur en chef du Guardian. Après un échec en 1849 et un autre en 1850, il fut finalement élu en 1851 à la succession du révérend George R. Sanderson, puis fut ensuite réélu chaque année jusqu’en 1860. C’est le révérend Wellington Jeffers* qui prit alors sa succession.

Spencer remplit les fonctions de rédacteur en chef du Guardian pendant une période relativement longue, preuve que son talent impressionnait ses collègues de ministère et, ce qui est encore plus important, qu’il incarnait bien la mentalité de la Conférence méthodiste dans les années 50. Il adopta une attitude combative et quelque peu pharisaïque, ce qui était naturel chez un homme souffrant d’insécurité mais convaincu de la justesse de sa conception de la cause méthodiste. Son penchant à la controverse reflétait également le fait que la conférence, en plus d’un besoin de consolidation institutionnelle, souffrait de son refus d’admettre la nécessité de réinterpréter les impératifs évangéliques et de mieux reconnaître le rôle des laïcs, ainsi que de sa détermination d’éviter de s’impliquer directement dans les débats politiques, sauf quand les intérêts méthodistes étaient en cause.

En tant que rédacteur en chef, Spencer joua un rôle assez équivoque dans le règlement final du problème des « réserves » du clergé. Il était en faveur de l’égalité de traitement par l’État de toutes les Églises, mais préférait qu’elles restent indépendantes. En 1854, conscient des différences d’opinions dans l’Église méthodiste, il allégua que la Conférence méthodiste n’était « pas autorisée à dire que les gens ne devaient pas recevoir d’aide de cette source [les réserves] pour subvenir aux besoins de leurs établissements religieux ». En même temps, il lutta avec vigueur contre l’accroissement des écoles séparées et pour la reconnaissance des droits des universités confessionnelles. Engagé aussi nettement que les Clear Grits sur la question de la séparation de l’Église et de l’État dans les écoles élémentaires, il combattit les efforts des catholiques et des anglicans, tel l’évêque John Strachan, en vue de favoriser et de renforcer les écoles séparées. Ceux qui préféraient « un sectarisme bigot » au « noble but du progrès national » seraient des traîtres « aux meilleurs intérêts de la postérité » et se prêteraient à « la destruction totale des libertés civiles et religieuses ». Par contre, il prétendait que dans le domaine des études universitaires, à cause de l’attitude querelleuse des Églises, une université provinciale unique serait un échec. Il était plus sage d’accorder de l’aide aux collèges confessionnels séparés que d’investir des fonds « dans la mer morte d’une grande université », position qu’allait maintenir son Église tout au long de l’interminable débat sur la « question des universités ».

Dans la collectivité méthodiste, Spencer fut un défenseur insigne de l’autorité des ministres et des pratiques religieuses traditionnelles. Comme les méthodistes croyaient que la vie religieuse devait être nourrie et enrichie par la discipline spirituelle, ils attachaient une grande importance aux séances d’étude, réunions hebdomadaires en petits groupes où les membres racontaient leurs expériences et se conseillaient les uns les autres. Pour devenir membre de l’Église méthodiste, il fallait avoir été membre d’un de ces groupes et avoir participé à ces séances d’étude. Selon Adolphus Egerton Ryerson, cependant, l’application de ce règlement décourageait les personnes baptisées dans l’Église de devenir membres à part entière et forçait les ministres ou à imposer une condition que les Écritures n’exigeaient pas ou encore à fermer les yeux sur la non-observance du règlement. Il proposa à la conférence de 1854 de renoncer à cette exigence, et, devant le rejet de sa proposition, il se retira de la conférence pour souligner l’importance qu’il attachait aux droits des laïcs au sein de l’Église.

La réaction première de Spencer fut de ne permettre aucun commentaire sur cette démission dans le Guardian. À la conférence suivante, Ryerson rejoignit ses collègues. Spencer relata cet événement d’une façon que Ryerson trouva offensante et inexacte. Dans sa réponse, Spencer fit valoir que la version des faits donnée par Ryerson était incorrecte : « la Conférence wesleyenne et l’Église au Canada ne sont pas encore prêtes à délaisser un bien essentiel pour guérir un mal imaginaire qui, s’il existe, est le résultat d’une pratique déloyale et non d’un défaut radical dans le système. » La controverse se termina par un débat acerbe, parfois personnel, au cours de la session de 1856. Enoch Wood* affirma que « cette question sans importance [avait été] soulevée à des fins électorales par le rédacteur en chef du Guardian », mais la controverse mettait clairement en lumière le décalage croissant entre ceux qui, comme Spencer, étaient pour le maintien de l’autorité de la conférence et du genre de discipline en vigueur, et ceux qui, comme Ryerson, croyaient que l’autorité des ministres devait être exercée avec tolérance et qu’on devait encourager les individus à assumer leurs responsabilités.

Spencer ne fut pas réélu rédacteur en chef en 1860. À cette occasion John Alexander Macdonald* déclara qu’il était « vraiment content d’apprendre que Spencer a[vait] été évincé de la chaire rédactionnelle », car Spencer avait « joué le jeu [de George Brown*] autant qu’il l’avait osé ». Spencer fut nommé au circuit de Brampton et par la suite au circuit de Paris. Fait significatif, Jeffers, son successeur au poste de rédacteur en chef, avait été l’un de ses partisans dans sa querelle avec Ryerson. Les confrères de Spencer lui témoignèrent leur respect en le déléguant à la conférence wesleyenne britannique à Londres, en 1860, et en lui décernant une maîtrise ès arts honorifique du Victoria Collège, en 1863. Toutefois, sa carrière fut brusquement interrompue cette année-là par une attaque fatale d’érysipèle. Ses funérailles, auxquelles assistèrent 30 ministres et une nombreuse congrégation, furent célébrées par Anson Green*, président de la conférence, et par Énoch Wood, surintendant des missions.

Comme le révèlent ses éditoriaux et ceux de ses sermons qui ont été publiés, Spencer pratiquait une religion austère et stricte, et pourtant profondément émotive. Il était convaincu que le méthodisme en tant que système de foi et l’Église méthodiste en tant qu’institution étaient l’incarnation même du christianisme évangélique. Il s’était engagé à préserver une société où la doctrine chrétienne resterait le principe de base, mais il était également convaincu que ce rapport entre la doctrine chrétienne et la société pouvait être maintenu sans la perpétuation de liens officiels entre les Églises et l’État. Ce rapport serait plutôt favorisé par une prédication visant à la conversion, par une vie religieuse disciplinée et par une vigoureuse opposition aux maux de la société, tels que l’intempérance et la corruption politique. En tant qu’homme et ministre il se distingua par son « intégrité courageuse », son « esprit d’indépendance » et son attitude « presque impitoyable à l’égard de l’iniquité des hommes ». Il était « désagréable et insociable » en public, et cordial en privé. Ses sermons étaient « entièrement dépourvus de prolixité » car il essayait d’éviter « une futilité dangereuse dans les questions graves et sacrées qui s’élèvent entre l’homme et son Créateur ». Bref, il fut un méthodiste sévère et passionné mais jamais « criailleur ».

G. S. French

James Spencer est l’auteur de Sermons by the Rev. James Spencer, M.A., of the Wesleyan Conference, Canada (Toronto, 1864).

[J. S. Carroll], Past and present, or a description of persons and events connected with Canadian Methodism for the last forty years (Toronto, 1860).— Anson Green, The life and times of the Rev. Anson Green, D.D. [...] (Toronto, 1877).— Wesleyan Methodist Church in Can., Minutes (Toronto), 1864.— Christian Guardian, 1851–1860.— Carroll, Case and his cotemporaries.— The chronicle of a century, 1829–1929 : the record of one hundred years of progress in the publishing concerns of the Methodist, Presbyterian and Congregational churches in Canada, L. [A.] Pierce, édit. (Toronto, 1929).— C. B. Sissons, A history of Victoria University (Toronto, 1952) ; Ryerson.

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G. S. French, « SPENCER, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/spencer_james_9F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1977
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