STREET, THOMAS, capitaine de navire, armateur, marchand et fonctionnaire, baptisé en 1724 à Poole, Angleterre, fils de John Street et d’une prénommée Mary ; décédé en 1805 à Charlton Marshall, Angleterre.
Pendant presque tout le xviiie siècle, la famille Street, de Poole, fut fort active dans les pêcheries de Terre-Neuve. Les deux frères Street, Thomas et son aîné Peter, furent capitaines de navire et servirent à Terre-Neuve comme représentants de l’entreprise commerciale des White, riche famille de quakers originaire de Poole, dont le siège social était situé à Trinity. C’est en 1764 que l’on parle pour la première fois de Thomas Street ; il est alors capitaine du Mermaid appartenant à Joseph White. De 1766 à 1771, il commanda le brick Speedwell, également propriété de White. À sa mort survenue en 1771, Joseph White, patron de l’entreprise, légua des biens d’une valeur de £150 000 aux membres de sa famille et à ses représentants terre-neuviens. La partie de la succession qui se trouvait à Terre-Neuve fut cédée à son neveu John Jeffrey et à ses cinq « employés ou représentants » de l’endroit, Peter et Thomas Street, James et Joseph Randall ainsi que William Munday. Elle comprenait ses « établissements de pêche, maisons, plates-formes et autres bâtiments [...] incluant tous les [...] navires et bateaux [...] barcations de pêche, biens, effets et matériel ».
De plus, le testament de White stipulait que son principal exécuteur testamentaire et héritier, Samuel White, devait veiller à ce que soit constituée une société à « dividendes ou parts égales » entre Jeffrey et ses représentants de Terre-Neuve, par l’effet d’une mise de fonds de £10 000 pour une période de 14 ans, de façon qu’ils puissent exploiter l’entreprise « à leur propre avantage et profit » et qu’ils fondent peut-être leur propre société. En vertu de cette disposition, une nouvelle société appelée Jeffrey, Randall, and Street fut mise sur pied. Thomas Street disposait d’un petit capital lors de la fondation de la société mais, en l’espace de quelques années, il l’avait suffisamment accru pour pouvoir racheter, avec Jeffrey, les actions des autres associés. En 1775, ils exploitaient leur entreprise sous la raison sociale de Jeffrey and Street. Lorsque cette dernière cessa d’exister en 1789, deux sociétés indépendantes furent créées : la John Jeffrey and Company et la Thomas Street and Sons. Selon un observateur, au moment de leur séparation, Jeffrey et Street se partagèrent un capital de £40 000 après avoir versé à Samuel White une somme de £33 000 qui représentait le remboursement d’un emprunt de £10 000, ainsi que 3 p. cent des profits réalisés jusque-là dans l’entreprise et probablement aussi le prix d’achat de propriétés commerciales et de bateaux.
La Jeffrey and Street s’était avérée une concurrente redoutable pour d’autres sociétés de Poole. Jeffrey possédait des fonds considérables en plus de l’héritage de White et ambitionnait de devenir riche et puissant. Il gérait les affaires de la société à Poole, tout en poursuivant activement une carrière politique, tandis que Street, plus pratique et connaissant mieux la mer, dirigeait l’établissement de Terre-Neuve et résidait la plupart du temps à Trinity. La Jeffrey and Street exploitait pour son propre compte plusieurs maisons de commerce dans le port de Trinity ainsi que des succursales à Bay de Verde, Heart’s Content, Old Perlican, Scilly Cove (Winterton), Catalina, Bonavista, Barrow Harbour et Greenspond. À ses débuts, la compagnie s’intéressa à la pêche au saumon sur la rivière Gander, au nord du cap Freels et, en 1783, elle se porta acquéreur, à Fogo, des installations et du commerce qui avaient appartenu à Jeremiah Coghlan*. Vers 1786, au moment où les affaires de la Jeffrey and Street étaient à leur meilleur, la compagnie exportait annuellement environ 50 000 quintaux de morue salée. Ce nombre représentait à peine moins de 10 p. cent de toutes les exportations terre-neuviennes de morue au cours de la même année, plaçant ainsi la compagnie au deuxième rang après l’entreprise de Benjamin Lester, laquelle en exportait 60 000 quintaux. La Jeffrey and Street s’occupait fort activement de l’approvisionnement des planters de Terre-Neuve, de pêche en haute mer ou sur le Grand-Banc, de pêche au phoque et de construction navale. Entre 1773 et 1787, la compagnie construisit 26 navires à Trinity et à Heart’s Content, mais elle n’exploitait habituellement qu’une flotte de 10 à 15 bateaux.
Au début de la Révolution américaine, la Jeffrey and Street possédait une flotte de 10 bateaux, d’une capacité de 30 à 250 tonneaux, dont 8 avaient été construits à Terre-Neuve même. En 1778, leur brick Dispatch, qui transportait du poisson, fut capturé par des corsaires au moment où il entrait dans le port de Saint-Sébastien, en Espagne. En 1779, le brick Triton fut pris pendant qu’il pêchait sur le Grand-Banc et, l’année suivante, un corsaire américain s’empara de l’Adventure, jaugeant 200 tonneaux, qui avait quitté Poole à destination de Greenspond. Malgré ces pertes, la société accrut le nombre de ses bateaux ; en 1783, elle possédait 12 navires ayant une capacité totale de 1 800 tonneaux. En 1788, peu de temps avant sa dissolution, la société disposait de 15 navires, dont le Hudson, sous le commandement de Joseph W. Jeffrey, neveu de Jeffrey, ainsi que le Swift, dont le capitaine était le fils de Street, Peter.
On peut considérer que le succès de la société Jeffrey and Street à Trinity entre 1775 et 1789 est attribuable à deux facteurs : d’une part, la mise de fonds substantielle dès la création de l’entreprise et, d’autre part, la gestion audacieuse et efficace des deux partenaires principaux de chaque côté de l’Atlantique. Toutefois, vers la fin des années 1780, lorsque le commerce de Terre-Neuve commença à péricliter, Jeffrey s’impatienta et voulut à tout prix retirer son capital. Il se peut aussi que les deux associés n’aient pas toujours été d’accord. Quoi qu’il en soit, ils décidèrent de mettre un terme à leur association en 1789. De toute évidence, leurs rapports se gâtèrent considérablement après la dissolution de la compagnie.
Dans l’histoire de Terre-Neuve, le nom de la Jeffrey and Street a surtout été relié à celui de l’Indien John August, un des rares membres de la malheureuse tribu des Béothuks qui ait eu des rapports amicaux avec les Anglais. D’après la tradition, John August, dans sa prime jeunesse, fut capturé par des pêcheurs qui l’avaient rencontré près du lac Red Indian au mois d’août 1768 avec sa mère qu’ils tuèrent. Lorsque George Cartwright visita Catalina en 1785, il constata que John était au service d’un certain monsieur Child, représentant de la Jeffrey and Street, et il raconta ensuite que l’enfant avait été capturé lorsqu’il avait environ quatre ans. Il semble que John devint capitaine d’un bateau de pêche. Un auteur affirme aussi qu’il se rendait chaque automne à la baie de la Trinité et qu’il gagnait l’intérieur de l’île pour rendre visite à son peuple. Selon John Cartwright, frère de George, le jeune John fut amené en Angleterre, probablement par Street, puis « exhibé comme une curiosité devant la foule, à Poole, pour deux pence par personne ». Les registres de sépulture de Trinity indiquent que John August a été enterré dans le cimetière de l’endroit, le 29 octobre 1788. On peut y relever également la note suivante : « autochtone né dans cette île, employé de la Jeffrey and Street ».
Thomas Street, qui devait fréquemment se rendre à Poole pour affaires, habita avec sa famille à Trinity jusqu’en 1789. Selon les registres paroissiaux de l’endroit, « le capitaine Thomas et Christian Street » firent baptiser deux fils à Trinity en 1768, un autre à Heart’s Content en 1772 et une fille à Trinity en 1781. De toute évidence, la femme de Street était Christian Rowe, fille d’Edward Rowe, planter qui résidait à Trinity en 1753 et qui devint juge de paix. James Rowe, beau-frère de Street, construisit des bateaux pour le compte de la compagnie, et, en 1801, il demeurait à Heart’s Content dans un établissement de pêche appartenant à Street. En 1774, à titre de notable de Trinity, Street fit partie d’un comité chargé de construire une prison et d’établir un impôt d’un quintal de poisson par bateau et d’un demi-quintal par embarcation de pêche afin de payer les frais de construction. En 1775, il fut nommé juge de paix.
À la suite de la dissolution de la société Jeffrey and Street, le commerce de Thomas Street à Terre-Neuve périclita d’une façon générale. Entre les années 1791 et 1801, sa flotte passa ainsi de neuf bateaux à quatre. Toutefois, à l’hiver de 1801, il avait encore à son service environ 100 employés dans ses installations de Trinity, alors que les autres principaux marchands de l’endroit, Benjamin Lester, John Jeffrey et Thomas Stone, en avaient respectivement 150, 22 et 16. Il possédait encore de nombreuses propriétés à Terre-Neuve, et son établissement principal à Trinity comprenait quatre maisons où habitaient son représentant et des employés.
En prévision de sa retraite, Street acquit un domaine à la campagne, à Charlton Marshall, à dix milles au nord-ouest de Poole, ainsi que d’autres propriétés dans la ville de Poole même, dont l’hôtel particulier de la rue High et cinq maisons de rapport situées rue Hill ayant appartenu à Thomas Hyde, commerçant terreneuvien et négociant en graisses animales qui avait fait faillite. Tout en dirigeant ses affaires, Street, qui avait confié celles de Terre-Neuve à ses fils après 1789, passait la plus grande partie de l’hiver à Poole et l’été à Charlton Marshall. Il s’occupa activement de politique locale et fut élu coroner en 1792, shérif en 1793, puis maire en 1796. Street partageait les idées politiques des familles Lester et Garland, avec lesquelles il semble avoir eu de bons rapports personnels. Il participa activement à la campagne électorale de Benjamin Lester qui fut élu député de Poole en 1790 et à celle de George Garland qui fut élu en 1800. Street et Lester possédaient plusieurs points en commun :les deux étaient anglicans, avaient été marchands à Terre-Neuve, avaient résidé à Trinity durant les années 1760 et leurs épouses étaient natives de Trinity. C’est John Jeffrey, ancien associé de Street, qui dirigeait le groupe le plus irréductiblement opposé au parti de Lester, à Poole.
En 1793, Street dut se présenter devant un comité de la chambre des Communes relatif au commerce de Terre-Neuve pour discuter des problèmes soulevés par certains autres marchands de Terre-Neuve, dont William Newman et Peter Ougier, de Dartmouth, ainsi que John Jeffrey et John Waldron, de Poole. Il soutint que la création du bureau des douanes de Terre-Neuve [V. Richard Routh] était un « grand avantage pour tout négociant honnête et soucieux de la loi », et que les droits de douane « n’avaient que peu d’effet sur l’ensemble du commerce ». Street prit aussi sur lui de défendre l’intégrité du missionnaire anglican John Clinch, receveur des douanes à Trinity, contre Jeffrey qui avait accusé Clinch d’incompétence dans l’exercice de ses fonctions.
Lorsque Street s’était retiré en Angleterre après avoir confié l’entreprise à ses trois fils, on avait cru que la famille serait prospère grâce au commerce de Terre-Neuve pour au moins une autre génération. Toutefois, en 1801, Peter Street, qui avait pris femme et résidait à Trinity, décéda subitement à l’âge de 34 ans. Dans le testament que Thomas rédigea le 25 août 1805, soit l’année de sa mort, il léguait à son fils John le commerce de Terre-Neuve ainsi que deux maisons de la rue High, à Poole, et quatre « domaines nouvellement érigés » et situés rue Hill. La veuve de Thomas reçut les titres du domaine de Charlton Marshall et son fils Mark hérita des « entrepôts, caves à graisses animales, caves à sel et dépôts de charbon », à Poole. Mark mourut trois ans après son père et John demeura ainsi le seul fils survivant. Ce dernier quitta St John’s à destination de Poole en janvier 1809 pour aller administrer les affaires de son frère qui était mort intestat. Mais quelque part dans l’Atlantique, le navire coula à pic et ne laissa aucun survivant. C’est ainsi que l’entreprise familiale prit fin abruptement et que les différents établissements passèrent à d’autres familles. La compagnie Bulley, Job, and Cross, de St John’s, acquit une des propriétés de Trinity tandis que Robert Slade, de Poole, neveu de John Slade*, en obtint quelques autres. Cependant, le décès des héritiers mâles de la famille Street ne rompit pas complètement les liens de la famille avec Terre-Neuve. John Street avait épousé une fille de la famille Bulley, de St John’s, et un de ses beaux-frères était patron de la société Bulley, Job, and Cross. De plus, Mary, fille de Thomas Street, avait épousé Joseph Bird fils, négociant en drap de Sturminster Newton, dans le Dorset. À la suite de la faillite de son entreprise, Bird s’installa à son propre compte à Terre-Neuve aux environs de 1808 et mit sur pied des établissements de commerce dans la baie Bonne ainsi que dans le détroit de Belle-Isle. À sa mort survenue en 1824, ses deux fils Thomas Street Bird et Joseph Bird continuèrent d’exploiter ce commerce jusque dans les années 1840.
À l’instar d’autres marchands importants de Terre-Neuve, tels Benjamin Lester, John Slade et John Waldron, Thomas Street peut être considéré comme un entrepreneur pionnier. Il gravit les échelons, passant de matelot à capitaine, de représentant de compagnie à marchand, et amassa ainsi une fortune considérable. Après avoir passé une bonne partie de sa vie active en mer et à Terre-Neuve, il acquit une grande renommée comme marin et capitaine au long cours, si bien qu’il portait encore le titre de capitaine dans son vieil âge, longtemps après être devenu marchand. De tempérament, il était beaucoup moins audacieux que Lester, Slade ou Waldron, et certainement moins enclin à la polémique que son associé, le susceptible John Jeffrey.
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W. Gordon Handcock, « STREET, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/street_thomas_5F.html.
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Auteur de l'article: | W. Gordon Handcock |
Titre de l'article: | STREET, THOMAS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 1 déc. 2024 |