VINCENT, NICOLAS (baptisé Ignace-Nicolas ; appelé Tsaouenhohoui, qui signifie « celui qui plonge des choses dans l’eau », ou Le Faucon, nom donné au chef civil héréditaire chez les Hurons de Jeune-Lorette (Wendake, Québec), grand chef huron, né vraisemblablement le 11 avril 1769 à Jeune-Lorette, fils de Louis Vincent (Sawantanan) et de Louise Martin (Thodatowan) ; le 24 novembre 1794, il épousa à Jeune-Lorette Véronique Petit-Étienne, Huronne, et ils eurent neuf enfants, dont Christine qui vécut jusqu’en 1903, puis le 22 janvier 1821, au même endroit, une prénommée Madeleine, Malécite, veuve de Pierre-Jacques Thomas, de Penobscot (Castine, Maine) ; décédé le 31 octobre 1844 à Jeune-Lorette.

En 1699, sans en informer les Hurons, la couronne française avait transféré aux jésuites les titres de propriété de la seigneurie de Sillery, concédée en 1651 aux Hurons et aux autres Indiens chrétiens qui y résidaient. Ce n’est qu’à la suite de la suppression de la Compagnie de Jésus par le pape Clément XIV, en 1773, que les Hurons se rendirent compte qu’ils n’avaient plus droit aux redevances qui découlaient de l’exploitation de leurs terres de Sillery. En 1791, alarmés et acculés à la stricte dépendance, les Hurons de Jeune-Lorette entreprirent une démarche judiciaire qui allait s’échelonner sur près de 50 ans et dont le principal acteur fut le grand chef Nicolas Vincent.

Ils adressèrent alors une première pétition au gouverneur lord Dorchester [Carleton*], en 1791, pour demander la restitution de la seigneurie de Sillery à la nation huronne. Presque annuellement, et à chaque gouverneur, de Robert Prescott* à lord Dalhousie [Ramsay], ils envoyèrent des pétitions analogues. Dans l’une de ces requêtes typiques, celle du 13 décembre 1823, les propos des Hurons ont cette teneur : « les pétitionnaires croient que le Roi de France ne pouvait pas valablement donner aux Jésuites une chose qu’il avait déjà donnée aux Sauvages. Les Pétitionnaires représentent de plus que les autres Sauvages de ce Pays [...] sont en possession paisible des Seigneuries que les Rois Français leur ont permis de retenir en leur Pays. Que les Pétitionnaires seuls, victimes de la simplicité de leurs Pères et de la cupidité des Jésuites, sont dénués de tout et réduits à la plus extrême pauvreté tellement que dans un Pays où leurs Aïeux furent autrefois les Maîtres, ils ont perdu jusqu’au droit de Chasse et n’osent plus entrer dans les Forêts dont ils sont journellement chassés avec violence, par des propriétaires qui les considèrent et les traitent comme des Malfaiteurs. »

En 1824, l’ensemble des familles huronnes désespéraient qu’on accorde une attention réelle à leurs difficultés et confièrent donc à leurs chefs le soin d’aller les représenter en Angleterre auprès du roi George IV. Le 15 novembre, Nicolas Vincent, grand chef du conseil de la nation huronne depuis 1810, ainsi qu’André Romain (Tsohahissen) et Stanislas Koska (Aharathanha), chefs du conseil, et Michel Tsiewei (Téhatsiendahé), chef de guerre, s’embarquèrent sur le brick l’Indian. Pendant les trois premiers mois de l’année 1825, « les quatre chefs canadiens » eurent des entretiens avec divers parlementaires et, surtout, ils rencontrèrent le secrétaire d’État aux Colonies, lord Bathurst, qui les traita avec beaucoup de considération et fit payer par le gouvernement anglais les frais de leur séjour.

Le 8 avril 1825, le roi reçut les quatre chefs hurons, comme le souhaitait ardemment leur nation. Le Times de Londres rapporta les propos échangés entre le grand chef huron et le souverain britannique au cours de cette « cérémonie », au début de laquelle George IV suspendit lui-même au cou de chacun des quatre chefs une médaille de vermeil à son effigie, frappée à l’occasion de son couronnement.

Le grand chef Vincent livra ensuite en français au souverain un exemple admirable et concis de rhétorique indienne : « Sire, on m’avait dit de ne point parler en la présence royale, à moins que ce ne fût pour répondre aux questions de Votre Majesté, mais je ne puis résister aux sentiments que j’éprouve ; mon cœur est gonflé ; je suis surpris de tant de grâce et de condescendance, et je ne puis douter que Votre Majesté ne me pardonne l’expression de notre gratitude. Le soleil verse ses rayons vivifiants sur nos têtes. Il me rappelle le grand Créateur de l’univers ; celui qui peut faire vivre et faire mourir. Ah ! puisse cet Être bienfaisant, qui promet d’exaucer les prières de son peuple, verser abondamment ses bénédictions sur Votre Majesté ; puisse-t-il vous accorder la santé du corps, et, pour l’amour de vos heureux sujets, prolonger vote vie précieuse ! Ce ne seront pas seulement les quatre individus que Votre Majesté voit devant elle qui conserveront jusqu’à la fin de leur vie le souvenir de cette touchante réception : la nation entière, dont nous sommes les représentants, aimera toujours avec dévouement son grand et bon père. »

George IV répondit en français à Vincent et aux autres chefs qu’il avait toujours respecté l’excellent peuple qui formait les diverses tribus dans ses possessions de l’Amérique septentrionale et qu’il profiterait de toutes les occasions pour accroître son bien-être, assurer son bonheur et se montrer vraiment un père. Il conversa ensuite avec eux en français et de la manière la plus affable pendant plus d’un quart d’heure.

La presse britannique ne fut vraisemblablement pas mise au courant du contenu de la requête des Hurons, mais rapporta qu’on avait fait la promesse aux chefs hurons d’accorder à leur nation une compensation de nature territoriale si « certaines terres », qui leur avaient été enlevées, ne pouvaient leur être rendues. Durant les quatre autres mois que dura ce voyage hautement diplomatique et capital pour tout le peuple indien, les quatre chefs hurons consolidèrent, en même temps que leurs connaissances du système politique de l’Empire britannique, leurs futures stratégies de revendication.

Au cours de sa carrière de chef, fort de l’appui et de la sympathie des plus hautes autorités de l’Empire, Vincent fit à plusieurs reprises des représentations auprès de la chambre d’Assemblée du Bas-Canada à propos des différents griefs de sa nation, notamment au sujet des droits de chasse. Il fut en 1819 le premier Huron à s’adresser officiellement à l’Assemblée. Il répéta l’expérience fréquemment au cours des années qui suivirent, toujours en langue huronne ; son frère aîné, le bachelier Louis Vincent (Sawantanan), ou le chef de guerre Tsiewei traduisaient ses messages. Consignés dans les procès-verbaux, ses divers témoignages révèlent un sens aigu des responsabilités, un esprit clairvoyant et un noble attachement aux valeurs traditionnelles de son peuple.

En janvier 1829, à la demande du gouvernement de la colonie qui désirait tirer au clair les limites territoriales de chacune des sept nations du Bas-Canada, le chef Vincent se chargea de faire la reconnaissance des territoires hurons traditionnels et d’en produire la carte. Ce plan « Vincent » se conformait aux données pictographiques de la ceinture de wampum des territoires qu’expliqua plus tard la même année, à Trois-Rivières, le chef Tsiewei, en présence des chefs des nations amérindiennes concernées et du surintendant des Affaires indiennes à Québec, Michel-Louis Juchereau Duchesnay, qui attesta de l’authenticité des ententes passées, confirmées par les ceintures « de vérité ».

Nicolas Vincent fut le dernier chef huron à porter le nom de Tsaouenhohoui et l’un des derniers chefs héréditaires, car le système autochtone de choix des chefs disparut vers les années 1880, après l’instauration du mode électif par le gouvernement canadien. Le chef Vincent mourut à l’âge de 75 ans ; on l’inhuma le 2 novembre 1844 dans le cimetière des Hurons. On put lire dans le Quebec Mercury du 5 novembre : « Le grand chef Nicholas Vincent [...] était le neveu du défunt grand chef [José Vincent] [...] Le défunt était un orateur éloquent dans sa langue maternelle et se distinguait particulièrement par sa dignité personnelle et la grâce de ses manières. » D’après trois portraits qu’on fit de Vincent – le premier à l’occasion du séjour des chefs hurons à Londres en 1825, par le peintre et graveur anglais Joseph Hermeindel, le deuxième par le peintre huron Zacharie Vincent*, vers 1835, et le troisième à Jeune-Lorette, par le peintre Henry Daniel Thielcke, à la suite de la présentation d’un chef honoraire anglais en 1838 –, le grand chef était un homme alerte, de haute taille, aux traits fins et à la physionomie douce.

Georges E. Sioui (Atsistahonra)

ANQ-Q, CE1-28, 11 avril 1769, 22 janv. 1821, 2 nov. 1844.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, févr. 1819, févr. 1824.— La Minerve, 7 nov. 1844.— Quebec Mercury, 5 nov. 1844.— Times (Londres), 12 avril 1825.— R. C. Dalton, The Jesuits’ estates question, 1760–1888 : a study of the background for the agitation of 1889 (Toronto, 1968).— « Les Chefs hurons auprès de Georges IV », BRH, 11 (1905) : 347–350.— Victor Morin, « les Médailles décernées aux Indiens d’Amérique ; étude historique et numismatique », SRC Mémoires, 3e sér., 9 (1915), sect. i : 310–311.— « Mort de la plus vieille sauvagesse de Lorette », le Soleil (Québec), 3 oct. 1903 : 11.

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Georges E. Sioui (Atsistahonra), « VINCENT, NICOLAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/vincent_nicolas_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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