WILLIS, JOHN WALPOLE, juge, né en Angleterre le 4 janvier 1793, fils de William Willis et de Mary Smith, décédé le 10 septembre 1877 à Wick House, à Wick-Episcopi, dans le Worcestershire, Angl.

William Willis mourut en 1809 sans laisser beaucoup de bien à John Walpole qui ne dut qu’à son ambition, à son charme et à ses qualités de juriste de réussir à se faire un nom. Il publia son premier recueil de droit en 1816 et, l’année suivante, il fut reçu avocat. L’intérêt que Willis prenait au droit d’équité l’amena à publier en 1820 un deuxième livre, qui fit longtemps autorité et qui fut suivi d’un troisième ouvrage en 1827. Le succès grandissant qu’il connaissait dans la pratique du droit n’avait d’égal que sa fructueuse ascension dans la haute société. Ce double objectif que Willis poursuivait n’en forma plus qu’un en 1823–1824 lorsque le onzième comte de Strathmore l’engagea à son service. Cette association eut pour conséquence le mariage de Willis en août 1824 avec la fille aînée du comte, Mary Isabella Bowes-Lyon, alors âgée de 22 ans.

Brillant avocat et autorité en matière d’équité, Willis aurait pu continuer à prospérer en participant aux efforts que déployait sir Robert Peel, le secrétaire d’État à l’Intérieur, pour permettre une codification et un assouplissement du droit civil et du droit commercial en Angleterre. Malheureusement, son mariage avec lady Mary ne fut un gage ni de richesse ni de bonheur. Elle n’apporta pas une grosse dot et sa vie avec Willis à Hendon, un faubourg tranquille de Londres, avait peu de piquant. Les ressources insuffisantes de Willis l’obligèrent à loger chez lui sa mère et sa sœur. Il semble aussi que loin d’oublier son rang social, lady Mary en devint encore plus consciente après son mariage. Son ambition ajoutée aux exigences financières et professionnelles de Willis forçaient celui-ci à avancer à pas de géant.

En 1827, le ministère des Colonies caressa un moment l’idée d’imposer au Haut-Canada quelques-unes des réformes en cours dans le système juridique britannique et de créer une cour de la chancellerie devant laquelle on pourrait introduire des demandes de dédommagement en équité. Le comte de Strathmore laissa entendre que son gendre pourrait fort bien siéger avec compétence à un tel tribunal pendant la période d’ajustement. La réforme n’était pas encore tout à fait chose faite, mais, à certaines vagues conditions, Willis accepta la nomination de juge puîné intérimaire à la Cour provinciale du banc du roi. Accompagné de sa maisonnée au grand complet, Willis quitta Hendon et arriva à York (Toronto) le 18 septembre 1827. Il ne devait rester au Canada que neuf mois – moins de la moitié du séjour de Robert Fleming Gourlay* – mais il suscita autant d’émoi que lui dans les milieux officiels et ébranla les milieux réformistes à un moment crucial de leur organisation.

Willis se rendit immédiatement compte que le gouverneur sir Peregrine Maitland* et son Conseil exécutif mettaient en doute l’attitude du ministère des Colonies à l’égard du principe d’équité. Le procureur général John Beverley Robinson* et d’autres avocats du « Family Compact », dont le solliciteur général Henry John Boulton*, étaient en désaccord sur certains détails importants du projet. Ainsi soutenu dans sa détermination, Maitland ne céda que petit à petit à la suggestion de Whitehall de préparer une loi provinciale autorisant une cour d’équité. Robinson était prêt à adhérer au projet et alla même jusqu’à en confier la rédaction à un avocat de l’opposition, le médecin John Rolph* ; Willis présuma de ses forces en essayant d’accélérer pour sa part le rythme des négociations. Les réformistes avaient hâte de conclure un marché avec le gouvernement en troquant une cour d’équité en échange d’une plus grande indépendance dans le système judiciaire. Willis rompit son alliance naturelle avec Robinson pour s’associer avec Rolph, William Warren Baldwin*, Robert Baldwin* et Marshall Spring Bidwell, quatre juristes qui étaient à l’époque les principaux porte-parole de l’opposition. Malgré d’aussi ardents défenseurs, le projet de loi de Willis fut altéré et finalement abandonné par l’Assemblée tory. Entre temps, les conseillers juridiques de l’Empire avaient suggéré à Whitehall de ne pas pousser les choses plus avant. De sorte que le jeune juge puîné fut obligé de soupeser de nouveau ses chances de réussite dans un domaine qu’il connaissait moins bien, le droit commun, et cela au sein d’une société provinciale.

Dès le premier jour, Willis et sa femme avaient été cordialement accueillis dans la petite société de York. Tandis que lady Mary voyait ses charmes étalés en pure perte, Willis entrait bientôt dans la ronde des réceptions et des fêtes de charité mondaines avec l’assurance dont il avait toujours fait preuve en Angleterre. La bienveillance dont Willis et sa femme avaient été l’objet ne tarda pas à se dissiper. La nomination de Willis avait profondément déplu à des candidats tels que Robinson, Boulton et Christopher Hagerman*, qui s’étaient préparés à ce poste par une longue carrière toute consacrée à la pratique du droit commun au sein du système judiciaire du Haut-Canada. Willis ne cacha pas son mépris pour leur compétence pas plus que la piètre opinion qu’il se faisait de ses deux supérieurs hiérarchiques à la Cour du banc du roi, le juge en chef William Campbell* et Levius Peters Sherwood*. En un sens, sa position était solide quand il prétendait, par exemple, que la rigueur avec laquelle on punissait les délits criminels était excessive pour l’époque en comparaison avec l’Angleterre. Toutefois, en s’affichant comme un homme qui ne se prononçait pas, Willis fit apparaître la question de l’équité comme une croisade en faveur de la pureté. Ni démagogue comme son prédécesseur le juge Robert Thorpe* ni boutefeu comme Gourlay, son charme et ses belles paroles faisaient de lui un adversaire encore plus redoutable. Par surcroît, fille de duc, la femme du gouverneur Maitland vit sa suprématie dans la société menacée par la fille d’un comte. Ces antagonismes sociaux et professionnels s’étaient développés si rapidement qu’une crise ouverte ne devait pas manquer d’éclater quand Willis, qui n’était arrivé que depuis quelques semaines, se présenta contre Robinson pour occuper le siège vacant de juge en chef du tribunal.

Le 11 avril 1828, profitant de l’absence de ses deux collègues, Willis présida de façon incroyable le procès en diffamation de Francis Collins*, le rédacteur en chef du Canadian Freeman. Collins avait réclamé les privilèges qu’on avait coutume d’accorder aux prévenus qui comparaissaient sans avocat et Willis fit droit à sa requête et, qui plus est, lui donna son appui dans une violente et longue diatribe dirigée contre les conseillers juridiques Robinson et Boulton. Lors d’une interpellation de Robinson, Willis prit sur lui de mettre en cause en plein tribunal toute la carrière de Robinson dans la fonction publique et menaça de « porter les faits [...] devant le gouvernement de Sa Majesté ». Comme devait en conclure John Charles Dent* : « En cette circonstance, Willis paraît s’être fourvoyé, dans l’interprétation de la loi, par ses accrocs à l’étiquette, par ses sautes d’humeur et dans son application des privilèges judiciaires. »

Toutefois, à ce moment-là, l’imminence d’élections générales suscitait des propos exagérés et des attitudes de circonstance. Maitland s’empressa d’assurer à Whitehall que puisque personne ne s’était jamais plaint dans le passé « des lois et de la manière dont elles avaient été appliquées, il [lui fallait] en conclure que les gens en [étaient] satisfaits ». D’autre part, « le peuple » – y compris les avocats réformistes les plus éminents – s’était déjà prononcé en faveur de Willis. Le souvenir du traitement infligé à Robert Gourlay et à Barnabas Bidwell* en vertu de la loi relative à la sédition était encore présent à tous les esprits. Cependant, la préoccupation de Willis pour la loi, si légitime qu’elle fût, risquait de conduire à la démagogie, piège dangereux pour un homme aussi vaniteux que lui.

Le 16 juin, Willis se montra très soucieux du respect de certains détails de procédures juridiques qui auraient pu être retournés contre lui le 11 avril, en déclarant que la loi instituant la Cour du banc du roi requerrait la présence du « juge en chef, accompagné de deux juges puînés ». Campbell était encore en congé comme, par le passé, des fonctionnaires et des conseillers juridiques l’avaient souvent été par la force des choses. Willis prétendit alors mettre en doute les fondements juridiques de cette cour ainsi que ses activités depuis toute une génération. Il fallut régler les questions de procédure : les Baldwin refusaient de continuer à plaider devant la Cour du banc du roi, mais, en fait, c’était la société et non le tribunal que Willis avait voulu mettre en accusation. L’inquiétude et la confusion générale pouvaient lui être profitables.

Le 26 juin, Maitland et son conseil se rangèrent à l’avis des conseillers juridiques menacés et décidèrent de la « révocation » du juge Willis ; une semaine plus tard, Hagerman était nommé à sa place. Des manifestations publiques et des témoignages de sympathie encouragèrent Willis à pousser l’affaire jusqu’à Londres. Des proches, parmi lesquels les Baldwin, John Galt* et leurs épouses, proposèrent de s’occuper de lady Mary et du reste de sa famille et Robert Baldwin se proposa même pour lui servir d’avocat. Il y a cependant des limites à ce que les comités peuvent accomplir et quand le moment arriva pour lady Mary de rejoindre son mari en Angleterre, elle préféra s’installer sans bruit à Montréal avec un officier du 38e régiment d’infanterie légère, le lieutenant Bernard ; par la suite, elle s’enfuit avec lui en Angleterre, en abandonnant son fils à une bonne.

Il se peut que la carrière de John Willis et le sort du Haut-Canada aient commencé à s’améliorer à partir de ce moment. L’affaire Willis avait contribué à unir les réformistes qui devinrent majoritaires à l’Assemblée pour la première fois lors des élections de 1828 et qui élirent Bidwell orateur (président). Willis en appela de sa révocation, fut débouté une première fois, mais fut réhabilité par le Conseil privé qui annula sa révocation puisqu’il n’avait pas eu la possibilité de se défendre ; il reçut un nouveau poste de juge au Demarara (maintenant partie de la Guyane). Son mariage fut dissous et en 1836 il épousa Ann Susanna Kent de Wick-Episcopi dans le Worcestershire ; trois enfants naquirent de cette union. En 1841, il fut nommé juge en Nouvelle-Galles du Sud, mais, là encore, il se heurta au gouverneur sir George Gipps qui était une forte tête et Willis fut révoqué sans avertissement. Une fois de plus, le Conseil privé admit la validité de son recours en se basant sur le même vice de forme. Cette fois, il ne reçut pas de nouvelle affectation. Il se retira de la vie publique et vécut à Wick House pendant 30 ans.

Pendant sa retraite, Willis rédigea On the government of the British colonies, le résumé de ses expériences coloniales. Il y montre un manque total de foi dans les colonies que l’on retrouve tout au long de sa carrière publique. Les colonies, soutenait-il à l’instar de John Graves Simcoe*, méritent le même traitement que les comtés anglais : elles peuvent être représentées au parlement britannique, ce qui est leur plus grande ambition politique, mais elles doivent être administrées par des lords-lieutenants. Quel qu’ait été le service rendu aux réformistes de 1828 par l’affaire Willis, ces futurs partisans du gouvernement responsable n’auraient pas pu s’entendre longtemps avec Willis, pas plus, d’ailleurs, que la plupart des gens.

Alan Wilson

J. W. Willis est l’auteur de : A digest of the rules and practice as to interrogatories for the examination of witnesses, in courts of equity and common law, with precedents (Londres, 1816) ; Pleadings in equity, illustrative of Lord Redesdale’s treatise on the pleadings in suits, in the Court of Chancery, by English bill (Londres, 1820–1821) ; A practical treatise on the duties and responsibilities of trustees (Londres, 1827).

PRO, CO 42/381–42/387 ; CO 42/408.— Hansard (G.B., Parl., House of Commons), XXIV (1830) : 551–555.— Journal of the House of Assembly of Upper Canada, 1829, app., Report of the select committee on the case of Mr. Justice Willis and the administration of justice.— The mirror of parliament [...] for the session [...] commencing 29th January 1828 [...] (G.B., Parl., House of Lords), J. H. Barrow, édit. (36 vol., Londres, 1827–1837), III : 1 610s., 14 mai 1829.— Papers relating to the removal of the Honourable John Walpole Willis from the office of one of his majesty’s judges of the Court of King’s Bench of Upper Canada ([Londres ?], 1829).— Upper Canada. Return to several addresses to his majesty, dated 31 July 1832 [...] (G.B., Parl., House of Commons paper, 1831–1832, XXXII, 740, pp.49–58).— Willis v. Gipps [1846], Reports of cases heard and determined by the Judicial Committee and the lords of the Privy Council, 1845–47, E. F. Moore, édit., V (The English Reports, XIII, Édimbourg et Londres, 1901 : 379–391).— DNB.— Willis-Bund of Wick Episcopi, Bernard Burke, A genealogical and heraldic history of the landed gentry of Great Britain (12e éd., Londres, 1914), 270s.— Craig, Upper Canada.— Dent, Upper Canadian rebellion, I : 162–194.— Aileen Dunham, Political unrest in Upper Canada, 1815–1836 (Londres, 1927), 110–115, 157.— William Kingsford, History of Canada (10 vol., Toronto, 1887–1898), IX : 258–279.— Roger Therry, Reminiscences of thirty years’ residence in New South Wales and Victoria [...] (2e éd., Londres, 1863), 341–345.— G. E. Wilson, The life of Robert Baldwin ; a study in the struggle for responsible government (Toronto, 1933).

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Alan Wilson, « WILLIS, JOHN WALPOLE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/willis_john_walpole_10F.html.

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Auteur de l'article:    Alan Wilson
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
Date de consultation:    2 oct. 2024