Titre original :  Yip Sang | Our Stories

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YIP SANG ((Ye Sheng en mandarin), connu aussi sous les noms de Yip Chun Tien (Ye Chuntian) et Yip Lin Sang (Ye Linsheng) ; il se faisait appeler Yip Loy Yiu (Ye Lairao)), homme d’affaires, réformateur social et militant politique, né le 6 septembre 1845 dans le village de Shengtang, comté de Duhu, province de Guangdong (république populaire de Chine) ; il épousa d’abord Lee Shee (Li Shi), puis Dong Shee (Deng Shi), en troisième lieu Wong Shee (Wang Shi) et enfin Chin Shee (Jin Shi) ; il eut 19 fils et 4 filles ; décédé le 20 juillet 1927 à Vancouver.

Au xixe siècle et au début du xxe, la plupart des immigrants chinois de la première génération avaient des liens familiaux, des rapports culturels et des relations d’affaires des deux côtés du Pacifique. La carrière de Yip Sang illustre ce fait. La pauvreté et le désordre qui régnaient en Chine le poussèrent à partir pour l’Amérique du Nord. Le père de Yip, fils d’un homme riche, était tombé dans la gêne. La situation de la famille avait dû empirer à sa mort, survenue quand Yip était enfant. Au cours de son adolescence, Yip perdit aussi sa mère. En 1864, après l’enlèvement de sa sœur aînée par des bandits, il vendit ses biens pour payer son voyage à destination de la Californie. Une fois arrivé, il occupa des emplois de cuisinier, de plongeur, de cigarier et de chercheur d’or. Au bout d’un moment, il avait mis assez d’argent de côté pour retourner faire une visite en Chine, visite au cours de laquelle, rapporte la tradition familiale, il vit une jeune fille qu’il se promit d’épouser. Il retourna aux États-Unis, où il travailla de nouveau comme cuisinier. Au cours de son voyage suivant en Chine, il épousa la jeune fille, avec qui il eut ses deux premiers enfants. Cette dernière mourut après qu’il eut regagné seul l’Amérique du Nord. Il prit donc une deuxième épouse. Puis, celle-ci s’étant révélée incapable de tenir une maison, il se maria une troisième fois.

Yip vint au Canada en 1881 pour travailler dans la région aurifère de Cariboo. Vu l’insuccès de cette expérience, il s’installa dans la future ville de Vancouver et vendit du charbon de porte en porte jusqu’à ce que la Canadian Pacific Railway Supply Company l’embauche dans une équipe de construction. Il devint le comptable, le pointeur et le payeur de la compagnie ; par la suite, il y superviserait la main-d’œuvre chinoise. En 1885, il retourna en Chine et prit une quatrième épouse.

En 1888, Yip fonda la Wing Sang Company à Vancouver. À l’instar de bon nombre d’entreprises chinoises de l’époque, celle-ci avait des activités dans plusieurs domaines. Tout en recrutant de la main-d’œuvre, elle faisait de l’import-export entre les deux côtés du Pacifique ; elle fut d’ailleurs la première à exporter du poisson salé en divers points du pourtour de cet océan, y compris le Japon. En outre, les travailleurs envoyaient des fonds à leur famille en Chine par son entremise et elle leur servait de boîte aux lettres. Yip devint l’agent chinois de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique : il fournissait des ouvriers pour la construction du chemin de fer ainsi que des marins et des produits frais à ses navires à vapeur. Dès 1908, sa société – une des quatre plus grosses entreprises chinoises de Vancouver – récoltait 50 000 $ par an grâce aux activités d’import-export et possédait des biens immobiliers d’une valeur supérieure à 200 000 $.

Naturalisé sujet britannique en 1891, Yip était l’un des principaux leaders de la communauté chinoise de Vancouver. Il contribua fortement à la création de la Chinese Benevolent Association de cette ville et à celle du Chinese Board of Trade dans les années 1890. Ces organismes défendraient la communauté contre le racisme, gouverneraient ses affaires et fonderaient des institutions sociales, par exemple l’hôpital chinois et l’école publique chinoise. À l’aise en anglais, bien vu de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, Yip semble avoir joué aussi un rôle majeur à titre d’intermédiaire auprès de la communauté anglo-européenne, dominante en Colombie-Britannique. Témoin important aux commissions royales d’enquête présidées par le sous-ministre fédéral du Travail, William Lyon Mackenzie King*, à la suite de l’émeute antiasiatique survenue à Vancouver en 1907, il fit valoir que la hausse de la capitation imposée aux immigrants chinois en 1903 avait provoqué le déclin du mode de recrutement de la main-d’œuvre. Par ailleurs, il fut membre bienfaiteur à vie du Vancouver General Hospital.

Yip joua un rôle particulièrement important dans la formation du Parti de protection de l’empereur, mieux connu en anglais sous le nom de la Chinese Empire Reform Association, le premier parti politique chinois moderne, créée par le réformiste Kang Youwei. À la suite de l’échec du mouvement de réforme en Chine en 1898, Kang s’enfuit de son pays et arriva à Victoria en 1899, avec l’intention de se rendre en Angleterre. Yip Sang envoya l’un de ses proches parents, Yip On, l’accueillir. Ce dernier devint le principal organisateur de l’association internationale, qui visait l’établissement d’une monarchie constitutionnelle en Chine, tandis que Yip Sang assuma la présidence du chapitre canadien. Bien que Kang Youwei ait été une personnalité prestigieuse, de renommée internationale, ce fut probablement surtout grâce aux relations d’affaires de Yip Sang que l’association essaima dans les communautés chinoises des Amériques et du pourtour du Pacifique. Par ailleurs, Yip Sang et Yip On jouèrent certainement un rôle primordial dans la formation de la Commercial Corporation, qui était liée à l’association et attira beaucoup d’investissements de ces communautés.

En 1901, Yip Sang fit venir toute sa famille de Chine. Il installa ses trois femmes, leurs enfants et plusieurs autres proches parents, ainsi que leurs domestiques, dans le logement situé au-dessus de son magasin du 51 de la rue Dupont (rue Pender Est). Lorsque ce logement devint trop petit, il fit construire un immeuble de six étages à l’arrière. Son petit-fils Harry Yip se souvient que son grand-père imposait un couvre-feu aux résidents de l’immeuble, qui étaient plus d’une centaine. À dix heures du soir, Yip verrouillait la porte avec la clé dont il était le seul à avoir un double. Parvenu à une immense respectabilité après avoir connu la misère, il semble avoir été déterminé à préserver son bien le plus précieux, sa famille.

Fermement convaincu de la valeur de l’éducation, Yip dirigea durant dix ans l’Aiguo Xuetang, l’école fondée vers 1902 par la Chinese Empire Reform Association à Vancouver. Il tenait à ce que ses enfants s’instruisent en anglais et en chinois. Pour qu’ils reçoivent une éducation à la chinoise, il les envoyait à l’Aiguo Xuetang ou engageait des précepteurs. La plupart fréquentèrent également des écoles publiques de la province et certains allèrent à l’université. Apparemment, à une exception près, toutes les servantes de sa famille allèrent aussi à l’école. Sa fille Susan, entrée à la University of British Columbia en 1915, fut l’une des premières Sino-Canadiennes à faire des études universitaires. Son fils Kew Dock Yip fut, en 1945, le premier Sino-Canadien admis au barreau.

Par bien des côtés, Yip semble avoir été en avance sur son temps. Il fut l’un des premiers à saisir l’importance du mouvement chinois de réforme et partageait aussi, semble-t-il, les idées de Kang Youwei sur les femmes. Non seulement veilla-t-il à ce que ses filles s’instruisent, mais dès 1902, à une époque où les femmes mariées des communautés originaires de la province de Guangdong n’étaient guère autorisées à avoir des activités hors de leur foyer – en fait, elles paraissaient rarement en public sans être accompagnées d’un parent adulte masculin –, deux de ses épouses et au moins une de ses parentes par alliance appartenaient à la Chinese Empire Reform Women’s Association. Sous d’autres aspects par contre, Yip restait, tout comme Kang, un sévère patriarche confucéen. Probablement en vue d’éviter les droits de succession, il légua seulement des sommes symboliques à ses 18 fils survivants. Même si sa succession valait 78 000 $, il ne laissa rien à ses filles.

Au moment de son décès, Yip Sang était l’un des membres les plus éminents de la communauté formée au Canada par des immigrants de la province de Guangdong. Il avait joué un rôle majeur en tant que recruteur de main-d’œuvre, marchand d’import-export, et leader politique et communautaire. En outre, il avait fondé la plus nombreuse lignée chinoise au Canada : en 1996, il avait plus de 660 descendants vivants.

Timothy J. Stanley

AN, MG 26, J4.— BCA, GR-1415, file 12451.— City of Vancouver Arch., Add. mss 1108 (Yip family and Yip Sang Ltd fonds).— Gordon Clark, « Man honored at family reunion », Province (Vancouver), 3 août 1996.— Peter McMartin, « The fabulous, overlooked life of Yip Sang », Toronto Star, 4 déc. 1993.— Canada, Royal commission to investigate methods by which Oriental labourers have been induced to come to Canada, Report (Ottawa, 1908).— Harry Con et al., From China to Canada : a history of the Chinese communities in Canada, Edgar Wickberg, édit. (Toronto, 1982 ; réimpr., 1988).— Ye Chuntian xiansheng chuanji [la Biographie de M. Ye Chuntian] (Hong Kong, [1973]).— Paul Yee, Saltwater city : an illustrated history of the Chinese in Vancouver (Vancouver, 1988)

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Timothy J. Stanley, « YIP SANG (Ye Sheng) (Yip Chun Tien (Ye Chuntian), Yip Lin Sang (Ye Linsheng), Yip Loy Yiu (Ye Lairao)) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 3 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/yip_sang_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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