GALLANT, XAVIER (Francis-Xavier), dit Pinquin (Pinquaing), colon reconnu coupable de meurtre, né vers 1760, probablement à Ristigouche (Québec), fils de Louis Gallant et d’Anne Chiasson ; il épousa Madeleine Doucet ; décédé le 6 novembre 1813 dans la prison de Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard.
Lors de la déportation des Acadiens de l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) en 1758, Louis Gallant et sa famille se réfugient dans la baie des Chaleurs, se fixant d’abord à Ristigouche et plus tard à Shippagan (Shippegan, Nouveau-Brunswick). À une date inconnue, Xavier Gallant, dit Pinquin, et deux de ses frères traversent à l’île Saint-Jean et s’y installent. Gallant et sa femme auront huit enfants dont sept vivront encore en 1812. La famille habite le lot no 16, sur la côte de la baie Malpeque, à titre de locataire.
Gallant était, semble-t-il, un homme affable, bon travailleur et pratiquant. Toutefois, le jeudi 11 juin 1812, dans un accès de démence, il tue sa femme en lui tranchant la gorge, dans un bois de sa ferme. Après le meurtre, il retourne chez lui, s’enquiert de son épouse et prétend ne pas savoir où elle est. Avec ses enfants, il parcourt les bois pendant deux jours à sa recherche, mais on ne la trouve pas. Le samedi suivant, Gallant s’enfuit ; les enfants font appel aux voisins qui organisent les recherches. Le lendemain matin, on aperçoit Gallant au bord du bois, et son cousin Jean-Baptiste Gallant réussit à s’en approcher. Xavier lui avoue son meurtre et lui dévoile l’endroit où il a caché sa victime. Poussé par ses voisins, il les mène au cadavre qu’il avait bien camouflé sous des feuillages. Le corps est apporté dans la maison de Gallant, qui est interrogé devant 12 témoins. Il admet avoir tué consciemment sa femme et on le conduit à la prison de Charlottetown.
Le 3 juillet suivant, Gallant subit son procès devant le juge en chef Caesar Colclough*, ses assistants Robert Gray* et James Curtis, et un jury composé de 12 Britanniques. La couronne assigne au solliciteur général James Bardin Palmer* la charge d’avocat de l’accusé, tandis que Charles Stewart agit comme procureur général. D’autre part, John Frederick Holland*, membre du jury d’accusation, est assermenté comme interprète, puisque plusieurs témoins ne parlent pas anglais.
Au cours du procès, qui ne dure qu’une seule journée, 11 témoins comparaissent, dont 6 pour la couronne et 5 pour la défense. Parmi eux, on compte trois fils de l’accusé : Victor et Fidèle, qui témoignent pour la couronne, tandis que L’Ange comparaît pour la défense. Selon les témoignages, on s’était aperçu des problèmes mentaux de Gallant quelques années auparavant, et son cas s’était aggravé depuis un peu plus d’un an, soit peu de temps après qu’il eut conclu une transaction avec un dénommé Marsh, probablement le marchand Thomas Marsh, laquelle lui avait rapporté, semble-t-il, quelques centaines de dollars. Son fils Fidèle déclare en cour que « c’était [là] la cause [du] dérangement » de son père ; il ne travaillait plus, lui qui était auparavant laborieux, aimable et bon envers sa famille. Cet argent, que Gallant tenait caché à différents endroits, entre autres dans le grenier, fut la cause de plusieurs querelles. Il accusait souvent sa femme et ses enfants de le voler. Souffrant évidemment d’aliénation mentale, il s’imaginait parfois que sa femme était l’épouse de son fils, se croyait ensorcelé par son chien, pensait qu’on allait saisir sa maison et ne voulait plus aller à l’église, craignant de se faire attaquer et arrêter. Toujours selon Fidèle, Gallant aurait dit qu’il avait tué sa femme parce qu’elle « n’était pas suffisamment attentive aux affaires de la maison et qu’elle ne s’occupait pas de lui ; il était obligé de faire sa propre cuisine ».
Déclaré coupable, Gallant est condamné à la pendaison, mais son avocat demande de surseoir à l’exécution. Le 16 juillet suivant, le lieutenant-gouverneur Joseph Frederick Wallet DesBarres* sollicite l’opinion du Conseil de l’Île-du-Prince-Édouard. au sujet du sursis ; le conseil y consent unanimement. Entre-temps, Gallant reste enfermé dans la prison de Charlottetown sous la garde du geôlier Caleb Sentner qui doit recevoir pour l’entretien du prisonnier tune allocation hebdomadaire de 15 shillings provenant de la liquidation des biens de Gallant, tâche confiée au coroner.
Le 9 avril 1813, le cas de Gallant n’est pas encore réglé. Certaines questions restent en suspens quant à la légalité de la procédure suivant laquelle l’accusé a été condamné. L’exécution du prisonnier est donc suspendue jusqu’au bon plaisir du prince régent. En septembre, Gallant est toujours en prison. Le geôlier avise le lieutenant-gouverneur Charles Douglass Smith* qu’il n’a reçu aucune somme d’argent du coroner pour l’entretien de Gallant depuis le mois de février. Il se plaint qu’il n’a pas les moyens de s’en occuper, déplore l’état insalubre et inhabitable de la prison, et insiste sur la condition horrible du prisonnier. La santé de Gallant était déjà sérieusement atteinte puisque quelques semaines plus tard, le 6 novembre, il meurt dans sa cellule. Une enquête judiciaire dirigée par le coroner Fade Goff*, dans les murs de la prison, détermine qu’il est mort « par la volonté de Dieu et de façon naturelle ». Le jour de la mort de Gallant, le problème de la prison et de l’entretien des prisonniers est l’objet d’une importante discussion au conseil de l’île. Au terme de la délibération, il est résolu que tout prisonnier incapable de se suffire devra recevoir dorénavant de l’assistance publique sans délai inutile.
L’histoire du triste sort de Gallant et de sa femme a été transmise dans la tradition orale acadienne par le biais d’une complainte et par des récits légendaires. La complainte, composée par un auteur inconnu, fait toujours partie du répertoire de nombreux chanteurs traditionnels acadiens. Les chercheurs en folklore l’ont recueillie à l’Île-du-Prince-Édouard, au Nouveau-Brunswick de même que dans la province de Québec, où on l’a retrouvée aux îles de la Madeleine, en Gaspésie et sur la Côte-Nord. Elle figure au Catalogue de la chanson folklorique française de Conrad Laforte sous le titre le Meurtrier de sa femme. Du genre narratif, cette chanson à caractère tragique raconte de façon détaillée les événements qui ont entouré le meurtre et la mort du meurtrier. Les différentes versions de la complainte ne s’entendent pas sur tous les points. À titre d’exemple, dans un certain nombre de versions, comme celle de Mme Éva Savoie, de Sheila, au Nouveau-Brunswick, Gallant meurt en prison de faim et de soif. Dans d’autres versions, il meurt infesté de vers et de poux, comme le chante Benoni Benoît, également de Sheila. Selon certaines légendes retrouvées à l’Île-du-Prince-Édouard, Gallant est un pirate et possède des pouvoirs surnaturels. Il aurait enterré un trésor dans les environs du village de Miscouche, lequel fut l’objet de fouilles vers la fin du xixe siècle. Au cours du procès, il fut d’ailleurs question à quelques reprises des croyances surnaturelles de l’accusé et d’une somme d’argent relativement importante qu’il possédait.
L’histoire de Xavier Gallant s’est bien conservée jusqu’à nos jours grâce à la nature même de ce récit tragique, fort impressionnant, et parce qu’il est possible qu’il s’agisse du premier meurtre commis par un Acadien de l’Île-du-Prince-Édouard. D’autre part, la complainte a sans doute beaucoup contribué à maintenir le personnage vivant, autant chez ses nombreux descendants qui habitent la province insulaire que chez les Acadiens de plusieurs coins des Maritimes et du Québec.
Centre d’études sur la langue, les arts et les traditions populaires (Québec), Coll. R. Bouthillier-V. Labrie, enregistrement 1238 ; Coll. Roger Matton, enregistrement 186.— PAPEI, Acc. 2702, Smith-Alley coll., « The King vs Francis Xavier Galant [...], 1812 », Charles Serani, reporter ; « The petition of Caleb Sentner, keeper of his majesty’s gaol at Charlotte Town [...] », 1813 ; RG 5, Minutes, 1812–1816 (mfm aux APC) ; RG 6, Supreme Court, inquests, « Inquest taken on the body of Francis Xavier Gallant [...] », 1813 ; minutes, crown side, 1811–1813 ; Trinity term, R.vol. Xavier Gallant, indictment, 1812.— PRO, CO 226/26 : 189–192.— Le catalogue de la chanson folklorique française, Conrad Laforte, compil. (Québec, 1958).— Patrice Gallant, Michel Haché-Gallant : et ses descendants (2 vol., s.l., 1958–1970), 2.—Illustrated historical atlas of the province of Prince Edward Island [...], J. H. Meacham, compil. (Philadelphie et Charlottetown, 1880 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972).— Georges Arsenault, Complaintes acadiennes de l’Île-du-Prince-Édouard (Montréal, 1980).— J.-H. Blanchard, Rustico : une paroisse acadienne de l’île du Prince-Édouard (s.l., [1938]).
Georges Arsenault, « GALLANT, XAVIER (Francis-Xavier), dit Pinquin (Pinquaing) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gallant_xavier_5F.html.
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Auteur de l'article: | Georges Arsenault |
Titre de l'article: | GALLANT, XAVIER (Francis-Xavier), dit Pinquin (Pinquaing) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 6 déc. 2024 |