TURCOTTE, ARTHUR (baptisé Arthur-Henri-René), avocat, journaliste, homme politique et fonctionnaire, né le 19 janvier 1845 à Montréal, fils de Joseph-Édouard Turcotte*, avocat et homme politique, et de Flore Buteau ; le 16 janvier 1873, il épousa à Trois-Rivières, Québec, Éléonore MacDonald, et ils eurent quatre enfants ; décédé le 12 octobre 1905 à Montréal et inhumé quatre jours plus tard à Trois-Rivières.

Arthur Turcotte étudie chez les jésuites, d’abord au collège Sainte-Marie à Montréal, puis au réputé Stonyhurst College, en Angleterre. De retour au pays, il entreprend à l’automne de 1863 des études de droit à l’université Laval, puis au McGill College. Il fait ensuite son stage de clerc en droit avant d’être admis au barreau le 18 juin 1867. Il s’installe à Trois- Rivières où, dès 1871, il exerce sa profession avec Charles Dumoulin et Magloire McLeod. On le nomme conseiller de la reine le 5 décembre 1878.

Turcotte devient conseiller municipal de Trois-Rivières le 7 juillet 1873. La construction d’un aqueduc est son premier cheval de bataille en tant que conseiller, et c’est à titre de maire, poste qu’il occupe du 17 juillet 1876 au 9 juillet 1877, qu’il préside à la réalisation de cet ouvrage.

Rapidement la politique provinciale intéresse Turcotte. Élu député conservateur indépendant de la circonscription de Trois-Rivières à l’élection partielle du 18 avril 1876, il prend, dès le début de son mandat, ses distances par rapport aux conservateurs en raison surtout de leur politique sur les chemins de fer et sur la taxation. Des propositions très impopulaires, qui forcent les municipalités à payer leur quote-part pour financer la construction du chemin de fer Québec, Montréal, Ottawa et Occidental, sont présentées par le procureur général Auguste-Réal Angers*. Turcotte vote contre parce qu’il trouve ces propositions injustes et arbitraires. Aux élections de 1878, Turcotte est élu sans concurrent. Fait unique dans les annales parlementaires de la province, la nouvelle Assemblée compte 32 députés qui appuient le libéral Henri-Gustave Joly et 32 députés qui soutiennent le conservateur Joseph-Adolphe Chapleau*, et un seul député indépendant, Turcotte.

La session s’ouvre le 4 juin 1878. Les deux partis sont nez à nez. Qui formera le gouvernement ? Chapleau ou Joly, premier ministre sortant ? Avant même le discours du lieutenant-gouverneur, l’usage veut que la Chambre élise son président. Joly propose Turcotte, ce qui lui évite de désigner un de ses députés et d’être ainsi en minorité. Chapleau proteste contre cet « acte de corruption de la pire espèce » parce que le député de Trois-Rivières a été élu en tant que conservateur. On passe au vote : 32 voix contre, 32 pour. Le député de Trois-Rivières doit trancher. Turcotte est élu par une seule voix, la sienne. Cette procédure rompt avec la tradition parlementaire selon laquelle le choix du président doit être unanime. Turcotte se justifie en déclarant que « les deux partis ne sont pas divisés par des principes ». Les milieux conservateurs, les ultramontains en particulier, la presse conservatrice crient à la trahison. « C’est un fait maintenant accompli, écrit le Journal des Trois-Rivières, M. Turcotte le député des Trois-Rivières a trahi ses constituants, trahi son parti et souillé son nom à jamais. » Ses adversaires l’accusent d’avoir « livré le drapeau de son parti à l’ennemi ».

Turcotte occupe le siège de président du 4 juin 1878 au 8 mars 1882. Durant les six semaines que dure la session de 1878, plusieurs de ses décisions sont contestées. Tous les projets de loi du gouvernement Joly sont adoptés de justesse ; chaque fois le vote de Turcotte maintient le gouvernement en place. L’année suivante, des élections partielles permettent au gouvernement Joly d’obtenir une maigre majorité de quatre voix. En octobre 1879, Joly doit céder sa place à Chapleau. Turcotte conserve cependant son poste. Il s’acquitte bien de sa tâche, puisque le premier ministre et le chef de l’opposition louent tous les deux son impartialité et la justesse de ses décisions.

Aux élections de 1881, Turcotte rompt pour de bon avec les conservateurs et se porte candidat sous la bannière libérale. Il est battu par 51 voix, mais son adversaire, Sévère Dumoulin, accusé de corruption, perd son siège. On tient une nouvelle élection que Turcotte remporte le 26 mars 1884. Deux ans plus tard, il est réélu en dépit des efforts des conservateurs pour le faire battre.

Turcotte est nommé ministre sans portefeuille dans le cabinet d’Honoré Mercier* le 29 janvier 1887. La même année, il est commissaire par intérim du département des Terres de la couronne en l’absence de Pierre Garneau. En novembre, Turcotte remplace le premier ministre et préside aux délibérations du cabinet pendant son absence. Turcotte est procureur général du 8 mai 1888 au 22 août 1890. Il est défait aux élections de 1890 alors que les libéraux de Mercier remportent une éclatante victoire. Mgr Louis-François Laflèche* aurait mis tout son poids dans la balance pour le faire battre. Turcotte se retire alors de la politique tout en continuant de soutenir les libéraux. Mercier le nomme protonotaire à la Cour supérieure du district de Montréal le 19 août 1890.

En tant que député et ministre, Turcotte s’est fait remarquer par sa contribution au Code civil et à l’amélioration de la procédure judiciaire. On lui doit des mesures pour soustraire les familles pauvres ou endettées à la saisie de leurs biens essentiels et de leurs salaires. Il a aussi défendu avec vigueur et conviction l’autonomie provinciale. À titre de représentant de Trois-Rivières, Turcotte a fait beaucoup pour sa ville, notamment en lui assurant un lien avec le chemin de fer Québec, Montréal, Ottawa, et Occidental grâce à une ligne de ceinture mise en service en juin 1879. Il a même proposé de faire de Trois-Rivières la capitale provinciale.

En 1885, au moment de l’agitation des Métis du Nord-Ouest, Turcotte est le premier député à introduire à l’Assemblée une motion qui condamne l’attitude du gouvernement fédéral. La motion, appuyée par les libéraux de Mercier, est battue par 41 voix contre 15. Pendant toute la campagne qui secoue la province de Québec, Turcotte participe à diverses manifestations et prend la parole sur plusieurs tribunes pour défendre le mouvement métis.

En plus de la politique, Turcotte s’est intéressé au journalisme. Durant la session de 1872, on le retrouve chroniqueur parlementaire à l’Assemblée législative pour le Canadien, journal dont Hector-Louis Langevin est le directeur politique. Ce bref séjour à Québec lui offre une occasion privilégiée de se tremper dans la vie politique. Plus tard, au moment où il est président de la Compagnie d’imprimerie de Trois-Rivières, il devient directeur fondateur de la Concorde, lancé le 2 mai 1879. Ce journal correspond bien au cheminement de Turcotte qui se veut au-dessus des partis. La devise du nouveau journal est : Les intérêts du pays avant ceux des partis. La Concorde, qui prêche l’harmonie et l’entente, sert de tribune à Turcotte ; lorsqu’il appuie le gouvernement Joly, le journal fait de même. Son objectif est de rassembler les modérés de tous les partis autour de l’administration libérale.

Aussi longtemps que les libéraux sont au pouvoir, le journal réussit à boucler son budget, sans doute grâce aux largesses du gouvernement. La Concorde, appuyé du Clairon, se bat contre les journaux conservateurs dont le Journal des Trois-Rivières (aile ultramontaine) et le Constitutionnel (conservateur modéré). L’arrivée des conservateurs à Ottawa et à Québec sonne l’arrêt de mort de la Concorde. Les difficultés financières s’accumulent et le journal cesse de paraître le 2 mai 1884. Cette disparition laisse les libéraux de Trois-Rivières sans tribune. Le 2 août, des organisateurs libéraux, dont Turcotte, lancent la Sentinelle qui reprend la tradition de l’Avenir et du Pays, et s’attire les foudres de Mgr Laflèche. Celui-ci l’interdit en 1886. Le journal, plutôt que de disparaître, change de nom et de propriétaire.

Turcotte meurt subitement en plein travail, dans sa bibliothèque du palais de justice de Montréal, le 12 octobre 1905, quelques mois après le décès de son épouse. La dépouille mortelle est transportée à Trois-Rivières. Dès l’arrivée du cercueil, des centaines de Trifluviens viennent rendre un dernier hommage à celui que le Soleil (Québec) qualifie d’« homme le plus populaire de Trois-Rivières et du district ».

Plusieurs témoignages décrivent les qualités d’Arthur Turcotte. On le disait homme de grande culture et brillant orateur. Pour François-Maximilien Bibaud*, « M. Turcotte possède une figure expressive, des manières affables et distinguées. Il ne pourrait passer inaperçu dans aucune réunion. Sa voix est agréable et bien modulée. » Certains ont loué son esprit, son affabilité, ses bonnes manières et son intelligence. Le journal la Presse de Montréal résume ainsi les commentaires formulés sur le défunt : « La douceur de son tempérament, l’élévation de son intelligence, la culture de son esprit resteront profondément gravées dans la mémoire de tous ceux qui purent l’apprécier comme citoyen et comme ami. » Il est certain que Turcotte a eu le courage de ses convictions en changeant de parti à une époque où les lignes partisanes étaient très fortes. Dans un ouvrage publié quelques années avant sa mort, on écrivait : « Voilà un homme qui a connu tout ce que les luttes de la politique canadienne ont de misères et de désagréments. » Il fallait du caractère pour tenir tête à un personnage aussi imposant que Mgr Laflèche. Il fallait du courage pour recevoir des coups et ne pas craindre de se faire des ennemis. Peut-on imaginer Trois-Rivières, fief de l’ultramontanisme, représenté par un député conservateur devenu libéral ? À plusieurs occasions, enfin, Turcotte a défendu avec ferveur la cause des francophones de sa province, mais aussi celle des francophones du reste du Canada.

Jocelyn Saint-Pierre

AC, Trois-Rivières, Québec, État civil, Catholiques, Immaculée-Conception (Trois-Rivières), 16 oct. 1905.— AN, MG 30, D1, 29 : 391–392.— ANQ-M, CE1-51, 22 janv. 1845.— ANQ-MBF, CE1-48, 16 janv. 1873.— Arch. de la ville de Trois-Rivières, Procès-verbaux du conseil municipal, 1873–1876.— Le Clairon (Trois-Rivières), 10 janv.–11 juill. 1884.— La Concorde (Trois-Rivières), 2 mai 1879–2 mai 1884.— Le Constitutionnel (Trois-Rivières), 1876–1884.— L’Étoile du Nord, 19 oct. 1905.— L’Événement, 6, 13, 17 oct. 1905.— Le Journal des Trois-Rivières, 1876–1891.— Le Monde illustré (Montréal), 21 mai 1887, 6 sept. 1890.— Montreal Daily Herald, 13 oct. 1905.— Le Patriote (Sorel, Québec), 19 janv. 1888.— La Presse, 13–14, 16 oct. 1905.— La Sentinelle (Trois-Rivières), 1884–1887.— Le Soleil, 18 avril, 5, 13, 16–17 oct. 1905, 5 oct. 1918.— Le Sud (Sorel), 13 janv. 1888.— L.-A. Bélisle, Références biographiques, Canada – Québec (5 vol., Montréal, 1978), 5.— F.-M. Bibaud, le Panthéon canadien ; choix de biographies, Adèle et Victoria Bibaud, édit. (nouv. éd., Montréal, 1891).— Borthwick, Hist. and biog. gazetteer.— Canadian biog ; dict.— Cyclopœdia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth).— J. Desjardins, Guide parl..— Dominion annual reg., 1878, 1884.— Alain Gamelin et al., Trois-Rivières illustrée (Trois-Rivières, 1984).—Gazette officielle de Québec, 23 août 1890 : 1898.— J. Hamelin et al., la Presse québécoise.— M. Hamelin, Premières Années du parlementarisme québécois.— René Hardy et al., la Mauricie et les Bois-Francs ; inventaire bibliographique 1760–1975 (Montréal, 1977).— J.-J. Lefebvre, le Canada, l’Amérique : géographie, histoire (éd. rév., Montréal, 1968).— Montréal fin-de-siècle ; histoire de la métropole du Canada au dix-neuvième siècle (Montréal, 1899).— Québec, Assemblée législative, Débats, 1877–1880, 1884 ; Journaux, 1878, 1879 ; Rapport du greffer de la couronne en chancellerie, sur les élections générales de 1878 (Québec, 1878) ; [...] de 1881 (Québec, 1882) ; [...] de 1886 (Québec, 1887) ; Commission royale [...] pour faire enquête sur divers sujets et matières, se rattachant au bon gouvernement de cette province [...], Procès-verbaux des séances et dépositions des témoins (Québec, 1892).— CPG, 1889.—.RPQ.— Robert Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, 2 ; 4 ; 5 ; 6 ; Mercier et son temps ; Mgr Laflèche et son temps (Montréal, [1938]).— Nive Voisine, Louis-François Laflèche, deuxième évêque de Trois-Rivières (1 vol. paru, Saint-Hyacinthe, Québec, 1980-  ).

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Jocelyn Saint-Pierre, « TURCOTTE, ARTHUR (baptisé Arthur-Henri-René) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/turcotte_arthur_13F.html.

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Auteur de l'article:    Jocelyn Saint-Pierre
Titre de l'article:    TURCOTTE, ARTHUR (baptisé Arthur-Henri-René)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    1 déc. 2024