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KEMP, sir ALBERT EDWARD, homme d’affaires et homme politique, né le 11 août 1858 près de Clarenceville (Saint-Georges-de-Clarenceville, Québec), fils de Robert Kemp et de Sarah Ann Bush, veuve de John Derick ; le 21 août 1879, il épousa à Montréal Celia Amanda Wilson, et ils eurent trois filles, puis le 3 mars 1925, à Toronto, Virginia Norton, veuve de Norman Copping, et une fille naquit de ce second mariage ; décédé le 12 août 1929 près de Bobcaygeon, Ontario.
Le père d’Albert Edward Kemp était un immigrant du Yorkshire, en Angleterre ; sa mère était née au Canada. Élevé dans les Cantons-de-l’Est, près de Clarenceville, le jeune garçon fréquenta l’école de ce village. Puis il entreprit ses études secondaires à Lacolle, où il excella en mathématiques, mais il ne les termina pas. Ce qui l’intéressait, c’était les affaires. À 16 ans, il demanda à son père, marchand et agriculteur, de le prendre comme associé. Après avoir essuyé un refus, il quitta la maison « plutôt clandestinement, un matin, pendant que la famille se préparait à la prière », selon un témoignage ultérieur. Il se rendit à Montréal et occupa divers emplois jusqu’à ce qu’une quincaillerie le prenne comme « homme à tout faire ». À cause de ses dons en calcul, on lui proposa de tenir les livres. Il accepta avec enthousiasme et, durant quatre ans, il s’initia aux pratiques commerciales, ce qui lui serait fort utile.
À 20 ans, Kemp nourrissait deux ambitions : lancer sa propre entreprise et épouser sa bien-aimée, la Montréalaise Celia Amanda Wilson. Cependant, le père de la jeune fille ne voyait pas cette union d’un bon œil : Kemp était jeune et n’avait pas fait ses preuves dans le monde des affaires. Celia Amanda convainquit son père d’écrire à son prétendant pour lui faire part de ses appréhensions. Kemp répondit sans délai, dans l’espoir de le rassurer. Tout s’arrangea. Le 31 janvier 1879, Kemp offrit une bague de fiançailles à Celia Amanda. Un mois plus tard, avec un associé, il ouvrit rue Sainte-Catherine une entreprise qui fabriquait et vendait au détail des poêles de chauffage, des fourneaux et des ustensiles de cuisine laqués, en fer-blanc et en fer galvanisé.
Celia Amanda et Edward se marièrent en août à l’église congrégationaliste Wesley. Vu les aspirations de son mari, la jeune femme aurait amplement besoin du soutien de leurs familles. Les choses n’étaient pas faciles pour elle. Une fois, elle se rendit au magasin et, n’y trouvant pas Edward, elle lui laissa ce mot : « Ne pourrais-tu pas m’accorder quelques instants d’ici dimanche ? Tu ne peux pas savoir combien je me sens seule. » L’entreprise marchait bien, mais Kemp demeurait insatisfait. En 1885, le couple s’installa à Toronto, où Kemp s’associa à Thomas McDonald, propriétaire de la Dominion Tin and Stamping Works, à l’angle des rues Gerrard et River. L’usine était en difficulté. Grâce à son sens des affaires et à son talent de comptable, Kemp la remit sur les rails. De même, il réussit à se créer un cercle d’amis et de relations par l’intermédiaire du Bureau de commerce, de la Canadian Manufacturer’s Association, de divers cercles et de la British Empire League, où il trouva des jeunes gens avec qui il avait des affinités et qui étaient liés à certains des plus gros marchands, manufacturiers, banques et cabinets juridiques de la ville.
Malgré leur succès, Kemp et son associé ne tardèrent pas à rompre. Selon ce que Kemp confia à l’un de ses oncles, McDonald avait la réputation d’« attirer dans [son] entreprise des hommes capables d’en redresser la situation pour lui, puis, au mépris de [ses] obligations, de leur rendre la vie tellement impossible qu’ils [étaient] prêts à sacrifier leurs intérêts et à s’en aller ». Toutefois, Kemp n’entendait pas se laisser faire. Il rallia les employés et prévint McDonald que, s’il tentait de le forcer à partir, il lui ferait concurrence en créant une autre entreprise et en embauchant leur personnel. En 1888, il racheta la part de McDonald et forma la Kemp Manufacturing Company avec son jeune frère, William Arthur. Celui-ci avait quitté le commerce du bois dans la province de Québec pour exercer à Toronto ses dons d’inventeur et de promoteur. Il mettrait au point un tuyau de poêle d’une seule pièce grâce auquel lui et son frère feraient fortune. Leur entreprise prendrait de l’expansion, acquerrait une renommée de plus en plus grande dans tout le pays et ouvrirait des usines à Montréal et à Winnipeg. En 1911, ils la réorganiseraient sous le nom de Sheet Metal Products Company of Canada Limited. Leurs « marchandises trouv[eraient] aisément preneur dans toutes les parties du dominion en damant le pion aux produits américains et en leur disputant la suprématie sur le marché des exportations ».
La prospérité de la Kemp Manufacturing Company découlait en grande partie du flair de Kemp et de son association avec William Arthur. Une saine dose de protection tarifaire y avait aussi contribué. Très favorable à la Politique nationale du gouvernement conservateur, Kemp la croyait toutefois susceptible de raffinement. En 1889, nanti d’une lettre de recommandation du secrétaire de la Canadian Manufacturers’ Association, il essaya de convaincre le ministre des Douanes Mackenzie Bowell* de réduire les droits perçus sur la matière première de son entreprise, le fer. Il échoua, mais n’abandonna pas la partie. Entre la mort du premier ministre sir John Alexander Macdonald* et la fin des années 1890, période difficile pour les conservateurs, il soutint vigoureusement le parti, tout en prônant un renforcement de la protection tarifaire.
Dès 1900, Kemp appartenait au « gratin » de la société torontoise. Membre de l’église méthodiste Sherbourne Street, où il côtoyait d’autres éminents hommes d’affaires, il fut président de la Canadian Manufacturers’ Association en 1895 et en 1896, puis du Bureau de commerce en 1899 et en 1900. Il cultivait toujours ses amitiés avec de grands banquiers et apportait une contribution importante au Victorian Order of Nurses. Le Parti conservateur, en déroute dans les premières années du gouvernement libéral de Wilfrid Laurier*, tenait beaucoup à cet homme influent et fortuné. La nécessité de reconstruire l’appareil tory, les plaintes contre la réaction de Laurier à la guerre des Boers, le penchant des libéraux en faveur du libre-échange et les pressions du chef conservateur sir Charles Tupper* convainquirent Kemp de laisser la Kemp Manufacturing Company entre les mains de son frère William Arthur et de se lancer en politique. Kemp visait les élections fédérales de novembre 1900. L’avocat torontois Edmund James Bristol, membre de la direction de l’Ontario Conservative Association, veilla à ce qu’il soit nommé candidat dans Toronto East.
Kemp remporta la victoire. Des années après, en parlant de son rôle aux Communes, le Globe de Toronto dirait qu'il n'avait « jamais eu tendance à surcharger le hansard ». Cependant, il prenait la parole dans des débats importants, tels ceux portant sur le budget, l'éventualité d'un tarif préférentiel au sein de l'Empire, le règlement du conflit en Afrique du Sud et les chemins de fer transcontinentaux. Robert Laird Borden*, l'avocat de Halifax qui avait succédé à Tupper en 1901, avait plus d'une raison de l'aimer : Kemp soutenait ses efforts en vue de réformer le parti, et il était d'un tempérament constant, riche et bien vu dans les cercles conservateurs de Toronto. En outre, Borden admirait la conception que Kemp avait du Canada, une conception large, véritablement nationale, partagée par d'autres hommes d'affaires progressistes qu'il souhaitait faire entrer au Parti conservateur fédéral. Kemp vantait le potentiel économique du pays et soutenait que la prospérité favoriserait l'harmonie entre les classes et les cultures. Préoccupé peut-être par l'absence de puissants lieutenants conservateurs au Québec, il affirmait que la participation des francophones et des anglophones à la vie publique était avantageuse pour les deux groupes, encourageait les Canadiens anglais à adopter une vision optimiste du Québec et blâmait les hommes politiques « malveillants » qui aggravaient les tensions pour servir leurs propres fins. « Le meilleur moyen […] de rapprocher les éléments de langue anglaise et française, écrirait-il en 1905 dans une lettre à Olivar Asselin*, est de cesser […] de discuter de la question. »
Sur le plan pratique, dans sa circonscription, le riche député Kemp se faisait demander du travail par les électeurs et des faveurs par les membres du parti. Aux élections de 1904, sa majorité s’accrut. Pourtant, ses relations avec les simples citoyens restaient distantes et il avait encore eu besoin de l’élite conservatrice pour être choisi candidat. Cet homme sérieux à l’allure fière était trop impersonnel ; pour lui, rencontrer ses électeurs était une corvée. Ses poignées de main ne le laissaient pas deviner (seuls quelques esprits pénétrants s’en apercevaient), mais il n’aima jamais les effusions.
À la veille des élections de 1908, Kemp s’intéressa peu au processus de mise en candidature, et un différend surgit parmi les conservateurs. Certains membres se plaignirent que, encore une fois, des gens de l’extérieur de la circonscription, retranchés derrière les murs de l’Albany Club de Toronto, complotaient pour faire nommer Kemp. En conséquence, un conservateur indépendant, Joseph Russell, fut désigné en plus de Kemp, qui s’aperçut que son statut d’homme d’affaires influent lui nuisait auprès d’une partie des conservateurs de la classe ouvrière. Ces derniers l’accusaient d’embaucher des Macédoniens plutôt que des Canadiens et de verser à ses ouvriers des salaires de misère, alors que Russell, briquetier, donnait aux siens de quoi « vivre dans des maisons à eux au lieu de s’entasser à douze dans une même pièce ». Kemp perdit son siège au profit de Russell. Sur la scène nationale, les conservateurs subirent une quatrième défaite contre les libéraux de Laurier. Ce fut un dur coup pour l’aile ontarienne, dont l’organisateur en chef, John Stewart Carstairs, dirait plus tard à Borden : « seule la générosité de M. A[lbert] E[dward] Kemp nous a permis d’éponger les dettes accumulées ».
Kemp se lança dans la réorganisation de l’appareil ontarien. Il usa de son influence et de ses relations d’affaires pour mobiliser une opposition contre la politique navale de Laurier et contre la réciprocité avec les États-Unis. Tout en lançant les allégations habituelles à propos de la corruption du régime libéral, Kemp et le premier ministre de l’Ontario, sir James Pliny Whitney*, recrutèrent de riches libéraux ontariens opposés à la réciprocité et contribuèrent à expulser Laurier du pouvoir en septembre 1911. Très au fait du rôle joué par Kemp pendant la campagne, Borden le nomma ministre sans portefeuille dans son premier cabinet et lui confia le mandat d’examiner les achats gouvernementaux. Kemp découvrit qu’il n’y avait pas de méthodes uniformes et que les dépenses se faisaient sans contrôle et souvent sans justification. Dans les circonscriptions torontoises, il mit au point un système inspiré du monde des affaires pour répartir le butin de la victoire électorale. Après avoir étudié les demandes des électeurs, un comité transmettait une liste de candidats à Kemp et à d’autres députés de la région qui avaient des emplois à distribuer aux Postes et dans d’autres ministères. Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, Kemp l’administrateur avait un atout de plus dans son jeu : il connaissait tous les rouages du favoritisme et des dépenses gouvernementales.
Pour soutenir les soldats canadiens envoyés au front – à la fin des hostilités, ils seraient plus de 400 000 –, il faudrait d’énormes quantités de matériel. Pendant la durée du conflit, les crédits de guerre dépasseraient le milliard de dollars. Dans les premiers mois, les dépenses provenaient surtout du colonel Samuel Hughes, le bouillant ministre de la Milice et de la Défense, mais, dès avril 1915, les choses allaient très mal. Son ministère était dans un désordre indescriptible. Le Conseil de la milice, qui en relevait, n’était pas consulté. Hughes lui-même, souvent absent, prenait des engagements en affichant une confiance démesurée et un mépris total des règles. Des rumeurs faisant état de la mauvaise gestion de contrats de matériel (des munitions, notamment) se répandirent. Deux députés conservateurs furent privés de leur siège aux Communes pour « bénéfices exorbitants », et des commissions d’enquête furent mises sur pied. En mai, Borden retira à Hughes le pouvoir de dépenser les crédits de guerre, le confia au sous-ministre Eugène Fiset* et nomma Kemp président d’un nouvel organisme, la Commission de ravitaillement, pour qu’il donne un coup de balai. Kemp était dans une mauvaise passe – Celia Amanda et lui-même venaient de perdre un de leurs petits-enfants dans le torpillage du Lusitania – mais il ne pouvait pas refuser. Ses talents et son caractère étaient diamétralement opposés à ceux de Hughes et il détestait le favoritisme que celui-ci avait pratiqué avec tant d’ostentation. Sous sa présidence, la commission modifia les critères des dépenses : désormais, on ne prendrait plus les décisions en fonction des intérêts du parti, mais en fonction de ce qui était bon pour l’effort de guerre. Elle mit en place un système d’appels d’offres en vertu duquel elle ne donnait des contrats qu’à des fournisseurs qui avaient fait leurs preuves et consentait des faveurs seulement aux entrepreneurs capables de livrer du matériel de qualité. En coulisse, William Arthur Kemp donnait des avis techniques et gardait un œil sur la circonscription de Toronto East. Comme le nombre de soldats envoyés outre-mer croissait sans cesse et que les crédits de guerre montaient en flèche – de 166 millions de dollars dans l’année financière 1915–1916, ils passèrent à 306 millions de dollars en 1916–1917 –, Kemp dut finalement déléguer une bonne partie du travail aux autres commissaires, George Frederick Galt et Hormisdas Laporte*, et à leur personnel. Malgré tout, il en avait lourd sur les épaules ; gravement malade en mai 1916, il dut prendre une période de repos.
En novembre, Hughes était dans une position encore plus précaire : il avait continué d’agir au mépris des instructions de Borden, et la confusion régnait dans l’administration militaire du Corps expéditionnaire canadien à Londres. Le premier ministre exigea donc sa démission et fit appel à Kemp pour qu’il remette de l’ordre au ministère de la Milice et de la Défense. Kemp devint ministre le 23 novembre. Le 5 janvier 1917, dans une note personnelle au ministre des Forces militaires d’outre-mer, sir George Halsey Perley* – autre homme de confiance qui était allé à Londres en qualité de haut-commissaire –, Kemp avoua que le ministère se trouvait dans un « état incroyable », que le « règlement de presque toutes les questions délicates a[vait] été différé et [que] le cours [des affaires était] bloqué ».
Kemp s’attaqua aux problèmes en recommandant aux autres d’être patients et en déléguant des tâches aux hommes les plus compétents qu’il pouvait trouver. Jouer à la vedette comme Hughes – qui avait ainsi perdu tous ses appuis au Canada puis outre-mer – n’était pas son genre. Certes, la situation du ministère le consternait, mais il éprouvait de la sympathie pour sir Samuel et n’avait pas de temps à perdre en récriminations. Il rapporta avoir sermonné un officier supérieur qui blâmait Hughes en lui disant d’« avoir un peu plus de considération pour ceux dont les intentions n[’étaient] pas moins bonnes que les siennes, même s’ils [avaient] pu commettre des erreurs ». En même temps, il mettait sur pied une organisation professionnelle, capable de s’occuper des affaires courantes selon les plans qu’il avait dressés. En reconnaissance de ses services, le roi lui décerna le titre de chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges. Annoncé dans la liste des décorations du jour de l’An 1917, cet honneur lui fut conféré le 13 février. Le mois suivant, Kemp annonça la création d’une « force de défense canadienne » ; affectée à la protection du pays, elle viendrait grossir les rangs de la milice, ce qui libérerait des hommes pour le service outre-mer. Ce ne fut pas un succès ; en avril, Kemp confessa à Borden que « l’enrôlement volontaire a[vait] presque atteint sa limite ». Comme bon nombre de ses collègues du cabinet, il en vint à constater que la conscription était inévitable.
Le séjour de Kemp au ministère de la Milice et de la Défense fut de courte durée. Dès octobre 1917, il devint ministre des Forces militaires d’outre-mer dans le nouveau gouvernement de coalition de Borden. Il remplaçait Perley, qui avait jeté les bases d’une administration solide, mais souhaitait reprendre son poste de haut commissaire. Aux élections générales de décembre, Kemp remporta la victoire sans difficulté et la coalition fut reportée au pouvoir même si elle proposait une mesure qui était loin de faire l’unanimité parmi les Canadiens : la conscription.
Arrivé en Angleterre en janvier 1918, Kemp entreprit la deuxième étape de sa mission de réforme. Comme il se trouvait à proximité des théâtres d’opérations et du quartier général britannique, une foule de gens, conservateurs ou non, lui réclamaient de l’aide pour des amis et des parents pris dans le conflit. Cependant, son principal souci était de rétablir les relations entre le Canada et la Grande-Bretagne, qui étaient dans un état lamentable à cause de Hughes. Le premier ministre David Lloyd George savait que les armées britanniques avaient besoin de plus de soldats canadiens. Contrairement à son prédécesseur, Herbert Henry Asquith, George reconnaissait que, en échange, les Canadiens, à Ottawa et à Londres, devraient avoir davantage leur mot à dire dans les décisions relatives au conflit. Ce printemps-là, Kemp assista avec Borden aux réunions du cabinet impérial de guerre. En outre, il poursuivit la réforme administrative des forces d’outre-mer. Il créa en avril un organisme dont il assuma la présidence, l’Overseas Military Council – semblable au Conseil de la milice à Ottawa – et imposa son autorité aux instances administratives du Corps expéditionnaire canadien. Dans le cadre de cette réorganisation, le poste d’officier général commandant en Angleterre fut aboli et le lieutenant-général sir Richard Ernest William Turner* assuma la nouvelle fonction de chef d’état-major général. De surcroît, Kemp convainquit le ministère de la Guerre d’établir en juillet, au grand quartier général en France, une section canadienne qui superviserait les troupes et assurerait la liaison entre le Corps expéditionnaire canadien et le ministère des Forces militaires d’outre-mer. La direction de cette section fut confiée au général de brigade John Fletcher Leopold Embury*.
En mai, sous l’influence de Turner et d’autres officiers supérieurs, Kemp était revenu sur sa position et avait approuvé la formation d’une aviation canadienne. À la fin des combats, en novembre 1918, celle-ci commençait à peine à s’organiser ; elle serait démantelée l’année suivante. Une fois la guerre terminée, la démobilisation et le rapatriement des soldats canadiens devinrent la priorité absolue de Kemp. Comme l’armistice était survenue inopinément, déplacer près de un demi-million de soldats posait d’énormes problèmes, d’autant plus que les moyens de transport manquaient cruellement. Cette mission retint Kemp en Angleterre jusqu’en 1920, soit jusqu’à la dissolution du ministère des Forces militaires d’outre-mer. Ainsi s’achevèrent ses longues années de service à titre de « réparateur » gouvernemental de l’administration du temps de guerre. Kemp avait plus de 60 ans ; ses nombreuses missions l’avaient épuisé. Néanmoins, il termina son mandat, notamment en siégeant en qualité de ministre sans portefeuille, à compter de juillet 1920, dans l’éphémère gouvernement d’Arthur Meighen*. En août 1920, dans un dernier geste de participation à l’effort de guerre, il retourna au gouvernement des chèques d’une valeur supérieure à 25 000 $ : son salaire ministériel pendant les hostilités. Nommé au Sénat en novembre 1921, il ne se présenta pas aux élections générales de décembre.
Avec ce scrutin, qui porta au pouvoir William Lyon Mackenzie King*, chef libéral depuis 1919, une époque nouvelle s’amorçait. Vieux sage parmi les conservateurs ontariens, Kemp faisait partie des conseillers de Meighen. Il retourna travailler à la Sheet Metal Products Company. Là aussi, les choses avaient changé, car son cher frère était décédé en 1919. À Castle Frank, sa somptueuse demeure avec vue sur la vallée de la Don, Kemp trouvait du réconfort auprès de sa femme, Celia Amanda Wilson, mais elle mourut le 20 janvier 1924 à la suite d’une intervention chirurgicale. Un an plus tard, au cours d’une cérémonie discrète, il épousa une jeune veuve mère de deux filles, Virginia Norton Copping. Il continuait de s’intéresser à la politique conservatrice, prononçait un discours à l’occasion et appartenait à quelques conseils d’administration. Son Église et la Young Men’s Christian Association pouvaient toujours compter sur son appui. En octobre 1927, à la suite d’une entente qui, dit-on, lui rapporta une somme nette de plus de 3 millions de dollars, la General Steel Wares Limited naquit de la fusion de la Sheet Metal Products avec la McClary Manufacturing [V. John McClary] et la Thomas Davidson Manufacturing Company Limited of Montreal. Le 11 août 1929, Kemp célébra son anniversaire en se livrant à l’un de ses passe-temps favori, le golf, sur le parcours privé de Missisquoi, sa maison d’été sur le lac Pigeon, près de Bobcaygeon. Il mourut tôt le lendemain matin – d’une indigestion aiguë, selon la presse. Inhumé au cimetière Mount Pleasant de Toronto, il laissait une succession d’une valeur supérieure à 7 700 000 $.
Au début de sa carrière, sir Albert Edward Kemp était un homme d’affaires ambitieux qui, grâce à ses talents de comptable et d’administrateur, avait bâti une entreprise prospère à Montréal. La répétition de ce scénario sur la scène torontoise lui avait permis de se faire inviter chez les membres de l’élite financière et politique du Toronto de la fin de l’époque coloniale – des gens souvent imbus d’eux-mêmes, qui n’accueillaient pas n’importe qui – et de gagner leur amitié. Élu au Parlement à l’aube du nouveau siècle, il devint bientôt l’un des dirigeants de l’aile ontarienne du Parti conservateur. De l’avis de beaucoup, par son dévouement et ses contributions financières, il empêcha cette dernière de dépérir pendant les dures années du régime Laurier. Puis, en 1911, Borden en fit l’un de ses hommes de confiance au cabinet, avec George Halsey Perley. Tous deux étaient de riches hommes d’affaires, des gestionnaires compétents, plus doués pour l’administration des affaires que pour l’arène électorale. Tous deux remplirent des missions à la demande expresse du premier ministre avant et pendant la Grande Guerre. On a dit de Kemp qu’il se donnait « rarement en spectacle, mais [était] rarement inactif et jamais inefficace ». Lui-même attribua un jour sa réussite à son énergie et à son application. De fait, il fut le ministre de l’efficacité dans les gouvernements de Borden.
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John A. Turley-Ewart et Robert Craig Brown, « KEMP, sir ALBERT EDWARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/kemp_albert_edward_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/kemp_albert_edward_15F.html |
Auteur de l'article: | John A. Turley-Ewart et Robert Craig Brown |
Titre de l'article: | KEMP, sir ALBERT EDWARD |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 11 déc. 2024 |