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PELLETIER, PANTALÉON (baptisé Marie-Joseph-Pantaléon), officier de milice, médecin, homme politique et agent général de la province de Québec à Londres, né le 27 juillet 1860 à Rivière-Ouelle, Bas-Canada, fils de Joseph Pelletier et d’Henriette Martin ; le 24 janvier 1888, il épousa à Québec Alice Hudon (décédée en 1910), puis en 1912, à Londres, Cécile Belleau, veuve de Joseph Boivin ; aucun enfant ne naquit de ces deux mariages ; décédé le 19 octobre 1924 à Québec.
Fils aîné d’un cultivateur prospère de Rivière-Ouelle, dans le Bas-du-Fleuve, Pantaléon Pelletier compte parmi ses proches des hommes, issus de la même localité, qui se sont distingués dans les domaines politique et militaire, tels son oncle Charles-Alphonse-Pantaléon Pelletier* et son cousin germain Charles-Antoine-Ernest Gagnon*. Liés à Honoré Mercier*, au Parti national, puis au Parti libéral, ces derniers lui transmettront leur vision politique et lui ouvriront des portes, influençant ainsi l’orientation de sa carrière.
Pantaléon fait ses études classiques au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière de 1873 à 1882. Il entre ensuite à la faculté de médecine de l’université Laval, à Québec, qu’il fréquentera jusqu’en 1887. Pendant ce temps, il s’enrôle dans le 9e bataillon des Voltigeurs de Québec. Probablement grâce à l’influence de son oncle, Charles-Alphonse-Pantaléon, il y est nommé officier, tout comme son cousin Oscar-Charles-Casgrain Pelletier (fils du précédent). Quand éclate la rébellion du Nord-Ouest, en mars 1885 [V. Louis Riel*], les deux cousins participent à la campagne, Pantaléon à titre de premier lieutenant de la 7e compagnie de son bataillon, l’un des deux régiments canadiens-français à en faire partie. Redoutant les retombées politiques d’un affrontement armé entre Canadiens français et Métis francophones, le gouvernement fédéral fait en sorte que les compagnies du 9e bataillon des Voltigeurs de Québec, sous la direction de Guillaume Amyot*, soient basées à Calgary et à Gleichen, loin du théâtre des opérations.
En 1887, Pantaléon, qui vient d’obtenir une licence en médecine, est nommé assistant chirurgien à l’hôpital de la Marine et des Émigrés, à Québec, poste qu’il occupe pendant quelque temps avant de s’établir à Sherbrooke. Son cousin Charles-Antoine-Ernest Gagnon, alors secrétaire et registraire de la province dans le cabinet Mercier, lui a probablement conseillé d’élire domicile dans cette ville, sachant qu’il allait bientôt nommer un deuxième coroner à cet endroit. Le 16 septembre 1889, Pelletier, à l’âge de 29 ans, devient effectivement coroner pour le district judiciaire de Saint-François, district en rapide croissance démographique et où les Canadiens français sont récemment devenus majoritaires. Il occupera ce poste jusqu’en 1900.
Dès son arrivée dans les Cantons-de-l’Est (où il deviendra parfaitement bilingue), Pelletier ouvre un bureau de pratique privée à son domicile, rue Bowen. Il y exercera la médecine probablement jusqu’en 1909. Il s’engage également dans la vie communautaire. Comme le soulignera Élie-Joseph-Arthur Auclair dans la Tribune de Sherbrooke le 27 octobre 1924, il est admirablement qualifié pour la vie publique : « Souple et serviable, oui, mais intelligent aussi et excellent observateur des hommes et des choses, tel apparaissait à tous le populaire docteur de Sherbrooke-Est. » Premier médecin à s’établir dans le quartier est de la ville, à prédominance ouvrière et francophone, il est souvent sollicité pour jouer un rôle d’intermédiaire dans des conflits de travail. Dans sa pratique médicale, Pelletier se spécialise d’abord en chirurgie et en gynécologie, domaines qu’il perfectionne au cours d’un stage de six mois, en 1893, au New York Polyclinic Medical School and Hospital. Par la suite, il s’intéresse davantage aux maladies contagieuses. Il est nommé officier de santé de la ville de Sherbrooke en 1896. La création, en 1888, de l’hôpital protestant de Sherbrooke a révélé la nécessité d’offrir le même genre de services à la population catholique des Cantons-de-l’Est. C’est dans ce but que Pelletier aide, en avril 1897, à titre de membre fondateur du bureau médical de l’hospice du Sacré-Cœur, à doter ce dernier d’une salle d’opération, ce qui consacre la vocation médicale de l’établissement. La même année, il fait un stage de six mois dans des hôpitaux de Paris, pendant lequel il suit les cours de microbiologie d’Émile Roux, à l’Institut Pasteur [V. Arthur Bernier ; Oscar-Félix Mercier]. Le médecin apporte également sa collaboration à la mise sur pied de l’hôpital général Saint-Vincent de Paul, inauguré à Sherbrooke en 1909.
Pelletier s’intéresse aussi à l’organisation de la profession médicale. Il a joué un rôle important dans la fondation, en 1890, de l’Association médicale du district de Saint-François, qui regroupe des médecins des deux communautés linguistiques. En 1897, il devient l’un des trois représentants de son district au Bureau provincial de médecine du Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec ; il le demeurera jusqu’en 1904. Pelletier militera aussi pour l’autonomie de la profession médicale québécoise au sein de l’Association des médecins de langue française de l’Amérique du Nord. Il en deviendra président en 1908, et organisera le cinquième congrès annuel de cette association, tenu à Sherbrooke deux ans plus tard.
Les activités de Pelletier dans la milice lui valent par ailleurs le respect de l’élite anglophone, qu’il côtoie à titre de capitaine, officier et médecin dans les 11th Hussars de Richmond, unité de cavalerie. Son prestige augmente encore lorsque son cousin Oscar-Charles-Casgrain Pelletier devient l’officier canadien-français le plus haut gradé à participer à la guerre des Boers. Pantaléon contribuera de plus à organiser le premier régiment canadien-français dans les Cantons-de-l’Est, le 54th Regiment (Carabiniers de Sherbrooke), créé en 1910. Le populaire médecin en sera le premier commandant, avec le grade de lieutenant-colonel.
C’est probablement à cause de sa notoriété que, dès son entrée en politique, Pelletier réussit à se faire élire par 91 voix de majorité comme député libéral à l’élection générale provinciale du 7 décembre 1900, alors qu’aucun membre de ce parti n’a jusqu’alors représenté la circonscription de Sherbrooke (tant au fédéral qu’au provincial). Il sera réélu sans opposition aux élections du 25 novembre 1904 et du 8 juin 1908. Grâce aux gens qu’il connaît parmi les plus hautes instances du Parti libéral (et grâce à son oncle Charles-Alphonse-Pantaléon en particulier), il peut faire en sorte que sa circonscription bénéficie des largesses des gouvernements fédéral et provincial ; le palais de justice [V. Elzéar Charest] et le manège militaire de Sherbrooke, inaugurés respectivement en 1906 et 1908, en sont des exemples. Ses interventions en Chambre traduisent ses préoccupations pour le mouvement hygiéniste et pour l’organisation de la profession médicale. En 1902, il prend vigoureusement parti pour le renforcement de l’autorité du Conseil d’hygiène de la province de Québec en matière de vaccination. La même année, dans un discours remarquablement documenté, il anticipe de huit ans les recommandations contenues dans le rapport de la commission royale de la tuberculose en condamnant l’ignorance généralisée devant ce fléau et en réclamant un programme de subventions aux sanatoriums. Il participera d’ailleurs en 1903 à la fondation de la District of St Francis League for the Prevention of Tuberculosis. Pelletier joue aussi un rôle important dans le débat qui entoure le projet de loi Roddick [V. sir Thomas George Roddick], adopté aux Communes en 1902 sous le titre d’Acte à l’effet d’établir un conseil médical en Canada. En dépit du fait que cette mesure bénéficie d’un large appui au sein de la profession médicale, Pelletier la considère comme un dangereux empiétement du fédéral sur un champ de compétence provincial. Il travaille donc à en réduire la portée, d’abord au sein du Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec, puis à l’Assemblée législative, où la question est débattue en 1903 ; son opposition vigoureuse retarde alors la ratification de la loi fédérale par le Parlement provincial. Le 2 mars 1909, Pelletier accède à la fonction de président de l’Assemblée législative, où il fait preuve d’un charisme particulier et d’un jugement sûr. Il remplace Philippe-Honoré Roy, poursuivi en justice [V. Louis Molleur*].
Le 7 août 1911, le gouvernement de sir Lomer Gouin nomme Pelletier agent général pour la province dans le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, poste créé peu de temps avant les élections de 1908 et qui n’a pas été comblé jusque-là. Hector Fabre* a déjà occupé un poste semblable à Paris de 1882 à 1910 (Philippe Roy prendra sa relève jusqu’en 1912) et Godfroy Langlois sera nommé en 1914 agent général de la province de Québec à Bruxelles. Ainsi commence une nouvelle phase de la carrière du médecin de Sherbrooke. La coupure est d’autant plus nette qu’il survient des événements importants dans sa vie personnelle : sa première femme, Alice Hudon, décède en 1910 à la suite d’une longue maladie, et Cécile Belleau (veuve de Joseph Boivin, qui a été secrétaire de Mercier de 1887 à 1890, puis sous-secrétaire de la province de Québec de 1890 à 1909) devient sa seconde épouse en 1912. Pelletier occupera ce poste à Londres jusqu’à son décès. Il reçoit en moyenne 25 000 $ par année, somme qui comprend un salaire de 6 000 $, auquel s’ajoutent des allocations diverses (pour le loyer, par exemple). Comme certaines provinces possèdent déjà une agence dans la capitale britannique, sa première tâche consiste à mieux faire connaître la province de Québec, afin de lui assurer sa juste part du commerce extérieur et des investissements. Avant la Première Guerre mondiale, l’immigration et la promotion des attraits touristiques de la province occupent une place importante dans le travail de l’agence, également chargée d’une mission commerciale. Après, la stimulation de l’exportation des biens manufacturés à Québec devient l’objectif primordial de Pelletier. Ce dernier s’intéresse à Québec tout particulièrement à la vente de machinerie agricole en Afrique de l’Ouest, en Inde et dans le Sud-Est asiatique, dont l’accès est facilité par la politique de préférence impériale. Il encourage de plus les banques canadiennes à établir des succursales dans ces régions éloignées du monde. L’agence de Londres, dont l’ouverture survient une année avant la fermeture de celle de Paris, marque une évolution de la politique extérieure de la province, qui mise désormais sur l’économie. L’initiative portera fruit aussi longtemps que la métropole britannique maintiendra son hégémonie comme centre financier mondial. Vers la fin de sa mission, toutefois, Pelletier voit son agence perdre de l’importance à mesure que les États-Unis deviennent le principal marché pour les produits d’exportation québécois et la source primordiale de capital d’investissement.
Le 19 octobre 1924, de retour au pays pour une visite, Pantaléon Pelletier est frappé par une crise d’apoplexie en entrant chez sa belle-fille, domiciliée avenue des Érables à Québec, et meurt sur-le-champ. Dans tous les domaines auxquels il s’est intéressé – médical, politique, militaire –, il a travaillé au renforcement des assises canadiennes-françaises : « Patriote dans l’âme et fier de sa race, il défendit pied à pied les droits des siens », écrit Auclair quelques jours après son décès. Pelletier a incontestablement joué un rôle de premier plan pour les francophones dans les Cantons-de-l’Est. Inscrit dans la tradition du Parti libéral de sa province, il était à la fois nationaliste et progressiste : revendicateur, mais ouvert sur le monde, conscient des impératifs économiques du secteur industriel et ardent promoteur de l’avancement des connaissances. En cela résidait le secret de son succès, d’abord à Sherbrooke, puis comme représentant de la province sur la scène internationale.
ANQ-BSLGIM, CE104-S1, 27 juill. 1860.— ANQ-Q, CE301-S1, 24 janv. 1888.— Arch. de l’institut Pasteur (Paris), Cours de microbie technique, MP 29048 (liste des personnes ayant suivi les cours, 1889–1970).— BAC, RG 31, C1, 1881, Rivière-Ouelle, Québec.— Le Devoir, 20 oct. 1924.— L’Étoile de l’Est (Coaticook, Québec), 22 mai 1890.— La Patrie, 15 oct. 1886.— Sherbrooke Daily Record (Sherbrooke, Québec), 21 juin 1900, 14 mai, 1er août 1903.— La Tribune (Sherbrooke), 11 oct. 1911, 16 juin, 11 oct. 1913, 15 déc. 1916, 3 août 1923, 20, 27 oct. 1924.— [C. A.] Boulton, Reminiscences of the North-West rebellions, with a record of the raising of her majesty’s 100th Regiment in Canada [...] (Toronto, 1886).— [P]. L. H. Camirand, « History of the 54e Regiment – Les Carabiniers de Sherbrooke – from the foundation to the First World War » (mémoire de m.a., Bishop’s Univ., Lennoxville, Québec, 1985).— Collège des médecins et chirurgiens de la prov. de Québec, Reg. médical (Montréal), 1911 : 14s.— Gazette officielle de Québec, 1911 : 1528.— Denis Goulet, Histoire du Collège des médecins du Québec, 1847–1997 (Montréal, 1997).— Jean Hamelin, « Québec et le monde extérieur : 1867–1967 », Québec, Bureau de la statistique, Annuaire du Québec (Québec), 1968–1969 : 18–22.— P.-H. Hudon, Rivière-Ouelle de la Bouteillerie ; 3 siècles de vie (Ottawa, 1972), 392.— Adolphe Michaud, Généalogie des familles de la Rivière Ouelle, depuis l’origine de la paroisse jusqu’à nos jours (Québec, 1908).— Desmond Morton, The last war drum : the North-West campaign of 1885 (Toronto, 1972).— C. P. [Mulvany], The history of the North-West rebellion of 1885 [...] (Toronto, 1885 ; réimpr., 1971).— Québec, Assemblée législative, Débats, 1902–1904 ; Commission royale de la tuberculose, Rapport (Québec, 1909–1910) ; Statuts, 1908, c.11.
Peter Southam, « PELLETIER, PANTALÉON (baptisé Marie-Joseph-Pantaléon) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/pelletier_pantaleon_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/pelletier_pantaleon_15F.html |
Auteur de l'article: | Peter Southam |
Titre de l'article: | PELLETIER, PANTALÉON (baptisé Marie-Joseph-Pantaléon) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 4 déc. 2024 |