Titre original :  Who's who in Canada: An Illustrated Biographical Record of Men and Women of the Time, Volumes 6-7, International Press Limited, 1914.

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Bienvenu, Tancrède (baptisé Louis-Tancrède), teneur de livres, professeur, banquier, homme d’affaires et administrateur, né le 26 avril 1864 à Sainte-Julie, Bas-Canada, fils d’Azari Bienvenu, journalier, et de Marie-Louise-Odile-Octavie Chagnon, dit Larose ; le 13 mai 1885, il épousa dans la paroisse Notre-Dame, Montréal, Clara Martin, et ils eurent sept filles et cinq garçons ; décédé le 5 février 1931 à Westmount, Québec, et inhumé deux jours plus tard au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal.

On connaît très peu de chose des premières années de la vie de Tancrède Bienvenu. Troisième enfant d’une famille qui en comptera au moins huit, Tancrède, petit-cousin de sir Louis-Hippolyte La Fontaine*, entreprend des études au collège industriel de Varennes à la fin de son adolescence. Sa mère a été institutrice et il semble bien que les Bienvenu ont valorisé l’éducation. En 1882, sa formation terminée, Bienvenu est engagé comme teneur de livres par Auguste Couillard, quincaillier en gros à Montréal. Après avoir enseigné à son alma mater pendant quelques années, notamment en 1888, il s’associe pour une très courte période – on ne sait à quel titre – à la quincaillerie Martin, Bienvenu and Company.

À la fin des années 1880, Bienvenu fait son entrée à la Banque Jacques-Cartier, probablement dans le service du gérant adjoint. L’institution financière est alors en pleine croissance : elle génère de meilleurs profits et dividendes que ses concurrentes. Bienvenu y gravit rapidement les échelons. Selon le Prix courant, il devient inspecteur en 1891, gérant adjoint en 1893, gérant, puis gérant général en 1896. Entre 1897 et 1899, la banque connaît un grand essor sous sa direction. En effet, son actif augmente alors de plus du double de la moyenne de l’industrie, tandis que ses bénéfices dépassent de beaucoup ceux que déclarent les établissements similaires au Québec. En 1899, la panique déclenchée par la faillite de la Banque Ville-Marie [V. William Weir*] frappe néanmoins durement la Banque Jacques-Cartier, dont les déposants essaient de retirer en masse leurs investissements [V. Alphonse Desjardins*] et qui doit suspendre ses activités pendant quelques semaines. C’est à ce moment que le rôle de Bienvenu gagne en importance. Le président Guillaume-Narcisse Ducharme* lui demande alors de réorganiser les affaires de la banque, d’empêcher la liquidation et d’exécuter son plan, soit celui de rétablir le fonds de réserve et d’augmenter le capital de 750 000 $ à un million de dollars. Bienvenu instaure de plus des mesures pour retrouver la confiance des clients, comme la garantie des dépôts de moins de 1 000 $. Cette idée semble plaire. Pour rassurer les investisseurs, Bienvenu réclame le changement de nom de l’entreprise qui, le 3 juillet 1900, devient la Banque provinciale du Canada. À partir du milieu des années 1910, il agira de plus à titre de vice-président.

Entre 1901 et 1921, le capital des trois plus grandes institutions financières canadiennes-françaises, soit la Banque nationale, la Banque provinciale du Canada et la Banque d’Hochelaga, passe de 3,45 millions à 8 millions de dollars. Ces entreprises établissent plus de 250 nouvelles succursales dans un marché essentiellement francophone. À elle seule, la Banque provinciale du Canada voit son capital augmenter de 862 000 à trois millions de dollars et ouvre 152 succursales, principalement dans des villes francophones de la province de Québec, mais aussi en Ontario et dans les Maritimes.

Le succès de l’établissement est le fruit d’un travail d’équipe entre des banquiers canadiens-français et des gestionnaires canadiens-anglais. Les premiers, majoritaires dans le conseil d’administration, s’occupent principalement des opérations quotidiennes, comme les dépôts, la localisation des succursales et les prêts commerciaux. Les seconds (notamment les hommes d’affaires George Bull Burland et Samuel Carsley) veillent pour leur part à l’investissement des dépôts d’épargne sur le marché des capitaux ; leur présence est importante pour Bienvenu, car elle influence grandement la gestion de l’institution financière, sans toutefois altérer son identité canadienne-française.

Au début des années 1920, la Banque provinciale du Canada refuse de collaborer au projet, avorté, de fusion des banques canadiennes-françaises dans le but de concurrencer les institutions canadiennes-anglaises. À la fin de 1923, quand la Banque nationale semble près de la faillite [V. Georges-Élie Amyot*], l’idée ressurgit, cette fois soutenue par le gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau*. La Banque provinciale du Canada décline de nouveau sa participation : selon ses administrateurs, les Canadiens français ne tireraient pas d’avantages d’avoir accès à une seule institution financière canadienne-française. Des rumeurs laissent croire que les allégeances conservatrices de certains gestionnaires de la Banque provinciale du Canada, ainsi que l’impossibilité, pour Bienvenu, d’obtenir un siège au Conseil législatif en raison de l’objection de Taschereau, auraient aussi influencé cette décision. L’absorption de la Banque nationale par la Banque d’Hochelaga en 1924 donne naissance à ce qui prendra le nom, en 1925, de Banque canadienne nationale. En excluant les caisses populaires, cette dernière et la Banque provinciale du Canada représentent alors les deux seules institutions financières canadiennes-françaises de la province de Québec. Bienvenu entreprend d’ouvrir des succursales là où la Banque nationale a fermé les siennes, mais, rapidement, les deux institutions conviennent de limiter leur concurrence mutuelle.

En 1927, Bienvenu écrit à l’une de ses filles, sœur Germaine, qu’il doit demeurer pendant deux mois en observation à la clinique du neurologue Georges Guillain, à Paris. Ses problèmes de santé (notamment une main à demi paralysée) l’empêchent dorénavant de travailler quotidiennement à la banque. Il délaisse son poste de gérant général pour devenir premier vice-président ; il le restera jusqu’à sa mort.

En marge de sa profession de banquier, Bienvenu s’est intéressé à l’entreprise de Carlo Onorato (Charles-Honoré) Catelli, spécialisée dans la production de pâtes alimentaires. En 1908, il figure au nombre des hommes d’affaires qui obtiennent la constitution en société par actions de la Compagnie C. H. Catelli. Quatre des fils de Bienvenu y détiennent des positions clés en 1918. La fortune familiale est maintenant assurée. Cette compagnie, « la plus grande au Canada » dans son domaine, selon un article publié dans le Devoir du 7 mars 1925, comprend 150 employés et distribue ses pâtes alimentaires notamment au Canada, en Angleterre et dans les Antilles.

Bienvenu occupe de plus diverses fonctions honorifiques et administratives. Il est trésorier honoraire du comité de souscription pour l’érection du monument d’Édouard VII en 1911 et de l’hôpital Notre-Dame. Il fait partie du Conseil consultatif honoraire pour recherches scientifiques et industrielles en 1916, du comité des finances de la Société canadienne de la Croix-Rouge et du Fonds patriotique canadien pendant la Grande Guerre. Il est directeur du Crédit foncier franco-canadien, de la Compagnie d’assurance sur la vie La Sauvegarde, de la Scottish Union and National Insurance Company, de la Guardian Assurance Company Limited et de la Lake of the Woods Milling Company Limited.

À l’inverse de certains autres capitalistes du temps, comme Frédéric-Ligori Béïque, sir Rodolphe Forget* ou Joseph-Marcellin Wilson – très attachés à un parti politique –, Bienvenu s’est habituellement bien gardé de dévoiler, du moins publiquement, ses propres allégeances. Son nom se trouve néanmoins mêlé à des histoires à quelques occasions. Le 16 octobre 1904, par exemple, le journal le Nationaliste, dirigé par le combatif Olivar Asselin, publie une manchette qui révèle l’achat de la Presse par des conservateurs connus, dont Hugh Graham, riche propriétaire du Montreal Star. Dans les jours suivants, on apprend que, durant la nuit du 12 octobre, Trefflé Berthiaume*, propriétaire de la Presse, a effectivement vendu son quotidien au financier conservateur David Russell. Bienvenu, à titre de banquier, encaisse à la Banque provinciale du Canada les fruits de la transaction qui fait partie d’un complot pour discréditer le Parti libéral. Peu de temps après, Russell doit céder son acquisition à Donald Mann et William Mackenzie*, deux promoteurs de chemin de fer. Le premier ministre sir Wilfrid Laurier*, après quelques négociations avec les nouveaux propriétaires, réussit à garder la Presse dans le giron libéral. En janvier 1905, Mackenzie et Mann envoient même une lettre à Laurier, où ils affirment : « Il est clairement entendu […] que le journal la Presse ne doit pas servir d’organe tory, qu’il devra être indépendant et qu’il devra apporter un soutien généreux à sir Wilfrid Laurier. » Ce n’est finalement qu’à l’automne de 1906 que Bienvenu voit Berthiaume reprendre possession de la Presse, au cours d’une autre transaction qui se déroule au siège social de la Banque provinciale du Canada.

En 1907, le nom de Bienvenu apparaît de nouveau dans une affaire semblable. Une dépêche du Soleil, organe du Parti libéral à Québec, affirme le 10 décembre que « les quelques journaux susceptibles de devenir organes de M. Borden [sir Robert Laird Borden] ont été approchés au nom d’un syndicat composé de MM. Rodolphe Forget, Tancrède Bienvenu et Hugh Graham ». Le jour suivant, Bienvenu envoie un télégramme à Laurier : « Je proteste energiquement contre cet article du “Soleil” d’hier vous prie de croire ne connais absolument rien de cette affaire dailleurs ne moccupe jamais de politique. » Des proches de Laurier soupçonnent Bienvenu d’avoir des allégeances conservatrices. Dans ses lettres à Borden, en 1915, Bienvenu dénote en effet une certaine sympathie pour le premier ministre conservateur, se qualifiant, dans un message signé le 19 juin, « d’ami des plus sincères et respectueux ».

Tancrède Bienvenu était perçu comme un administrateur prudent, un travailleur acharné qui faisait des journées de 15 heures et l’un des meilleurs gestionnaires. L’achat d’une résidence familiale à Westmount, au début des années 1910, et d’une maison d’été à Murray Bay (La Malbaie) ainsi que ses fréquents voyages en France, à Rome et à Atlantic City, au New Jersey, confirmaient son statut. Le 5 février 1931, ses problèmes de santé ont finalement raison de lui. Deux jours plus tard, dans le cortège funèbre qui accompagne sa dépouille au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, figurent des financiers et des politiciens conservateurs et libéraux.

En collaboration avec Simon Jolivet

BAC, Déclarations de recensement du Canada de 1911, Québec, dist. Montréal (182), sous-dist. quartier Saint-Laurent (11) : 22 ; R233-35-2, Québec, dist. Chambly (67), sous-dist. Saint-Bruno (I) : 13 ; R233-36-4, Québec, dist. Montréal (172), sous-dist. quartier Saint-Jacques (E) : 4–5 ; R233-37-6, Québec, dist. Montréal (177), sous-dist. quartier Saint-Laurent (A) : 26 ; R6113-2-3 : 2749–2751, 67478 ; R10811-2-3 : 93729, 133098–133101, 133950–133953, 154488–154490.— BAnQ-CAM, CE601-S10, 13 oct. 1857 ; CE601-S42, 26 avril 1864 ; CE601-S51, 13 mai 1885.— FD, Notre-Dame (Montréal), 7 févr. 1931.— Le Devoir, 23 mai 1925, 3 avril 1926, février 1931.— Le Nationaliste (Montréal), octobre 1904–janvier 1905.— La Patrie, février 1931.— La Presse, octobre 1904, 14 août 1919, 11 déc. 1920, février 1931.— Le Prix courant (Montréal), 1891–1897.— Le Soleil, décembre 1907.— Annuaire, Montréal, 1894–1931.— BCF, 1930 : 360.— J. Hamelin et al., la Presse québécoise, vol. 2–4.— « In memoriam : sœur Germaine Bienvenu (S. S.-Claire-du-Sacré-Cœur), décédée le 27 novembre 1972 », Notices biographiques (45 vol. parus, Montréal, 1969–    ), 3 : 297–312.— Hélène Pelletier-Baillargeon, Olivar Asselin et son temps (3 vol., [Montréal], 1996–2010), 1.— Ronald Rudin, Banking en français : les banques canadiennes-françaises de 1835 à 1925 (Montréal, 1988).— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, vol. 12 : 172–178 ; Hist. de Montréal, vol. 3.— Joseph Schull, Laurier, H.-J. Gagnon, trad. ([Montréal], 1968), 357–361.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

En collaboration avec Simon Jolivet, « BIENVENU, TANCRÈDE (baptisé Louis-Tancrède) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bienvenu_tancrede_16F.html.

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Auteur de l'article:    En collaboration avec Simon Jolivet
Titre de l'article:    BIENVENU, TANCRÈDE (baptisé Louis-Tancrède)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2020
Année de la révision:    2020
Date de consultation:    11 déc. 2024