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BERNARD, MARY (May) AGNES (FitzGibbon), dite Lally Bernard, journaliste et directrice d’un foyer pour jeunes femmes, née probablement en 1862 à Barrie, Haut-Canada, fille de Richard Barrett Bernard, avocat, et d’Agnes Elizabeth Lally ; le 13 août 1882, elle épousa à Marblehead, Massachusetts, Clare Valentine FitzGibbon (1858–1919), et ils eurent une fille ; décédée le 17 juillet 1933 à Victoria.
Mary Agnes Bernard n’avait jamais envisagé une carrière dans le journalisme. Elle appartenait à une famille de l’élite canadienne : elle avait pour tante Susan Agnes Bernard*, épouse du premier des premiers ministres du Canada, sir John Alexander Macdonald* ; pour oncle Hewitt Bernard*, haut fonctionnaire notoire ; et pour beau-père D’Alton McCarthy*, avocat et député libéral-conservateur. Mary Agnes reçut une éducation privée et fut introduite dans la haute société à Ottawa et à Londres. En 1882, elle épousa Clare Valentine FitzGibbon, petit-fils du 3e comte de Clare, propriétaire terrien irlandais. Le couple aurait habité à l’étranger pendant plusieurs années, avant l’internement de Clare Valentine dans un établissement psychiatrique. Les biographies de Mary Agnes FitzGibbon écrites de son vivant ne mentionnent aucunement la situation de son mari, peut-être à cause des préjugés sur les maladies mentales [V. Charles Kirk Clarke*]. Dans Canadian men and women of the time (1912), Henry James Morgan* affirme que Mary Agnes « s’était installée de manière permanente avec son beau-père » en 1896 ; Clare Valentine pourrait toutefois avoir été interné plus tôt, car il n’apparaît pas avec sa famille dans le recensement de 1891 selon lequel Mary et leur seul enfant, Agnes Florence Frances Louise, vivaient alors avec D’Alton et Agnes McCarthy à Toronto.
Après la perte de son beau-père, mort des conséquences d’un accident de voiture en 1898, Mary Agnes FitzGibbon, devenue le principal soutien de sa mère invalide et de sa fille, se lança dans le journalisme par nécessité. L’année suivante, elle écrivit pour le Globe de Toronto, que dirigeait John Stephen Willison*, des articles importants sur les doukhobors, groupe d’immigrants méconnus [V. Peter Vasil’evich Verigin*]. Elle vécut parmi eux et les suivit pendant trois mois, depuis les baraques d’immigration de Winnipeg jusqu’à leurs colonies de peuplement, où ils construisirent des maisons qui, disait-elle, « auraient fait honneur à un maître d’œuvre expérimenté ». En racontant à ses lecteurs l’histoire de ces gens qui avaient cherché refuge au Canada pour « échapper à leur extermination par les autorités russes », elle espérait dissiper le mythe selon lequel les doukhobors « prenaient les terres […] destinées à nos petits-enfants ». Au contraire, leurs établissements n’étaient « qu’un simple “timbre-poste jeté sur une nappe de grande dimension” ». Elle admettait que leur souhait d’être exemptés du service militaire pouvait sembler impossible à comprendre pour les Canadiens ; elle notait cependant que le terme « service militaire » revêtait une signification différente pour les doukhobors, horrifiés de la brutalité de l’armée russe. « Le fait que ces gens n’aient pas toléré la vie toute tracée que leur imposaient les autorités militaires de Russie, plaidait-elle, constitue peut-être la meilleure des raisons qui font d’eux des individus aptes à devenir citoyens d’un pays comme le nôtre. »
Les articles de Mme FitzGibbon sur les doukhobors, qui révélaient un grand sens du reportage et un talent littéraire prometteur, lui permirent sans doute d’obtenir un poste permanent au Globe, où elle rédigea une chronique régulière intitulée « Driftwood ». À l’instar de Kit Coleman [Ferguson*], auteure de la rubrique « Woman’s kingdom » dans le Daily Mail and Empire de Toronto, Mme FitzGibbon, dans « Driftwood », ne se limitait pas aux sujets tels que l’entretien ménager ou la mode, qui remplissaient habituellement les pages féminines, mais se concentrait sur des questions sociales et culturelles. Elle s’intéressait particulièrement aux arts, à la fois pour soutenir les talents canadiens et en tant que critique éclairée. Le 4 mars 1902, elle écrivit, dans son compte rendu de l’exposition annuelle de l’Ontario Society of Artists : « C’est vraiment la “période de croissance” du Canada en matière artistique […] On saurait difficilement prétendre qu’il y a actuellement un centre artistique dans ce pays. » Ce vide, remarquait-elle, suscitait probablement chez la plupart des artistes « un sentiment de solitude intense », et ce, autant pendant leur travail dans l’isolement qu’après, lorsqu’ils montraient leurs œuvres et devaient « subir les dures critiques de quelques [individus] formés pour détecter les faiblesses plus que les mérites ».
Peu après le couronnement du roi Édouard VII en août 1902, qu’elle couvrit, Mme FitzGibbon devint la correspondante à Londres du Globe, du Manitoba Free Press, dont Clifford Sifton* était le propriétaire et John Wesley Dafoe* le rédacteur en chef, et de l’Evening News de Toronto, pour lequel Willison exerça la fonction de rédacteur en chef à partir de janvier 1903. Pendant qu’elle habitait en Angleterre, Mme FitzGibbon, ancienne membre de l’Imperial Federation League à Toronto [V. George Taylor Denison*], donna des conférences sous les auspices de la Victoria League et de la Tariff Reform League, toutes deux en faveur de relations plus étroites entre la Grande-Bretagne et ses colonies. Dans un article publié en 1916 dans le Canadian Magazine, l’auteure Ethel Cody Stoddard la féliciterait d’avoir utilisé « la tribune et la plume » pour promouvoir l’unité impériale.
Mme FitzGibbon défendait énergiquement la cause des femmes. Elle assista, en 1903, à la convention du National Council of Women of Canada à Victoria, et était membre active de la section de Vancouver du Canadian Women’s Press Club. Elle s’opposait pourtant fermement au suffrage féminin, prise de position peut-être influencée par ses rédacteurs en chef, qui croyaient leurs lecteurs contre le vote des femmes. Elle semble avoir modéré son opinion sur la question avec le temps. En janvier 1918, alors qu’elle vivait à Victoria, elle devint la première présidente de la League for Good Government, organisme qui chapeautait plusieurs groupes de femmes. Au cours du même mois, on lui demanda pourquoi, dans une élection partielle provinciale, la ligue soutenait Walter Drinnan, vétéran de la Première Guerre mondiale, plutôt que son adversaire Mary Ellen Smith [Spear], veuve de l’homme politique Ralph Smith*. Mme FitzGibbon répliqua : « Bien que l’organisation soit loin de s’opposer à ce que les femmes aient des représentantes directes au parlement provincial, nous croyons que le moment psychologique n’est pas venu, que le soldat citoyen est le représentant idéal en cette période. » Des électeurs de l’endroit pensèrent autrement : Smith, qui avait pour slogan Les femmes et les enfants d’abord, l’emporta avec une majorité de 3 500 voix.
Tout au long de sa carrière journalistique, Mme FitzGibbon sépara soigneusement sa vie privée de sa vie publique. Selon l’érudite Marjory Lang, quand des lectrices lui écrivaient pour des conseils personnels, Mme FitzGibbon préférait ne pas partager ses propres expériences, ni répondre directement à leurs demandes. Au lieu de cela, elle « utilisait leurs diverses épreuves comme véhicules pour discourir sur des maux de société d’ordre général ». Dans sa chronique « Driftwood » du 7 mai 1904, par exemple, elle déplorait : « Nous les femmes, grandissons dans une atmosphère qui nous contraint à supprimer toute idée originale […] Il y a tant de répression, tant de “ne fais pas cela, ma chère”, quand nous sommes petites, et tellement de tentatives de nous façonner exactement sur le modèle de nos ancêtres, que nous avons peu de chance de penser et d’exprimer ces réflexions d’une manière susceptible d’intéresser le public. » Mme FitzGibbon cultivait l’image d’une « dame de bonne famille, bien éduquée et de milieu aisé », d’après Marjory Lang, mais en privé, elle luttait pour gagner sa vie et « se trouvait constamment au bord de l’insolvabilité ». Dans sa chronique du 7 mai 1904, Mme FitzGibbon remarquait que les femmes journalistes de Londres avaient cette « apparence usée, préoccupée, qui semble accompagner le travail incessant et les soucis de leur métier ».
Mme FitzGibbon revint au Canada en 1907 et s’installa à Victoria, où elle rédigea quelques récits de voyage sur la « riviera canadienne » pour des publications en Angleterre. Elle se consacra aussi passionnément à une idée qu’elle chérissait depuis sa sensibilisation à la situation pénible des immigrants, sujet de son premier reportage, et particulièrement des femmes immigrantes. Elle approcha lord Strathcona [Smith*], géant du chemin de fer d’origine écossaise et philanthrope légendaire, avec un projet : celui de fonder un foyer où les jeunes femmes britanniques pourraient, à un coût minime, vivre dans un climat tempéré et apprendre à devenir des « maîtresses de maison compétentes », capables d’accomplir des tâches domestiques selon « de bonnes lignes [de conduite], pratiques, simples ». Lord Strathcona accepta de financer le projet et, en 1912, mit sur pied un fonds en fiducie de 100 000 $, utilisé pour l’achat d’une grande résidence au 2412, rue Alder, à Vancouver. Lady Minto [Grey] patronnait le projet, et la reine Mary demanda qu’on nomme le foyer en l’honneur de son couronnement en 1911. Pour Mme FitzGibbon, l’ouverture du Queen Mary’s Coronation Hostel, en 1913, représentait un rêve devenu réalité. « Ce foyer, nota Ethel Cody Stoddard, est unique en son genre dans le monde, fait qui montre que l’individualité de Lally Bernard ne s’est aucunement évaporée avec les années. »
Le profond attachement de Mary Agnes FitzGibbon à la Grande-Bretagne, forgé pendant les années où elle avait vécu en Angleterre et ses nombreux séjours par la suite, lui inspira un fervent désir de renforcer les liens impériaux par le biais de son travail au foyer. Jusqu’à sa mort en 1933, elle demeura présidente de son conseil d’administration, qui supervisait les affaires courantes. Mme FitzGibbon s’occupait de la sélection et de l’admission de chaque pensionnaire, et organisait l’immigration de femmes de bonne famille qui, à son avis, possédaient une éducation de qualité, de belles manières, de la culture et du raffinement. En aidant ces femmes, elle avait trouvé une autre façon de soutenir de nouveaux arrivants au Canada, comme elle l’avait fait maintes années auparavant avec ses articles avant-gardistes sur les doukhobors.
Mary Agnes Bernard (FitzGibbon), ou Lally Bernard de son nom de plume, est l’auteure d’une série d’articles de journaux réimprimés sous le titre The Canadian Doukhobor settlements : a series of letters (Toronto, 1899). Elle a fréquemment écrit pour le Toronto Globe, l’Evening News et le Manitoba Free Press. Les City of Vancouver Arch. (AM54S4-2-CVA 371-1601) conservent une photo numérisée d’elle : searcharchives.vancouver.ca/mrs-clare-fitz-gibbon-founder-of-queen-mary-coronation-hostel;rad.
On confond parfois Mary Agnes Bernard FitzGibbon et Mary Agnes FitzGibbon (1815–1915), auteure de l’ouvrage A trip to Manitoba ; or, roughing it on the line (Toronto, 1880) et petite-fille de Susanna Moodie [Strickland*]. Des biographies des deux femmes figurent dans A. I. Dagg, The feminine gaze : a Canadian compendium of non-fiction women authors and their books, 1836–1945 (Waterloo, Ontario, 2001).
BAC, R233-36-4, Ontario, dist. Toronto (119), sous-dist. quartier St Patrick (G), div. 3 : 17 ; R233-37-6, Ontario, dist. Toronto ouest (118), sous-dist. quartier 4 (B), div. 30 : 17.— BCA, GR-2951, no 1933-09-484181.— City of Vancouver Arch., AM55 (Queen Mary’s Coronation Hostel fonds).— Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours, « Massachusetts marriages, 1841–1915 » : www.familysearch.org/ark :/61903/1 :1 :NW1N-VRS (consulté le 26 févr. 2020).— Globe, 4 mars 1902, 7 mai 1904.— Vancouver Courier, 22 janv. 2015.— Vancouver Daily World, 17 janv. 1918.— A flannel shirt and liberty : British emigrant gentlewomen in the Canadian west, 1880–1914, Susan Jackel, édit. (Vancouver, 1982).— M. L. Lang, Women who made the news : female journalists in Canada, 1880–1945 (Montréal et Kingston, Ontario, 1999).— E. C. Stoddard, « An imperial daughter », Canadian Magazine, 46 (novembre 1915–avril 1916) : 513–515.— Types of Canadian women […], H. J. Morgan, édit. (Toronto, 1903).
Linda Kay, « BERNARD, MARY (May) AGNES (FitzGibbon), dite Lally Bernard », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bernard_mary_agnes_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/bernard_mary_agnes_16F.html |
Auteur de l'article: | Linda Kay |
Titre de l'article: | BERNARD, MARY (May) AGNES (FitzGibbon), dite Lally Bernard |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2023 |
Année de la révision: | 2023 |
Date de consultation: | 11 nov. 2024 |