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CUGNET, FRANÇOIS-JOSEPH, seigneur, juge, procureur général, grand voyer, traducteur officiel et secrétaire français du gouverneur et du Conseil de Québec, greffier du papier terrier et avocat, né à Québec le 26 juin 1720, fils aîné de François-Étienne Cugnet* et de Louise-Madeleine Dusautoy (Dusaultoir), décédé dans cette ville le 16 novembre 1789.
Sur l’enfance et l’adolescence de François-Joseph Cugnet, bien peu de renseignements nous sont parvenus. Il n’apparaît pas avoir fréquenté le collège des jésuites de Québec. Issu d’une famille de robe parisienne – son grand-père paternel, Jean (Jean-Baptiste), et son oncle, Jean-Baptiste Cugnet, avaient professé le droit à l’université de Paris et son père, François-Étienne, avait été avocat au parlement de cette ville avant d’être nommé directeur général du Domaine d’Occident en Nouvelle-France –, François-Joseph fut naturellement attiré par l’étude du droit. Cela est d’autant moins surprenant que l’inventaire des biens de son père révèle une bibliothèque étonnamment riche pour l’époque en traités de droit de toutes sortes, autant civil, criminel que canonique. François-Joseph aussi bien que ses trois frères et sa sœur purent se familiariser dès leur jeune âge avec cette profession. Trois d’entre eux d’ailleurs exercèrent des activités juridiques : François-Joseph, Thomas-Marie, qui devint membre du Conseil supérieur, et Gilles-Louis qui, quoique chanoine, poursuivit en France, où il s’était réfugié au lendemain de la capitulation de Québec, des études de droit jusqu’au niveau doctoral. François-Joseph suivit les cours du procureur général Louis-Guillaume Verrier*, d’octobre 1739, semble-t-il, jusqu’en septembre 1741. De 1741 à 1747, période au cours de laquelle son père connaît les pires ennuis d’argent à cause de la faillite des forges du Saint-Maurice et où ce dernier emploie tous les moyens pour conserver le bail à ferme du poste de Tadoussac, nous perdons toute trace de François-Joseph. Nous le retrouvons à Saint-Domingue (île d’Haïti) où il séjourna à titre d’écrivain de la Marine entre 1747 et 1750. Du 30 septembre au 31 décembre 1751, il fut emprisonné à La Rochelle sous l’accusation d’avoir attaqué Denis Goguet, un ancien fondé de pouvoir à Québec d’un négociant rochelais. À l’été de 1752, après avoir réussi à emprunter 2 400# pour payer sa traversée, François-Joseph revint définitivement à Québec. Cette dette l’obligera non seulement à céder sa part d’héritage sur la maison de son père, mais aussi à renoncer à tous ses droits, tel qu’il apparaît dans la reddition de comptes de sa mère du 5 mai 1753.
À la même époque, le 21 mai 1755, Cugnet se voit refuser, après enquête sur sa conduite, une commission de conseiller assesseur au Conseil supérieur, poste que son frère, Thomas-Marie, avait obtenu le 4 octobre 1754. François-Joseph trouva cependant à mettre en pratique ses notions de droit comme écrivain auprès du bureau de direction du Domaine d’Occident de 1755 à 1758. C’est durant cette période qu’il épousa, le 14 février 1757, à l’âge de 36 ans, à Notre-Dame de Québec, Marie-Josephte de Lafontaine de Belcour, de 20 ans sa cadette. De cette union naquirent cinq enfants dont deux seulement parvinrent à l’âge adulte : Jacques-François, l’aîné, qui fut avocat, cosecrétaire français et cotraducteur avec son père, et Antoine, le cadet, mort célibataire et sans avoir fait beaucoup parler de lui.
De par son mariage avec l’arrière-petite-fille de François Byssot* de La Rivière, Cugnet fut entraîné à défendre la part d’héritage de sa femme sur les seigneuries de l’Île-aux-Œufs, de l’île d’Anticosti, des îles et îlets de Mingan, et principalement sur la seigneurie de Mingan en terre ferme qui fit l’objet d’une longue contestation. L’affaire avait débuté en 1763 par une querelle entre le gouverneur de Québec, James Murray, et le beau-père de Cugnet, Jacques de Lafontaine* de Belcour ; après le décès de ce dernier en 1765, le gendre prit la cause en mains, au moment où une grande partie de la population de la province de Québec, Murray en tête, espérait, grâce au jugement attendu, reconquérir la côte nord du Saint-Laurent et le Labrador qui avaient été rattachés à Terre-Neuve et, par là même, conserver l’exploitation des pêcheries d’hiver qui était fort lucrative. En 1768, Londres refusa de reconnaître les prétentions des héritiers à la seigneurie de Mingan située sur la terre ferme. Ce fut aussi à l’occasion du mariage de François-Joseph que sa mère et ses deux frères se départirent des trois quarts de la seigneurie de Saint-Étienne en sa faveur. C’était opportunément faire justice au titre de seigneur de Saint-Étienne que Cugnet s’arrogeait depuis 1751.
À la toute fin du Régime français, au moment de l’ultime tentative française de reprendre Québec, après la victoire de Sainte-Foy en avril 1760, Cugnet eut maille à partir avec le commandant François de Lévis, qui le garda à vue à bord de l’une de ses frégates. Le gouverneur Vaudreuil [Rigaud] se proposait même d’enquêter sur sa conduite lors de la prise de Québec, en septembre 1759, par suite d’accusations de trahison qui circulèrent sur son compte. Cet épisode assez obscur de la vie de Cugnet reste à éclaircir.
À l’avènement du Régime anglais, Cugnet trouva à exercer une brillante carrière de bureaucrate qu’il n’aurait sans doute jamais pu réussir sous le gouvernement français où il avait été fort peu prisé. Dès décembre 1759, Murray le nommait juge des paroisses de Charlesbourg, de Beauport et de Petite-Rivière ; le 2 novembre 1760, il accédait au poste de procureur général de la côte nord du district de Québec, qu’il occupa pendant quelques années avant de se voir accorder, le 20 novembre 1765, la charge de grand voyer du district de Québec, fonction qu’il garda jusqu’en 1768.
Cugnet ne devait pas tarder à se gagner aussi la confiance et la considération du remplaçant de Murray à la tête du gouvernement colonial, le lieutenant-gouverneur Guy Carleton*. Les connaissances juridiques de Cugnet impressionnèrent également le nouveau procureur général Francis Maseres* qui le jugea « un gentilhomme canadien très ingénieux et habile [...] bien familier avec la Coutume de Paris ». Maseres trouva en ce dernier un collaborateur capable de l’initier aux usages et coutumes de ses compatriotes et en mesure d’interpréter les règlements de l’ancienne administration française. Cugnet sut si bien se faire apprécier qu’il mérita, le 24 février 1768, le poste de traducteur officiel et de secrétaire français du gouverneur et du conseil.
Carleton le mit tout de suite à contribution : à sa demande, Cugnet rédigea un abrégé sommaire des « Coutumes et usages anciens De La Province de Quebec ». Le gouvernement métropolitain ayant ordonné de faire enquête sur l’état des lois et l’administration de la justice dans la colonie, le gouverneur s’empressa d’envoyer l’abrégé au secrétaire d’État pour le département du Sud, lord Shelburne, au printemps de 1768. L’année suivante, Cugnet préparait un « Extrait des Edits, Déclarations, Règlemens, ordonnances, Provisions et Commissions des Gouverneurs Généraux & Intendants, tirés des Registres du Conseil Superieur faisant partie de la Legislature En force dans la Colonie du Canada, aujourd’huy Province de Quebec ».
Mais, entre-temps, s’éleva une controverse au sujet de l’abrégé de Cugnet, qui fit l’objet de critiques et de la part du procureur général Maseres et du juge en chef William Hey. Ceux-ci en jugèrent la forme trop « concise » et la terminologie trop « technique » pour la bonne compréhension des légistes de la couronne. Le gouverneur Carleton décida alors de faire appel à d’autres compétences, dont les abbés Joseph-André-Mathurin Jacrau et Colomban-Sébastien Pressart, du séminaire de Québec, qui entreprirent une nouvelle codification. Ce travail collectif devait aboutir finalement à la publication à Londres, en 1772–1773, de ce qu’on appela l’« Extrait des Messieurs » qui se composait de cinq fascicules dont l’un n’était autre que l’« Extrait des Edits » préparé par Cugnet en 1769. Bien qu’il eût collaboré à cet ouvrage, ce dernier n’en éprouva pas moins une humeur jalouse de s’être fait ravir l’exclusivité de ce travail. En plus d’être blessé dans son amour-propre, il se montra très inquiet face à l’incertitude qui régnait alors quant au sort que la métropole réservait aux anciens usages et coutumes du peuple conquis. Et de fait, jusqu’à l’avènement de l’Acte de Québec qui devait le rassurer et le tranquilliser, Cugnet développa beaucoup d’anxiété mêlée d’agressivité pour défendre les anciennes lois de propriété auxquelles, comme petit seigneur, il tenait par-dessus tout.
Ce fut précisément à la suite de la publication de l’« Extrait des Messieurs » qu’eut lieu la célèbre querelle Cugnet-Maseres qui, aux yeux de l’historien Thomas Chapais*, prit l’allure d’une lutte où Cugnet – « ce Canadien de cœur comme de berceau » – fit figure de « champion national » pour la défense et la conservation des droits de ses compatriotes. L’ancien procureur général, étant retourné en Angleterre après trois ans de séjour au Canada, continuait de s’intéresser aux affaires canadiennes. C’est ainsi qu’il fit publier à Londres à ses frais, en août 1772, un projet de loi intitulé Draught of an act of parliament for settling the laws of the province of Quebec. Ce projet recommandait l’adoption de l’« Extrait des Messieurs » comme code civil de la province, tout en prévoyant la possibilité d’y introduire certaines parties de la loi anglaise. Maseres proposait notamment de modifier les lois de succession, selon un mode qu’il considérait comme « un adoucissement » à la loi de primogéniture.
Lorsque Cugnet prit connaissance de ce projet, il ne put contenir sa colère et il formula des critiques que Maseres jugea « envenimées ». Il s’éleva contre l’adoption de l’« Extrait des Messieurs » comme unique code civil de la province sans recours aux différents traités et commentaires des légistes français, et il s’opposa violemment aux changements proposés dans les lois de succession, invoquant des principes de justice naturelle pour justifier le mode de partage des terres en vertu du système seigneurial. « Si le Gouvernement Britannique, y déclarait-il péremptoirement, imposait à ses nouveaux sujets, contre leur consentement, ces loix nouvelles [de succession], il serait plus dur que le gouvernement Turc. » Et Cugnet n’hésita pas à prévenir le célèbre juriste William Blackstone contre Maseres, osant affirmer que ses compatriotes avaient toujours considéré l’ancien procureur général « comme leur Enemy Juré ». Piqué au vif, Maseres, ce whig de cœur et d’esprit, grand admirateur et défenseur de la constitution et des lois anglaises, tout autant que farouche partisan et adepte zélé de la religion protestante, s’employa, dans son Mémoire à la défense d’un plan d’acte de parlement pour l’établissement des loix de la province de Québec [...], paru à Londres en août 1773, à réfuter point par point les objections soulevées par Cugnet. Ce mémoire, dont la majeure partie était consacrée à la question du changement proposé de la loi de primogéniture, nous éclaire sur les idées bien arrêtées de ce dernier. Ayant accepté de devenir sujet britannique, dans l’espoir de conserver « L’Entière paisible propriété et possession » de tous ses biens (selon les termes mêmes des articles de la capitulation de 1760), Cugnet se montra déterminé à résister de son mieux aux « attentats » pour l’en priver. Jugeant que le système seigneurial lui offrait la meilleure garantie de protection et voyant dans toute tentative de changement un danger d’usurpation, il s’acharna à défendre la cause des anciennes lois de propriété afin de mieux revendiquer la conservation de ses droits sur sa propre seigneurie de Saint-Étienne. Toute cette polémique entre l’ancien procureur général et le secrétaire français du gouverneur n’empêcha pas Maseres, lorsqu’il fut appelé à témoigner devant le comité de la chambre des Communes, au moment des débats sur le « bill de Québec », de citer à plusieurs reprises le nom de Cugnet à l’appui de ses affirmations.
Dans le climat d’incertitude qui régnait alors dans la colonie, seule la crainte de voir « le Roi altérer et changer, à sa volonté, les anciennes lois de tout pays conquis » incita Cugnet à envisager l’établissement d’une chambre d’Assemblée formée des représentants de la classe seigneuriale, afin d’avoir la garantie que les anciennes lois de propriété ne seraient pas modifiées sans le consentement des principaux intéressés à leur conservation. D’une activité débordante, en cette période d’effervescence qui marqua l’avènement de l’Acte de Québec, Cugnet s’occupa à rédiger une circulaire, à la fin de 1774, sous le pseudonyme de « Le Canadien Patriote », afin de mettre en garde ses compatriotes contre les démarches et les cabales de ceux qui, parmi les marchands anglais tels Thomas Walker et Isaac Todd*, « travaillaient » à les indisposer et à susciter leur mécontentement ; « Il faut que ces gens-là nous croyent bien bouchés et bien aveugles sur nos propres intérêts, pour nous proposer de nous opposer à un acte [...] qui nous accorde ce que nous demandions, le libre exercice de nôtre religion, l’usage de nos anciennes loix, l’extension des limites de nôtre province. » Une fois soulagé de ses inquiétudes par l’Acte de Québec, le seigneur de Saint-Étienne s’en montra si pleinement satisfait qu’il s’opposa à tout changement de régime. Il partagea l’opinion de son fils, Jacques-François, qui considérait comme « fous » les « réformateurs » canadiens qui, après 1783, prirent la tête d’un mouvement favorisant l’appel au peuple en vue de la formation d’un gouvernement représentatif où les lois seraient soumises « au caprice d’une ignorante majorité ».
Tout en préparant la traduction de l’Acte de Québec, dont le texte français paraîtra dans le numéro du 8 décembre 1774 de la Gazette de Québec, Cugnet s’occupa activement à la compilation de ses quatre traités de droit civil français, qui allaient être les premiers publiés au Canada. Le gouverneur Carleton lui-même subventionna la publication de ces ouvrages, comme en font foi les livres de comptes de l’imprimeur William Brown. C’est surtout grâce à ces traités que Cugnet s’attira une certaine notoriété, et l’on doit lui savoir gré d’avoir exposé l’application de la Coutume de Paris dans la colonie.
Le seigneur de Saint-Étienne ne pouvait faire abstraction de ses convictions, de ses préoccupations et de ses prétentions qui lui firent accorder une place capitale aux lois de propriété et à la tenure seigneuriale. Il identifia volontiers Sa Majesté britannique à un souverain seigneur à qui ses vassaux canadiens devaient rendre foi et hommage en son château Saint-Louis de Québec. Sur la base d’une telle conception féodale de l’organisation de la société coloniale, Cugnet n’eut pas de peine à faire partager et endosser ses vues par le gouverneur Carleton. Ce dernier plaida avec force arguments auprès des autorités métropolitaines la cause du maintien du système seigneurial, y voyant le plus sûr moyen, non seulement de gagner à la couronne britannique le « ferme attachement » des seigneurs canadiens et de leurs censitaires, mais aussi de faire régner dans la colonie l’ordre et la subordination depuis le rang « le plus élevé jusqu’au plus humble ».
À un si bon collaborateur qui, par sa plume, servait de caution à la domination de la couronne britannique sur la colonie tout en favorisant la consolidation du pouvoir de l’autorité coloniale, le gouverneur ne pouvait marchander les faveurs du nouveau régime. C’est ainsi qu’après avoir rétabli la fonction de greffier du papier terrier en 1777, sir Guy Carleton désigna nul autre que son secrétaire français pour la remplir, sans trop se préoccuper du conflit d’intérêts qui pouvait surgir dans l’exercice de ces deux charges. En effet, comme greffier, Cugnet devait certifier la valeur des documents présentés par les seigneurs, alors que, comme secrétaire, il avait à enquêter pour découvrir leur authenticité. Il n’y a donc pas lieu de se surprendre si Cugnet chercha à profiter de cette situation pour faire valoir ou pour revendiquer ses propres droits seigneuriaux et ceux des membres de sa famille, notamment dans le cas de la seigneurie de Mingan en terre ferme. Il dut même essuyer un échec cinglant lorsqu’il tenta vainement, en 1781, de faire reconnaître ses prétentions et celles des cinq coseigneurs d’Anticosti, des îles et îlets de Mingan et de la terre ferme de Mingan par le gouverneur Frederick Haldimand et le procureur général James qui refusèrent de signer leur acte de foi et hommage.
L’une des dernières faveurs que Cugnet put obtenir de Carleton, avant le remplacement de celui-ci par Haldimand, fut de recevoir, le 1er mai 1777, en même temps que son fils Jacques-François, âgé de moins de 20 ans, sa commission d’avocat. C’était reconnaître officiellement le titre d’« avocat en Parlement » que Cugnet s’attribuait depuis 1771. À vrai dire, sa réputation n’était plus à faire et ses opinions juridiques étaient fort recherchées, de telle sorte qu’il joua le rôle d’avocat consultant bien avant de recevoir sa commission. Le gouverneur Haldimand lui-même, lors de son célèbre procès contre John Cochrane [V. James Dunlop*], usa d’un argument fourni par cet expert en droit français et gagna sa cause en 1783. Cugnet en retira, évidemment, une gloire personnelle.
Durant la dernière période de sa vie, Cugnet ne manifesta plus cet esprit combatif qui l’avait fait naguère se porter avec tant d’acharnement à la défense de ses droits seigneuriaux et de ceux de ses compatriotes. Depuis qu’il avait acquis, en vertu de l’Acte de Québec, l’assurance de conserver son titre de seigneur de Saint-Étienne, il n’éprouvait plus le besoin de se montrer vindicatif. C’est ce qui explique qu’il ne prit pas une part vraiment active dans la lutte qui opposa, de 1784 à 1789, les partisans d’un changement de constitution aux défenseurs du régime établi en 1775. Il se contenta d’épouser la cause de ces derniers dont les principaux porte-parole se recrutaient parmi les seigneurs.
Après une vie publique exaltante et bien remplie, Cugnet connut une fin de carrière assombrie par des procès et des poursuites judiciaires. Le 27 septembre 1783, il intenta un procès contre les héritiers de sa sœur et contre l’exécuteur testamentaire de sa mère, Michel-Amable Berthelot* Dartigny ; il contestait le testament de cette dernière dans l’espoir de soutirer de la succession un montant plus élevé que celui que la testatrice lui avait laissé. Connaissant ses embarras d’argent, sa mère avait voulu protéger la part du capital qu’elle destinait à ses petits-fils et n’en donner que l’usufruit à son fils aîné, François-Joseph. Insatisfait, Cugnet alla même jusqu’à prétendre à l’héritage de son père, auquel il avait dû renoncer par la force des choses en 1753, et à vouloir s’arroger la part de ses deux frères maintenant décédés, Gilles-Louis et Thomas-Marie. Le tout tourna à son désavantage et il dut renoncer à toutes ses prétentions en 1784 ; en 1786, c’est le juge Pierre Panet* qui eut à arbitrer le litige concernant les droits que Cugnet revendiquait sur la seigneurie de Saint-Étienne aux dépens des héritiers de sa sœur. François-Joseph, dans toutes ces causes, se montra chicanier, intéressé, capable de profiter de ses fonctions officielles pour faire dire aux anciens registres ce qui lui plaisait.
Ce sont les ennuis d’argent qui empoisonnèrent la fin de son existence. Criblé de dettes, Cugnet ne réussit pas à apaiser son dernier créancier, Michel-Eustache-Gaspard-Alain Chartier* de Lotbinière, qui le poursuivait au nom de la succession de Louis-Joseph Godefroy de Tonnancour. De 1786 à 1789, Cugnet échangea avec son créancier une intéressante correspondance. Les écrits de Cugnet à titre personnel sont fort précieux pour la connaissance du personnage. Cette correspondance, tout comme ses « Observations succintes » de 1786 concernant la seigneurie de Saint-Étienne, et tous les documents relatifs à ses nombreux procès sont de ceux qu’il faut parcourir : il s’y révèle tantôt arrogant, tantôt désespéré, toujours possédé par la folie des grandeurs qui fut la cause de ses malheurs et déboires.
Le 29 mai 1788, Cugnet eut la joie de voir son fils, Jacques-François, nommé par le gouverneur Carleton, devenu lord Dorchester, au poste de cosecrétaire et cotraducteur du gouverneur et du Conseil de Québec. La succession du premier secrétaire français était assurée.
Cugnet s’éteignit à Québec le 16 novembre 1789. Ses funérailles eurent lieu à Notre-Dame de Québec, là même où il avait été baptisé et où il s’était marié. Le seigneur de Saint-Étienne eut l’honneur d’être inhumé sous son banc, selon la coutume, le 18 novembre suivant. Le nom de Cugnet au Canada devait bientôt disparaître, les deux fils de François-Joseph étant morts sans descendance.
C’est de février à mai 1775 que parurent chez William Brown, à Québec, les quatre traités de droit civil français rédigés par François-Joseph Cugnet, portant les titres suivants : Traité abrégé des ancienes loix, coutumes et usages de la colonie du Canada [...] ; Traité de la loi des fiefs [...] ; Traité de la police [...] ; Extraits des édits, déclarations, ordonnances et règlemens, de Sa Majesté Très Chrétienne [...]. Ces traités nous montrent que l’élève Cugnet suivit l’exemple de son maître, le procureur général Louis-Guillaume Verrier, qui s’attachait à l’aspect pratique du droit plutôt qu’à son aspect théorique. Ils furent l’œuvre d’un bureaucrate intelligent et opportuniste qui sut mettre à profit ses connaissances juridiques et son expérience acquise dans diverses fonctions ; mais on ne peut que regretter que Cugnet ne prît pas la peine de rédiger avec soin certains d’entre eux qui apparaissent plutôt bâclés et superficiels. Par contre, les deux ouvrages traitant des lois municipales mériteraient une étude attentive, en comparant la copie envoyée à Blackstone en 1773 avec celle de 1775. Il serait intéressant de découvrir quelle importance les contemporains de Cugnet attachèrent à ses écrits, mais malheureusement les documents d’époque sont muets à ce
AN, Col., B, 72, f.48 ; C11A, 72, f.228 ; 75, f.166 ; E, 101 (dossier Cugnet).— ANQ-M, Doc. jud., Cour des plaidoyers communs, Registres, 8 août 1781–11 mai 1785, 1786.— ANQ-Q, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 27 juin 1720, 14 févr. 1757, 18 nov. 1789 ; Greffe de Nicolas Boisseau, 28 août 1742 ; Greffe de P.-L. Descheneaux, 2–4 sept. 1783, 1er–22 déc. 1785 ; Greffe de J.-C. Panet, 5 mai 1753 ; NF 2, 40, f.108 : NF 11, 67, ff.67v., 154v., 159 ; 68, ff.7, 12, 41, 128v. ; QBC 16, 1, ff.355–361.— APC, MG 11, [CO 42] Q, 1, pp.186–189 ; 2, pp.1s., 104, 111–125 ; 5, pp.316–322, 432, 477–481, 482–559 ; 56, pp.352–387 ; RG 68, 89, ff.113, 175 ; 90, ff.64, 78 ; 91, f.207.— ASQ, Polygraphie, V : 52a.— AUM, P 58, Corr. générale, J.-F. Cugnet à P.-P. Margane de Lavaltrie, 1er févr. 1787.— BL, Add. mss 21 719, f.47v. ; 21 873, f.293v. ; 21 883, ff.75–75v.— McGill University Libraries, Dept. of Rare Books and Special Coll., ms Coll., CH9.S44 ; CH191.S169 ; CH243.S221b.— PRO, CO 42/1, pp.224–360 ; 42/5, pp.13, 15–17 ; 42/6, pp.93s. (copies aux APC).— Bégon, Correspondance (Bonnault), ANQ Rapport, 1934–1935, 160.— Coll. des manuscrits de Lévis (Casgrain), VIII : 169, 180 ; IX : 94.— Docs. relating to constitutional history, 1759–1791 (Shortt et Doughty ; 1918), I : 288–291, 299–301.— G.-B., Parl., Debates of the House of Commons in the year 1774, on the bill for making more effectual provision for the government of the Province of Québec, drawn up from the notes of Sir Henry Cavendish [...] (Londres, 1839 ; réimpr., [East Ardsley, Angl. et New York], 1966).— [Francis Maseres], An account of the proceedings of the British, and other Protestant inhabitants, of the Province of Quebeck, in North-America, in order to obtain an House of Assembly in that province (Londres, 1775) ; Additional papers concerning the Province of Quebeck : being an appendix to the book entitled, An account of the proceedings of the British and other Protestant inhabitants of the Province of Quebeck in North America, [in] order to obtain a House of Assembly in that province (Londres, 1776) ; Maseres letters (Wallace), 99s., 103 ; Things necessary to be settled in the Province of Quebec, either by the king’s proclamation, or order in council, or by act of parliament [Londres, circa 1772].— Rapports sur les lois de Québec, 1767–1770, W. P. M. Kennedy et Gustave Lanctot, édit. (Ottawa, 1931), 11.— F.-J. Audet, Commissions d’avocats de la province de Québec, 1765 à 1849, BRH, XXXIX (1933) : 578.— P.-V. Charland, Notre-Dame de Québec : le nécrologe de la crypte, BRH, XX : 249.— P.-G. Roy, Inv. concessions, III : 198s. ; Inv. ins. Prév. Québec, I : 185 ; III : 127, 130 ; Inv. jug. et délib., 1717–1760, V : 279 ; VI : 32 ; Inv. ord. int., III : 188 ; Inv. procès-verbaux des grands voyers, I : 176–192 ; V : 96–141, 158.— Brunet, Les Canadiens après la Conquête. Sous la plume de cet historien, Cugnet prend figure de « précurseur de la démocratie parlementaire au Québec ». Une telle représentation du personnage ne peut se comprendre que par un découpage de la réalité historique sur la base d’une documentation fragmentaire et tronquée faisant abstraction des motivations profondes qui poussèrent Cugnet à prendre certaines initiatives au nom des « Canadiens Vrais Patriotes » avant que l’Acte de Québec ne vienne calmer les vives appréhensions de ce seigneur de Saint-Étienne [p. t. et .].— Burt, Old prov. of Que.— Thomas Chapais, Cours d’histoire du Canada (8 vol., Québec et Montréal, 1919–1934), I : 126s.— Gonzalve Doutre et Edmond Lareau, Le droit civil canadien suivant l’ordre établi par les codes [...] (Montréal, 1872).— Adélard Gascon, L’œuvre de François-Joseph Cugnet ; étude historique (thèse de m.a., université d’Ottawa, 1941).— Roger Huberdeau, François-Joseph Cugnet, jurisconsulte canadien ; essai historique (thèse de bio-bibliographie, université de Montréal, 1947).— Edmond Lareau, Histoire du droit canadien depuis les origines de la colonie jusqu’à nos jours (2 vol., Montréal, 1888–1889).— Neatby, Administration of justice under Quebec Act.— Leland, François-Joseph Cugnet, Revue de l’université Laval, XVI–XXI ; Jean-Baptiste Cugnet, traître ? Revue de l’université d’Ottawa, XXXI (1961) : 452–463 ; Histoire d’une tradition : « Jean-Baptiste Cugnet, traître à son roi et à son pays », 479–494. Ces articles, qui mériteraient d’être regroupés en un volume, sont le fruit d’une longue, patiente et minutieuse recherche. Ils constituent la seule étude fouillée existant sur ce personnage que l’auteur suit à la trace à travers une abondante documentation de sources premières provenant des grandes collections d’archives historiques. On ne peut que savoir gré à cette spécialiste de la littérature française d’avoir su si bien se documenter sans pour autant prétendre faire œuvre d’historien [p. t. et .].— André Morel, La réaction des Canadiens devant l’administration de la justice de 1764 à 1774, La Revue du Barreau de la prov. de Québec (Montréal), XX (1960) : 53–63.— Benoît Robitaille, Les limites de la terre ferme de Mingan, BRH, LXI (1955) : 3–15.— P.-G. Roy, Les grands voyers de la Nouvelle-France et leurs successeurs, Cahiers des Dix, 8 (1943) : 215–217.
Pierre Tousignant et Madeleine Dionne-Tousignant, « CUGNET, FRANÇOIS-JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/cugnet_francois_joseph_4F.html.
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Auteur de l'article: | Pierre Tousignant et Madeleine Dionne-Tousignant |
Titre de l'article: | CUGNET, FRANÇOIS-JOSEPH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 2024 |
Date de consultation: | 4 nov. 2024 |