DEJEAN (Dijean, Dysan, Deian), PHILIPPE (Philip), marchand, notaire, fonctionnaire et juge, né le 5 avril 1736 dans la paroisse Saint-Étienne, à Toulouse, France, fils de Philippe Dejean, officier de justice, et de Jeanne de Rocques de Carbouere ; le 12 janvier 1761, il épousa à Montréal Josette (Marie-Joseph) Larchevêque, puis en secondes noces Marie-Louise Augé, et de ce mariage naquirent trois enfants, et finalement, le 25 novembre 1776, à Detroit, Théotiste Saint-Cosme, et le couple eut deux fils ; décédé en ou après 1809.
Le premier document signalant la présence de Philippe Dejean dans le Nouveau Monde est son certificat de mariage datant de 1761. L’historien Clarence Monroe Burton, qui a écrit sur Detroit, présumait qu’il avait quitté la France en 1760 pour échapper à ses créanciers, mais on ne possède aucun document sur les premières années de sa vie. En octobre 1766, il exerçait la profession de marchand à Detroit. La Proclamation royale de 1763, qui avait institué un gouvernement civil dans la province de Québec, avait tracé les frontières de la province juste à l’ouest de la rivière des Outaouais, mais « le territoire indien » au delà de ces limites demeurait régi par la loi martiale, la justice y étant administrée par les commandants des divers postes. Avec ses centaines de colons et sa vie commerciale active, Detroit s’accordait mal avec ce type de structure. Ses commandants essayaient de s’acquitter de leur lourd travail d’ordre juridique en déléguant leurs responsabilités. Dejean fut ainsi nommé en avril 1767 juge de paix, notaire, tabellion et grand encanteur par le capitaine George Turnbull. Ses pouvoirs de juge de paix étaient étroitement délimités : il pouvait recevoir les témoignages sous serment et nommer un des membres de tout conseil formé pour régler un conflit par arbitrage, mais il ne devait « rendre aucun jugement ou sentence définitive ». Les jugements par arbitrage ne convenaient pas aux besoins des marchands de Detroit et, en juillet, un tribunal provisoire fut constitué qui devait « siéger deux fois par mois [...] pour juger toutes les actions se rapportant aux dettes, obligations, effets de commerce, contrats et infractions de plus de cinq livres, cours de New York ». Dejean fut nommé juge de ce tribunal la même année.
L’Acte de Québec de 1774 incorpora Detroit dans la juridiction du gouvernement civil de la province, et le gouverneur Guy Carleton fut chargé d’établir une cour du banc du roi pour cet établissement et ses environs. Cependant, la Révolution américaine éclata, retardant considérablement la mise en vigueur de cette mesure. Entre-temps, Henry Hamilton*, lieutenant-gouverneur nommé pour Detroit et la région, semble avoir continué d’appliquer les dispositions judiciaires élaborées lorsque la région était sous le coup de la loi martiale. Il reconnut Dejean comme juge de paix et approuva tacitement l’extension de sa juridiction au delà des limites reconnues par le droit anglais. Au lieu de toujours envoyer les accusés à Montréal, Dejean constitua des jurys, tint des procès et condamna, semble-t-il, plusieurs personnes à la pendaison. On dit même qu’il aurait révoqué, parce qu’il n’était pas d’accord, certains verdicts rendus par des jurys. En 1775 et 1776, toute l’attention du gouverneur Carleton était accaparée par l’invasion de la province par les Américains, mais en février 1777, il envoya une lettre d’avertissement à Hamilton : le lieutenant-gouverneur avait reçu une commission de juge de paix, et c’est lui qui devait signer les mandats et non pas Dejean, « dont l’autorité n’[y était] pas reconnue ». À l’automne de 1778, une déclaration émanant d’un jury d’accusation de Montréal signalait que Dejean avait « accompli divers actes injustes, illégaux, tyranniques et criminels » et que Hamilton avait « toléré, supporté et permis ces choses ». L’affaire fut renvoyée à lord George Germain, secrétaire d’État aux Colonies américaines, qui se déclara prêt à excuser leurs agissements si aucune injustice sérieuse n’avait été commise ; comme le nouveau gouverneur Haldimand, il croyait que la situation en temps de guerre justifiait les illégalités portant uniquement sur la forme.
Pendant ce temps, l’arrivée dans le pays des Illinois des forces rebelles aux ordres de George Rogers Clark avait incité Hamilton à y mener une contre-offensive à l’automne de 1778. Soucieux d’obtenir une déclaration du lieutenant-gouverneur reconnaissant qu’il avait suivi les ordres, Dejean accompagna les renforts qui quittèrent Detroit en février 1779 en direction du fort Sackville (Vincennes, Indiana), où Hamilton passait l’hiver. Une attaque surprise de Clark conduisit à la prise du fort et à l’interception des renforts. Dejean, de même que Hamilton et plusieurs autres, fut fait prisonnier et envoyé en Virginie. Arrivé à Williamsburg en juin, il fut libéré sur parole après quatre mois d’emprisonnement et retourna à Vincennes. Le 28 juin 1780, il écrivit au commandant de Detroit et à Haldimand, demandant qu’on permette à sa famille de venir le rejoindre à Vincennes. Toujours inquiet de son statut juridique, il profita de l’occasion pour réaffirmer qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres dans l’exercice de ses fonctions judiciaires. Haldimand rejeta sa requête et n’écrivit rien qui pût calmer l’esprit de Dejean quant à son statut juridique.
Les entrées dans les grands livres de la firme Macomb, Edgar, and Macomb de Detroit suggèrent qu’en novembre 1780 Dejean était de retour dans la ville et qu’il exerça la profession de marchand jusqu’en janvier 1782. Il est difficile de suivre ses déplacements après cette date. Une lettre envoyée de Normandie en 1786 à l’intention du gouverneur James Bowdoin, du Massachusetts, mentionne que Dejean était retourné en France, où il avait été pendant un certain temps « fort estimé » du marquis de La Fayette, et qu’il avait l’intention de revenir s’établir à Boston. Par ailleurs, en juillet 1790, les procès-verbaux du tribunal qui avaient trait à la nomination d’un curateur de ses biens signalent qu’il avait quitté la région de Detroit en 1789 et vécu par la suite à l’extérieur des colonies britanniques, sans informer personne de son lieu de résidence. Il était de retour à Vincennes en août 1790, et il est possible qu’il se soit marié une quatrième fois, Théotiste Saint-Cosme étant morte en 1788. Des documents se rapportant principalement à des droits de propriété montrent que son nom continua d’être associé avec cet établissement jusqu’en 1809. Aucun document connu ne fait mention de sa mort.
La tradition locale à Detroit est hostile à Philippe Dejean. William W. Potter reflète bien cette attitude en dépeignant Dejean comme « un faiseur, un pieux gaffeur qui était prêt à envoyer sans délai n’importe quel suspect à la potence pour la rétribution qu’il pouvait en retirer ». Sa réputation aux États-Unis fut sans aucun doute ternie par son association avec Henry Hamilton, que les historiens américains critiquèrent sévèrement pour avoir utilisé des Indiens alliés aux Britanniques contre les établissements de pionniers pendant la Révolution américaine. Bien que les témoignages suggèrent effectivement que Dejean était soucieux de son rang et avait tendance à outrepasser les limites de sa juridiction, il faut tenir compte, avant de le condamner, du contexte politique et juridique exceptionnel dans lequel il dut s’acquitter de ses responsabilités.
Archdiocese of Detroit, Chancery Office, Reg. des baptêmes, mariages et sépultures de Sainte-Anne (Detroit), 2 févr. 1704–30 déc. 1848 (transcription à la DPL, Burton Hist. Coll.).— Arch. municipales, Toulouse, France, État civil, Saint-Étienne (Toulouse), 5 avril 1736.— DPL, Burton Hist. Coll., Detroit notarial papers, 1737–1795, A-D-2 ; Macomb, Edgar, and Macomb, ledgers, 1778–1782.— Knox County, Indiana : early land records and court indexes, 1783–1815, J. B. Barekman, compil. (3 vol. en 1, Chicago, 1973).— Mich. Pioneer Coll., 3 (1880) : 17, 22s. ; 9(1886) : 346, 437, 463, 469, 505, 508s., 513, 647, 649 ; 10 (1886) : 293s., 336, 410 ; 19 (1891) : 548–551.— The territorial papers of the United States, C. E. Carter et J. P. Bloom, compil. (28 vol. parus, Washington, 1934– ; réimpr. des vol. 1–26 en 25 vol., New York, 1973), 7 : 336s.— Windsor border region (Lajeunesse).— Wis., State Hist. Soc., Coll., 10 (1888) : 433.— The city of Detroit, Michigan, 1701–1922, C. M. Burton et al., édit. (5 vol., Detroit et Chicago, 1922).— Christian Denissen, Genealogy of the French families of the Detroit River region, 1701–1911, H. F. Powell, édit. (2 vol., Detroit, 1976).— Silas Farmer, The history of Detroit and Michigan [...] (2e éd., 2 vol., Detroit, 1889).— W. R. Riddell, Michigan under British rule : law and law courts, 1760–1796 (Lansing, Mich., 1926).— Peter Marshall, « Imperial policy and the government of Detroit : projects and problems, 1760–1774 », Journal of Imperial and Commonwealth Hist. (Londres), 2 (1973–1974) : 153–189.— W. W. Potter, « Michigan’s first justice of the peace », Mich. Hist. Magazine (Lansing), 6 (1922) : 630–641.
Équipe de la Burton Historical Collection, « DEJEAN (Dijean, Dysan, Deian), PHILIPPE (Philip) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 15 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dejean_philippe_5F.html.
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Auteur de l'article: | Équipe de la Burton Historical Collection |
Titre de l'article: | DEJEAN (Dijean, Dysan, Deian), PHILIPPE (Philip) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 15 oct. 2024 |