DENYS DE VITRÉ, THÉODOSE-MATTHIEU, capitaine de navire et pilote, baptisé à Québec le 8 novembre 1724, fils de Guillaume-Emmanuel-Théodose Denys de Vitré et de Marie-Joseph Blaise Des Bergères de Rigauville, petit fils de Paul Denys* de Saint-Simon, décédé en 1775 en Angleterre.

Il est probable que Théodose-Matthieu Denys de Vitré, fils d’un capitaine de navire, prit très tôt la mer. En 1746, un an avant d’obtenir « ses lettres d’émancipation et bénéfice d’âge », il commanda un bateau monté de 12 hommes qu’on envoyait ravitailler les troupes en Acadie. Dans les années 50, navigua régulièrement entre Bordeaux et Québec, commandant en 1752 l’Angélique, propriété de Guillaume Estèbe, et en 1756 la Renommée, de 350 tonneaux, propriété de l’homme d’affaires bordelais Abraham Grades. Sur la voie du retour en Nouvelle-France, à bord de la Renommée en 1757, fut intercepté par un croiseur anglais et fait prisonnier.

Les seuls renseignements que nous possédions sur les événements survenus entre sa capture et son apparition devant Québec, en 1759, avec l’avant-garde de la flotte britannique viennent de Vitré lui-même. Quelques années après sa sortie de prison, il écrivit un mémoire par lequel il cherchait à regagner le crédit dont il avait déjà joui en France. Certaines parties de son récit, dans lequel il se donne du marquis de Vitré et prétend avoir servi dans la marine française, sont remplies de tant de faussetés qu’on ne doit user de ses propos qu’avec prudence. Selon lui, après sa capture en 1757, il fut logé avec d’autres officiers français à Alresford, Hampshire, où les Britanniques lui proposèrent de piloter la flotte d’invasion jusqu’à Québec. Dissuadé par un officier supérieur de la marine française de tenter de s’évader, il fit cependant prévenir Gilles Hocquart, alors intendant à Brest, et d’autres fonctionnaires français, qui arrangèrent un échange de prisonniers. Les Français envoyèrent deux officiers britanniques en Angleterre, en février 1758, mais les Britanniques refusèrent de remettre Vitré, qui fut dès lors placé sous surveillance constante. Ce récit paraît douteux, Vitré n’ayant point un rang élevé parmi les capitaines de navire. Qu’on l’ait soumis à de très fortes pressions pour qu’il consentît à aider l’ennemi, comme il l’a affirmé par la suite, cela est bien possible ; mais, plus vraisemblablement, il décida de tirer le meilleur parti d’une situation difficile et accorda sa collaboration.

Quoi qu’il en soit du cas particulier de Vitré, il est certain que, en prévision de la campagne prochaine, les Britanniques s’affairaient à rassembler des pilotes connaissant la route de Québec. Pendant l’automne de 1758, le contre-amiral Philip Durell*, qui avait été laissé avec une flotte à Halifax, rassembla, en les tirant de Louisbourg, île du Cap-Breton, et de différents établissements de la Gaspésie – Gaspé, Mont-Louis et Grande-Rivière – au moins 17 pilotes français auxquels le fleuve et le golfe Saint-Laurent étaient familiers. En mars 1759, le vice-amiral Saunders demandait aux gouverneurs de New York et du Massachusetts de lui envoyer tout pilote au fait de la navigation sur le Saint-Laurent. Un certain nombre furent tirés des prisons d’Angleterre. Vitré fut envoyé à Halifax sur le Neptune, vaisseau amiral de la flotte britannique. À cause de la connaissance poussée qu’il avait de la rive sud du Saint-Laurent, il fut transféré à l’escadron d’avant-garde sous les ordres de Durell, et, au cours des mois de mai et juin, les navires firent voile à destination de Québec.

Vitré affirma plus tard qu’on l’avait presque immédiatement retourné, toujours prisonnier, en Angleterre, et qu’en 1760, on l’avait ramené au Canada, sous le prétexte qu’on lui permettrait d’être dédommagé de ses pertes. En 1763, dans une requête au Conseil privé de Grande-Bretagne pour obtenir de l’aide, il rapporte avoir piloté des navires de guerre et des transports sur le Saint-Laurent à l’été de 1759 et avoir, l’année suivante, servi comme pilote de l’escadre envoyée, sous les ordres du commodore Robert Swanton*, au secours du général de brigade James Murray à Québec. Il ajoute que « ses services en ces occasions étaient trop connus pour qu’il lui fût possible de retourner en France ». Saunders affirma, à l’appui de sa cause, qu’il « avait montré un grand zèle et une grande application dans l’accomplissement de ses tâches et que bon nombre de ses services avaient été d’un poids considérable dans le succès de l’expédition contre Québec ».

Vitré ne parait pas avoir souhaité s’établir au Canada. En 1763, le Conseil privé, sur la recommandation de Saunders, lui accorda l’autorisation de ramener sa famille de France en Angleterre (il avait épousé, en 1755, une femme issue d’une famille bordelaise) et lui assura une pension annuelle de £200, augmentée de £50 l’année suivante. Si l’on considère que les autres pilotes canadiens ne reçurent que £15, et qu’Augustin Raby, l’un des principaux pilotes de la flotte d’invasion, reçut une pension à vie de cinq shillings par jour, on ne peut guère douter que Vitré ait apporté une collaboration plus importante que le fait de piloter un seul navire britannique.

Le fils de Vitré, John, devint lieutenant dans la marine royale et servit aux Antilles et en Inde. Peu après la mort de son père, en 1775, il tenta d’obtenir, du gouvernement britannique, réparation pour les pertes subies par son père, qu’il estimait à £10 000. Ce chiffre semble être fondé sur les affirmations sujettes à caution de Vitré lui-même, selon qui ses pertes subies en France et au Canada se seraient élevées à 235 000#. On ignore si une quelconque compensation fut jamais accordée.

J. S. Pritchard

F.-X. Garneau, Hist. du Canada (H. Garneau ; 1913–1920), II : 230, et Francis Parkman, Montcalm and Wolfe (2 vol., Londres, [1908]), II : 130, ont confondu Théodose-Matthieu Denys de Vitré avec son fils John. Cette erreur, née d’une mauvaise lecture du « Mémorial du lieutenant John Denis de Vitré au Très Honorable William Pitt », Siège de Québec en 1759 [...] (Québec, 1836 ; réédité à Québec en 1972 dans le Siège de Québec en 1759 par trois témoins, J.-C. Hébert, édit., 51–123, 130), a entraîné une confusion durable. Stanley, New France, 203, s’accommode de cette erreur, affirmant que « le dernier bateau envoyé par Gradis au Canada en 1759 fut capturé par les Britanniques à son retour et [que] son capitaine Jean Denis de Vitré, menacé de pendaison, se vit contraint de piloter les vaisseaux transportant l’armée de Wolfe aux murs de Québec ». La différenciation entre le père et le fils avait pourtant été établie par Philéas Gagnon, « Le sieur de Vitré », BRH, III (1897) : 178–186, mais Æ. Fauteux, l’éditeur du « Journal du siège de Québec », ANQ Rapport, 1920–1921, 146, n.85, est l’un des rares historiens à faire usage de cette information.  [j. s. p.]

AD, Gironde (Bordeaux), 6B, 100, f.56v. ;102, ff.5v., 73 ; 272 ; 402 ; 409 ; 412.— AN, Col., C11A, 51, ff.103s. ; 118, ff.77–78 ; F2b, 2.— ANQ-Q, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 22 sept. 1722, 8 nov. 1724.— Commission de pilote côtier à Louis Roberge, de l’île d’Orléans, BRH, XXIII (1917) : 56.— Despatches of Rear-Admiral Philip Durell, 1758–1759, and Rear-Admiral Lord Colville, 1759–1761, C. H. Little, édit. (Halifax, 1958).— G.-B., Privy Council, Acts of P.C., col., 1745–66, 565.— [Charles Saunders], Despatches of Vice-Admiral Charles Saunders, 1759–1760 : the naval side of the capture of Quebec, C. H. Little, édit. (Halifax, 1958).— P.-G. Roy, Inv. jug. et délib., 1717–1760, I : 148 ; V : 41.— Tanguay, Dictionnaire, I : 181 ; III : 343.— Jean de Maupassant, Un grand armateur de Bordeaux, Abraham Gradis (1699?–1780) (Bordeaux, 1917).— W. R. Riddell, The pilots of Wolfe’s expedition, 1759, SRC Mémoires, 3e sér., XXI (1927), sect. ii : 81 s.

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J. S. Pritchard, « DENYS DE VITRÉ, THÉODOSE-MATTHIEU », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/denys_de_vitre_theodose_matthieu_4F.html.

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Auteur de l'article:    J. S. Pritchard
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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