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FLAVELLE, sir JOSEPH WESLEY, homme d’affaires, philanthrope et fonctionnaire, né le 15 février 1858 à Peterborough, Haut-Canada, fils de John Flavelle et de Dorothea Dundas ; le 20 septembre 1882, il épousa à Ashburnham (Peterborough) Clara L. Ellsworth, et ils eurent un fils et trois filles, dont l’une mourut en bas âge ; décédé le 4 mars 1939 à Palm Beach, Floride.
En 1847, John Flavelle, descendant de huguenots, commis de magasin et résident de Cootehill, dans le comté de Cavan (république d’Irlande), épousa Dorothea Dundas, fille d’une famille irlando-écossaise assez prospère. Les jeunes époux décidèrent de quitter l’Irlande ravagée par la famine et d’aller « chercher fortune dans la terre promise », l’Amérique. Ils s’établirent à Peterborough et eurent cinq enfants. Joseph Wesley Flavelle était le benjamin.
John Flavelle avait du mal à trouver un emploi stable, comme manœuvre ou dans un magasin, en raison de son penchant pour l’alcool. Le pilier de la famille était Dorothea, qui subvenait aux besoins des siens avec son salaire d’institutrice. Cette femme de caractère inculqua à ses trois fils et à ses deux filles l’amour de la reine et de la patrie, la piété méthodiste et l’habitude de travailler et d’économiser assidûment en vue de bien se débrouiller dans la vie. Le petit Joe quitta l’école à l’âge de 12 ans pour devenir apprenti marchand dans un magasin général. Il fit par la suite une année d’école secondaire, mais refusa l’offre d’un de ses frères de lui payer d’autres études et une formation professionnelle. En 1876, à l’âge de 18 ans, Joseph Wesley acheta à Peterborough un magasin de farine et de nourriture pour animaux - avec le soutien d’un oncle et de ses frères marchands qui faisaient de bonnes affaires dans la ville voisine de Lindsay - et se lança dans le commerce des comestibles. Sur un mur de son bureau, il accrocha cette devise : D’un zèle sans nonchalance, dans la ferveur de l’esprit, au service du Seigneur.
Flavelle avait un profond souci de la perfection, fruit du méthodisme, qui se manifestait dans ses affaires non seulement par sa détermination à travailler fort et consciencieusement, mais aussi par sa passion pour la comptabilité minutieuse et par sa disposition à renoncer à la satisfaction immédiate au nom de bénéfices ultérieurs. Son commerce prospéra et, dès le début des années 1880, il était un citoyen solidement implanté à Peterborough. Surintendant de l’école du dimanche à l’église méthodiste George Street, il militait dans les cercles conservateurs locaux et occupait la présidence du conseil d’administration du Nicholls Hospital. En 1882, il épousa sa petite amie de l’école du dimanche, Clara L. Ellsworth, fille d’un ministre méthodiste d’ascendance loyaliste. En exerçant son métier de marchand, il acquit de vastes connaissances sur la façon de vendre, au Canada, aux États-Unis et outre-mer, les produits de la florissante économie agricole de l’Ontario - principalement le beurre, le fromage, les œufs et la viande.
Au début de 1887, Flavelle résolut de s’installer à Toronto, plaque tournante de l’économie ontarienne, car il croyait y trouver d’excellents débouchés pour le commerce en gros des aliments. Sa décision fut peut-être aussi influencée par son impopularité à Peterborough, attribuable au rôle actif et dominant qu’il avait joué dans des campagnes pour l’entrée en vigueur et l’application de l’Acte de tempérance du Canada. Un de ses plus vieux associés en affaires, dans sa congrégation et dans la lutte pour la tempérance, George Albertus Cox*, quitta Peterborough pour Toronto à la même époque, afin de se consacrer à l’assurance-vie et à d’autres formes d’intermédiation financière. « Un de mes premiers gestes, écrivit Flavelle à sa femme en mars 1887 à propos du déménagement, a été de me rendre devant notre Père et de Lui vouer ma personne, ma nouvelle entreprise, l’ensemble de mes affaires. » En juin, après avoir finalement décidé qu’ils éliraient domicile à Toronto, il dit à Clara : « Je m’incline chérie, incline-toi aussi et prie le Seigneur que [cette ville soit] meilleure et plus pure à notre départ qu’à notre arrivée, car nous avons marché dans la droiture et la vérité. »
Après une difficile première année de travail à son compte comme marchand commissionnaire, Flavelle associa son entreprise de comestibles à celle de Donald Gunn, qui se spécialisait dans les produits du porc - carcasses, porc salé, jambon et bacon. La société qui en résulta, la D. Gunn, Flavelle and Company, connut du succès et rendit Flavelle modérément riche. En 1892, le baptiste torontois William Davies* l’invita à diriger sa grande charcuterie, car ses deux fils se mouraient de tuberculose. Flavelle devint administrateur délégué et actionnaire important de la William Davies Company Limited, dont il s’employa sans délai à améliorer le rendement.
Dans son usine de l’extrémité est de Toronto, près de l’embouchure de la rivière Don, la William Davies Company, pionnière dans l’industrie charcutière, transformait des porcs vivants en flèches de lard salé, c’est-à-dire en bacon, et en exportait la majeure partie en Grande-Bretagne. Fait à partir de porcs nourris à la pâtée de pois, le bacon canadien, aliment maigre de premier choix, avait trouvé une clientèle sur le marché britannique. Sous l’administration scrupuleuse et vigoureuse de Flavelle, qui se faisait un devoir de maîtriser tous les aspects de l’entreprise, celle-ci améliora sensiblement son procédé de conservation en remplaçant le salage à sec par le saumurage, et elle dépassa ses concurrents canadiens. En outre, elle bénéficia de la montée vertigineuse de la demande britannique, des bas prix du porc au Canada et du génie de son représentant à Londres, John Wheeler-Bennett, « le Bismarck du commerce du bacon ».
Dès 1900, la compagnie de Davies dépeçait environ un demi-million de porcs par an, soit cinq fois plus qu’en 1892, et se vantait d’être la plus grande charcuterie de tout l’Empire britannique. Le volume des ventes élevé générait un remarquable rendement du capital investi. Par exemple, les dividendes sur le capital de l’entreprise dépassèrent en moyenne 100 % entre 1897 et 1900. Flavelle, dont la fortune s’élevait à 10 000 $ à son arrivée en 1887, était alors devenu millionnaire, et les gens commençaient à donner à Toronto le surnom de Hogtown (ville du porc).
De la fin des années 1890 au début des années 1900, Flavelle étendit ses activités commerciales à plusieurs nouveaux secteurs et se dévoua davantage à la collectivité en s’occupant non seulement de son église, mais aussi d’éducation et de santé. Dans la plupart de ces activités, il collaborait avec des gens qui partageaient ses opinions : bon nombre d’entre eux étaient méthodistes, venaient de Peterborough et fréquentaient avec lui l’église Sherbourne Street de Toronto. Celle-ci comptait tellement d’hommes d’affaires nantis parmi ses fidèles qu’elle était la congrégation méthodiste la plus riche du Canada et qu’on l’appelait l’« église des millionnaires ».
Flavelle entra au conseil d’administration de la Banque canadienne de commerce en 1896, accéda à la vice-présidence de la nouvelle Imperial Life Assurance Company l’année suivante et devint, en 1898, à la fois président fondateur de la National Trust Company et vice-président de la Robert Simpson Company. En 1899, il commença à siéger au conseil d’administration de la Compagnie d’assurance du Canada sur la vie et à celui de la Central Canada Loan and Savings Company. La même année, il fit partie du premier conseil d’administration de la Carter-Crume Company, productrice de formulaires commerciaux, et de la Canada Cycle and Motor Company. La plupart de ces entreprises étaient administrées ou promues par le sénateur George Albertus Cox, qui fréquentait la même église que Flavelle et avait été son associé à Peterborough.
Les entreprises de Cox - qui était, en 1900, président de la Banque de commerce, de la Compagnie d’assurance du Canada sur la vie et de la Central Canada Loan and Savings - formaient un réseau étroitement lié et fournissaient des services financiers et entrepreneuriaux à une époque où Toronto aspirait à déloger Montréal au rang de métropole canadienne des affaires. En prenant de l’expansion, ce réseau en vint à englober des services de courtage d’actions - offerts par le gendre de Cox, Alfred Ernest Ames - ainsi qu’une entreprise de négociation d’obligations, la Dominion Securities, fondée en 1901 et dirigée par Edward Rogers Wood*. En 1898, Flavelle s’associa à Ames et à Harris Henry Fudger, un autre membre de l’église Sherbourne Street, pour l’achat du grand magasin fondé par Robert Simpson*, qui faisait directement concurrence à l’établissement plus renommé de Timothy Eaton*, lui aussi méthodiste. De temps à autre, surtout pour promouvoir la Canada Cycle and Motor Company, le réseau de Cox collaborait avec des membres d’une autre famille méthodiste réputée, les Massey, dont Walter Edward Hart Massey*. Les membres de la « mafia méthodiste de Peterborough » avaient le même style de gestion : ils créaient des sections à l’intérieur des grandes entreprises et accordaient beaucoup d’importance à la comptabilité des coûts de revient. L’objectif était de maintenir et de favoriser le rendement individuel même dans les grandes sociétés.
Surintendant permanent de l’école du dimanche à l’église Sherbourne Street, Flavelle contribuait généreusement à tout un éventail de causes méthodistes, à l’instar de Cox, d’Ames et de Fudger. En 1898, il fut nommé au conseil d’administration de la Victoria University [V. Albert Carman*]. Avec ses amis, il aida cet établissement à se doter d’édifices et de programmes supplémentaires et à jouer un rôle de premier plan dans les affaires de la University of Toronto, désormais fédérée. En 1901, Flavelle créa pour celle-ci une imposante bourse de voyage, préfiguration des bourses Rhodes, ce qui témoigna de son intérêt pour l’ensemble de la fédération. L’année suivante, il fut élu au conseil d’administration du Toronto General Hospital sur les instances des Gooderham, généreux bienfaiteurs du principal établissement de santé de la ville.
En 1901, Flavelle avait mandaté l’architecte Frank Darling* pour la conception d’une résidence de 17 pièces et sa construction sur un terrain de Queen’s Park, loué à l’université. Achevé en 1902, Holwood était un manoir anglais de style beaux-arts situé dans le centre de Toronto. Pour illustrer sa position sociale élevée, Flavelle décida de revenir à la prononciation originale de son nom : « fla-velle », à la française. Ses frères à Lindsay continuaient de prononcer leur nom « flavvles ».
Tout en conservant les comportements associés à sa modeste éducation méthodiste - il ne fumait pas, ne buvait pas, ne dansait pas et ne jouait pas -, Flavelle, qu’on appelait parfois Holy Joe, croyait profondément aux obligations de charité des riches et des privilégiés et entendait manifester, dans son existence, un noble souci du bien commun. En 1902, il acheta l’Evening News dans l’espoir que, sous la direction de John Stephen Willison*, anciennement du Globe, ce journal torontois favoriserait le mieux-être de la ville, de la province et du pays. Tout en continuant d’appuyer les conservateurs comme il l’avait toujours fait, Flavelle aspirait à orienter le parti et son nouveau chef national, Robert Laird Borden, vers des causes progressistes, et à les éloigner de l’esprit partisan et de la corruption qui, selon lui-même et ses associés, empoisonnaient la politique canadienne.
Au début du siècle, Flavelle participa quelque temps au mouvement de promotion d’entreprises de tramway, de chemin de fer, d’électricité et d’autres, parrainées par les compagnies de Cox et par des associés tel William Mackenzie*. Ex-entrepreneur de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, Mackenzie était devenu un magnat international des services publics, la figure principale de sociétés aussi diverses que la Canadian Northern Railway Company, la São Paulo Tramway, Light and Power Company et l’Electrical Development Company of Ontario, laquelle projetait d’alimenter Toronto en électricité en exploitant les chutes du Niagara.
Cependant, quelques années plus tard, Flavelle renonça à prendre une trop grande part à des émissions de titres et à des manœuvres financières qui lui semblaient destinées à favoriser davantage les profits à partir d’opérations d’initié que la saine gestion à long terme. Peu à peu, il se distancia de Mackenzie, qu’il considérait comme un escroc, et même de Cox, dont le sens de la gestion financière semblait entaché par une propension aux transactions intéressées et au népotisme. En 1906, les activités commerciales de Flavelle se limitaient aux affaires de la William Davies Company, de la Banque de commerce, de la Robert Simpson Company et de la National Trust.
En même temps, Flavelle s’engagea davantage au service de la collectivité. « Je suppose que Joe est toujours aussi occupé à faire tout le bien qu’il peut », ferait observer sa mère en 1906. Président du conseil d’administration du Toronto General Hospital à compter de 1904, il lança une campagne de reconstruction en vue de faire de l’hôpital un établissement de classe mondiale. Partisan du gouvernement progressiste-conservateur de James Pliny Whitney*, il déclina l’offre de se porter candidat à l’Assemblée législative de l’Ontario, mena une croisade - en fin de compte sans succès - au poste de commissaire des permis d’alcool pendant quelques mois en 1905 [V. John Irvine Davidson*] et, en octobre de la même année, accepta la lourde responsabilité de la présidence d’une commission royale provinciale d’enquête sur la University of Toronto.
La commission Flavelle, dont le rapport fut émis en 1906 et servit de base à la modernisation de l’établissement, engendra la création d’une nouvelle structure administrative fondée sur un conseil d’administration nommé, qui mettait l’université provinciale à l’abri de l’ingérence de l’Assemblée législative. Grâce à une hausse des niveaux de financement et à un ambitieux programme de construction, l’université put progressivement se diversifier, multiplier ses facultés et améliorer ses programmes professionnels et ses programmes de deuxième et troisième cycles. Une période de croissance considérable s’amorça sous le nouveau recteur, Robert Alexander Falconer*. En 1906, Flavelle fut nommé au conseil d’administration et reçut en reconnaissance de ses services le titre de docteur honoris causa en droit, dont il userait rarement.
Quant à la reconstruction et à la réorganisation du Toronto General Hospital, entre 1904 et 1913, Flavelle y prit une responsabilité plus directe que dans les affaires universitaires, pour lesquelles il s’en était souvent remis à des collègues plus instruits. Il veilla personnellement à ce que l’hôpital décide de se rapprocher de l’université, collabora à la conception du complexe avec les architectes Frank Darling et John Andrew Pearson, sollicita des fonds publics et des dons privés et, au bout du compte, entreprit de combler le déficit des travaux, principalement avec ses propres deniers. Lorsque le nouveau Toronto General Hospital ouvrit ses portes, en 1913, la ville avait un hôpital moderne, étroitement associé à la faculté de médecine de l’université et préparé à jouer un rôle de premier plan dans la recherche et l’enseignement. Flavelle présiderait le conseil d’administration jusqu’en 1921 et en demeurerait membre jusqu’à la fin de ses jours.
À l’hôpital et à l’université, Flavelle personnifiait la réforme progressiste. Il prônait le recours à des administrateurs efficaces et compétents ainsi que l’importance des normes élevées en matière de formation et de recherche. En tant que méthodiste pratiquant et influent, il adhérait au principe de l’examen libre et éclairé. Ainsi, il prit parti pour George Jackson, ancien ministre de l’église Sherbourne Street dont les enseignements libéraux en théologie à la Victoria University furent la cible d’éminents ecclésiastiques conservateurs en 1909-1910 [V. Nathanael Burwash*].
Dans sa principale activité commerciale, la charcuterie, Flavelle demeurait un gestionnaire novateur. Lorsque la William Davies Company se heurta à une forte concurrence sur le lucratif marché britannique du bacon, Flavelle, qui devint le principal actionnaire de l’entreprise en 1901, en améliora encore les procédés de salaison et les systèmes comptables. Dans ces deux domaines, la compagnie se classait parmi les plus modernes de l’industrie charcutière mondiale. Après s’être désisté d’un accord conclu en 1902 en vue de fusionner les principales charcuteries de l’Ontario (il dédaignait ceux qui auraient été ses associés et voulait peut-être plus de temps libre pour se consacrer au service de sa collectivité), il concentra son attention sur l’excellence de son entreprise tout en recherchant de nouvelles occasions d’affaires. La William Davies Company avait déjà ouvert plusieurs boucheries locales où elle vendait ses sous-produits. Ces boucheries prirent de l’expansion et formèrent un grand réseau de magasins au détail en Ontario et au Québec - une des premières chaînes canadiennes -, que la compagnie tenta un moment d’étendre aux États-Unis. Celle-ci était également un chef de file en matière de recherche industrielle et d’intéressement des employés.
Flavelle envisagea de se lancer aussi dans le commerce du bœuf. Au lieu d’y entrer directement, son entreprise prit une participation majoritaire dans une autre société torontoise, la Harris Abattoir Company. Flavelle y installa des gestionnaires énergiques, notamment James Stanley McLean*, diplômé en mathématiques et en physique de la University of Toronto. Il avait du flair pour dénicher de bons cadres. Les « jeunes hommes de Flavelle », souvent des diplômés universitaires et des méthodistes, atteignirent dans de nombreux cas les échelons supérieurs de la finance canadienne, et parfois même de la politique.
Flavelle prévoyait cesser de participer activement à la gestion de la William Davies Company, mais en 1908, le décès prématuré de celui qu’il avait soigneusement choisi comme successeur, le docteur en philosophie Frederick Smale, l’en empêcha. L’augmentation du prix du porc au Canada et la vigoureuse concurrence des charcutiers danois sur le marché britannique commençaient à étouffer l’industrie canadienne qui, en 1910, n’était plus que modérément rentable. Cependant, la moins lucrative de toutes les entreprises de Flavelle fut son expérience dans le journalisme idéaliste. L’Evening News ne réussit ni à frapper l’imagination des Canadiens ni à hausser le niveau du débat politique au pays. En 1908, après avoir absorbé durant cinq ans de lourds déficits d’exploitation, Flavelle vendit le journal.
À ce moment-là, Flavelle commençait à être déçu par la vague de critiques dont l’entreprise privée faisait l’objet partout au Canada et aux États-Unis. Il avait en partie encouragé ces critiques en tant que propriétaire de journal et homme d’affaires progressiste, qui parlait abondamment de son éthique. Il se retrouva dans l’obligation de faire face aux doléances des agriculteurs contre sa propre entreprise charcutière, et particulièrement à l’idée selon laquelle un cartel ou un trust de la charcuterie restreignait les prix du porc. Il commença à se méfier de l’ingérence gouvernementale dans les entreprises privées - par exemple l’offensive impitoyable de l’Ontario Hydro contre les compagnies d’électricité rivales [V. sir Adam Beck*] - et il mit en doute l’efficacité de diverses mesures de réglementation et de sécurité sociale, telles que les lois contre les coalitions et les programmes généraux d’indemnisation des accidents du travail.
Par ailleurs, Flavelle soutenait la Politique nationale de tarifs protecteurs depuis l’époque du premier ministre sir John Alexander Macdonald*. Il devint donc l’un des premiers et des plus tenaces adversaires du traité de réciprocité négocié avec les États-Unis en 1910 par le gouvernement de sir Wilfrid Laurier*. Bon nombre des « dix-huit de Toronto », ces libéraux dirigés par sir Byron Edmund Walker* qui rompirent avec leur parti en février 1911 à cause de ce projet de traité, étaient de proches associés de Flavelle. Le plus connu était le directeur général de la National Trust, William Thomas White*, qui, après les élections générales de septembre, devint ministre des Finances dans le gouvernement conservateur de Robert Laird Borden. En Ontario, les griefs des libéraux contre l’industrie charcutière et les prix élevés des aliments avaient été l’un des grands enjeux de la campagne.
Flavelle s’opposait à la réciprocité non seulement par intérêt personnel, mais aussi parce qu’il croyait profondément au caractère britannique du Canada. Fournisseur de porc de l’Empire et habitué des voyages en Angleterre, il soutenait des projets destinés à favoriser l’unité impériale, tel le mouvement Round Table [V. Edward Joseph Kylie*], et nouait beaucoup de relations dans les cercles impérialistes. Fait révélateur, sa conviction que le Canada connaîtrait dans l’avenir une forte croissance économique et industrielle semble l’avoir retenu de préconiser quelque système de tarifs préférentiels que ce soit pour les pays de l’Empire, même si ces tarifs auraient pu aider le bacon canadien à concurrencer celui du Danemark.
Le début de la guerre en Europe en 1914 relança bientôt le commerce du bacon canadien, car les concurrents danois quittèrent le marché britannique et la demande grimpa. En novembre 1915, au lieu d’entamer sa retraite comme il l’espérait, Flavelle, 57 ans, accepta encore davantage de responsabilités sur le plan industriel. Le gouvernement britannique le nomma en effet président de la Commission impériale des munitions, nouvel organisme chapeauté par le ministère britannique des Munitions qui gérait tous les contrats passés au Canada.
La Commission impériale des munitions remplaçait le Comité des obus, groupe non officiel de manufacturiers canadiens formé en 1914 par Samuel Hughes*, ministre de la Milice et de la Défense du gouvernement Borden, pour solliciter des commandes en Grande-Bretagne. Le comité avait été sévèrement critiqué pour diverses raisons : piètre rendement des entrepreneurs, conflits d’intérêts, mauvaise organisation, soupçons de corruption. Nanti de la pleine autorité en tant que président de la Commission impériale des munitions - les autres membres n’avaient aucune influence -, Flavelle devint dans les faits le chef suprême de l’industrie canadienne des munitions pendant la guerre. À sa nomination, il s’installa temporairement à Ottawa.
La Commission impériale des munitions fut l’organisme coordonnateur qui organisa et supervisa le plus grand effort industriel jamais vu au Canada. Elle répara le gâchis laissé par le Comité des obus, administra les nouvelles commandes et en rechercha de nouvelles. En 1917, plus de 600 usines canadiennes, qui employaient au total plus de 250 000 ouvriers, fabriquaient quotidiennement près de 100 000 obus. Cette année-là, le Canada fournit entre un quart et un tiers de toutes les munitions utilisées par l’artillerie britannique en France et plus de la moitié des shrapnels. Le pays reçut d’abord des commandes d’obus en acier, eut ensuite des contrats pour d’autres pièces, puis pour des cartouches complètes, et finit par produire des avions et des bateaux. À la fin des hostilités, la Commission impériale des munitions et, avant elle, le Comité des obus avaient dépensé 1,25 milliard de dollars pour fabriquer 65 millions d’obus, 49 millions de douilles, 30 millions de fusées, 35 millions d’amorces, 112 millions de livres d’explosifs, 2 900 avions, 88 navires et une variété d’autres articles.
Flavelle administrait la Commission impériale des munitions à peu près comme il dirigeait ses propres entreprises. Travaillant sans rémunération, il put largement compter sur le bénévolat de cadres de premier ordre (pendant la Seconde Guerre mondiale, on surnommerait les bénévoles de ce type « hommes à un dollar par an »), mit au point de rigoureux systèmes d’inspection et de comptabilité et se démena pour faire comprendre aux hommes politiques du pays qu’ils n’avaient pas voix au chapitre dans l’attribution des contrats. Bien que la Commission impériale des munitions se soit soumise à des impératifs politiques en répartissant délibérément les commandes dans tout le Canada, Flavelle répara un grave scandale provoqué par le népotisme de Samuel Hughes dans l’octroi de contrats de fusées aux États-Unis, puis il exerça une gestion rigoureuse, prompte et honnête qui satisfit entièrement le ministère des Munitions.
Flavelle attribuait généralement les contrats en ayant recours aux incitatifs et aux appels d’offres habituels, mais certains besoins de production et goulots d’étranglement amenèrent la Commission impériale des munitions à innover en créant sept « usines nationales » bien à elle (inspirées du modèle britannique) pour charger les fusées, fabriquer des avions et produire des explosifs. Certaines de ces usines fonctionnaient bien [V. sir Charles Blair Gordon ; sir Frank Wilton Baillie*] ; d’autres furent des échecs lamentables. Comme les travailleurs disponibles commençaient à se faire plus rares en 1916, la Commission impériale des munitions, sous la direction de l’un des protégés de Flavelle, Mark Howard Irish, député à l’Assemblée législative de l’Ontario, créa une section axée sur la main-d’œuvre, qui conseillerait les fabricants de munitions sur les moyens d’attirer de nouvelles classes d’ouvriers, en particulier les femmes. Pour le reste, Flavelle tentait de ne pas se mêler des relations de travail de ses entrepreneurs, mais à l’occasion, il devait faire pression pour régler des conflits collectifs. Le Congrès des métiers et du travail du Canada réclamait de la Commission impériale des munitions qu’elle inclue dans tous ses contrats des clauses garantissant un salaire équitable (souvent fixé par un syndicat), ce à quoi Flavelle résista d’abord. Finalement, quand il admit le principe, en 1917, on constata que les ouvrières et ouvriers des usines de munitions, dont la situation était très bonne en cette période de plein emploi, ne s’intéressaient plus à la question.
La Commission impériale des munitions avait surtout du mal à trouver de l’argent pour faire tourner ses usines. Dès 1916, la Grande-Bretagne manquait cruellement de devises pour payer ses achats à l’étranger. En étroite collaboration avec le ministre des Finances, sir William Thomas White, Flavelle contribua grandement à la négociation de plusieurs prêts que le Canada consentit à la Grande-Bretagne pour ses achats de munitions canadiennes. En 1918, craignant que les réductions de commandes britanniques mettent en péril l’industrie canadienne désormais florissante, la commission commença à solliciter des commandes aux États-Unis. Elle parvint, avec l’Ordnance Department de ce pays, à une entente qui permettait aux manufacturiers canadiens de soumissionner sur une base à peine discriminatoire. Si la guerre avait continué en 1919, la performante industrie canadienne aurait reçu de grosses commandes américaines.
Grâce à son ardent patriotisme, à sa réputation et à sa position de président de la Commission impériale des munitions, Flavelle était très en vue sur la scène nationale. Après une visite en Angleterre et au front à la fin de 1916, il prononça deux discours qui captèrent l’attention dans tout le pays. Le 12 décembre 1916, à Toronto, il s’adressa avec intensité à des fabricants de munitions mécontents de leurs marges bénéficiaires et les incita à : « envoyer les profits là d’où ils viennent, [c’est-à-dire] au diable ». Quelques jours plus tard à Ottawa, dans une allocution plus pondérée, il donna l’impression de réclamer la formation d’un gouvernement de coalition, comme en Grande-Bretagne. En 1913, il avait refusé le titre de chevalier pour son travail dans des hôpitaux ; en juin 1917, il accepta celui de baronnet, conféré par George V. Évidemment, on évoqua la possibilité qu’il devienne ministre advenant la création d’un quelconque gouvernement national de coalition au Canada. Un tel gouvernement serait formé en octobre, sous Borden, mais Flavelle serait alors plongé dans la controverse.
En juillet 1917, le rapport d’une enquête fédérale sur les conditions d’entreposage frigorifique présidée par William Francis O’Connor donna lieu à des manchettes sensationnalistes à propos des « énormes marges » bénéficiaires de l’industrie du bacon et des « millions » réalisés par la William Davies Company. En cette saison où on en avait assez de la guerre et où l’inflation atteignait des sommets, Flavelle fut immédiatement affublé de surnoms injurieux : profiteur avide, « his lardship », « baconet », « baconeer », et « robber baronet » (déformations de ses titres de noblesse, « his lordship » et « baronet »), ainsi que plusieurs variantes des mots « porc » et « hypocrite », Old Black Joe et d’autres encore. Le gouvernement Borden dut instituer une commission d’enquête sur l’industrie de l’emballage des viandes. Elle tint des audiences publiques, et Flavelle témoigna en octobre que sa conscience était nette et qu’il n’avait rien à cacher. Déposé à la fin de novembre, le rapport de cette commission corrigeait les nombreuses inexactitudes et erreurs d’ignorance en matière d’économie commises dans l’enquête sur l’entreposage frigorifique. La William Davies Company fut disculpée de toute accusation de manquement à l’éthique dans ses pratiques commerciales.
La William Davies Company avait réalisé un très gros volume d’affaires pendant la guerre en expédiant des flèches de lard et des conserves de viande cuite au gouvernement britannique. Des marges bénéficiaires assez faibles, prélevées sur un chiffre d’affaires élevé, avaient donné des bénéfices considérables, si bien que le rendement du capital atteignit 80 % en 1916. Du début des hostilités jusqu’en mars 1917, le revenu en dividendes de Flavelle avoisinait les 400 000 $. Comme les soldats canadiens gagnaient 1,10 $ par jour, un tel revenu semblait excessif. Peu importait que Flavelle l’ait obtenu grâce à son excellence en affaires : cela représentait tout de même, comme le disait le Daily Mail and Empire de Toronto, une « petite ristourne sur chaque tranche de bacon ». Flavelle lui-même avait trop de fierté pour révéler que, pendant la guerre, il faisait des dons qui, presque assurément, excédaient de beaucoup ses revenus. On raconta aussi que la William Davies Company avait vendu de la viande avariée aux troupes ; ces histoires tout à fait dénuées de fondement - qu’on pourrait appeler légendes des tranchées - persistèrent durant des générations.
Ottawa limita rigoureusement les bénéfices des charcutiers pour le reste de la guerre. Flavelle était profondément bouleversé d’avoir été exécuté sur la place publique pendant le scandale du bacon. Ni le gouvernement du Canada ni celui de la Grande-Bretagne ne voulaient qu’il quitte la présidence de la Commission impériale des munitions. Toutefois, pendant la campagne qui mena aux élections canadiennes de décembre 1917, le gouvernement d’union de Borden constata qu’il représentait un sérieux handicap, car « Flavelle, le porc et les profits » devinrent un enjeu secondaire presque aussi important que la conscription. Quelques mois plus tard, le Parlement sanctionna un décret qui interdisait la transmission de titres héréditaires au Canada.
Flavelle devint donc le dernier Canadien domicilié au Canada à recevoir un tel titre. Cet homme fier, qui tenait le coup à la Commission impériale des munitions et gardait son apparence sereine, était blessé par la diffamation injuste, souvent inspirée par des motifs politiques, qu’il avait dû subir. « Mon activité cessera en grande partie avec mes fonctions ici », écrivit-il à sa femme en novembre 1918. « Je ne puis avoir réellement voix au chapitre dans un domaine quelconque après la guerre - le gros de la presse - de la population - de ma propre église me prend pour un profiteur condamné - [un] égoïste, [un] rapace, qui accable les pauvres. Bien sûr, cela fait mal. »
La réputation d’as des affaires et de bienfaiteur du peuple de Flavelle après les hostilités dissipa bien vite les relents du scandale du bacon. En 1919, après avoir supervisé la liquidation de toutes les activités de la Commission impériale des munitions, il retourna à Toronto et reprit peu à peu la plupart de ses fonctions publiques et privées. La même année, il se retira de l’industrie charcutière en vendant ses actions de la William Davies Company à un petit-fils de Davies, Edward Carey Fox. Avec le produit de la vente, il acquit une participation majoritaire dans la Robert Simpson Company, qui avait conservé sa rentabilité au fil des ans.
En 1921, le premier ministre Arthur Meighen* exhorta fortement Flavelle à accepter le poste de chef de la direction à la Canadian National Railway Company. Flavelle n’avait jamais administré de chemin de fer mais, depuis le début du siècle, il s’était beaucoup occupé de stratégie de développement ferroviaire à titre d’investisseur, de banquier et de citoyen. Pendant la guerre, il avait consacré beaucoup de temps aux problèmes des transcontinentaux canadiens en faillite, en particulier la Canadian Northern Railway Company, propriété de sir William Mackenzie et de sir Donald Mann, qui avait menacé d’entraîner la Banque de commerce dans sa chute. Comme il avait souvent appuyé l’achat et l’exploitation de grandes lignes par le gouvernement, dont la Canadian Northern, Flavelle semblait tout désigné pour diriger le réseau tentaculaire créé à partir des vestiges de nombreuses sociétés ferroviaires.
Invoquant des obligations familiales et doutant peut-être que quiconque soit en mesure de faire fonctionner le nouveau réseau, Flavelle refusa l’offre de Meighen. Il accepta cependant de devenir, en mai 1921, président du conseil d’administration de l’historique chemin de fer du Grand Tronc, qui avait été pris en charge par le gouvernement et serait bientôt intégré à la Canadian National Railway Company. La présence éphémère de Flavelle au Grand Tronc - elle prit fin en août 1922 - illustra les facteurs politiques et les risques de la nationalisation des entreprises. Par exemple, ses efforts pour dégraisser l’effectif du chemin de fer du Grand Tronc se heurtèrent à une ferme opposition. En matière ferroviaire, l’unique fondement de ses décisions était sa croyance selon laquelle la seule solution pire que la propriété publique était de remettre tout le réseau à la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique pour créer le monopole de facto que revendiquait fréquemment cette société de Montréal.
« La confiance que l’on met dans ce que peut accomplir le gouvernement est pathétique », prévint Flavelle en décembre 1922, à un dîner de bienvenue pour sir Henry Worth Thornton, qui acceptait la direction de la Canadian National Railway Company (et en viendrait à le regretter amèrement). Dans les années 1920, Flavelle n’avait presque plus foi en la capacité des gouvernements. Presque toutes les interventions politiques dans le secteur privé, y compris les mesures de sécurité sociale tels l’assurance-chômage et le salaire minimum, semblaient à ses yeux engendrer des déséquilibres et des conséquences imprévues qui étaient plus néfastes que bénéfiques. Leur plus grave tort consistait à miner l’esprit d’initiative et la responsabilité des individus et à subvertir leur sens du devoir envers eux-mêmes, leur famille, leur Église et les œuvres bénévoles. En matière d’économie, Flavelle était désormais un libéral en faveur de la libre entreprise et, sur le plan de la politique sociale, un individualiste conservateur. Il exprimait ces opinions dans des discours publics occasionnels, dans de longues lettres influentes et dans des entretiens confidentiels avec des journalistes. Il inspirait le respect général par son ancienneté et l’éloquence de ses propos sur les affaires et le conservatisme au Canada. Il aimait conseiller aux jeunes gens d’affaires de travailler dur, d’éviter les plaisirs matériels et de considérer le profit comme un produit secondaire du bon travail.
En 1924, Flavelle devint le premier titulaire du nouveau poste de président du conseil d’administration de la Banque de commerce ; sir John Aird était président et directeur général de la banque. Après avoir traversé une période tumultueuse au début des années 1920, la banque, la Robert Simpson Company et la National Trust jouirent de la prospérité de la fin de la décennie. La vénérable William Davies Company de Flavelle n’en fit pas autant. Edward Carey Fox ne parvint pas à conserver sa part du marché britannique, fut surclassé au Canada par J. S. McLean, de la Harris Abattoir Company, et quitta l’industrie quand, en 1927, McLean dirigea la fusion qui regroupa la William Davies, la Harris Abattoir et d’autres entreprises en une seule, la Canada Packers. McLean, qui avait la confiance et le respect de Flavelle, devint son véritable successeur au titre de maître stratège de l’industrie canadienne de transformation des viandes à une époque où celle-ci était encore très importante.
En 1927, à la demande d’amis britanniques du temps de la Commission impériale des munitions, Flavelle accepta le poste peu exigeant de président du conseil d’administration de la Canadian Marconi Company Limited. À la fin des années 1920, au moment du boom boursier, les actions de cette chancelante société de télégraphie sans fil et de radio firent l’objet d’une surévaluation insensée, au grand déplaisir de Flavelle. Il n’y investit pas beaucoup. Observateur perspicace des marchés, il réalisa un joli bénéfice en juin 1929 en vendant ses parts de la Robert Simpson Company à la Wood, Gundy and Company et à un groupe de cadres de la Robert Simpson dirigé par Charles Luther Burton*. Flavelle ne fut ni étonné ni, semble-t-il, très éprouvé financièrement par le krach boursier survenu plus tard cette année-là et par l’arrivée des temps durs.
Bon an mal an, Flavelle soutenait fidèlement l’Église méthodiste du Canada, qui avait perdu son identité officielle en fusionnant avec les Églises presbytérienne et congrégationaliste en 1925 pour former l’Église unie du Canada [V. Clarence Dunlop Mackinnon ; Ephraim Scott]. Bien qu’il ait toujours été d’accord avec cette fusion, il ne croyait pas que les Églises devaient imiter les entreprises ni être trop organisées. Il déplorait que l’esprit traditionnel du méthodisme soit dilué dans l’Église unie et que celle-ci ne réponde pas aux espoirs de ses fondateurs. Allié indéfectible des missions chrétiennes, Flavelle représenta son église au conseil d’administration de la West China Union University de Chengdu, dans le Sichuan, et fut président de ce conseil de 1923 à 1935. Sa fonction consistait surtout à recueillir des fonds. Flavelle ne se rendit jamais en Chine, mais il se demandait parfois si les missionnaires, dont les conditions de vie étaient bien supérieures à celles de la plupart des Chinois, étaient animés par le même zèle qu’autrefois.
Fournir du soutien financier était le rôle primordial de Flavelle dans les affaires de son église, et il s’en acquittait de manière remarquable sur toute la ligne. Il donnait de l’argent à des fonds pour les pauvres, pour la construction et la restauration d’églises, pour des bibles, des pensions, des ministres en difficulté, des œuvres missionnaires et toute autre cause honorable. En outre, il contribuait à tout un éventail d’œuvres profanes - chorales, jardins communautaires, campagnes de financement collectives, foyers pour enfants, festivals de théâtre - et faisait des dons particulièrement généreux à des œuvres du Toronto General Hospital et de la University of Toronto. Comme le disait un ami ministre du culte, Flavelle gardait sa « porte ouverte aux mendiants » : des étrangers dans le besoin pouvaient compter sur lui, tout autant que des amis venus le solliciter pour des bonnes causes qui leur tenaient à cœur. Pendant la grande dépression, il apporta une aide financière importante à bon nombre d’hommes d’affaires en difficulté, ainsi qu’aux misérables qui se présentaient à l’entrée des fournisseurs de Holwood pour réclamer à manger.
Le révérend Donald Bruce Macdonald, directeur du St Andrew’s College, persuada Flavelle d’assumer en 1924 la présidence du conseil d’administration de cette école torontoise pour garçons et de contribuer généreusement aux frais du déménagement du campus à Aurora. Flavelle semble avoir fait ses dons philanthropiques les plus substantiels au St Andrew’s College, dans les années 1920, puis dans les années 1930, où il le sauva presque certainement de la faillite. Son espoir était qu’il deviendrait un grand établissement national et qu’il aiderait les enfants des riches à surmonter le handicap de la fortune. La Flavelle House, au St Andrew’s College, fut baptisée en son honneur contre son gré. Il ne cherchait pas la reconnaissance pour ses donations, dont on ne connaîtra jamais le montant exact, mais qui représentaient une bonne proportion - peut-être plus de la moitié - de son revenu annuel. Ses papiers, qui sont fragmentaires, laissent supposer que, au total, elles dépassèrent de beaucoup un million de dollars par décennie entre les deux grandes guerres.
Les contributions de Flavelle à des partis politiques étaient régulières et sans doute importantes - tout comme, peut-être, les fonds qu’il recueillait en campagne électorale -, mais aucun document ne subsiste à ce sujet. Il affirmait avoir toujours suivi le conseil de sa mère, à savoir soutenir son parti politique « parce que, si les hommes bons ne le soutiennent pas, les méchants le feront ». Il demeura un conservateur loyal, quoique souvent critique, tout le long de la période difficile que connut le parti national dans les années 1920. Il avait plus d’affinités avec le premier ministre conservateur de l’Ontario, George Howard Ferguson*, qu’avec Arthur Meighen ou Richard Bedford Bennett*. En 1928, Ferguson fit de Flavelle le premier président de la Fondation de recherches de l’Ontario, organisme à financement public et privé voué à l’avancement de la recherche industrielle.
Flavelle accepta encore une fois de servir le pays en 1931-1932 à titre de membre de la commission royale d’enquête sur les chemins de fer et les transports, nommée par le gouvernement Bennett pour régler la situation désespérée des transcontinentaux en déclin. Les recommandations de la commission restèrent sans effet. En 1934, Flavelle fut la cible de nouvelles diffamations, cette fois de la part du ministre du Commerce dans le cabinet Bennett, Henry Herbert Stevens*, qui avait lancé une croisade contre les pratiques d’achat des grands magasins. Les accusations infondées de Stevens au sujet d’opérations de refinancement effectuées par Flavelle à la Robert Simpson Company, qui témoignaient d’une singulière ignorance, l’amenèrent directement à quitter le cabinet pour fonder le Parti de la reconstruction et marquèrent le début de sa brève carrière de démagogue en plein cœur de la dépression.
Aux élections générales de 1935, Flavelle, qui avait toujours douté du jugement et des qualités de chef de Bennett, appuya le Parti libéral de William Lyon Mackenzie King*. Plutôt pessimiste à la fin des années 1930, il doutait que les gouvernements soient capables de réaliser quoi que ce soit, eux qui avaient donné au monde une grande guerre et s’acheminaient vers une seconde. Bien que, apparemment, sa foi dans les possibilités économiques à long terme du Canada n’ait pas fléchi, il déplora en 1938 « l’ampleur croissante du mécontentement dans les provinces de ce beau dominion, auquel Dieu avait tant donné et auquel [les Canadiens ont] si peu donné en retour ».
En entrant dans une semi-retraite, Flavelle put consacrer plus de temps à sa passion de toujours pour le golf et la pêche. En 1907, il avait bâti une résidence d’été appelée Swannanoa à Sturgeon Point, dans la région des lacs Kawartha. Sa famille était profondément enracinée dans ce coin de l’Ontario, et elle y établit peu à peu une grande colonie de chalets. Flavelle aimait faire du tourisme au cours de ses nombreux voyages en Grande-Bretagne et en Europe. Il aimait aussi écouter de la musique sacrée, discuter de l’actualité et lire sur le sujet. Il fut un temps gentleman-farmer à Ashburnham, ferme qu’il avait achetée près d’Oakville en 1916.
Toujours sobrement vêtu, ce barbu à la voix douce parvenait en général à dissimuler sa profonde sensibilité, son tempérament vif et son manque d’assurance. Son mariage était sans histoire. Clara, lady Flavelle, était l’aimable hôtesse d’innombrables réunions religieuses et mondaines qui avaient lieu à Holwood, mais ses problèmes de santé chroniques l’empêchaient souvent de remplir ce rôle. Elle mourut le 8 février 1932, à la veille de leur cinquantième anniversaire de mariage. Leur fils unique, Joseph Ellsworth, ne manifestait aucune aptitude pour les affaires, ce qui en vint à décevoir vivement Flavelle au fil des ans. Par contre, leur fille Clara Ellsworth, sa préférée, était douée dans le domaine et avait plusieurs des qualités de son père, mais on l’avait encouragée à consacrer ses énergies à la tenue de maison et à des œuvres de bienfaisance féminines.
En janvier 1939, Flavelle apprit qu’il souffrait d’un cancer de l’intestin. Il mourut d’une défaillance cardiaque en mars, au cours d’un voyage aux États-Unis. Les obsèques eurent lieu à Holwood et l’inhumation, au cimetière Mount Pleasant de Toronto. Sa succession totalisait 6,06 millions de dollars. Ses enfants faisaient partie de ses légataires, ainsi que bon nombre des œuvres de bienfaisance qui lui tenaient le plus à cœur. Son testament pourvoyait aussi à la création d’une petite fondation philanthropique. Holwood fut donné à la University of Toronto, et devint la maison Flavelle. Transmis à sir Joseph Ellsworth Flavelle, le titre de baronnet passa ensuite au fils de celui-ci, sir Joseph David Flavelle, et s’éteignit à son décès en 1985.
Par les qualités qui assurèrent son remarquable succès en affaires et dans la vie, Joseph Wesley Flavelle incarnait on ne peut mieux l’esprit classique du capitalisme. Il pratiqua puis prêcha une morale fondée sur le dur labeur, la sobriété et le renoncement à la satisfaction immédiate. Ces principes constituèrent un puissant instrument d’ascension sociale et lui permirent de partir de rien et d’accumuler une fortune, lui qui avait l’intelligence nécessaire pour voir et exploiter les possibilités présentes au Canada dans les années déterminantes qui suivirent la Confédération. Dans son interprétation de la comptabilité et de la responsabilité, Flavelle transposa parfaitement les concepts protestants en des pratiques commerciales efficaces. De même, son sens du devoir, qu’il avait d’abord acquis au sein de son église, l’amena à se consacrer toute sa vie au bien commun et à la philanthropie. En même temps, il eut cependant le malheur d’être empêtré dans certaines des contradictions typiques du capitalisme, notamment la réaction d’envie et de ressentiment provoquée par sa réussite et par l’inégalité sociale dont elle témoignait.
Sir Joseph Wesley Flavelle était un produit de la diaspora protestante irlandaise, de la religion méthodiste et de l’éducation d’une mère déterminée. Il était aussi un produit du centre agricole du Canada et de la ville de Toronto, alors en plein essor. Il devint un industriel, un philanthrope et un fonctionnaire d’envergure nationale et impériale. Dans un commentaire publié par le Saturday Night de Toronto, le journaliste Hector Willoughby Charlesworth* a résumé mieux que quiconque l’étendue de ses réalisations : « En fin de compte, sir Joseph a influencé l’histoire du Canada sur plus de points que n’importe lequel de ses contemporains. »
Le Sir Joseph [Wesley] Flavelle fonds aux QUA constitue une imposante et riche collection, qui contient beaucoup de documents familiaux et personnels. La volumineuse correspondance de Flavelle à titre de président de la Commission impériale des munitions et du Grand Tronc se trouve dans le Joseph Wesley Flavelle fonds à BAC (R1449-0-5). Les McLean family papers, aux AO, F 277, MU 1127, fournissent une importante documentation de première main sur l’histoire de la William Davies Company.
Ces papiers, auxquels il faut ajouter une grande variété d’autres sources archivistiques, dont les journaux de Peterborough, les procès-verbaux de sociétés et d’églises, constituent la base de notre étude A Canadian millionaire : the life and business times of Sir Joseph Flavelle, bart., 1858-1939 (Toronto, 1978). La présente biographie est tirée de ce volume, qui contient une bibliographie détaillée. Aucune autre biographie importante de Flavelle n’a été publiée.
Les études scientifiques récentes sur les relations professionnelles de Flavelle et les organisations dont il a fait partie ont eu tendance à reprendre plutôt qu’à réviser la description, dans A Canadian millionaire, de ses activités et de son influence. L’histoire de l’Église méthodiste a été faite par Neil Semple dans The Lord’s dominion : the history of Canadian Methodism (Montréal et Kingston, Ontario, 1996) ; le Toronto General Hospital est décrit par J. T. H. Connor dans Doing good : the life of Toronto’s General Hospital (Toronto, 2000) ; et la University of Toronto a fait l’objet d’une étude qui fait autorité par M. L. Friedland, The University of Toronto : a history (Toronto, 2002).
Les meilleurs guides publiés sur l’histoire des débuts de la conserverie de porc au Canada sont : William Davies, Letters of William Davies, Toronto, 1854-1861, William Sherwood Fox, édit. (Toronto, 1945) ; et la biographie de Davies dans le DBC, vol. 15. George Albertus Cox et ses relations professionnelles sont étudiés dans l’article qui lui a été consacré dans le vol. 14 du DBC et dans les sources citées en bibliographie.
On peut maintenant trouver des écrits importants sur le climat des affaires avant la Première Guerre mondiale et sur les entreprises auxquelles Flavelle a participé, notamment : Christopher Armstrong et H. V. Nelles, Monopoly’s moment : the organization and regulation of Canadian utilities, 1830-1930 (Philadelphie, 1986), ainsi que Southern exposure : Canadian promoters in Latin America and the Caribbean, 1896-1930 (Toronto, 1988) ; Duncan McDowall, The Light : Brazilian Traction, Light and Power Company Limited, 1899-1945 (Toronto, 1988) ; R. B. Fleming, The railway king of Canada : Sir William Mackenzie, 1849-1923 (Vancouver, 1991) ; T. D. Regehr, The Canadian Northern Railway, pioneer road of the northern prairies, 1895-1918 (Toronto, 1976) ; G. P. Marchildon, Profits and politics : Beaverbrook and the Gilded Age of Canadian finance (Toronto, 1996) ; et Michael Bliss, Northern enterprise : five centuries of Canadian business (Toronto, 1987).
L’histoire du Comité des obus et de la Commission impériale des munitions a été racontée pour la première fois par David Carnegie dans The history of munitions supply in Canada, 1914-1918 (Londres, 1925). Plus récemment, Michael Bliss s’y est intéressé dans « War business as usual : Canadian munitions production, 1914-18 », article paru dans Mobilization for total war : the Canadian, American and British experience, 1914-1918, 1939-1945, N. F. Dreisziger, édit. (Waterloo, Ontario, 1981), 43-55. Pour une étude de la politique conservatrice et du gouvernement Borden, le meilleur ouvrage demeure celui de R. C. Brown, Robert Laird Borden, a biography (2 vol., Toronto, 1975-1980).
MICHAEL BLISS, « FLAVELLE, sir JOSEPH WESLEY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/flavelle_joseph_wesley_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/flavelle_joseph_wesley_16F.html |
Auteur de l'article: | MICHAEL BLISS |
Titre de l'article: | FLAVELLE, sir JOSEPH WESLEY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2011 |
Année de la révision: | 2011 |
Date de consultation: | 12 nov. 2024 |