GIBBS, MIFFLIN WISTAR, homme d’affaires et homme politique, né le 17 avril 1823 à Philadelphie, fils de Jonathan C. Gibbs, ministre méthodiste wesleyen, et d’une prénommée Maria ; en 1859, peut-être à Oberlin, Ohio, il épousa Maria Ann Alexander, du Kentucky, et ils eurent cinq enfants, parmi lesquels deux garçons et deux filles parvinrent à l’âge adulte ; décédé le 11 juillet 1915 à Little Rock, Arkansas.

Jonathan C. Gibbs mourut en 1831 en laissant sa femme avec quatre jeunes enfants et peu d’argent. Obligé de travailler dès l’âge de huit ans, Mifflin Wistar Gibbs conduisit d’abord le cheval d’un médecin, puis devint apprenti charpentier. Inscrit en 1839 à la Philadelphia Library Company, société littéraire afro-américaine qui comprenait d’éminents abolitionnistes, il ne tarda pas à s’engager dans les activités du chemin de fer clandestin. Au cours d’un congrès national contre l’esclavage en 1849, l’abolitionniste Frederick Douglass l’invita à l’accompagner pour une tournée de conférences dans l’ouest de l’État de New York, ce qu’il accepta.

À la fin de la tournée, Gibbs partit pour les régions aurifères de la Californie. Il arriva à San Francisco en septembre 1850 et, en travaillant comme charpentier et cireur de chaussures, il réussit à accumuler assez d’économies pour s’associer à un marchand de vêtements. Un an plus tard, il devint copropriétaire d’une maison d’importation de bottes et chaussures fines, Lester and Gibbs. Cependant, la communauté afro-américaine de la Californie subissait de plus en plus de discrimination. Gibbs réagit contre cette situation. Il aida à fonder et à publier, à San Francisco, le Mirror of the Times, qui prônait l’égalité pour tous. En 1857, lui-même et son associé, Peter Lester, refusèrent de payer la capitation parce qu’ils n’avaient pas le droit de vote. Une partie de leurs marchandises furent saisies et mises aux enchères, mais finalement, un Sudiste blanc, sympathique à leur cause, convainquit la foule de ne pas faire d’offres.

Un an plus tard, la communauté noire décida d’émigrer. Après avoir envisagé de se rendre à Panamá ou au Mexique, elle opta pour l’île de Vancouver, en partie parce que l’on venait d’apprendre qu’il y avait une ruée de l’or dans la région du Fraser. Le premier groupe d’émigrants partit le 20 avril 1858. Gibbs, lui, se mit en route en juin. Il arriva à Victoria avec « un lot imposant de matériel de mineur consistant en farine, bacon, couvertures, pics, pelles, etc. » et vendit le tout immédiatement. Le lendemain de son arrivée, il acheta, au prix de 3 000 $, une maison de plain-pied où il ouvrit un commerce qu’il exploita en association avec Lester (le premier commerce, dit-on, à ne pas appartenir à la Hudson’s Bay Company). En 1859, il retourna passer une courte période aux États-Unis. Ce fut pendant ce voyage qu’il épousa Maria Ann Alexander. L’année suivante, ils étaient à Victoria et habitaient à l’intersection des rues Michigan et Menzies. Leurs cinq enfants verraient le jour dans cette maison.

Bien qu’il soit difficile de déterminer exactement le nombre de Noirs qui s’installèrent dans l’île de Vancouver au xixe siècle, la majorité des quelque 400 que l’on a identifiés jusqu’à maintenant arrivèrent des États-Unis entre 1858 et 1860. Ils exerçaient notamment les occupations suivantes : aide à temps plein, domestique, tenancier de maison de pension, buandière, cuisinier, boulanger, cabaretier, propriétaire de magasin ou d’écurie de louage. La plupart étaient mariés et leurs unions ne prirent fin qu’au décès de l’un des conjoints. À cause de la menace d’aggression américaine par suite du conflit au sujet de l’île San Juan (Washington), les Noirs de l’île de Vancouver formèrent une milice volontaire réservée aux hommes de leur race, le Victoria Pioneer Rifle Corps ; Gibbs en faisait partie. Un « Comité de dames de couleur » recueillait de l’argent pour cette milice et pour d’anciens esclaves restés aux États-Unis. Contrairement à ce qu’ils avaient fait en Californie, les Noirs ne construisirent pas leur propre église en Colombie-Britannique, mais décidèrent qu’il valait mieux s’intégrer aux congrégations existantes. Les Gibbs et les Lester appartenaient à celle de la cathédrale Christ Church.

Les Noirs de l’île de Vancouver faisaient pression en faveur de l’intégration parce qu’ils désiraient obtenir l’égalité d’accès aux institutions, aux services et au processus politique, privilège qui leur avait été refusé aux États-Unis. En 1860, aux élections de la Chambre d’assemblée de l’île, Gibbs et 17 autres propriétaires noirs de sexe masculin votèrent en bloc. Les candidats qu’ils appuyaient, George Hunter Cary* et Selim Franklin, récoltèrent respectivement 137 et 106 voix. Le candidat défait, Amor De Cosmos*, en eut 91. Après le scrutin, Gibbs déclara que la communauté était satisfaite d’avoir finalement pu voter. De Cosmos, rédacteur en chef du British Colonist, lança une virulente campagne contre les immigrants, disant qu’ils s’étaient vendus eux-mêmes, avaient trahi leurs amis et leur pays, et qu’ils étaient victimes de racisme par leur propre faute. Le vote était illégal, soutenait-il, parce que la majorité des Noirs n’étaient pas sujets britanniques. Gibbs riposta en envoyant au journal une lettre où il faisait valoir la loyauté des immigrants à la constitution britannique et leur foi en l’égalité. De Cosmos continua de faire pression pour que la liste des électeurs soit vérifiée. En mars 1861, la plupart des nouveaux arrivants furent déclarés inaptes à voter. Plus tard la même année, Gibbs obtint le statut de sujet britannique afin de s’inscrire comme électeur. Élu au conseil municipal de Victoria en 1866, il fut réélu au scrutin suivant ; pendant un temps, il occupa la présidence du comité des finances. De Cosmos et lui finirent par s’entendre. En 1868, Gibbs fut délégué de l’île Salt Spring au congrès de Yale, où De Cosmos et d’autres membres de la Confederation League présentèrent leurs vues sur l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération.

Dans le domaine des affaires, Gibbs ne s’occupait pas seulement de son magasin. Membre du conseil d’administration de la Queen Charlotte Coal Company, il quitta ce poste pour soumissionner un contrat de la compagnie. Il fut choisi et il partit en janvier 1869 pour l’archipel de la Reine-Charlotte avec 50 hommes afin de construire un chemin de fer et des quais qui serviraient au transport du charbon. Par suite de ses efforts, « la première cargaison d’anthracite jamais découverte sur le littoral du Pacifique » fut expédiée à San Francisco, rapporta-t-il.

Maria Ann Gibbs avait quitté Victoria avec les enfants en 1865. Après avoir réglé ses affaires financières, Mifflin Wistar Gibbs rejoignit sa famille dans les derniers mois de 1869 et entra en 1870 au département de droit d’un collège commercial à Oberlin, dans l’Ohio. En 1871, il s’installa à Little Rock, en Arkansas. Il fut engagé par le cabinet d’avocats Benjamin and Barnes, mais démissionna l’année suivante pour ouvrir son propre cabinet. Membre actif du Parti républicain, il détint par la suite divers postes dans l’appareil judiciaire et gouvernemental jusqu’à sa nomination, en octobre 1897, à la fonction de consul des États-Unis à Madagascar. En 1901, il rentra aux États-Unis et assuma la présidence de la Capital City Savings Bank, établissement majoritairement afro-américain situé à Little Rock. Cette fonction lui laissait le loisir de voyager, et il visita Victoria en 1907. Il mourut riche, dans sa maison de Little Rock, huit ans après.

Sherry Edmunds-Flett

Mifflin Wistar Gibbs est l’auteur de Shadow and light : an autobiography, with reminiscences of the last and present century (Washington, 1902 ; réimpr., New York, 1968).

EAC, Diocese of British Columbia Arch. (Victoria), Christ Church Cathedral, Victoria, reg. of baptisms, 24 oct. 1860.— Arkansas Democrat (Little Rock), 12 juill. 1915 (exemplaire à l’Ark. Hist. Commission, Little Rock).— Arkansas Gazette (Little Rock), 24 août 1903, 12 juill. 1915 (exemplaire à l’Ark. Hist. Commission).— British Colonist (Victoria), 1859–28 juill. 1860, publié par la suite sous le titre Daily Colonist, 31 juill. 1860–1868, particulièrement 26–27 sept., 1er, 11, 15 oct. 1861, 31 août 1907.— Sophia Cracroft, Lady Franklin visits the Pacific northwest : being extracts from the letters of Miss Sophia Cracroft, Sir John Franklin’s niece, February to April 1861 and April to July 1870, Dorothy Blakey Smith, édit. (Victoria, 1974).— Annuaire, C.-B., 1860, 1868.— Sherry Edmunds-Flett, « Family and community life of British Columbia’s nineteenth-century African-Canadian women » (communication présentée à la SHC, Ottawa, 1993).— Eric Foner, Reconstruction : America’s unfinished revolution, 1863–1877 (New York, 1988) (mention incorrecte selon laquelle Gibbs aurait été échevin de Vancouver).— Government Gazette – British Columbia (New Westminster ; Victoria), 1861, 1863–64, 1868 (rôle d’évaluation) (la Government Gazette était publiée à la dernière page du British Columbian de New Westminster, 1861–1862).— Crawford Kilian, Go do some great thing : the black pioneers of British Columbia (Vancouver, 1978).— R. M. Lapp, Blacks in gold rush California (New Haven, Conn., 1977).— The negro trail blazers of California [...], D. L. Beasley, compil. (Los Angeles, 1919 ; réimpr., New York, 1969).— J. W. Pilton, « Negro settlement in British Columbia, 1858–1871 » (mémoire de m.a., Univ. of B.C., Vancouver, 1951).— San Francisco business directory for the year commencing January 1, 1856 [...] (San Francisco, 1856).— R. W. Winks, The blacks in Canada : a history (Montréal, 1971).

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Sherry Edmunds-Flett, « GIBBS, MIFFLIN WISTAR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gibbs_mifflin_wistar_14F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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