HAMILTON-GORDON (Gordon), JOHN CAMPBELL, 7e comte d’ABERDEEN et 1er marquis d’ABERDEEN et TEMAIR, cultivateur, éleveur, horticulteur, gouverneur général et auteur, né le 3 août 1847 à Édimbourg, dernier fils de George John James Hamilton-Gordon, 5e comte d’Aberdeen, et de Mary Baillie ; le 7 novembre 1877, il épousa à Londres Ishbel Maria Marjoribanks, et ils eurent trois fils et deux filles, dont l’une mourut en bas âge ; décédé le 7 mars 1934 à la House of Cromar, Aberdeenshire, Écosse, et inhumé dans le cimetière familial de la Haddo House, au même endroit.

Né dans une famille très en vue du monde politique, John Campbell Hamilton-Gordon pouvait, en toute confiance, espérer jouer un rôle d’envergure dans la vie publique. Son grand-père paternel, conservateur, avait été premier ministre de Grande-Bretagne durant la désastreuse guerre de Crimée. Son père, bien qu’en mauvaise santé pendant longtemps, fut député libéral d’Aberdeenshire avant de porter le titre de comte de 1860 jusqu’à sa mort en 1864. Sa femme et lui avaient inculqué de solides valeurs sociales et évangéliques à leur progéniture. John Campbell, leur troisième fils, hérita des terres et des titres familiaux après que l’aîné, George, qui avait esquivé ses devoirs de succession en s’enrôlant dans la marine marchande américaine, eut disparu en mer en 1870. Le deuxième fils, James Henry, s’était quant à lui tué d’un coup de fusil deux ans auparavant alors qu’il était étudiant à la University of Cambridge. La Chambre des lords ne confirma cependant pas la succession de John Campbell avant 1872.

John Campbell avait alors déjà terminé ses études à la Cheam School, dans le Surrey, à la University of St Andrews et au University College d’Oxford, et avait obtenu de la University of Oxford, en 1871, une licence en histoire moderne et en droit. En digne héritier de sa famille sérieuse et affectueuse, il montra rapidement un caractère aimable, modeste, plein de tact et de sensibilité aux réalités sociales. Passionné de sciences et de littérature, il avait presque toujours un livre à portée de main, comme son grand-père, le premier ministre. Depuis l’enfance, Aberdeen était fasciné par les chemins de fer et les locomotives ; il conserverait cet intérêt tout au long de sa vie. Bien que de petite carrure, il excellait dans les sports à l’université, particulièrement l’aviron, et était un cavalier accompli. Au Canada, il montrerait son habileté en patinage et au curling, et il suivrait le hockey et la crosse avec enthousiasme.

À Oxford, Aberdeen s’intéressa à un mouvement qu’on appellerait Social Gospel, dont les principes inspirèrent son engagement en tant que propriétaire terrien, philanthrope et homme politique. Jusqu’à sa mort, il demeurerait un membre pratiquant et tolérant de l’Église d’Écosse. Plusieurs personnalités nourrirent son œcuménisme : les revivalistes américains Dwight Lyman Moody et Ira David Sankey, qui visitèrent la Grande-Bretagne de 1873 à 1875, le charismatique théologien écossais Henry Drummond à partir de 1884 et, plus tard, le pasteur et romancier canadien Charles William Gordon (Ralph Connor). En 1877, Aberdeen se maria avec Ishbel Maria Marjoribanks, de dix ans sa cadette, et fille d’un magnat de l’industrie brassicole et député libéral de souche écossaise ; cette union fournit un soutien émotionnel et financier à son penchant progressiste et à sa conception de la masculinité centrée sur la famille. À titre d’ami de William Thomas Stead, journaliste à scandale qui publia une série d’articles sensationnels sur la prostitution juvénile dans le Pall Mall Gazette de Londres, en 1885, et d’administrateur de la White Cross Society, organisation réformatrice fondée deux années auparavant, Aberdeen s’imposa comme un homme dévoué à la pureté personnelle, à ce que la réformatrice américaine Frances Elizabeth Caroline Willard appellerait la « vie blanche pour deux » (un même standard de moralité pour les hommes et les femmes), et à la protection des femmes et des enfants contre les violences masculines.

Dans le conflit des classes qui s’intensifiait, Aberdeen soutenait les syndicats et la conciliation industrielle. Il exprima ces sympathies dans son travail pour deux commissions royales établies par la Chambre des lords, l’une sur les accidents de chemin de fer, à laquelle il fut nommé en 1874, et l’autre sur les pertes de vie en mer, dix ans plus tard. Son penchant réformiste se manifestait aussi à Haddo, son domaine en Écosse où il devint le propriétaire le plus libéral du nord-est, disposé à réduire les loyers, améliorer les installations et subventionner l’émigration, le plus souvent vers le Canada. Le comte idéalisait ce pays, qui, selon lui, représentait la possibilité d’un nouveau départ pour les personnes qui désiraient s’y installer. La famille était liée à l’Amérique du Nord britannique depuis l’octroi d’un titre de baronnet en Nouvelle-Écosse au xviie siècle ; ces relations s’intensifièrent quand l’oncle d’Aberdeen, Arthur Hamilton Gordon*, servit à titre de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick dans les années 1860.

Durant ses premières années à la Chambre des lords, Aberdeen siégea comme conservateur, inspiré peut-être par son mentor, le philanthrope lord Shaftesbury. Il s’opposa toutefois à l’acquiescement de la Grande-Bretagne à la suppression de provinces rebelles de l’Europe de l’Est par la Turquie dans les années 1870, et à l’invasion de l’Afghanistan par son propre pays en 1878. Le comte adhérait à l’impérialisme libéral à l’étranger (qui exigeait de la Grande-Bretagne qu’elle mène par l’exemple, selon des valeurs morales supérieures, et qu’elle favorise la démocratie, contrairement à la politique internationale des conservateurs sous la direction de lord Beaconsfield, de plus en plus perçue comme un simple expansionnisme national) et prônait une plus grande démocratie dans son pays. Toujours sous l’influence des sympathies libérales de sa femme et de sa famille, en 1880, il avait déjà traversé le parquet de la Chambre pour devenir un important allié écossais du nouveau premier ministre libéral William Ewart Gladstone. L’année suivante, ce dernier le nomma haut-commissaire à l’assemblée générale de l’Église d’Écosse, poste qu’il conserva jusqu’en 1885. Malgré une certaine opposition, il utilisa cette fonction, avec sa femme, pour tenter de réconcilier l’Église établie et l’Église libre d’Écosse dissidente. Aberdeen suscita également la controverse en défendant le droit de Charles Bradlaugh, athée, de siéger à la Chambre des communes sans prêter serment sur la Bible. Le comte s’associa à d’autres libéraux écossais afin d’exiger un ministre désigné pour l’Écosse et des mesures pour aborder le problème de la centralisation excessive du gouvernement à Londres, selon eux à l’origine de beaucoup de mécontentement local.

Quand, au milieu des années 1880, la plupart des aristocrates écossais abandonnèrent Gladstone sur la question de l’autonomie politique de l’Irlande, l’appui des Aberdeen devint crucial pour la survie du gouvernement libéral. En récompense, le comte fut nommé lord-lieutenant (vice-roi) d’Irlande en 1886. Pour Aberdeen et sa femme, ce poste inaugura une histoire d’amour avec l’Irlande, mais leur valut l’ostracisme de nombreuses personnes de leur rang. Cependant, la défaite de Gladstone aux élections générales de la même année mit rapidement un terme au mandat d’Aberdeen. À la recherche de rôles pour des aristocrates libéraux dans une ère de plus en plus démocratique, le couple entreprit, à la fin de 1886, un voyage autour du monde qui les conduisit en Inde, au Ceylan (Sri Lanka), en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis. Les Aberdeen furent convertis au concept de « commonwealth des nations » envisagé par le futur premier ministre libéral lord Rosebery et devinrent partisans d’un resserrement des liens entre les membres de l’Empire britannique.

En 1890, un autre long voyage outre-mer conduisit les Aberdeen et leurs quatre enfants au Canada. Après des passages à Québec, Montréal et Kingston, ils menèrent quelque temps une vie heureuse à Hamilton, à la Highfield House. Le couple traversa ensuite le pays en empruntant le chemin de fer canadien du Pacifique ; ils rencontrèrent des colons, particulièrement des immigrants écossais installés depuis peu, et se rendirent dans des communautés autochtones. Les Aberdeen profitèrent d’un autre voyage en Amérique du Nord, en 1891, pour aller voir le ranch qu’ils avaient acheté l’année précédente, sans l’avoir visité, dans la région de Kelowna, dans la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique – ils l’avaient baptisé Guisachan, en mémoire de la demeure de lady Aberdeen dans les Highlands –, et pour acquérir une deuxième propriété, beaucoup plus vaste, le Coldstream Ranch, près de Vernon [V. Charles Frederick Houghton*]. Le frère de lady Aberdeen, Coutts Marjoribanks, qui n’avait pas connu de succès comme éleveur de bovins dans le Dakota du Nord, se laissa convaincre de diriger Guisachan, puis Coldstream, en attendant de pouvoir acheter sa propre terre. Les ranchs devaient engendrer des revenus grâce au bétail, aux vergers et à la vente de terres aux « gentlemen émigrants ». De plus, on construisit une usine de confitures à Vernon. Lord Aberdeen se révélerait toutefois un piètre homme d’affaires et vendit ses propriétés à forte perte au début du xxe siècle. Ces entreprises lui permirent néanmoins de se renflouer personnellement et de nourrir une affection durable pour le dominion. Dans la région de Vernon, on se souvint longtemps de lord Aberdeen comme d’un pionnier de l’arboriculture fruitière, d’un cavalier enthousiaste et d’un voisin amical, bien que plutôt timide.

Les Aberdeen avaient espéré retourner en Irlande après la victoire de Gladstone aux élections générales de 1892, mais on les considérait comme trop activistes. Aberdeen se vit alors offrir, entre autres possibilités, la vice-royauté de l’Inde et le poste de gouverneur général du Canada, pour succéder à lord Stanley*, dont la fin de mandat approchait. Malgré son prestige, le premier poste avait peu d’attrait pour un aristocrate dont les aspirations impériales concernaient surtout les colonies de pionniers blancs. Les Aberdeen apprirent le départ précipité de Stanley pendant qu’ils visitaient, au cours de l’été 1893, l’Exposition universelle de Chicago. Ils arrivèrent à Québec le 17 septembre, et le nouveau gouverneur général fut assermenté le lendemain.

Dès le début de son mandat, Aberdeen tenta d’apaiser les conflits entre francophones et anglophones, et entre catholiques et protestants, en se rendant dans chaque région du pays (sauf le Grand Nord), en s’exprimant en français, et en établissant des résidences officielles à Halifax, à Montréal, à Toronto et à Victoria, de même qu’à Québec. Reconnaissant, le maire de Montréal, Alphonse Desjardins*, écrivit le 27 septembre 1893 dans la Patrie que lord Aberdeen s’était fait le défenseur du « grand et noble principe » de l’égalité entre francophones et anglophones. Après son arrivée, Aberdeen manifesta rapidement son acceptation d’une diversité d’attitudes et de croyances, déjà évidente durant son passage à la Chambre des lords. Sans citer directement le nom d’organisations sectaires, telles que la Protestant Protective Association et l’ordre d’Orange, Aberdeen soutint dans un de ses premiers discours à Toronto que la vraie nature du christianisme tenait à « un esprit ouvert, tolérant et sympathique ». Il admirait particulièrement des gens comme l’ex-premier ministre de la province de Québec, le protestant francophone Henri-Gustave Joly* de Lotbinière.

Les Aberdeen se montrèrent aussi réceptifs à d’autres religions et groupes ethniques. En avril 1894, ils assistèrent au service de la veille de la Pâque juive au temple Emanu-El à Montréal [V. Samuel Davis*]. L’année suivante, le gouverneur général inaugura à Regina la Canadian North-West Territorial Exhibition, à laquelle participaient de nombreux chefs des Premières Nations, dont celui des Cris des Plaines, Payipwat*, et celui des Gens-du-Sang, Red Crow [Mékaisto*]. Les Pieds-noirs nommèrent Aberdeen chef honoraire, et le couple vice-royal visita la réserve de Sarcee (en Alberta) [V. Chula*]. En octobre 1896, il fut adopté par les Tsonnontouans de la réserve Six-Nations près de Brantford, en Ontario.

Parallèlement, Aberdeen confirma les liens du Canada avec le « vieux pays » par le biais de sa prédilection pour les traditions écossaises, et en offrant la coupe Aberdeen, en 1895, à la Canadian Golf Association [V. George Seymour Lyon]. La volonté de souligner une histoire et un but communs transparut de façon aussi évidente dans le soutien financier des Aberdeen à des reconstitutions historiques à Ottawa, Toronto et Montréal. Tout en donnant une vision romantique des Premières Nations et des ressources de la terre, ces événements célébraient l’identité des pionniers, venus d’abord de France et du Royaume-Uni, et le triomphe à venir du dominion sur la nature (dont on considérait que les Premières Nations faisaient partie) d’un océan à l’autre. De telles démonstrations visuelles de l’impérialisme et de multiculturalisme restreint étaient extrêmement puissantes et offraient un contrepoids au concept états-unien de destinée manifeste. Le Canadian India Famine Relief Fund, qu’Aberdeen créa en 1897, illustrait concrètement sa conception des devoirs réciproques de l’Empire.

Plus tôt, les Aberdeen s’étaient liés d’amitié avec le premier ministre conservateur sir John Sparrow David Thompson* et sa femme, Annie Emma Affleck*. Après la mort subite de Thompson en Angleterre, en décembre 1894, le gouverneur général dut composer avec un cabinet divisé par des rivalités et des loyautés conflictuelles ; de plus, aucun membre ne s’imposait à la succession. Lord Aberdeen et sa femme n’aimaient pas le prétendant le plus en vue, sir Charles Tupper*, haut-commissaire du Canada à Londres. Ils détestaient tous deux sa partisanerie pompeuse et sa masculinité charnelle, contraires à leur propre sensibilité. Quant aux autres candidatures – celles de George Eulas Foster, John Graham Haggart* et sir Charles Hibbert Tupper* –, elles présentaient toutes des inconvénients. Aussi, Aberdeen invita Mackenzie Bowell*, qui avait assuré l’intérim en l’absence de Thompson, à discuter de la succession. Après de plus amples consultations, le gouverneur général lui demanda de former un gouvernement. Toutefois, le maladroit Bowell s’enlisa ; il ne parvint ni à maintenir l’unité de son cabinet ni à prendre une position résolue dans l’affaire des écoles séparées du Manitoba [V. Thomas Greenway*], ce qui provoqua une série de crises qu’Aberdeen surmonta difficilement.

Sir Charles Tupper revint au Canada en décembre 1895 ; au début du mois de janvier suivant, sept ministres – que Bowell qualifierait de « nid de traîtres » – résignèrent leurs fonctions afin de protester contre le premier ministre. Le gouverneur général tenta de négocier, puis on finit par convenir que Tupper deviendrait secrétaire d’État et chef du gouvernement à la Chambre des communes, et qu’après la dissolution, Bowell donnerait sa démission et Tupper lui succéderait. Momentanément apaisés, les sept démissionnaires revinrent au cabinet et Tupper fut assermenté comme premier ministre le 1er mai. Mais aux élections générales du 23 juin, les libéraux de Wilfrid Laurier* battirent les conservateurs à plate couture. Tupper essaya d’abord de demeurer en poste et dressa une liste de personnes qu’il voulait nommer au Sénat et ailleurs. Aberdeen refusa néanmoins de les confirmer et Tupper démissionna, en reprochant au gouverneur général d’avoir agi de manière anticonstitutionnelle. Des érudits condamneraient les décisions d’Aberdeen, mais la plupart d’entre eux ne l’accuseraient pas d’inconduite. Les critiques porteraient davantage sur le parti pris évident d’Aberdeen et de sa femme pour les libéraux et leur préférence pour Laurier, d’un caractère plus agréable, que le couple espérait depuis longtemps voir au gouvernement. Cependant, dans une lettre au nouveau premier ministre, en mai 1897, le gouverneur général exprima sa désapprobation de la purge que les libéraux effectuaient dans la fonction publique, et dénonça le système des dépouilles canadien, qui mena au congédiement sommaire de tous les fonctionnaires qui avaient été politiquement actifs pour les conservateurs. Il préconisait le principe d’une structure administrative permanente, à l’abri des pressions partisanes.

Le cabinet divisé de Bowell avait entraîné Aberdeen dans une autre controverse, fin 1895. L’immigrant irlandais Francis Valentine Cuthbert Shortis* risquait la peine de mort pour avoir abattu plusieurs employés de la Compagnie des cotons de Montréal à Salaberry-de-Valleyfield, au Québec, au mois de mars précédent. Shortis avait plaidé l’aliénation mentale, et les psychiatres James Vicars Anglin, Charles Kirk Clarke*, Daniel Clark* et Richard Maurice Bucke* témoignèrent en sa faveur. Il fut toutefois reconnu coupable et condamné à être pendu le 3 janvier 1896. L’affaire suscita un débat public très vif et des pétitions furent envoyées au gouvernement pour demander sa clémence. Quand le cabinet se trouva divisé de façon égale sur la question, le gouverneur général, personnellement opposé à la peine capitale, exerça sa prérogative constitutionnelle et commua la sentence en emprisonnement à vie.

Aberdeen reçut de nombreuses marques d’estime pendant ses années au Canada, notamment des diplômes honorifiques de la McGill University, du Queen’s College, de la University of Toronto, du collège d’Ottawa, de l’université Laval, du Bishop’s College, ainsi que de la Princeton University et de la Harvard University aux États-Unis. Quand il décida de mettre un terme à son mandat, à la fin de 1898, il partit avec un grand sentiment d’accomplissement. Le seul aspect négatif de cette période fut l’accumulation de calomnies sur sa femme, dont on jugeait le talent manifeste trop masculin et à la fois trop féministe. Des partisans conservateurs, tels que les Tupper, gardèrent une profonde rancune à l’endroit de ce représentant impérial qu’ils percevaient comme l’outil de Gladstone et qu’ils blâmaient d’avoir fait entrer au gouvernement leurs rivaux libéraux.

Le Canada représentait la conception idéale de l’impérialisme libéral d’Aberdeen, parce qu’il montrait le potentiel de l’accommodation nationale et religieuse. De retour en Grande-Bretagne, à l’instar d’autres ex-gouverneurs généraux dont lord Lorne [Campbell*] et lord Derby (auparavant lord Stanley), il appuya l’Imperial Federation League et le Royal Colonial Institute. Il continua aussi à soutenir l’émigration vers le Canada, à la fois pour les petits cultivateurs d’Écosse et pour les enfants pauvres envoyés par des philanthropes comme Thomas John Barnardo et William Quarrier.

À la fin du siècle, la scène politique en Grande-Bretagne fut ébranlée par la guerre des Boers. Comme beaucoup de libéraux, Aberdeen condamna le comportement des capitalistes britanniques dans les champs aurifères, ainsi que les camps de concentration pour les femmes et les enfants boers. Les profits tachés de sang et la maltraitance de prisonniers choquaient sa haute opinion des devoirs de l’Empire. Il avait cependant peu de sympathie pour les Boers, qu’il trouvait particulièrement brutaux envers les Noirs et, comparativement, peu civilisés. Après la victoire du Parti libéral, dirigé par sir Henry Campbell-Bannerman, aux élections générales de 1906, Aberdeen retourna en Irlande en tant que vice-roi, résolu à promouvoir l’autonomie politique et inspiré par le succès apparent de la confédération des nationalités du Canada. La Grande-Bretagne, toutefois, restait profondément divisée sur la question de l’Irlande, et ni Campbell-Bannerman ni son successeur, Herbert Henry Asquith, ne parvinrent à rassembler assez de soutien pour le mouvement d’autonomie politique. En Irlande, on accusait les Aberdeen de s’être rangés du côté des nationalistes ; les unionistes désireux de maintenir le lien britannique les considéraient comme des traîtres à leur classe et les boycottèrent. Dans cet environnement de plus en plus polarisé, le vice-roi devint un bouc émissaire tout désigné pour les échecs politiques du gouvernement et Asquith l’obligea à démissionner au début de 1915. L’année suivante, Aberdeen fut élevé au rang de marquis, acquérant le nouveau titre de Temair en l’honneur de ses relations irlandaises. De 1915 à 1917, les Aberdeen séjournèrent aux États-Unis, et occasionnellement au Canada, afin de ramasser des fonds pour des causes concernant la santé et les enfants en Irlande.

À la fin de la Première Guerre mondiale, Aberdeen, septuagénaire, était plus une icône qu’un activiste dans les cercles libéraux. Dans ses dernières années, il milita pour la paix et protesta contre le bombardement de civils en Abyssinie (Éthiopie) et en Mandchourie (république populaire de Chine). Les Aberdeen avaient publié à Londres, en 1925, une autobiographie en deux volumes intitulée « We twa » : reminiscences […]. Cet ouvrage, dans lequel le couple défend discrètement ses loyautés personnelles et politiques, fut généreusement reçu comme le testament d’un mariage égalitaire et plein d’amour qui avait fait d’eux des vedettes du mouvement féministe international. Les recueils de blagues écossaises que fit paraître lord Aberdeen furent moins populaires. Sa femme et lui laissèrent la Haddo House à leur fils aîné en 1920 et s’installèrent dans une autre propriété, la House of Cromar, où ils vécurent plus modestement ; incapables de payer les taxes de plus en plus élevées, ils reçurent de l’aide financière de leur voisin millionnaire Alexander MacRobert et, plus tard, de sa veuve, qui leur était beaucoup moins sympathique. Le marquis y mourut en 1934, à l’âge de 86 ans.

Les nécrologies déplorèrent la perte d’un homme qui avait été meilleur que son temps. La carrière de lord Aberdeen montre que quelques aristocrates pouvaient, comme la famille royale britannique, humaniser le gouvernement et contribuer à justifier l’autorité de l’élite. Dans cet esprit, à Toronto, le Globe rappela qu’il avait été « un ami de toutes les causes démocratiques », et que ses inclinations égalitaristes avaient suscité la méfiance de la reine Victoria et du roi Édouard VII. Le marquis aurait lui-même été enchanté de son legs canadien, qui comporte entre autres le mont Aberdeen dans ses Rocheuses adorées.

Veronica Strong-Boag

Lord Aberdeen est l’auteur de : « The affirmation bill », Fortnightly Rev. (Londres), nouv. sér., 33 (avril 1883) : 475–484 ; « Union of Presbyterian Churches », Fortnightly Rev., nouv. sér., 37 (mai 1885) : 717–724 ; Tell me another (Londres, 1925) ; Jokes cracked by Lord Aberdeen (Dundee, Écosse, 1929). Outre l’autobiographie mentionnée dans la biographie, il a écrit en collaboration avec sa femme, lady Aberdeen : Archie Gordon : an album of recollections of Ian Archibald Gordon (s.l., 1910) ; The women of the Bible (Londres, 1927) ; et More cracks with « we twa » (Londres, [1929]).

La principale collection des Aberdeen papers se trouve à la Haddo House, dans l’Aberdeenshire, en Écosse. BAC conserve l’autre groupe important de ces papiers, dans le John Campbell Hamilton Gordon, 1st Marquess of Aberdeen and Temair fonds (R5319-0-1). Notre ouvrage intitulé Liberal hearts and coronets : the lives and times of Ishbel Marjoribanks Gordon and John Campbell Gordon, the Aberdeens (Toronto, 2015) contient des sources d’information supplémentaires sur la vie et la carrière de lord Aberdeen.

Globe, 8 mars 1934.— Times (Londres), 8 mars 1934.— M. A. Banks, Sir John George Bourinot, Victorian Canadian : his life, times, and legacy (Montréal et Kingston, Ontario, 2001).— Sarah Carter, « “Your great mother across the salt sea” : prairie First Nations, the British monarchy and the vice regal connection to 1900 », Manitoba Hist. (Winnipeg), no 48 (automne–hiver 2004) : 34–48.— M. L. Friedland, The case of Valentine Shortis : a true story of crime and politics in Canada (Toronto et Londres, 1986).— Ben Griffin, The politics of gender in Victorian Britain : masculinity, political culture and the struggle for women’s rights (Cambridge, Angleterre, et New York, 2012).— Marjory Harper, Emigration from north-east Scotland (2 vol., Aberdeen, Écosse, 1988).— The journal of Lady Aberdeen : the Okanagan valley in the nineties, R. M. Middleton, édit. (Victoria, 1986).— ODNB.— M. A. Ormsby, Coldstream : nulli secundus […] (Vernon, C.-B., 1990).— Marjorie Pentland, A bonnie fechter : the life of Ishbel Marjoribanks, Marchioness of Aberdeen & Temair […] 1857 to 1939 (Londres, 1952).— J. T. Saywell, « The crown and the politicians : the Canadian succession question, 1891–1896 », CHR, 37 (1956) : 309–337 ; « Introduction » dans [I. M. Marjoribanks Hamilton-Gordon, marquise d’]Aberdeen [et Temair], The Canadian journal of Lady Aberdeen, 1893–1898, J. T. Saywell, édit. (Toronto, 1960), xiii–lxxxiv.— [W. T. Stead], « Character sketch : Lord and Lady Aberdeen », Rev. of Reviews (Londres), 9 (janvier–juin 1894) : 132–147 (l’ICMH possède un exemplaire (no 13920) avec un titre et une pagination légèrement différents).— J. T. Watt, « Anti-Catholic nativism in Canada : the Protestant Protective Association », CHR, 48 (1967) : 45–58.

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Veronica Strong-Boag, « HAMILTON-GORDON, JOHN CAMPBELL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hamilton_gordon_john_campbell_16F.html.

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Auteur de l'article:    Veronica Strong-Boag
Titre de l'article:    HAMILTON-GORDON, JOHN CAMPBELL
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2019
Année de la révision:    2019
Date de consultation:    9 nov. 2024