JOHNSTON, JAMES ROBINSON, avocat et leader communautaire, né le 12 mars 1876 à Halifax, aîné des cinq fils de William Johnston, cordonnier, et d’Elizabeth Ann Thomas, et neveu de Louisa Ann Johnson ; le 26 février 1902, il épousa à Windsor Junction, Nouvelle-Écosse, Janie (Jennie) May Allen, et ils eurent un enfant ; décédé le 3 mars 1915 à Halifax.

Le mariage d’Elizabeth Ann Thomas, enceinte de huit mois de James Robinson Johnston, fut célébré par le père de la mariée, le révérend James Thomas, Gallois d’origine et leader des baptistes noirs de la Nouvelle-Écosse. Bien que James Robinson ait perdu son grand-père à l’âge de trois ans, il bénéficia du réseau familial des Thomas, dont étaient issus plusieurs des hommes qui dirigèrent la communauté noire de Halifax dans le dernier quart du xixe siècle, notamment William B. Thomas, troisième fils de James Thomas, Peter Evander McKerrow*, qui épousa la fille aînée du pasteur, et le père de James Robinson.

En 1882, Johnston entra à la Maynard Street School, école pour enfants de race noire située au centre de Halifax. En 1887, en raison de la réforme scolaire et de ses propres aptitudes, il fut transféré dans une école voisine, l’Albro Street School. Il fréquenta un dernier établissement public, la Halifax Academy, avant d’entrer à la Dalhousie University en 1892. Il appartenait à la première génération de Néo-Écossais d’origine africaine à avoir accès aux établissements d’enseignement supérieur de la province. La plupart des Noirs n’achevaient pas leurs études ou les poursuivaient ailleurs. Johnston obtint une licence ès lettres en 1896 (il fut le premier diplômé noir de Dalhousie) et une licence en droit en 1898. Dans les dernières étapes de ses études de droit, il entreprit son stage chez Frank Weldon Russell. Son admission au barreau de la Nouvelle-Écosse eut lieu en juillet 1900. Sa carrière débuta sous de très bons auspices grâce à John Thomas Bulmer*, qui, dans les dernières décennies du xixe siècle, avait représenté beaucoup de Noirs éminents dans leurs poursuites judiciaires contre l’establishment. Bulmer prit Johnston dans son cabinet pour lui permettre d’achever ses études tout en commençant à exercer. Après la mort précoce de Bulmer en 1901, Johnston reprit le cabinet. Il fut le seul Noir à pratiquer le droit en Nouvelle-Écosse avant la Première Guerre mondiale.

Pendant 14 ans, Johnston fut souvent avocat-conseil dans des procès qui se tinrent devant divers tribunaux, y compris des tribunaux militaires. Bien qu’il ait représenté des Néo-Écossais de race noire dans des affaires criminelles et civiles et ait défendu leurs intérêts dans des litiges relatifs à des biens, à des successions et à des droits, sa clientèle était beaucoup plus vaste. D’ailleurs, travailler presque uniquement pour la communauté noire ne lui aurait probablement pas permis de gagner sa vie. Par bonheur, il fut moins victime du racisme que la plupart des Noirs de la province : la quête de respectabilité à laquelle s’était adonnée la génération de son père avait préparé la société à l’accepter. Cependant, sa participation à la vie sociale était assez symbolique. Ainsi, il fut le seul Haligonien de la communauté noire à être présenté au duc et à la duchesse de Cornwall en 1901 lorsque le couple royal visita la ville. En échange de faveurs de ce genre, ses confrères du Parti conservateur s’attendaient qu’il convainque les Noirs de voter pour eux et ses collègues juristes voulaient qu’il représente les pauvres hères en justice lorsque le tribunal lui confiait cette tâche.

Johnston participa à une grande variété de procès. En 1902, il défendit un toxicomane devant le tribunal de police. En 1903 à la Cour suprême, puis en 1911 au tribunal du comté de Halifax à titre d’assistant de Walter Joseph Aloysius O’Hearn, il obtint que des accusations de viol portées contre des Noirs soient ramenées à des accusations de tentative de viol. En 1909, au cours de ce qui fut, dit-on, le plus long procès tenu en cour martiale selon les règlements britanniques, il eut gain de cause en défendant un quartier-maître contre une accusation d’irrégularités dans son mess. Cinq ans plus tard, au tribunal du comté, il représenta le chemin de fer Intercolonial, l’employeur de tant d’hommes de sa race, dans des poursuites pour vol.

À lire la presse, qui rendait compte de ses activités sociales, de ses voyages et même de ses petits problèmes de santé, on a l’impression de suivre l’ascension d’un jeune homme débordant d’énergie. Au sein de la communauté noire, Johnston exerçait toutes les fonctions importantes, sauf celle de prédicateur, et encore, il prononçait souvent des discours de circonstance à l’église baptiste Cornwallis Street. Fidèle à la tradition familiale, il jouait un rôle de premier plan dans les associations noires. En 1907, il succéda à Peter Evander McKerrow à titre de secrétaire de l’African Baptist Association of Nova Scotia. Tout comme ses oncles, il appartint à la loge des francs-maçons de race noire, la Union No. 18. Devenu maître maçon en 1904, il fut maître de la loge de 1906 à 1908, secrétaire de 1908 à 1911 et administrateur de la salle de réunion des loges de Halifax. Il était prévisible qu’il finisse par s’inscrire à l’Independent Order of Good Templars (Morning Glory Lodge) et à la Manchester Unity (Wilberforce Lodge) de l’Independent Order of Odd Fellows. De même, il était logique qu’il soit le principal représentant des loges noires dans les organisations et activités de district. Ainsi, il fut secrétaire du district de Halifax de l’Independent Order of Good Templars, corédacteur en chef du Maritime Oddfellow de Halifax et organisateur du kiosque de sa loge à la foire maçonnique de 1906.

De plus, Johnston incitait fortement les siens à participer à des activités culturelles qui contribuaient à la fierté raciale si énergiquement prônée au début du siècle. Le talent des Noirs s’exprimait notamment par la musique. Johnston jouait de l’orgue, comme bon nombre de ses parents et amis, et il devint en 1902 président d’une nouvelle association noire de musique, l’Aetna Club. Deux ans plus tard, il était secrétaire du Colored People’s Célébration Committee, qui était chargé d’organiser la fête du cinquantenaire de la fondation de l’African Baptist Association. Réplique des célébrations publiques du règne de Victoria, le jubilé devait d’abord être une manifestation annuelle qui rassemblerait les Noirs de la Nouvelle-Écosse dans une organisation vouée à l’amélioration de la condition de leur race. Toutefois, cette célébration n’atteignit pas les objectifs à long terme qu’on avait fixés, peut-être parce qu’elle était dirigée par des baptistes en un temps où certains Noirs éminents appartenaient à d’autres Églises. Johnston acquit également la sympathie de sa communauté en dénonçant le racisme des Blancs et en s’occupant de cas individuels, comme en témoigne la présence de couronnes offertes par les Johnston aux obsèques de toutes les personnes de race noire. Johnston fut peut-être le premier en Nouvelle-Écosse à prôner l’établissement d’une école technique pour les enfants noirs, suivant les idées de Booker Taliaferro Washington.

Cependant, aucune vie n’est parfaite, et Johnston avait sa part d’ombre. En tant qu’administrateur de propriétés laissées par des parents à lui, il les négligeait à tel point que, dans certains cas, c’était presque des taudis. Bon nombre de membres de sa famille, moins avantagés que lui, sollicitaient constamment son aide. Ainsi, il trouva du travail à court terme et fournit un logement à son beau-frère Harry Allen, qui finit par l’assassiner de sang-froid dans sa propre maison. Peut-être avait-il provoqué Allen en lui adressant des reproches et des critiques, mais cinq balles dans la tête étaient une lourde vengeance. Comme le mobile paraissait insignifiant et que l’avocat de la défense réussit à convaincre Janie May Johnston d’exonérer son frère en affirmant que son mari la maltraitait, la mort de Johnston devint « une cause gigantesque d’embarras » pour la communauté noire. Les leaders noirs se rallièrent à la cause d’Allen et le sauvèrent de la potence.

Qu’il ait ou non battu sa femme, Johnston connaissait depuis longtemps les conflits familiaux. En tant qu’avocat, il avait participé à des poursuites intentées par la Nova Scotia Society for the Prevention of Cruelty [V. John Naylor*], dont un cas de garde d’enfant et un cas d’inceste. En 1914, aux audiences de la Cour suprême à Halifax, il défendit brillamment un homme accusé d’avoir tué la grand-mère de sa conjointe à coups de gourdin et il obtint gain de cause. Dans sa jeunesse, il avait été témoin des difficultés conjugales de ses parents. En 1894, sa mère s’était plainte de « mauvais traitements » de la part de son mari à la Society for the Prevention of Cruelty ; en 1901, ils étaient séparés et se disaient tous deux veufs. Le mariage de Johnston semble aussi avoir été malheureux, du moins au dire de sa veuve.

Sa mémoire ayant été entachée et ses affaires financières laissées dans un désordre qui allait favoriser les querelles familiales, James Robinson Johnston tomba vite dans l’oubli. Pourtant, dans sa courte carrière, il avait réalisé les plus hautes ambitions nourries par les Néo-Écossais de d’origine africaine au xixe siècle.

Judith Fingard

Un grand nombre de sources primaires pouvant servir à l’étude de la vie de James Robinson Johnston sont citées dans [J.] B. Cahill, « The « Colored Barrister » : the short life and tragic death of James Robinson Johnston, 1876–1915 », Dalhousie Law Journal (Halifax), 15 (1992) : 336–379. De plus, l’Acadian Recorder et d’autres quotidiens contiennent de nombreuses références à son travail et à ses activités. Pour avoir des détails sur le contexte, voir notre article « Race and respectability in Victorian Halifax », dans le Journal of Imperial and Commonwealth Hist. (Londres), 20 (1991–1992) : 169–195, ainsi que les articles suivants : Philip Girard, « His whole life was one of continual warfare » : John Thomas Bulmer, lawyer, librarian and social reformer », Dalhousie Law Journal, 13 (1990) : 376–405 ; Suzanne Morton, « Separate spheres in a separate world : African–Nova Scotian women in late-19th-century Halifax County », Acadiensis (Fredericton), 22 (1992–1993), no 2 : 61–83 ; A. P. Oliver, A brief history of the colored Baptists of Nova Scotia, 1782–1953 [...] ([Halifax, 1953]).  [j. f.]

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Judith Fingard, « JOHNSTON, JAMES ROBINSON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 5 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/johnston_james_robinson_14F.html.

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Auteur de l'article:    Judith Fingard
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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