LAUSON, JEAN DE (père), gouverneur de la Nouvelle-France, né vers 1584, décédé à Paris le 16 février 1666.

D’une ancienne famille de robe d’origine bretonne établie au Poitou depuis le xvie siècle, Jean de Lauson était le fils aîné de François de Lauson, seigneur de Lirec, conseiller au parlement, et d’Isabelle Lottin, fille du seigneur de Charny. Jeune, il commença à suivre les traces de ses ancêtres. Le 3 février 1613, il fut nommé conseiller au parlement et, le 23 mai 1622, maître des requêtes. En cette dernière qualité, il eut à instruire, en 1632, le procès de Henri II, duc de Montmorency et, deux ans après, celui du duc d’Épernon. Plus tard, il fut tour à tour président du grand conseil, intendant de Provence puis de Guyenne et, vers 1640, intendant du Dauphiné. Mais déjà, vers 1627, il avait entamé un rapport avec les affaires de la Nouvelle-France qui devait lui faire tenir des postes clefs de son administration durant 30 ans à venir. Quand Richelieu résolut de former la Compagnie des Cent-Associés, Jean de Lauson en fut un des premiers membres, agréé le jour même de la fondation, le 29 avril 1627. Il prit la plus grande part à son organisation et, quelques mois plus tard, à la demande des premiers associés, il en fut nommé par Richelieu l’intendant ou directeur. C’était là une charge très recherchée, car c’était dans l’hôtel même de l’intendant que devaient se tenir les délibérations et se rendre les comptes ; en fait, M. de Lauson remplaçait Richelieu absent et devint la cheville ouvrière de la compagnie.

Comme intendant, Lauson eut à s’occuper de la restitution du Canada à la France après la prise de Québec par les frères Kirke. Dès 1629, Champlain lui écrivait de Douvres pour lui raconter ce qui s’était passé et, en 1631, le fondateur de Québec rendit à Lauson le témoignage que c’était grâce à son influence que fut négociée la restitution de la colonie. En même temps, Lauson appuya les Jésuites dans leur campagne pour se faire attribuer l’exclusivité de l’apostolat au Canada. Les Récollets en réclamaient le droit de primauté, et les Capucins disposaient de l’influence du père Joseph, le conseiller de Richelieu. Mais Lauson suggéra aux Capucins de prendre en échange la mission de l’Acadie, jusque-là desservie par les Récollets, puis il refusa lui-même à ces derniers le passage gratuit au Canada et leurs allocations de 600# par an. En 1634 et en 1635, il s’opposa encore à leur départ. Puis, devant leurs réclamations répétées auprès des directeurs de la compagnie, il obtint, en janvier 1651, de référer leur requête au Conseil de Québec. Alors, il était déjà nommé gouverneur et se renvoyait ainsi à lui-même la décision qui ne pouvait être que négative.

En sa qualité d’intendant de la compagnie, Lauson profita aussi de son influence pour faire concéder de vastes propriétés à sa famille : à son fils aîné, François, il octroya une étendue de pays allant de la rivière des Iroquois (Richelieu) jusqu’au Châteauguay moderne. Puis, se servant de prête-noms, il obtint pour lui-même l’île de Montréal, un huitième de la seigneurie de Beaupré, de l’île d’Orléans, et toute l’étendue de la seigneurie qui porta désormais son nom (1636). Dès 1640, les Lauson, père et fils, étaient devenus les plus grands propriétaires fonciers de la colonie.

Vers 1640, Jean de Lauson fut nommé intendant du Dauphiné avec résidence à Vienne. C’est là qu’il reçut, en août 1640, la visite du père Charles Lalemant, qui négocia au nom de la Société Notre-Dame de Montréal l’achat de l’île où l’on projetait de fonder Ville-Marie. (Selon quelques auteurs, Lauson l’aurait vendue au prix exorbitant de 150 000#, et les Cent-Associés auraient annulé la vente et reconcédé l’île en décembre 1640.)

Entre-temps, la situation en Nouvelle-France devenait de plus en plus précaire à cause des guerres iroquoises. Les affaires, tant de la Compagnie des Cent-Associés que de la jeune Communauté des Habitants, empiraient. Lauson se serait alors offert pour régler les difficultés. De toute façon, à la recommandation des Cent-Associés et avec l’appui du père Jérôme Lalemant, il fut nommé gouverneur de la Nouvelle-France le 17 janvier 1651, sa commission devant prendre effet à son arrivée dans la colonie. M. de Lauson débarqua à Québec le 13 octobre 1651, pour y demeurer comme gouverneur jusqu’en septembre 1656. Il apportait une lettre du roi, datée du 8 mai 1651, lui conférant le droit d’édicter « souverainement et en dernier ressort [...] tels statuts et reglemens que jugerez raisonnables, soit pour les armées, la justice, la police, [...] et la traite des castors ». Et il ne tarda pas, en effet, à se servir de ses vastes pouvoirs.

Dès les premiers mois de son administration, Lauson vit à établir ses fils Jean et Louis, débarqués avec lui. Il nomma le premier grand sénéchal de la Nouvelle-France et lui accorda plusieurs concessions dans la seigneurie de Lanson et sur des terres aux environs de Cap-Rouge. À Louis, sieur de La Citière, il concéda une nouvelle seigneurie nommée Gaudarville en honneur de Mme de Lauson, Marie Gaudar, apparemment décédée en France. À son fils cadet, Charles, arrivé à Québec le 1er juillet 1652, il donna le titre de grand maître des eaux et forêts en plus de plusieurs fiefs, dont ceux de Charny et Lirec. Les ayant dotés de telles propriétés, le gouverneur vit aussi à marier ses fils aux familles souches de la colonie. Jean, le grand sénéchal, épousa Anne Després, belle-sœur de Guillaume Guillemot ; Charles se maria avec Louise, fille de Robert Giffard, seigneur de Beauport ; Louis s’unit à Catherine Nau, belle-sœur de Joseph Giffard et nièce de M. Gaudais-Dupont. En établissant ainsi ses fils, qui auraient pu occuper en France des positions enviables – François, l’aîné, était déjà conseiller au parlement de Bordeaux —, Lauson voulait-il inspirer confiance aux colons découragés par la pénurie et les attaques indiennes ? De toute façon, de tous les gouverneurs français, il fut le seul qui ait encouragé la culture de la terre en établissant ses fils au Canada.

M. de Lauson s’efforça aussi de résoudre le problème indien. Depuis 1649, les Iroquois étaient maîtres des routes des fourrures et la colonie vivotait. En 1653, alors que les colons songeaient à repasser en France, il réussit à conclure un traité avec les Agniers, qui envoyèrent leur chef, Andioura, négocier à Québec. Mais, trois ans plus tard, les mêmes Agniers, jaloux de la promesse des Français d’établir un poste chez les Onontagués, décidèrent d’attaquer les Hurons de l’île d’Orléans. Le 20 mai 1656, au nombre de 300, ils débarquèrent dans l’île et réduisirent en cendres la bourgade huronne, massacrant ou capturant leurs ennemis. Repassant sous les murs de Québec, ils chantèrent des insultes aux Français sans que ceux-ci osent leur donner la chasse et leur arracher leurs prisonniers. Les Québécois voulurent intervenir, mais Lauson, qui avait fait fortifier la résidence des Jésuites en cas d’urgence, s’y refusa absolument songeant sans doute au peu de ressources dont il disposait. Il continua néanmoins d’encourager l’expédition chez les Onontagués, dirigée par le père Simon Le Moyne, qu’il avait lui-même sanctionnée.

Entre-temps, il essuyait aussi de grandes difficultés dans la question de la traite des fourrures. Depuis 1648, la prospérité de la colonie et de son gouverneur baissait continuellement, malgré des mesures sévères prises par Lauson en 1652 pour contrôler le commerce et augmenter ses propres revenus. En 1653, Lauson signa la paix, mais si les attaques iroquoises cessèrent pour le moment, il n’y eut pas d’amélioration commerciale sensible. Alors, en 1654, ayant obtenu un renouvellement de son mandat, Lauson s’attribua le monopole de la traite en interdisant tout départ sans un congé de sa main et en expédiant à l’intérieur deux de ses propres partisans (dont Chouart Des Groseilliers, semble-t-il). Devant ces abus, les habitants déléguèrent à Paris un syndic, qui porta plainte aux Cent-Associés et, par leur entremise, au roi. Louis XIV édicta en conséquence (15 mars 1656) que le procureur fiscal de la compagnie siégerait dorénavant au conseil, où les comptes de la traite seraient rendus. À Québec, le conseil s’empressa d’obéir au décret en accordant à tous les habitants le droit de traiter dans tout le pays. M. de Lauson, se sentant visé spécialement par l’arrêt du roi, décida de rentrer en France pour veiller à son influence. Il laissa l’administration à son fils Charles, sieur de Charny, et quitta Québec en septembre 1656. Avant de partir, il s’empara néanmoins d’une forte part des 300 000# de fourrures que Des Groseilliers déchargea à Québec pendant l’été, puis il se fit verser par Charles Sevestre, le commis des recettes de la compagnie, la somme de 3 000# pour ses frais du voyage, qu’il fit sur un des vaisseaux de la compagnie, présumé-ment sans bourse délier. Il semble difficile de ne pas blâmer l’ambition et la cupidité du vieux gouverneur, même si les fils qu’il avait donnés à la colonie et qu’il y laissait devaient honorer la Nouvelle-France de leurs talents et de leurs sacrifices. Les directeurs des Cent-Associés l’exonorèrent cependant, tout en regrettant (dans un décret du 7 mars 1657) l’accaparement de la traite « par les plus forts [...] qui attirent le bénéfice à eux seuls ». Plus tard, Lauson fut nommé au poste de sous-doyen du Conseil royal.

La correspondance des missionnaires et d’autres contemporains parle de Lauson comme d’un homme vertueux et lettré. Il possédait, paraît-il, une des plus riches bibliothèques de France, et s’en servait. Mais on le dit aussi ambitieux et lâche, sans expérience, mal conseillé et manquant de décision. Chose certaine : qu’il ait eu ou non les qualités requises pour gouverner, il eut à faire face à une décennie de revers qui en firent une des plus difficiles de l’histoire de la Nouvelle-France.

J. Monet

De la famille des Lauson, éd. Louis-Hippolyte Lafontaine, dans Mémoires et Documents relatifs à lhistoire du Canada (« MSHM », II, 1859), 65–96.— Édits ord., III : 16.— JR (Thwaites).— Mémoires des commissaires, I : 157 ; II : 501 ; IV : 180, 219 ; Memorials of the English and French commissaries, I : 117, 211, 365, 717.— Les Ordonnances du gouverneur de Lauzon, RAPQ, 1924–25 : 377–391.— P.-G. Roy, Inv. concessions.— T.-P. Bédard, Le Gouverneur Jean de Lauson et ses trois fils, étude historique (1651), Nouvelles Soirées canadiennes, I (1882) : 55–61, 84–90, 115–122.— BRH, XXI (1915) . 140, XXII (1916) : 33 ; XXVI (1920) : 343.— Couillard-Després, La Première Famille française au Canada, 266–273.— Garneau, Histoire du Canada, I. —Amédée-E. Gosselin, Notes et Documents concernant les gouverneurs dAilleboust, de Lauzon et de Lauzon-Charny, MSRC, XXVI (1932), sect. i : 83–96.— Lionel Laberge, Histoire du fief de Lotinville, 1652–1690 (L’Ange-Gardien, 1963).— Lanctot, Histoire du Canada, I.— L. Lauzon, Un Pionnier de Ville-Marie, Gilles Lauzon et sa postérité (Québec, 1926).— J.-E. Roy, Hist. seign. Lauzon, I.— P.-G. Roy, La Ville de Québec, I.

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J. Monet, « LAUSON, JEAN DE (père) (mort en 1666) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lauson_jean_de_1666_1F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
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