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BARRIN DE LA GALISSONIÈRE, ROLAND-MICHEL, marquis de LA GALISSONIÈRE, officier de marine, commandant général de la Nouvelle-France, né à Rochefort le 10 novembre 1693, fils de Roland Barrin de La Galissonière, lieutenant-général des armées navales, et de Catherine Bégon, sœur de l’intendant Michel Bégon ; il épousa en 1713 Marie-Catherine-Antoinette de Lauson, apparentée à la famille de l’ancien gouverneur de la Nouvelle-France, Jean de Lauson* ; décédé à Montereau, près de Fontainebleau, le 26 octobre 1756.
Après de solides études au collège de Beauvais, à Paris, sous la conduite de Charles Rollin, La Galissonière entra aux gardes de la Marine à Rochefort le 1er novembre 1710 et fit sa première campagne sur le Héros, qui transporta en 1711 des approvisionnements au Canada. Promu enseigne de vaisseau dès le 25 novembre 1712, il servit le plus souvent à Rochefort jusqu’en 1736, avec toutefois quelques embarquements qui le conduisirent au Canada, à l’île Royale (île du Cap-Breton), aux Antilles, en Méditerranée et le long des côtes d’Espagne. Nommé aide-major à Rochefort le 7 mai 1726, il opta le 17 mars 1727 pour le service normal de lieutenant de vaisseau et commanda le Dromadaire en 1734 et 1735 pour une campagne aux îles d’Amérique. En 1737, il reçut le commandement du Héros pour une nouvelle mission de transport au Canada. Les puissantes protections familiales dont il bénéficiait, plus que ses mérites, lui valurent d’être promu capitaine de vaisseau le 1er avril 1738 et créé chevalier de Saint-Louis le 13 mai suivant. En 1739, il transporta des approvisionnements à Louisbourg, île Royale, avec le Rubis qu’il commandait. L’année suivante, il servit en Méditerranée sur le vaisseau l’Espérance.
De 1741 à 1743, il commanda le Tigre faisant partie de l’escadre du lieutenant-général Court de La Bruyère, laquelle ne quitta pratiquement pas la rade de Toulon. En 1744, La Galissonière se rendit à Brest pour y commander la Gloire, un des 19 vaisseaux de l’escadre du comte de Roquefeuil, lieutenant-général ; celle-ci devait appuyer les tentatives de débarquement en Angleterre de Charles-Édouard, dit le Jeune Prétendant. Le 1er février 1745, La Galissonière fut nommé commissaire général d’artillerie à Rochefort et s’occupa à ce titre de la mise en état de défense des côtes d’Aunis et de Saintonge.
En février 1746, La Galissonière recevait le commandement du Juste, qui devait, en compagnie du Sérieux, protéger les établissements et les navires de la Compagnie des Indes sur les côtes d’Afrique. Suivant les instructions ministérielles, les deux vaisseaux partirent de l’île de Groix le 27 avril 1746, arrivèrent au Sénégal le 26 mai et repartirent le 28 juin pour retrouver le 2 août, à Fernando de Noronha (au large du Brésil), trois bâtiments de la compagnie, dont deux venaient de Chine. La Galissonière repartit le 29 août pour la Grenade, où il retrouva le Philibert, autre vaisseau de la compagnie, et tous appareillèrent pour la France le 3 octobre, mais le Juste et le Sérieux arrivèrent seuls à Rochefort le 7 décembre, car ils avaient perdu de vue par gros temps, à l’est du banc de Terre-Neuve, leur convoi qui parvint cependant à Lorient sans encombre.
Pendant qu’il naviguait ainsi pour protéger les intérêts de la compagnie, de graves événements s’étaient produits au Canada. Le marquis de La Jonquière [Taffanel] avait été nommé gouverneur général le 15 mars 1746 mais sa participation à l’expédition du duc d’Anville [La Rochefoucauld] en Acadie l’avait empêché de rejoindre aussitôt son poste et, lorsqu’il partit pour Québec en mai 1747, le convoi qu’il escortait fut attaqué par une escadre anglaise supérieure et lui-même fait prisonnier. Le ministre Maurepas, qui, de toute évidence, protégeait La Galissonière, pensa à lui pour assurer le commandement de la colonie pendant l’absence du titulaire. C’est ainsi que, le 1er mai 1747, il fut chargé des fonctions de commandant général en Nouvelle-France. Maurepas lui écrivait le 14 juin : « M. de La Jonquière étant pourvu du gouvernement général, il n’est pas possible pour le présent de vous expédier les provisions mais les lettres de commandement vous donnent les mêmes pouvoirs, les mêmes droits, la même autorité, les mêmes honneurs attachés à la charge de lieutenant général et vous jouirez des mêmes appointements. »
Ce n’est qu’à contrecœur que La Galissonière accepta ses nouvelles fonctions ; il aurait préféré continuer à servir dans la marine puisqu’il venait de refuser le gouvernement général de Saint-Domingue, après avoir été désigné pour prendre le commandement du Monarque dans l’escadre du marquis de L’Étenduère, en armement pour les Antilles. Il ne se décida à partir pour Québec que « lorsqu’on lui a fait envisager que sa présence y étoit nécessaire pendant la guerre ». La cour lui sera reconnaissante de ce dévouement car, lorsqu’il sera promu chef d’escadre le 7 février 1750, ce sera « en raison de la promptitude avec laquelle il a sacrifié son repos, son goût et son intérêt personnel aux besoins pressans du service ». La Galissonière s’embarqua donc sur le Northumberland et arriva à Québec le 19 septembre 1747. Il n’était guère au fait des affaires de la Nouvelle-France car il n’en connaissait que ce que pouvait en voir un marin de passage mais, en officier consciencieux, il s’efforça aussitôt de s’instruire en conférant avec son prédécesseur Charles de Beauharnois, auquel d’ailleurs des alliances de famille le rattachaient, et avec l’intendant Gilles Hocquart*.
La situation générale n’était guère brillante, car la guerre durait depuis trois ans et avait mis à rude épreuve les finances déjà précaires de la colonie qui se trouvait gravement menacée par la politique d’expansion des Anglais. Loin d’être découragé par ces difficultés, La Galissonière chercha avec énergie à les résoudre et toute sa politique fut, par la force des choses, axée sur la défense et sur une action qu’il conçut d’une manière aussi globale que possible. Comme l’avaient fait ses prédécesseurs, il ne cessa de harceler les ministres pour obtenir l’envoi de renforts de troupes car les effectifs dont il disposait demeuraient squelettiques. On devait donc recourir au recrutement d’habitants et d’Indiens, ce qui présentait l’inconvénient de coûter cher et de nuire à la culture des terres, et il se heurta sur ce point à des obstacles insurmontables. « Il n’y a point de fonds particuliers pour les dépenses des Colonies, lui explique Maurepas le 6 mars 1748, elles se prennent sur les fonds de la Marine et il s’en faut beaucoup qu’on lui accorde ceux qui lui seroient nécessaires pour ses propres besoins. » On lui recommandait en conséquence de s’en tenir à une stratégie purement défensive et de se suffire à lui-même. Le ministre lui avait même refusé les canons demandés pour les fortifications de Québec et de Montréal dont la construction avait été décidée en principe en 1745 après la chute de Louisbourg. La Galissonière s’était déclaré favorable à ce dernier projet, suivant en cela les idées de son temps et se refusant à comprendre que de tels travaux engloutissaient des sommes énormes pour une utilité des plus contestables, comme le récent siège de Louisbourg venait pourtant de le prouver. Tout au plus suffisait-il de construire des retranchements légers comme le fort Saint-Jean destiné à doubler le fort Saint-Frédéric (Crown Point, N.Y.) et à faciliter la colonisation de la région du lac Champlain, entreprise au printemps de 1748 sous la direction de l’enseigne Gaspard-Joseph Chaussegros* de Léry ; ce dernier bénéficia d’une sollicitude particulière de la part du commandant général.
La Galissonière accorda aussi à juste titre la plus grande importance aux affaires d’Acadie. Les limites de cette province demeuraient flottantes depuis 1715 ; aussi, en 1749, le commandant général envoya-t-il un détachement commandé par Charles Deschamps* de Boishébert à la rivière Saint-Jean pour faire pièce à l’expansion anglaise vers la Gaspésie et la vallée du bas Saint-Laurent, régions sur lesquelles la cour de Londres prétendait avoir des droits.
Mais une politique de défense ne devait pas reposer uniquement sur des forces militaires, et La Galissonière saisit rapidement qu’il importait, d’une part, d’imiter ses prédécesseurs, en s’attirant au maximum la sympathie des Indiens et, d’autre part, de développer le peuplement pour accroître l’indispensable support démographique, C’est pourquoi la politique indienne fut l’un de ses soucis essentiels et l’on vit ce marin, si prudent sur mer, concevoir en Nouvelle-France un plan fort audacieux et dénotant une grande largeur de vues, qui visait à réunir le Canada à la Louisiane par une ligne de postes suivant la vallée de l’Ohio, zone qui deviendra l’un des principaux théâtres de la rivalité franco-anglaise. La Galissonière espérait que ces postes attireraient les Indiens dans l’orbite française. Il essaya donc, comme le lui prescrivaient les instructions ministérielles, de chasser les Anglais de la vallée de l’Ohio en envoyant Pierre-Joseph Céloron de Blainville, qui partit de Montréal le 15 juin 1749, visita les régions des forts Frontenac (Kingston, Ont.) et Niagara (près de Youngstown, N.Y.), et celle de l’Ohio puis rentra à Montréal le 10 novembre. Il avait constaté que les nations indiennes passaient de plus en plus sous l’influence britannique grâce aux efforts de l’Ohio Company dont l’activité allait grandissant depuis ses débuts en novembre 1747. Céloron ne put agir très efficacement, faute de moyens financiers, et s’aperçut que les négociants français avaient des tarifs très supérieurs à ceux de leurs concurrents.
Toujours dans la même optique, La Galissonière fit commencer en juin 1749 la construction du fort de La Présentation (Oswegatchie ; aujourd’hui Ogdensburg, N.Y.) près du lac Ontario et y envoya le sulpicien François Picquet* pour évangéliser les Iroquois. Il avait saisi du premier coup d’œil la menace que représentait pour la colonie française les comptoirs établis par les traitants anglais dans la région des Grands Lacs, en particulier au fort Chouaguen (fort Oswego). La destruction de cette enclave sera une de ses obsessions et elle aurait permis d’interdire aux ennemis toute communication avec les nations iroquoises. Il reviendra encore sur ce point dans son grand mémoire de 1750 : « il ne faut rien épargner pour détruire ce dangereux poste à la première occasion de représailles que les Anglais en fourniront par quelque une de ces hostilités qu’ils ne sont que trop accoutumés de commettre en temps de paix, suposé qu’on ne puisse se le faire céder gré à gré moyennant quelque équivalent ».
En bon stratège, le commandant général a très bien vu l’importance capitale de Détroit, clé des communications avec la vallée du Mississipi. Il aura sans cesse le souci de le renforcer et d’en stimuler le développement en tentant d’y envoyer des colons mais il ne réussit à y faire passer que 45 personnes. Il estimait ce poste propre à devenir une grande ville de commerce. La région des Illinois faisait aussi l’objet de ses préoccupations mais les faibles renforts qu’il se proposa d’y envoyer – une soixantaine de soldats et quelques familles – ne pouvaient jouer un rôle sérieux dans l’arrêt de l’expansion anglaise dans cette direction.
En ce qui concerne la gestion des postes, La Galissonière a bien compris les problèmes. Il se soucie d’avoir de bons interprètes et propose au ministre de donner des gratifications aux officiers qui apprendront les langues indiennes. Il critique vivement le système qui consistait à affermer les postes aux officiers ; l’intention cependant était que les officiers puissent obtenir ces postes à très bon marché « afin de les mettre en situation de contenter les Sauvages ». Ce système produisit l’effet contraire : on a affermé au plus offrant, car « l’idée qu’on s’étoit formée des profits qui s’y faisoient, écrit-il le 23 octobre 1748, a fait monter ces fermes à des prix, beaucoup au-dessus de ce qu’on avoit ci-devant exigé des officiers. Les adjudicataires ont alors cru être en droit d’en tirer tout le profit possible sans aucun égard pour les inconvénients qui en pouvoient résulter ». Les prix des marchandises ont énormément monté, de sorte que les adjudicataires « ont mis par là les Sauvages au déséspoir et les ont réduit à aller chercher à Chouagen des marchandises que les Anglois ne pourroient pas donner au même prix que nous si le commerce exclusif et le prix des fermes n’augmentoit pas les nôtres ». En conséquence, La Galissonière décida de renoncer à ces pratiques et revint à l’ancien système des congés, espérant ainsi faire baisser les cours et ramener vers les postes français la clientèle indienne.
Vis-à-vis des Indiens d’Acadie, La Galissonière pratiqua également une politique visant à bloquer l’expansion anglaise. Après la perte de l’île Royale, d’importants éléments des tribus abénaquises s’étaient décidés à abandonner leurs villages pour venir se retirer dans la région de Québec, à l’abri des entreprises ennemies, mais le commandant général s’efforça de les renvoyer chez eux, où ils seraient plus à même de contenir l’adversaire. Le ministre approuva cette manière de voir et invitera La Jonquière à poursuivre cette politique. Il est à noter que La Galissonière se déclarait très hostile aux mariages entre Indiens et Français qui donnaient, prétendait-il, des résultats inverses de ceux que l’on recherchait.
Le peuplement de la colonie fut aussi une préoccupation essentielle. Frappé par le taux très élevé de la natalité canadienne, La Galissonière crut un moment que le déséquilibre démographique entre Français et Anglais en Amérique du Nord allait disparaître par suite de l’accroissement naturel de la population du Canada. « La France écrit-il le 1er septembre 1748, tire d’elle-même et de ses autres colonies des productions de toute espèce ; celle-ci ne produira d’ici à très longtemps que des hommes mais, si on veut, elle en produira en assez peu de temps une si grande quantité que bien loin de craindre les colonies angloises ny les nations Sauvages, elle sera en état de leur faire la loy. » Conserva-t-il cette illusion ? Ce n’est pas certain, puisque, dans son grand mémoire de 1750, il insiste sur la nécessité d’envoyer des colons au Canada, sans se rendre compte qu’il n’était guère possible de créer un mouvement qui, de toute évidence, ne pouvait intéresser l’opinion publique métropolitaine. La Galissonière fit tout ce qui était en son pouvoir pour attirer de nouveaux habitants. Dès septembre 1748, il chercha à faire venir à l’île Royale et au Canada des Acadiens d’origine française, et c’est en partie à cette fin qu’il envoya Deschamps de Boishébert en mission dans cette région. Il faut remarquer qu’il fit d’ailleurs toujours preuve d’une grande sollicitude à l’égard des Acadiens et continua, après son retour en France, à s’intéresser à eux et à intervenir en leur faveur, notamment en 1753 lors de la visite à Versailles du fameux abbé Jean-Louis Le Loutre*.
Lorsqu’il demandait des renforts pour les troupes, c’était aussi au peuplement qu’il pensait. Le 6 septembre 1748, il prie le ministre de lui envoyer des recrues qui le mettront en mesure « de permettre beaucoup de mariages et de donner beaucoup de congés aussi utiles à l’établissement de cette colonie que nécessaires pour tirer quelque service des troupes du Canada qui, par le grand nombre de soldats à réformer, ont été pendant toute cette guerre et deviennent de plus en plus presqu’entièrement inutiles ». Il demeure toutefois très sélectif dans l’admission de nouveaux habitants. Ainsi il oppose un refus à Maurepas qui se déclare favorable à l’installation d’Irlandais, d’Écossais, voire même d’Anglais à condition qu’ils soient catholiques., car il considère que ce sont de mauvais sujets.
La vie économique compta aussi parmi les préoccupations du commandant général. Sans aller jusqu’à prétendre, comme le fit le médecin du roi Jean-François Gaultier dans une lettre du 21 octobre 1752, que « la colonie étoit presque naissante et qu’on n’y avait presque rien fait depuis 150 ans », il faut reconnaître qu’à l’arrivée de La Galissonière le pays demeurait peu développé. C’est d’ailleurs ce que reconnaît le ministre dans les instructions adressées à La Jonquière le 30 avril 1749 : « le Canada, quoique susceptible d’établissements également solides et avantageux, n’a fait que peu de progrès pendant le cours d’un assez grand nombre d’années. Les premiers habitans, peu touchés de ces sortes d’établissemens, se sont uniquement occupés de la traite qu’ils trouvoient à faire avec les Sauvages et il y en a même encore un nombre assez considérable qui, satisfaits de ce que cette traite leur produit, et encore plus attirés par l’indépendance dont ils jouissent dans leurs courses, s’adonnent peu à la culture des terres ».
La Galissonière s’efforça de remédier à cet état de choses, comme l’avait déja tenté son oncle Bégon quelque 30 ans plus tôt, et chercha à développer l’agriculture et l’élevage pour permettre à la colonie de se nourrir, mais son gouvernement fut trop bref pour pouvoir produire dans ce domaine des résultats appréciables. Il aurait voulu aussi favoriser certaines industries, en particulier les manufactures d’étoffes de laine, mais il se heurta aux conceptions mercantilistes de la métropole et, le 6 mars 1748, Maurepas lui rappelait « qu’il ne convient de les tolérer qu’autant qu’elles ne pourront pas nuire au débouchement de celles de France et c’est aussi pour cette raison qu’il ne faut pas les laisser multiplier ». On le laissa toutefois encourager les forges du Saint-Maurice qui commençaient à produire quelques canons et les chantiers de construction navale de Québec qui achevaient alors la construction du vaisseau le Saint-Laurent et commençaient celle de l’Orignal.
L’intelligence, l’activité, les qualités humaines de La Galissonière lui avaient valu d’être très apprécié des Canadiens. Le médecin Gaultier écrit avec quelque exagération : « M. le marquis de La Galissonière est le seul qui ait commencé à mettre les choses sur un bon pied. Le Canada a fait une grande perte en le perdant. » Et il loue « la vaste étendue de ses connoissances jointe à son grand amour pour le bien public et pour tout ce qui peut être utile à l’Etat ». Madame Bégon [Rocbert] – il est vrai que c’est une parente – confirme cet enthousiasme et écrit à son gendre Honoré Michel de Villebois : « je crois que le pays perdra beaucoup en le perdant ». En dépit de la faveur dont il jouissait, La Galissonière ne songeait qu’à quitter le Canada et, le 14 mai 1749, le ministre lui annonce enfin qu’il lui envoie « la permission de revenir en France [...] demandée avec tant d’instance » et ajoute : « je n’ignore pas le zèle avec lequel vous vous êtes livré à la destination qui vous a été donnée pour le commandement du Canada et le succès avec lequel vous en avez rempli tous les détails ». Le roi profitait d’ailleurs de son retour pour lui confier une mission d’inspection à Louisbourg, où il devrait « constater la situation actuelle des fortifications et de l’artillerie » et se préoccuper de la police des troupes pour empêcher le renouvellement des abus qui avaient provoqué les troubles de 1745. Il pourrait aussi étendre ses investigations « autant que le temps pourra le permettre aux différentes parties de l’administration de la colonie ».
Après avoir mis son successeur La Jonquière au courant des affaires, La Galissonière s’embarqua à Québec sur le Léopard le 24 septembre 1749 et arriva à Louisbourg le 5 octobre. L’inspection fut rondement menée puisqu’il repartit avant le 21. Il visita les forts en compagnie du gouverneur Charles Des Herbiers de La Ralière, emporta des plans et donna les instructions nécessaires pour améliorer la condition matérielle du soldat par la réforme des cantines et de la distribution des vivres.
À peine rentré en France, en décembre 1749, La Galissonière reçut une mission de confiance qui allait le maintenir en contact avec des affaires canadiennes. En compagnie d’Étienne de Silhouette, maître des requêtes, il fut nommé commissaire « pour les conférences qui doivent se tenir à Paris, tant pour le règlement des possessions des deux nations en Amérique et de leurs limites que pour terminer les affaires des prises faites à la mer ». William Mildmay et William Shirley, gouverneur du Massachusetts, représentaient le roi d’Angleterre.
Les travaux de cette commission produisirent les Mémoires des commissaires du roi et de ceux de Sa Majesté britannique sur les possessions et les droits respectifs des deux couronnes en Amérique avec les actes publics et pièces justificatives (4 vol., Paris, 1755–1757). On peut y lire en particulier un mémoire sur les colonies de la France dans l’Amérique septentrionale, qui semble bien être l’œuvre de La Galissonière, dans lequel celui-ci, après s’être montré d’une remarquable lucidité sur la politique anglaise dans ces régions et sur les richesses potentielles du Canada qu’il a entrevues autant qu’il était possible de le faire de son temps, expose sa théorie de la colonisation. En gros, il veut allier le soldat et la charrue et déployer la force pour n’avoir pas à s’en servir. Ainsi, lorsque François Picquet enverra trois Indiens en France en 1754, La Galissonière, alors conseiller au ministère, recommande au ministre de « profiter de toutes les occasions de leur faire voir les différentes troupes, cela leur donnera une idée de la puissance de la France qu’ils répandront chez eux sans qu’il soit besoin de le leur recommander ».
Ses conceptions sont évidemment teintées du mercantilisme de son époque mais c’est un idéaliste et pour lui la colonisation ne saurait être une affaire purement économique. S’il évoque la rentabilité à long terme des colonies, des considérations plus élevées lui interdisent d’envisager un abandon pur et simple et il écrit : « les motifs d’honneur, de gloire et de religion ne permettent point d’abandonner une colonie établie, de livrer à eux-mêmes ou plutôt à une nation ennemie par goût, par éducation et par principe de religion les Français qui y ont passé à la persuasion du gouvernement sous l’espérance de sa protection et qui la méritent singulièrement par leur fidélité et leur attachement ». Conceptions traditionnelles basées sur celles de ses prédécesseurs, mais il a eu le mérite de les synthétiser et de les exprimer avec force.
Le retour en France fut marqué pour La Galissonière par de nouveaux honneurs. Promu chef d’escadre le 7 février 1750, il avait reçu le 1er janvier précédent la direction du Dépôt des Cartes et Plans de la Marine, poste qui lui permit de donner libre cours à son goût pour les sciences. Il fut en effet un des premiers parmi les marins de son temps à participer au mouvement scientifique. Lié avec de nombreux savants notoires, tels que Henri-Louis Duhamel Du Monceau, Bernard de Jussieu, Pierre-Charles et Louis-Guillaume Lemonnier, il s’intéressa surtout à la botanique, à l’astronomie nautique et à l’hydrographie. Non content d’entretenir une correspondance suivie avec quelques grands esprits, il sut toujours profiter de ses fonctions pour recueillir et envoyer au Jardin du roi des plantes ou des semences inconnues et il s’était créé un jardin botanique dans son château de Monnières, près de Nantes, France. Son séjour au Canada avait évidemment offert un vaste champ à son activité scientifique. Il sut utiliser habilement les services des officiers sous ses ordres pour recueillir de nombreuses informations ; ainsi Daniel Hyacinthe-Marie Liénard de Beaujeu, commandant au fort Niagara, Paul-Louis Dazemard de Lusignan au fort Saint-Frédéric seront chargés de dresser des inventaires d’histoire naturelle suivant un modèle établi par le médecin Gaultier tandis que les ingénieurs Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry à Détroit et Michel Chartier* de Lotbinière à Michillimakinac tiendront des journaux d’observations astronomiques et géographiques. Enfin lorsqu’il envoya Céloron de Blainville dans la région de l’Ohio, il lui adjoignit le jésuite Joseph-Pierre de Bonnecamps* pour recueillir divers renseignements scientifiques.
Marin, La Galissonière ne pouvait manquer de s’intéresser à l’astronomie et aux instruments nautiques. Dès, 1737, lors du voyage du Héros, on l’avait chargé d’étudier un nouvel appareil, sans doute un octant. Pendant son séjour à la tête du Dépôt, il organisa trois missions scientifiques : celle de Joseph-Bernard de Chabert sur les côtes d’Amérique du Nord (1750–1751), au cours de laquelle seront précisées les cartes de Terre-Neuve, de l’Acadie et de l’île Royale et dont les résultats furent publiés en 1753, puis celle de Gabriel de Bory sur les côtes d’Espagne, du Portugal et à Madère et enfin la grande mission astronomique de l’abbé Nicolas-Louis de La Caille au cap de Bonne-Espérance et dans l’océan Indien, qui aboutit à la publication d’un excellent catalogue des étoiles de l’hémisphère Sud.
Toujours précis et méticuleux, La Galissonière rédigeait lui-même les instructions destinées aux officiers et exigeait d’eux une méthode rigoureuse dans la présentation des résultats de leurs observations. Il ne cessa jamais de guider et d’encourager les marins et les savants qui s’intéressaient à la vie de son Dépôt. Ces activités lui valurent d’être élu à l’unanimité associé libre de l’Académie de Marine le 29 avril 1752 et d’être reçu en la même qualité à l’Académie des Sciences le 1er mai suivant.
Mais on ne lui laissa pas tout à fait oublier qu’il était quand même marin. Il semble d’ailleurs qu’il joua, pendant son séjour au Dépôt, auprès du ministre Rouillé, un rôle de conseiller sur lequel nous manquons malheureusement de détails. Au début de 1754, on lui confia le commandement du Sage et d’une escadre de trois vaisseaux et de six frégates, chargée de protéger les navires marchands contre les corsaires barbaresques. De mai à octobre, les bâtiments naviguèrent sur les côtes d’Espagne et du Portugal avant de rentrer à Toulon. Cette campagne lui valut une gratification de 4 000# et le grade de lieutenant-général auquel il fut promu le 25 septembre 1755. Il faut remarquer que La Galissonière fut toujours très bien traité financièrement ; ainsi, lors de son retour du Canada, il toucha une gratification de 6 000# plus 13 400# de remboursements divers.
La tension renaissante avec l’Angleterre allait donner à La Galissonière l’occasion de diriger une opération d’envergure. Au début de 1756, alors que la guerre n’était pas encore déclarée, le maréchal de Richelieu avait proposé d’aller s’emparer de Minorque que les Anglais occupaient depuis le traité d’Utrecht. La partie maritime de l’expédition fut confiée à La Galissonière qui, avec 12 vaisseaux et 5 frégates, escorta les 176 bâtiments de transport portant les 12 000 hommes du corps de débarquement. Parti de Toulon le 10 avril, le convoi parvint devant Ciudadela le 18 et le débarquement se déroula sans incident ni résistance. Le 24, La Galissonière s’établit en croisière devant Port-Mahón (Mahón, Minorque) et laissa échapper les 5 vaisseaux anglais qui s’y trouvaient. Le 18 mai apparut l’escadre anglaise de l’amiral John Byng forte de 12 vaisseaux et de 4 frégates. Après deux jours de manœuvres, on en vint à l’affrontement et le combat fut mené de part et d’autre avec la plus grande prudence. La Galissonière n’osa pas exploiter le désordre qui s’était mis dans la ligne ennemie et, après trois heures de canonnade, les Anglais s’éloignèrent du côté de Gibraltar sans que les Français tentent de les poursuivre. Minorque ne recevant aucun secours capitula le 29 juin et l’escadre rentra à Toulon le 18 juillet.
Le très modeste succès du 20 mai 1756 eut en France un retentissement sans commune mesure avec sa portée réelle. Obsédé par l’idée de protéger les troupes débarquées, La Galissonière a exécuté avec une regrettable timidité des instructions trop prudentes. « On ne peut contester à cet officier général, écrit l’historien O.-J. Troude, d’avoir réussi dans la mission qu’on lui avait confiée devant Mahón mais on ne saurait voir dans ce succès le résultat d’une combinaison savante ou audacieuse et les circonstances vinrent grandement en aide au commandant en chef. » En réalité ce succès fut causé essentiellement par la mollesse de Byng qui paya celle-ci de sa tête. Mais La Galissonière était malade. Le 24 septembre, il reçut la permission de débarquer et partit pour Fontainebleau où le roi l’attendait pour lui remettre, dit-on, le bâton de maréchal de France. La mort en décida autrement.
« Officier de beaucoup d’esprit et savant, sachant bien son métier et attaché au service », dit la matricule des officiers. « Il est aimé et estimé de tout le corps de la Marine », ajoute une note conservée dans son dossier. Aimable, pondéré, d’une extrême probité, chef très humain, très religieux et volontiers moralisateur, connaissant les hommes et soucieux de leur bien-être, La Galissonière est incontestablement une personnalité attachante qui sut s’attirer de nombreuses sympathies parmi lesquelles certaines facilitèrent sans aucun doute un avancement dont la rapidité peut étonner. Parvenu au grade de chef d’escadre sans avoir jamais combattu, s’il se révéla un administrateur entreprenant, lucide et avisé, un diplomate subtil, sa conduite sur mer fut beaucoup moins brillante et, dans la seule de ses campagnes où il commanda des forces importantes et où il eut à combattre, il se montra d’une extrême timidité et ne fit preuve d’aucune qualité de grand chef. Fut-il vraiment, comme le soutient un historien, « le plus remarquable des gouverneurs de la Nouvelle-France au xviiie siècle » ? S’il déploya pendant son séjour outre-Atlantique une activité intense et intelligente, ce séjour nous semble bien bref pour justifier une opinion aussi favorable, d’autant que la politique qu’il s’appliqua à mettre en œuvre présente en définitive moins d’originalité qu’on ne l’a prétendu.
AN, Col., B, 87 ; 88 ; 89 ; Col. C11A, 88–93 ; 96 ; Col. C11B, 28 ; Marine, B2, 328, f.891 ; 329, f.468 ; 331, ff.282 : 375, 387 ; 351, f.238 ; 352, f.81 ; 354, passim ; Marine, B3, 529 ; 530 ; Marine, B3, 39, ff.241–380 ; 54, ff.22–71 ; 56, ff.123–176 ; 59. ff. 4–27 ; 67, ff.66–86 ; 69 ; 70 ; 71 ; Marine, C1, 165 ; 166, p. 27 ; Marine, C7, 159 (dossier La Galissonière) Marine, 1JJ, 1, 2.— Bibliothèque du Muséum National d’Histoire naturelle (Paris), mss 293.— Correspondance de Mme Bégon (Bonnault), RAPQ, 1934–1935, 1–227.— R.-V.-P. Castex, Les idées militaires de la marine du XVIIIe siècle ; de Ruyter à Suffren (Paris, 1911), 229s.— Lionel Groulx, Roland-Michel Barrin de La Galissonière, 1693–1756 (« Études biographiques canadiennes », Québec, 1970).— Lacour-Gayet, La marine militaire sous Louis XV.— Roland Lamontagne, La Galissonière et le Canada (Montréal et Paris, 1962).— Jacques Levron, Un Libertin fastueux : le maréchal de Richelieu (Paris, 1971).— Moufle d’Angerville, Vie privée de Louis XV, ou principaux événemens, particularités et anecdotes de son règne (4 vol., Londres, 1781), III : 66.— Troude, Batailles navales de la France, I : 330ss, 434.
Étienne Taillemite, « BARRIN DE LA GALISSONIÈRE, ROLAND-MICHEL, marquis de LA GALISSONIÈRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/barrin_de_la_galissoniere_roland_michel_3F.html.
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Auteur de l'article: | Étienne Taillemite |
Titre de l'article: | BARRIN DE LA GALISSONIÈRE, ROLAND-MICHEL, marquis de LA GALISSONIÈRE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 9 nov. 2024 |