LE JEUNE, JEAN-MARIE-RAPHAËL (à sa naissance, il reçut les prénoms de Jean-Marie), prêtre, oblat de Marie-Immaculée, missionnaire, linguiste, auteur et éditeur de journal, né le 12 avril 1855 à Pleyber-Christ, France, un des trois fils de Pierre Le Jeune, marchand, et de Marie-Françoise Breton ; décédé le 21 novembre 1930 à New Westminster, Colombie-Britannique.

Jean-Marie-Raphaël Le Jeune, dont les frères Louis* et Yves-Marie deviendraient eux aussi oblats de Marie-Immaculée, entra au séminaire oblat de Nancy, en France, le 10 décembre 1873 et prononça ses vœux perpétuels le 12 décembre 1875 au scolasticat d’Autun, où il fut ordonné prêtre le 7 juin 1879. Il se porta volontaire pour servir en Colombie-Britannique et, accompagné par le père Eugène-Casimir Chirouse, récemment ordonné lui aussi, il arriva à New Westminster – foyer des oblats de la province – en octobre 1879. Il y passa l’hiver sous la supervision de Mgr Paul Durieu* et apprit le pidgin chinook, mélange de chinook, de nootka, de français et d’anglais dont les oblats se servaient pour communiquer avec les Amérindiens, qui parlaient diverses langues. Après avoir passé l’été de 1880 dans le canyon du Fraser à apprendre les langues autochtones, il fut envoyé à l’automne à la mission Sainte-Marie dans la vallée du bas Fraser, où il resterait deux ans.

Affecté en 1882 à la mission Saint-Louis, à Kamloops, Le Jeune y arriva le 17 octobre avec une presse typographique, probablement dans l’intention de publier des ouvrages en langues autochtones. Chargé surtout de l’évangélisation des Amérindiens de la région, il fut également posté, en 1885 et en 1887, dans le district du chemin de fer canadien du Pacifique, territoire qui s’étendait de Kamloops à l’est jusqu’aux sommets des Rocheuses et qu’il fallait trois ou quatre mois pour traverser. En 1891, Le Jeune devint curé de l’église St Joseph, dans la réserve Kamloops, et en novembre 1893, il succéda au père Jean-Marie-J. Le Jacq comme supérieur de la mission Saint-Louis. Il y resterait jusqu’en 1929, année où il serait muté à New Westminster en raison de son âge et de sa mauvaise santé.

Le Jeune fut très actif parmi les autochtones de la région. Il encouragea avec succès la construction de chapelles et participa de près à l’organisation de retraites qui pouvaient réunir jusqu’à 2 000 ou 3 000 Amérindiens. Les oblats étaient convaincus que, pour convertir les autochtones, il « valait mieux parler à leur cœur par le moyen des yeux ». Ils mettaient donc en scène des spectacles complexes dans lesquels on pouvait voir tout à la fois des représentations de la Passion jouée par des autochtones, des processions pénitentielles, des expositions de l’Eucharistie et des premières communions. Une telle retraite eut lieu à la mission Sainte-Marie en 1892. Le Jeune et Durieu avaient commencé à la préparer deux ans plus tôt et leur correspondance révèle l’ampleur de ces préparatifs : il fallait orchestrer les déplacements des autochtones, recueillir et acheminer la nourriture de chaque bande « afin que [les] réunions ne soient pas des Potlach », et acquérir ou fabriquer les décors et accessoires.

Le Jeune apprenait facilement les langues autochtones. En 1922, il raconterait devant des membres du Rotary Club de Kamloops qu’il était capable de « jurer en 22 langues ». Ses réalisations concrètes les plus durables découlent d’ailleurs de ce don des langues. En 1890, il avait entrepris d’adapter à la phonétique du pidgin chinook la méthode d’écriture sténographique inventée en France par Émile Duployé. Durieu, qui l’exhortait à faire en sorte que cette méthode soit aussi fidèle que possible à la prononciation des mots du pidgin chinook, l’aida considérablement dans ce projet. Le premier élève de Le Jeune fut Charlie Alexis Mayous, qui assimila rapidement la méthode. Il passa l’hiver de 1890–1891 dans la réserve de Coldwater et l’enseigna à d’autres. Les autochtones du district semblent avoir vite compris la méthode d’écriture Duployé et, le 2 mai 1891, Le Jeune lança le premier numéro de ce que l’on décrirait comme « le plus étrange journal du monde », le Kamloops Wawa (les Échos de Kamloops). Ce périodique illustré, écrit en pidgin chinook et en anglais et publié sous forme polycopiée, contenait des informations sur les affaires locales ainsi que des nouvelles internationales d’ordre religieux. Il parut régulièrement jusqu’en décembre 1904, puis par intermittence jusqu’en 1917. Son tirage, qui atteignit 3 000 exemplaires, témoigne de son succès.

En 1904, Le Jeune retourna en Europe, en compagnie des chefs Louis Clexlixqen* de Kamloops et Johnnie Chilleheetsa du lac Douglas. Les deux autochtones prirent part à une démonstration de sténographie et y remportèrent trois médailles d’or et cinq médailles d’argent. Ils rencontrèrent également le pape Pie X et furent reçus au palais de Buckingham par le roi Édouard VII.

Le Jeune écrivit de nombreux opuscules et ouvrages éducatifs, dont Practical Chinook vocabulary [...] (Kamloops, 1886), Prayers in the Okanagan language (Kamloops, 1893) et Chinook rudiments (Kamloops, 1924). On lui doit également la traduction des prières en huit des onze dialectes que contenait le Polyglott manual des oblats (12 volumes en 1, Kamloops, 1896–[1897]).

Jean-Marie-Raphaël Le Jeune était d’une grande gentillesse, avait le sens de l’humour et semble avoir été très populaire auprès des autochtones de son district. Interrogés à son sujet en 1947, les Amérindiens de la réserve Kamloops ont tous réagi de la même manière : « Invariablement, leur visage s’illuminait de plaisir quand ils répondaient : « Oui, nous nous souvenons de lui. C’était un grand homme et un homme bon. » » Le Jeune mourut en 1930 et son corps fut inhumé au cimetière oblat de Mission.

Lynn Blake

Outre les ouvrages déjà mentionnés, Jean-Marie-Raphaël Le Jeune en a publié maints autres, dont certains ont connu plusieurs éditions. Le catalogue de BAC, qu’on peut consulter sur Internet, contient 109 entrées au nom de Le Jeune. Le Répertoire de l’ICMH mentionne aussi un certain nombre de ses publications.

Arch. départementales, Finistère (Quimper, France), État civil, Pleyber-Christ, 16 juin 1854.— Arch. Deschâtelets, oblats de Marie-Immaculée (Ottawa), HPK 5301-5320 (brochures, articles, études et corr. de J.-M.-R. Le Jeune).— Kamloops Sentinel (Kamloops, C.-B.), 29 déc. 1922.— L. A. Blake, « Let the cross take possession of the earth : missionary geographies of power in nineteenth-century British Columbia » (thèse de ph.d., Univ. of British Columbia, Vancouver, 1998).— Gaston Carrière, Dictionnaire biographique des oblats de Marie-Immaculée au Canada (4 vol., Ottawa, 1976–1989), 2 : 305s.— R. V. Grant, « Chinook Jargon », International Journal of American Linguistics (Baltimore, Md.), 11 (1945) : 225–233.— W. H. Gurney, The work of Reverend Father J. M. R. Le Jeune, o.m.i. ([Vancouver], 1948).— Missions de la Congrégation des missionnaires oblats de Marie Immaculée (Liège, Belgique), 43 (1905) : 242s.— Month (Londres), juin 1892.— Les Oblats de Marie Immaculée en Orégon, 1847–1860 : documents d’archives, Paul Drouin, édit. (3 vol., Ottawa, 1992).

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Lynn Blake, « LE JEUNE, JEAN-MARIE-RAPHAËL (Jean-Marie) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/le_jeune_jean_marie_raphael_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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