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LEGARDEUR DE SAINT-PIERRE, JACQUES, officier dans les troupes de la Marine, explorateur, interprète, né le 24 octobre 1701 à Montréal, fils de Jean-Paul Legardeur* de Saint-Pierre et de Marie-Josette Leneuf de La Vallière, tué à la bataille du lac Saint-Sacrement (lac George) en 1755.
Jacques Legardeur de Saint-Pierre faisait partie d’une longue et importante lignée en Nouvelle-France ; il était le petit-fils de Jean-Baptiste Legardeur* de Repentigny et l’arrière-petit-fils de Jean Nicollet* de Belleborne. Son père, Jean-Paul, passa plusieurs années dans les pays d’en haut et fonda en 1718 le poste de Chagouamigon (près d’Ashland, Wisc.), sur le lac Supérieur. On a des preuves que Jacques, dans son adolescence, est allé y rejoindre son père. Dès le début de sa carrière, sa connaissance des langues et mœurs indiennes faisait l’objet à Montréal de plusieurs rapports louangeurs. Ainsi, en 1732, le gouverneur Charles de Beauharnois prétendait que Jacques, après un séjour de neuf ans dans l’Ouest, « connai[ssait] le sauvage mieux que les sauvages eux-mêmes, au témoignage de ceux-ci ». Jacques allait devenir un des meilleurs conseillers concernant les affaires indiennes de la Nouvelle-France.
À l’instar de son père, il embrassa la carrière militaire et devint enseigne en second en 1724. On lui confia en 1729 l’importante mission de recruter des forces parmi les Sauteux, les Cris et les Sioux pour une des nombreuses campagnes avortées contre les Renards. En 1733, il devint enseigne en pied. À la même époque, Louis Denys de La Ronde,commandant à Chagouamigon, était à la recherche des mines de cuivre du lac Supérieur. Il prit Legardeur comme adjoint dans cette aventure à cause « de son grand jugement et de son intelligence ».
Le talentueux soldat connut des moments très pénibles comme commandant du fort Beauharnois (sur le lac Pépin, Wisc.) de 1734 à 1737. Pendant sa courte existence, le fort changea d’emplacement plusieurs fois mais les commerçants montréalais espéraient toujours que la région devienne un centre important de commerce de fourrures. Les dissensions entre Indiens empêchèrent ce résultat. Legardeur, spécialiste des méthodes draconiennes, se voyait impuissant dans une telle zone agitée : en théorie, le fort se trouvait en pays Sioux mais il y avait plusieurs factions de Sioux se disputant sans cesse. Les Sauks et les Renards bien connus habitaient les environs et constituaient une menace constante pour les Français. Le voisinage comprenait aussi des Cris, des Assiniboines et des Sauteux. Ces derniers et les Sioux étaient des ennemis de longue date, et Legardeur dut finalement abandonner son rôle d’arbitre. Par crainte de voir sa garnison massacrée par les Sioux, il abandonna et brûla le fort, le 30 mai 1737.
Legardeur prit part ensuite à la tentative de contrôle par les Français de la vallée du Mississippi. De 1737 à 1740, il fit campagne contre les Chicachas, pénétrant aussi profondément au sud que l’actuel Alabama. II servit même d’otage aux Chicachas. L’appréciation de ses services lors de cette campagne par le gouverneur Beauharnois est un exemple typique des éloges qu’il recevra tout au long de sa carrière. « C’est un excellent officier, écrira ce dernier, qui nous sera d’une grande utilité ; les Indiens le craignent autant qu’ils l’estiment. »
Legardeur fut promu lieutenant en 1741. Après un court stage vers 1742 comme commandant du poste des Miamis (probablement au fort Wayne, Ind., ou tout près), il revint à Montréal où il s’acquitta de plusieurs tâches de 1745 à 1747. En décembre 1745, il prit la tête d’un contingent chargé de secourir le fort Saint-Frédéric (Crown Point, N.Y.) menacé par les Anglais ; en juillet 1746, il mena un détachement d’Abénakis en Acadie pour aider aux préparatifs de guerre contre les Anglais ; au printemps de 1747, il dirigea une attaque au pays des Agniers. Ce dernier effort se solda par un échec car ses alliés indiens furent trop impatients et leurs coups de feu précipités prévinrent les Agniers. Legardeur ramena tout de même quelques prisonniers agniers à Montréal. En juin 1747, sous les ordres de Louis de La Corne, il se porta d’urgence avec des miliciens et des Indiens, dans la région de Lachine pour prévenir l’attaque d’un parti d’Indiens et d’Anglais.
En 1747, des troubles éclatèrent chez les Indiens des pays d’en haut et pendant quelque temps il sembla que les Français étaient en train de perdre leurs alliés [V. Orontony]. Plusieurs Français furent assassinés et le commerce interrompu. Le talent et l’expérience de Legardeur le désignèrent pour être en charge du poste stratégique de Michillimakinac, d’où il pouvait tenir en main la situation sur toute l’étendue des lacs Supérieur, Michigan et Huron. D’après le gouverneur La Galissonière [Barrin], la plupart des officiers français étaient incapables de résoudre les problèmes avec les Indiens, sauf Legardeur qui fit preuve d’ « une grande adresse » et les força à livrer les meurtriers et à demander la paix. En 1748, toujours en service à Michillimakinac, il obtint le grade de capitaine. Une paix fragile fut instaurée dans la région et, au printemps de 1749, Legardeur demanda d’être relevé de ses fonctions. Le 26 juillet de cette année-là, il fut remplacé par François Lefebvre Duplessis Faber et s’en retourna à Montréal.
Les intérêts et les talents de Legardeur étaient encore liés aux pays d’en haut et, en 1750, le gouverneur La Jonquière [Taffanel] l’engagea pour diriger la recherche de la mer de l’Ouest, projet retardé par la mort de Pierre Gaultier de Varennes et de La Vérendrye. Cependant, il fut impliqué très tôt dans une dispute avec Louis-Joseph et Pierre Gaultier de La Vérendrye, qui voulaient à tout prix être associés à cette recherche et aussi à la gloire. Legardeur se rendit compte plus tard que la famille La Vérendrye avait raison de s’être sentie rejetée et il s’en excusa. Le 5 juin 1750, Legardeur quitta Montréal. Après plusieurs semaines à Michillimakinac en juillet, il repartit pour le fort La Reine (Portage-la-Prairie, Man.) qu’il atteignit à l’automne. Contrairement à ce qu’en disent certains historiens, Legardeur effectua, pendant les deux années de son séjour à ce poste, plusieurs voyages dans les régions des rivières Rouge et Winnipeg et du lac des Bois (Lake of the Woods). Il était sans cesse dans l’obligation d’apaiser les rivalités entre Indiens. En 1752, il semble qu’il se soit occupé seul de négociations importantes entre guerriers Cris et Sioux. La recherche de la mer de l’Ouest fut évidemment infructueuse, mais sur l’ordre de Legardeur et grâce à ses conseils, un groupe dirigé par Joseph-Claude Boucher* de Niverville parvint en 1751 à fonder le fort La Jonquière (situé probablement dans la région de Nipawin, Sask.). De retour à Montréal, vraisemblablement en 1753, Legardeur fut immédiatement envoyé dans la région de l’Ohio où les Français établissaient leurs droits de possession, sous le nez d’Anglais de plus en plus irrités. La même année, Paul Marin de La Malgue y avait fondé deux forts dont celui de la rivière au Bœuf (Waterford, Penn.). Après la mort de Marin en octobre, on envoya Legardeur pour commander le fort. La présence de troupes françaises choqua la colonie de Virginie et le gouverneur Robert Dinwiddie envoya un jeune major, George Washington, avec une délégation de sept hommes pour ordonner à Legardeur de quitter le pays au plus tôt. Après un voyage difficile, Washington arriva au fort le 11 décembre et tendit à Legardeur l’ordre écrit de la main de Dinwiddie. Legardeur répondit à Dinwiddie, dans un message devenu célèbre, que Washington perdait son temps en essayant de faire de la diplomatie internationale avec lui. Il proposa Québec comme endroit tout désigné pour porter de tels messages et non le fort de la rivière au Bœuf. La position de Legardeur fut courtoise mais ferme : « Pour la réquisition que vous faites de me retirer, je ne crois pas devoir y obéir. » Cette affaire fut l’objet chez certains historiens de beaucoup plus d’attention qu’elle n’en mérite, simplement parce qu’elle constitue pour Washington le prélude à une grande carrière militaire et politique. Les historiens de la Nouvelle-France, plus clairvoyants que les autres sur ce point, ont vu dans cette rencontre un militaire de profession et aguerri se montrer poli mais ferme et probablement amusé des « menaces » du major de milice virginien. Washington semble avoir gardé une impression favorable de Legardeur : « C’est un vieillard très bien, écrira-t-il, et il a tout du parfait soldat. »
Washington retourna dans la région en 1754, fut impliqué dans l’assaut célèbre contre le détachement de Joseph Coulon de Villiers de Jumonville et fut finalement défait, capturé et relâché par les Français au fort Necessity (près de Farmington, Penn.). On oublia la diplomatie et, une fois de plus, les Français et les Anglais bataillèrent pour la possession de la région de l’Ohio et de toute l’Amérique du Nord. En 1754, on rappela Legardeur à Montréal pour aider à lever des effectifs en prévision des événements à venir. Le baron de Dieskau, un Allemand au service des Français, prépara une offensive majeure dans la région du lac Saint-Sacrement et, le 4 septembre 1755, Legardeur y fut envoyé avec une troupe de miliciens canadiens et des centaines d’Indiens à sa suite. La bataille du lac Saint-Sacrement eut lieu le 8 septembre et consista, de fait, en trois confrontations importantes. Dans la première, peu après 10 heures du matin, Legardeur fut tué sur le coup alors qu’il était à la tête de ses guerriers indiens. Sa perte les affecta beaucoup ; le gouverneur Vaudreuil [Rigaud*] ainsi que d’autres chefs français et même les Anglais étaient d’avis que cette perte pouvait être un facteur déterminant dans les batailles suivantes.
Sous le régime français, peu de militaires de profession ont pu égaler la bravoure, l’intelligence et le dévouement qu’on trouve réunis chez Legardeur. Il passa la majeure partie de sa carrière dans les avant-postes très éloignés, où sa connaissance de la vie des pionniers et des dialectes indiens le rendit indispensable pour plusieurs parmi les dirigeants de la colonie à Québec. Il fut souvent chargé de missions destinées à rétablir la paix. C’était le successeur logique de La Vérendrye ; il s’en tira bien dans la région de l’Ohio ; on lui décerna la croix de Saint-Louis et il mourut au champ d’honneur. Même s’il n’était que capitaine, il rendit à la France des services importants et appréciés.
Le 27 octobre 1738, il avait épousé à Québec Marie-Joseph, fille de Charles Guillimin* ; ils n’eurent pas d’enfants. Sa femme se remaria en 1757 avec Luc de La Corne*, dit La Corne Saint-Luc.
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Donald Chaput, « LEGARDEUR DE SAINT-PIERRE, JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/legardeur_de_saint_pierre_jacques_3F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/legardeur_de_saint_pierre_jacques_3F.html |
Auteur de l'article: | Donald Chaput |
Titre de l'article: | LEGARDEUR DE SAINT-PIERRE, JACQUES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 7 nov. 2024 |