MEUSE (Mius, Mause, Muse), ANDREW JAMES, chef micmac qui vécut en Nouvelle-Écosse ; circa 1821–1850.
En janvier 1821, au nom de la « division de la nation micmaque qui habitait près du goulet d’Annapolis Royal », Andrew James Meuse présenta à la chambre d’Assemblée de la Nouvelle-Écosse une requête contre l’adoption d’un projet de loi destiné à interdire la chasse au marsouin dans la baie. Cet animal était l’une des principales sources de subsistance des Indiens et, arguait Meuse, le chasser constituait un « droit naturel » qui ne lésait pas les Blancs. Sa présence en chambre fit grande impression. À cette occasion, il aurait dit, comme on le rapporta : « Je ne vois parmi [les députés] qu’un seul visage que je connais, et cet homme tente de retirer à l’Indien son moyen de subsistance. » Il parla longuement des torts infligés à son peuple et en défendit la cause avec éloquence. Le projet de loi, qui avait déjà franchi l’étape de la deuxième lecture, fut rejeté aussitôt après.
Walter Bromley, philanthrope de Halifax, fit la connaissance de Meuse, « l’homme qui plaida noblement la cause de son peuple », en septembre 1822. Meuse faisait appel à lui pour qu’il demande au gouvernement, au nom de la bande, une concession de 1 000 acres attenante au camp micmac du bassin d’Annapolis. En 1825, les deux hommes allèrent ensemble en Angleterre. Meuse espérait, dit-on, solliciter des concessions permanentes pour les Indiens afin qu’ils puissent devenir agriculteurs. Selon une anecdote publiée cinq ans plus tard par Thomas Irwin, de Charlottetown, Meuse avait demandé au lieutenant-gouverneur, sir James Kempt*, une terre située à la rivière Bear, près du bassin d’Annapolis, et s’était vu répondre qu’il pourrait l’avoir mais n’obtiendrait aucun titre de propriété de peur qu’il ne le transfère aux Blancs ; Kempt promettait cependant que les Indiens auraient pleine jouissance des lieux. Indigné, Meuse répliqua : « Avant l’arrivée des Européens dans notre pays, mes ancêtres étaient ici les maîtres légitimes, et moi, leur fils, je dois supplier, de la manière la plus humble, un gouverneur étranger de me donner une parcelle où dresser un wigwam ; pire encore, il me la refuse ! » Au fait de ce que son peuple avait souffert, comment eût-il prêté foi à la parole d’un gouverneur ? « Non, poursuivit-il ; j’irai en Angleterre et ferai appel au roi – de lui seul j’espère réparation. » On ignore s’il s’adressa au roi pendant son séjour à Londres, mais on sait qu’il y fit la connaissance de certains grands philanthropes quakers de l’époque et entama une correspondance avec eux. Il ne parvint pas à obtenir une terre en franche tenure mais, à la demande de l’abbé Jean-Mandé Sigogne et du juge Peleg Wiswall, de Digby, on réserva 1 000 acres à la rivière Bear. Meuse devait être responsable de la colonie expérimentale.
On arpenta la terre en 1827 et on la divisa en lots de 30 acres. Toute famille qui cultiverait sa terre pendant trois années consécutives en deviendrait propriétaire, sans toutefois que ce soit en franche tenure ; toute famille qui négligerait son lot pendant trois ans le céderait à un autre cultivateur indien. Les premiers habitants s’installèrent à la rivière Bear en 1828. Le gouvernement de la province leur fournit alors certains biens et les quakers d’outre-mer leur apportèrent un soutien financier.
Le 12 février 1828, Charles Glode* déposa à l’Assemblée une pétition qui portait le nom d’Andrew Meuse, chef des Indiens du district de Western. Le pétitionnaire réclamait « la suppression de la vente de boissons fortes aux Indiens de la province ». Il en résulta finalement une loi inefficace qui laissait l’interdiction de la vente d’eau-de-vie à la discrétion des magistrats locaux. Dans le Novascotian, or Colonial Herald, Joseph Howe* écrivit un éditorial sur les vertus des autochtones comme Glode et Meuse.
L’avenir s’annonçait bien. Dès 1831, 17 familles, au total 69 personnes, vivaient à la rivière Bear ; elles avaient défriché leurs lots et obtenu de bonnes récoltes de pommes de terre. À la demande de Meuse, l’Assemblée fournit de l’aide pour la construction d’une route et versa £100 pour ériger une chapelle. En 1831–1832, Meuse fit une deuxième visite en Angleterre au cours de laquelle il passa beaucoup de temps avec des philanthropes fameux : Elizabeth Fry lui remit un portrait d’elle, qu’il suspendit plus tard dans son vivoir. On le présenta au couple royal, qui lui donna une médaille.
Dès le début, l’abbé Sigogne avait craint que le soutien donné par les quakers n’ébranle de quelque façon la foi catholique des Indiens du village. Même avant le deuxième voyage de Meuse en Angleterre, il s’était plaint de l’indifférence du chef envers la religion et de la mauvaise influence qu’il exerçait sur son peuple. Mais le pire restait à venir. Quelque temps après son retour, Meuse se mit à boire ; il plaça la médaille royale en gage et Sigogne dut la racheter. En raison de sa mauvaise conduite, on destitua Meuse de son poste de chef puis on élut Jack Glode à sa place. En 1834, un visiteur rapportait avec tristesse que les Indiens avaient « littéralement gaspillé » ce qu’on avait mis à leur disposition : les terres étaient à l’abandon, et ils festoyaient et flânaient jusqu’à ce que la faim les oblige à mendier.
En dépit de ces échecs, Meuse demeura le personnage le plus important de Bear River. Apparemment, il regagna les bonnes grâces de Sigogne car, en 1835, il reçut de l’abbé une lettre d’introduction avant de partir pour Yarmouth afin de recueillir £25 pour la chapelle. On sait aussi qu’il alla faire des collectes aux États-Unis, peut-être en 1836. Cependant, la colonie continuait de péricliter : en 1841, on y rapportait la présence de sept familles seulement.
En novembre 1841, deux Indiens se rendirent chez Howe, à Halifax. L’un d’eux était certainement Meuse, qui connaissait l’hôte depuis nombre d’années. Howe ne put s’empêcher d’être impressionné par Meuse : il avait devant lui un homme qui était allé à Londres et qui « parl[ait] en termes familiers de M. Gurney, de Mme Fry et d’autres philanthropes distingués ». Les deux visiteurs firent comprendre à Howe qu’il devait non pas penser aux Indiens comme un Blanc, c’est-à-dire en termes de cantons et de comtés, mais les voir comme des bandes dirigées par des chefs de district indépendants. Ils demandèrent avec insistance que chacun des chefs reçoive un plan et une description précise des réserves situées sur son territoire et qu’on le charge de les répartir entre les membres de son peuple. Ils rappelèrent les débuts de Bear River pour signaler que le gouvernement provincial devait remettre des outils, des graines et du bétail à chacun des groupes et qu’il serait souhaitable de construire une maison pour le chef, une chapelle et peut-être une école. Howe s’empressa d’ajouter ces propositions aux siennes dans une lettre destinée au lieutenant-gouverneur, lord Falkland [Cary*]. Il se préparait ainsi à devenir le premier commissaire aux Affaires indiennes de la Nouvelle-Écosse.
En cette qualité, Howe visita Bear River en 1842. Il trouva que le sol était bon et que, du campement, il était facile de se rendre au goulet d’Annapolis Royal pour y chasser le marsouin ou y pêcher le hareng. Tout près, il y avait des « territoires de chasse illimités », et les Indiens pourraient gagner de l’argent en vendant du bois de corde à l’autre campement qui se trouvait sur la rivière Bear. Meuse, malgré ses « toquades », était encore l’homme de la situation. On avait exagéré la désolation qui régnait sur les lieux. La plupart des Indiens avaient fait vœu de tempérance et Howe avait bon espoir que la réserve devienne un centre qui permettrait la « civilisation » des Micmacs. Il dénombra quelque 65 personnes réparties en 14 familles, dont 4 vivaient déjà dans de confortables maisons à charpente de bois. Si seulement Meuse avait été un homme sobre ! Il aurait été « infiniment précieux tant comme agent du gouvernement que comme guide et exemple pour son peuple ».
Le malheur frappa le village au milieu des années 1840. Les pommes de terre pourrirent dans le sol, le poisson se fit rare et la maladie fit beaucoup de morts [V. Gabriel Anthony]. Meuse fut atteint mais survécut. Bear River se remit lentement. Meuse se trouvait parmi les dix chefs qui paradèrent dans les rues de Halifax en février 1849 avec une pétition où ils réclamaient de l’aide pour reprendre la culture, durement éprouvée par le mildiou. La dernière personne à parler de lui fut, en juillet 1850, le missionnaire baptiste Silas Tertius Rand*, qui visitait le bassin d’Annapolis. Rand lisait la Bible quand Meuse le « prévint dans un bon anglais de ne rien dire contre la religion [de son peuple] ». Le missionnaire termina sa lecture par le récit d’une guerre livrée aux Agniers longtemps auparavant. Sigogne aurait approuvé Meuse à la fin.
Andrew James Meuse avait épousé Magdalen Tony, et ils avaient eu quatre fils et deux filles. Louis Noel accompagna son père à l’occasion de sa deuxième visite à Londres. Cinq des enfants fréquentèrent l’école et apprirent à lire et à écrire l’anglais.
Arch. of the Archdiocese of Halifax, Edmund Burke papers, [J.-M. Sigogne] à Joseph Bond, [1835].— Musée du N.-B., J. C. Webster papers, packet 31, [Walter Bromley], « Report of the state of the Indians in New Brunswick under the patronage of the New England Company, 14th August 1822 ».— PANS, MG 1, 979, folder 8, Bowman à Peleg Wiswall, 10 oct. 1828 ; J.-M. Sigogne à Wiswall, 29 mars 1831 ; liste des Indiens, janv. 1832 ; MG 15, B, 3, no 104 ; RG 1, 430, nos 21–22 ; 431, no 22 ; 432 : 1–6, 111–114 ; RG 5, P, 2.— PRO, CO 217/178 : 89–101.— Micmac Missionary Soc., Annual report of the committee (Halifax), 1850.— N.-É., House of Assembly, Journal and proc., 1821 : 30–31, 36, 77–78 ; 1828 : 208 ; 1830 : 578, 584, 701, 705 ; Législative Council, Journal and proc., 1843, app. 7 : 22.— Acadian Recorder, 29 mars 1834.— Halifax Journal, 27 déc. 1824.— Halifax Morning Post & Parliamentary Reporter, 1er févr. 1842.— Novascotian, or Colonial Herald, 13 août 1830.— Prince Edward Island Register, 29 juin 1830.— Times and Courier (Halifax), 27 févr. 1849.— Murdoch, Hist. of N.S., 1 : 168–171.— Upton, Micmacs and colonists.— Judith Fingard, « English humanitarianism and the colonial mind : Walter Bromley in Nova Scotia, 1813–25 », CHR, 54 (1973) : 123–151.
L. F. S. Upton, « MEUSE (Mius, Mause, Muse), ANDREW JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/meuse_andrew_james_7F.html.
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Auteur de l'article: | L. F. S. Upton |
Titre de l'article: | MEUSE (Mius, Mause, Muse), ANDREW JAMES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 7 déc. 2024 |