MILLAR, JOHN, éducateur, auteur et fonctionnaire, né le 27 février 1842 à Adare (république d’Irlande), fils de Henry Millar et de Jane Piper ; en 1864, il épousa Susan Dingle, du canton de Barton, Haut-Canada, et ils eurent une fille, puis le 25 septembre 1890, dans le canton de North Dorchester, Ontario, Katie McCallum, et de ce second mariage naquirent deux filles et un fils ; décédé le 3 octobre 1905 à Toronto.
John Millar était encore bébé lorsqu’il arriva dans le Haut-Canada avec sa famille. Son père défricha une terre pour les siens dans le canton de Brock, près d’Uxbridge, mais il mourut peu de temps après, en abattant un arbre. Jane Millar se retrouva seule avec John et deux autres enfants en bas âge.
John fit ses études dans le canton et il y enseigna à l’école publique en 1859. Étudiant à la Normal School de Toronto en 1862, il fut ensuite instituteur à Barton, puis à London, de 1864 à 1869. Il poursuivit durant la même période les études extra-muros qui lui permettraient d’obtenir en 1872 une licence ès arts de la University of Toronto. En 1869, il commença à enseigner à la St Thomas High School ; dès 1874, il était à la fois directeur de cette école et de l’école publique de la même localité. Il demeura à St Thomas jusqu’en mai 1890, date à laquelle le gouvernement d’Oliver Mowat le nomma sous-ministre de l’Éducation de l’Ontario. Il allait exercer cette fonction jusqu’à sa mort.
Au cours des années qu’il passa à St Thomas, Millar milita dans l’Ontario Educational Association et fit paraître ses premiers articles sur des questions d’éducation et de religion dans le Canada Educational Monthly (Toronto) et le Methodist Magazine (Toronto et Halifax). En outre, il publia, pour les écoles secondaires, deux recueils d’œuvres de la littérature anglaise annotées par lui, The deserted village, The task, and Sir Roger de Coverley (Toronto, 1881) et Scott’s « Marmion » and Burke’s « Reflections on the revolution in France » (1882). Nommé deux fois au conseil universitaire de la University of Toronto, il y fut représentant des enseignants du cours secondaire de 1884 à 1888. Il fut élu vice-président de la Dominion Educational Association en 1895 et président en 1904, mais il mourut avant d’avoir terminé son mandat.
Ce que Millar réalisa à St Thomas illustre sa conception de la pédagogie et montre sa compétence en tant que directeur d’école. Libéraliser l’enseignement secondaire, c’est-à-dire admettre les filles et rendre les humanités facultatives comme le voulait la loi scolaire adoptée par l’Ontario en 1871, fit craindre à certains l’érosion du niveau d’études. Cette loi autorisait aussi la transformation des écoles secondaires en instituts collégiaux, établissements dans l’esprit du public, menaient tout droit à l’université. Grâce à la hauteur de ses exigences en matière scolaire et aux instituteurs qu’il choisissait, Millar (et on lui en reconnut le mérite) rendit cette transformation possible à St Thomas. L’école accéda au statut d’institut collégial et obtint une subvention supplémentaire du gouvernement provincial. Son programme continuait de mettre l’accent sur les humanités et les mathématiques avancées. Même si, souvent, les instituts collégiaux étaient perçus comme des établissements d’élite, le but de Millar était de favoriser l’excellence, non d’offrir des privilèges à une minorité.
La carrière de Millar coïncida avec une période mouvementée. En raison des changements socioéconomiques que connaissait l’Ontario, on n’attendait plus des écoles tout à fait la même chose que naguère. En plus, sous l’influence d’idées nouvelles venues d’Europe et des États-Unis, on commençait à s’interroger sur les objectifs de l’éducation et ses méthodes. La pédagogie de Millar réaffirmait les prémisses sur lesquelles Egerton Ryerson* avait fondé le système ontarien d’éducation. Millar considérait les écoles comme des agents de l’État, insistait sur l’acquisition progressive de la discipline personnelle chez les élèves et rejetait vigoureusement l’apprentissage par la mémorisation. Il préconisait également des réformes. Les Britanniques John Stuart Mill, Alexander Bain et Herbert Spencer, ainsi que les Américains John Dewey, James Mark Baldwin et William Torrey Harris, figuraient parmi ses inspirateurs. Sa philosophie de l’éducation avait donc un aspect démocratique. Il voulait attirer l’attention des fonctionnaires et des instituteurs sur les particularités individuelles des élèves et élargir le programme pour répondre à des besoins divers. Certains élèves n’iraient pas au-delà de l’école secondaire et d’autres passeraient à l’université, mais tous, insistait-il, devaient bénéficier d’une formation axée sur le développement de toute la personne. Le meilleur moyen de faire fructifier les talents de chacun était d’offrir un programme général, et non pas un programme spécialisé. Si l’on privilégiait la formation technique, ou la musique, ou même les classiques, on ne développait qu’un petit nombre d’aptitudes et de sujets d’intérêt, et l’on ne préparait l’élève qu’à une occupation en particulier. Il fallait, au contraire, adopter une perspective plus holistique : offrir un éventail de matières intellectuelles et techniques, et ainsi, donner aux élèves « des règles [valables] pour tous les temps et toutes les activités ». Grâce à cette formation globale, l’élève acquerrait la motivation, l’intelligence et le discernement que Millar et d’autres éducateurs de son époque considéraient comme les piliers de la personnalité morale.
Millar n’avait pas foi dans les indices partiels de la réussite scolaire, dont les examens, auxquels on avait de plus en plus recours. Au mieux, ceux-ci ne vérifiaient que l’acquisition d’un éventail limité de connaissances. Par contre, ils avaient souvent des effets psychologiques néfastes sur les élèves et engendraient aussi de la tension nerveuse chez les instituteurs. Millar estimait en outre que se reposer sur les examens minait le rôle des inspecteurs d’écoles de l’Ontario, dont c’était la tâche de veiller à ce que les critères de l’enseignement et les normes de réussite soient élevés. On minimisait aussi implicitement la compétence et le dévouement des instituteurs de la province, et on les forçait à limiter la matière enseignée. Démontrant sa confiance dans les critères appliqués par la profession enseignante, il affirmait que c’étaient les instituteurs qui devaient décider, à partir de leur connaissance de la personnalité des élèves, si ceux-ci devaient être promus à la classe suivante.
Millar tenait à ce que l’éducation soit aussi accessible dans les campagnes que dans les villes. Il préconisait le nivellement des taxes, l’établissement d’une bibliothèque scolaire dans chaque localité et l’élimination de tous les frais de scolarité, autant pour encourager « l’unité de toutes les classes » que pour promouvoir le principe de la gratuité et de l’égalité d’accès à l’éducation.
Au sujet de la religion, Millar, qui était méthodiste, considérait le christianisme comme le fondement de la nation civilisée, mais il estimait aussi qu’un pays ne pouvait survivre, à long terme, qu’à la condition d’avoir un gouvernement progressiste et démocratique que n’entravait pas une Église ou une doctrine officielle. C’est pourquoi il proposait que, dans les écoles publiques, l’enseignement religieux direct soit remplacé par une formation morale indirecte. Cette mesure, défendue vers 1895 par la plupart des éducateurs de la province, avait un double objectif : renforcer les valeurs traditionnelles d’une culture à prédominance anglaise et chrétienne dans le but de rehausser la moralité et de favoriser la participation aux affaires civiles, et éviter la rivalité confessionnelle en tablant sur ce que les Églises protestantes avaient en commun. « En général, écrivait-il, ceux qui croient aux principes sur lesquels se fondent [les écoles publiques] soutiennent que la formation morale [...] requiert des sanctions religieuses mais non une instruction religieuse. »
Millar démontra son progressisme en s’employant notamment à éliminer les différences les plus injustifiées entre l’éducation des garçons et celle des filles – différences qui se manifestaient par le regroupement des élèves de chaque sexe dans des classes distinctes et par des programmes qui reflétaient les distinctions coutumières entre les rôles masculins et féminins. Dans un texte de 1879, il affirmait que les sociétés progressistes et chrétiennes « reconnaissaient rapidement la justice des revendications de la femme », dont le droit à l’égalité en matière d’éducation. Millar soutenait ce droit et approuvait la mixité. Il affirmait que l’effort intellectuel ne risquait nullement de nuire à la santé des filles, qu’il fallait leur enseigner autre chose que le dessin et la musique, et qu’un milieu scolaire mixte offrirait aux filles et aux garçons de « meilleures occasions d’observer l’évolution d’esprits différents ». Quant à l’objection courante selon laquelle la moralité en souffrirait, Millar soulignait qu’un enseignement moralement sain développait, chez les élèves, des facultés intellectuelles qui les amenaient à concentrer leur attention sur l’étude et favorisaient le respect mutuel. De son vivant, le programme des filles s’élargit au point d’inclure les sciences, les mathématiques, les langues ainsi qu’une formation domestique et manuelle à base scientifique. Cependant, ce qu’on leur enseignait de ces matières et la teneur de leur formation pratique continuaient de refléter les rôles traditionnels dévolus à leur sexe.
À titre de fonctionnaire, Millar se distingua surtout en faisant la promotion et l’évaluation du système scolaire de l’Ontario. Il rédigea, pour le stand provincial de l’Exposition universelle de Chicago en 1893, un exposé intitulé The educational system of the province of Ontario, Canada, dans lequel il décrivait à peu près tous les aspects structurels du ministère de l’Éducation, les exigences relatives aux programmes et les pratiques pédagogiques. Il réalisa en 1898 et en 1899 deux études comparatives pour le ministère, The school system of the state of New York (as viewed by a Canadian) et Technical education, report of a visit to the schools of Massachusetts [...]. Son but, dans la première de ces deux études, était de détailler les caractéristiques du système scolaire new-yorkais et de les comparer à celles de l’Ontario. Parmi les éléments qui faisaient la supériorité du système ontarien, on pouvait signaler la centralisation de l’administration, les subventions aux écoles rurales, qui avaient éliminé les disparités régionales (et fait augmenter la fréquentation scolaire), l’uniformité des programmes et la qualification des inspecteurs d’écoles.
Technical education traitait d’un sujet fort controversé : la formation de la main-d’œuvre dans un Ontario de plus en plus industrialisé. Au Massachusetts, certaines écoles secondaires se spécialisaient dans la formation technique mais n’avaient pas abandonné pour autant les mathématiques, les langues et les sciences. Millar reconnaissait qu’une spécialisation de ce genre conviendrait à quelques écoles secondaires de l’Ontario et fournirait à certains élèves un « accès facile aux industries d’une grande ville manufacturière ». Toutefois, il préférait que l’on donne, à tous les niveaux, une formation manuelle qui privilégierait des activités comme le travail du bois, enseignement que pourraient donner des instituteurs hommes ou femmes compétents. Il s’opposait au recrutement de techniciens sans expérience pédagogique. Pour lui, l’instruction manuelle était une composante de l’éducation globale ; celle-ci reconnaissait la « valeur de l’intelligence dans les opérations mécaniques » et permettait aux élèves de « recevoir ces influences formatrices qui leur ser[aient] utiles quel que [soit] l’emploi qu’ils occupent ».
Millar rassembla ses idées dans deux de ses écrits les plus retentissants. School management and the principles and practice of teaching [...], paru à Toronto et à Montréal en 1896, fut le premier livre d’un auteur canadien sur la formation des enseignants qui remporta du succès, et il servit dans les écoles normales de l’Ontario de 1897 à 1915. Comme beaucoup d’autres écrits de Millar, il trouvait le juste milieu entre, d’une part, l’éducation en tant que processus de formation de la personnalité, et d’autre part, l’administration (hiérarchie et prise de décision) au niveau politique et au niveau de la classe même. L’importance de la personnalité morale et la nécessité d’obéir à l’autorité politique sont aussi les thèmes de Canadien citizenship, qu’il publia à Toronto et à Montréal vers 1899. Sous-titré « Traité sur le gouvernement civil », ce document souligne aux élèves des écoles secondaires le caractère pratique du civisme en leur montrant le lien entre le gouvernement de soi, de la famille, de l’école et de la nation.
John Millar s’inscrivait dans le mouvement par lequel la tradition de l’enseignement en Ontario se démocratisa tout en continuant à valoriser la formation morale, l’éducation au civisme, la centralisation du pouvoir et l’acquisition de compétences professionnelles. Il tenta de réformer et de consolider le système uniquement en intervenant dans les sphères de la profession et de l’administration. Comme beaucoup d’autres éducateurs ontariens, il dédaignait la politique. Pour lui, le progrès réel et durable des individus et de la société ne viendrait pas de la loi, mais de la formation intégrale et de la discipline de chacun.
En plus des œuvres mentionnées dans la biographie, les publications de John Millar comprennent « The co-education of the sexes » et « The conflict between education and knowledge », Canada Educational Monthly (Toronto), 1 (1879) : 288–294 et 22 (1900) : 285–289 ; The educational demands of democracy (Ottawa, 1901) ; The place of religion in the public school (Toronto, [1903]) ; « The educational system of Ontario : its excellencies and its defects », Dominion Educational Assoc., Proc. of the convention (Toronto), 1904 : 120–134 ; et « Rural school libraries », Ontario Educational Assoc., Proc. of the annual convention (Toronto), 1904 : 326–331.
AN, RG 31, C1, 1851, Brock.— AO, RG 22, Ser. 305, no 18299.— Globe, 3–4 oct. 1905.— Canada Educational Monthly, 4 (1882) : 458.— Commemorative biog. record, county York.— Dominion Educational Assoc., Proc. of the convention, 1907 : 239.— E. C. Guillet, In the cause of education ; centennial history of the Ontario Educational Association, 1861–1960 (Toronto, 1960), 202–204.— R. D. Lanning, « Moral character : John Millar and the educational system in Ontario, 1890–1905 » (thèse de m.a., Univ. of Toronto, 1986).
Robert Lanning, « MILLAR, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/millar_john_13F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/millar_john_13F.html |
Auteur de l'article: | Robert Lanning |
Titre de l'article: | MILLAR, JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 1 déc. 2024 |