Provenance : Lien
RENAUD, Émiliano (baptisé Anthelme-Marie-Renaud-Alexandre-Émiliano), pianiste, organiste, pédagogue et compositeur, né le 26 juin 1875 à Saint-Jean-de-Matha, Québec, fils de Zotique (Zothique) Renaud, étudiant en droit, et de Dorothée La Salle ; décédé célibataire le 3 octobre 1932 à Montréal et inhumé le 5 dans cette ville au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.
La famille d’Émiliano Renaud s’installe à Montréal au cours de l’année 1875. Émiliano découvre le piano grâce à sa mère, puis poursuit sa formation durant deux ans auprès de Paul Letondal, l’un des pionniers de la vie musicale professionnelle au Québec. Il fait des études classiques, restées inachevées, au collège Sainte-Marie (1886–1887 et 1890–1891) et au petit séminaire de Montréal (1889–1890). Parallèlement, il est organiste accompagnateur du chœur des élèves dans ces établissements.
En 1892, Renaud obtient un premier emploi à Church Point, en Nouvelle-Écosse, en tant que professeur de piano et directeur de la chorale paroissiale. Il revient à Montréal un an plus tard pour des raisons de santé. Sa rencontre avec Dominique Ducharme, réputé professeur de piano et élève de Letondal, daterait de cette période. Ducharme voue une grande admiration au pianiste Ignacy Jan Paderewski et initie Renaud à sa remarquable technique. En octobre 1896, ce dernier quitte de nouveau Montréal, pour Oswego, dans l’État de New York, où il est organiste à l’église de la paroisse Sainte-Marie. Le 28 janvier 1897, le lendemain de ses débuts montréalais à la Young Men’s Christian Association, la Patrie le surnomme déjà le Paderewski canadien et lui prédit un avenir prometteur. Au printemps suivant, Renaud parfait sa formation dans la métropole avant son départ pour Vienne. L’influence de Ducharme n’est pas étrangère au fait que Renaud choisisse d’aller se perfectionner dans les pays germaniques plutôt qu’à Paris, destination favorite de plusieurs artistes de la province de Québec. Renaud séjourne deux ans (1897–1899) en Europe. Il étudie sous la direction d’une disciple de Theodor Leschetizky, l’ancien maître de Paderewski, d’abord à Vienne, puis à Berlin.
À son retour à Montréal en 1899, Renaud commence une carrière de concertiste : il se produit en récital comme soliste et comme chambriste auprès d’artistes et de formations prestigieuses tel l’Orchestre symphonique de Montréal. Il établit de nouveaux standards dans l’élaboration de programmes solos à une époque où les concerts sont pour la plupart un assemblage d’extraits de pièces exécutés par plusieurs interprètes. Renaud propose ses propres compositions, ainsi que des œuvres entières de musiciens romantiques (Brahms, Chopin, Liszt et Schumann), répertoire qu’il joue de mémoire et auquel il restera fidèle toute sa vie. La critique louange sa technique et sa musicalité. Elle reconnaît en lui un véritable virtuose. Le lendemain de son récital présenté à la salle Windsor le 28 septembre 1899, le chroniqueur musical de la Patrie livre ce témoignage : « Il nous revient, après avoir passé par l’école qui a formé Paderewski et d’autres grands pianistes, avec un bagage artistique considérable. Ceux qui l’ont entendu n’ont aujourd’hui qu’une voix pour reconnaître le style exquis, la méthode parfaite, le sentiment intense, la virtuosité incontestable de notre jeune compatriote. »
L’année suivante, le 20 avril, à la salle Windsor, Renaud crée son œuvre concertante intitulée Concertstück en compagnie de l’Orchestre symphonique de Montréal. Le lendemain, un journaliste du Montreal Daily Star décrit ainsi la soirée : « Il joue avec virilité et de grands effets de bravoure [… Dans sa] composition[, il] remplit les exigences de la pensée musicale moderne en [ayant] quelque chose de valable à exprimer et [en le faisant] avec clarté et lucidité. »
Le 22 octobre 1901, Renaud, dont la renommée a déjà dépassé les frontières de la province de Québec, fait des débuts remarqués au Massey Hall de Toronto. Ses nombreux succès sur les scènes artistiques du pays et sa collaboration à l’équipe professorale du McGill Conservatorium of Music, fondé à Montréal en 1904, préparent Renaud à sa future carrière américaine. Pendant environ cinq années (1907–1911), il travaille à l’Indianapolis Conservatory of Music, aux États-Unis, d’abord comme professeur de piano, puis comme chef de département, mettant temporairement en veilleuse ses activités de compositeur.
Vers 1912, année à partir de laquelle il semble disposer d’une fortune personnelle, Renaud quitte les contraintes de l’enseignement pour poursuivre une carrière d’artiste indépendant, plus conforme à son tempérament. Il se remet à la composition et s’établit à Boston, où il demeure de 1912 à 1916 et où d’importants éditeurs américains, tels que Oliver Ditson Company, acceptent de publier ses œuvres. En 1912, il accompagne également Emma Calvé, vedette française du Metropolitan Opera à New York, dans une série de concerts. Cette tournée nord-américaine confère à Renaud un statut international.
En 1917, le pianiste choisit de s’installer à New York. Il se consacre à l’enseignement – notamment en fondant son propre conservatoire – et à l’élaboration d’une méthode d’apprentissage du piano à l’aide de disques, sans professeur. La Disk-phone piano method paraît en 1918, probablement à compte d’auteur. Elle est diffusée à nouveau en 1920, sous le titre Renaud-phone piano method. L’année suivante, Renaud la publie en français à compte d’auteur, sous le titre original. La méthode obtient l’assentiment de Paderewski et du critique musical du New York Times, James Gibbons Huneker. Cet apport à la pédagogie musicale contribue à sa démocratisation, phénomène en vogue à cette époque.
L’année 1921 ramène Renaud au Québec. Le musicien partage sa vie professionnelle entre les concerts (dont certains deviennent l’événement de la saison artistique), la composition, les collaborations comme interprète et pédagogue à la station radiophonique CKAC (pour qui il adapte sa méthode en 30 leçons, une première en Amérique !), et la direction du mensuel MusiCanada (1922–1923). En 1924, il donne une série de trois concerts au prestigieux Wigmore Hall de Londres qui consacreront son talent en sol britannique. À sa mort, survenue brusquement à Montréal le 3 octobre 1932, le milieu musical déplore la perte de ce musicien tant apprécié.
À titre de compositeur, Renaud a laissé un catalogue d’une cinquantaine d’œuvres (plusieurs autres auraient été égarées), en majorité pour le piano et la voix, quelques pièces de musique de chambre, des œuvres concertantes et deux farces musicales : Sandwich (1925) et sa version modifiée, Djympko (1926). La création en anglais de Djympko a eu lieu à la salle Windsor le 29 novembre 1926. Ces compositions ne s’inscrivent nullement dans les tendances avant-gardistes ou folkloriques du temps de Renaud, celui-ci préférant utiliser le langage des compositeurs allemands du xixe siècle.
D’illustres artistes canadiens se sont associés à Renaud pour présenter ses compositions, comme en témoigne la soirée du 17 février 1930, à la salle Windsor, à laquelle ont participé le ténor Rodolphe Plamondon et le violoniste Émile Taranto. Après la mort de Renaud, ses œuvres feront l’objet de peu d’attention, à l’exception de celle de Sigrid Onégin, célèbre contralto qui introduira à son répertoire la mélodie le Pardon (1931) (dont elle est la dédicataire), et de celle du compositeur Eugène Lapierre, qui en constituera un premier catalogue en 1943. Il faudra attendre ensuite plusieurs années pour qu’on les redécouvre, à l’occasion d’un concert présenté à l’université Laval le 16 octobre 1986, dans le cadre de l’Année internationale de la musique canadienne.
Émiliano Renaud mérite d’occuper une place importante dans notre paysage culturel, car la diversité de sa contribution musicale, la qualité de ses programmes, ses interprétations remarquables et son rayonnement international ont fait de lui le premier pianiste virtuose de la province de Québec.
Nous tenons à remercier Pierre Vachon, musicologue et directeur de la division Action sociale et éducation à l’Opéra de Montréal, pour ses recherches préliminaires sur Émiliano Renaud. Nous voulons également exprimer notre reconnaissance à Monique Renaud, nièce de l’artiste, pour l’entrevue qu’elle nous a accordée le 17 février 2011.
Nous recommandons au lecteur qui voudra en savoir davantage sur Renaud de consulter notre mémoire de maîtrise : « Émiliano Renaud (1875–1932) : premier pianiste-virtuose du Québec ; interprète-pédagogue-compositeur » (univ. de Montréal, 2011).
Les œuvres de Renaud ont été publiées aux États-Unis par les firmes Oliver Ditson Company, White-Smith Music Publishing et New Music Publishing, et au Canada par Edmond Archambault*, le Nouveau Théâtre musical et le journal la Presse, ainsi que dans la revue MusiCanada (Montréal) sous divers pseudonymes. Certaines ont aussi paru dans : Soc. pour le patrimoine musical canadien, le Patrimoine musical canadien (25 vol., Ottawa, 1983–1999), 6 (Musique pour piano II, 1986). Quatre de ses compositions ont fait l’objet d’enregistrements sur disques. Josephte Dufresne a enregistré son Prélude, fugue et choral, œuvre dont la partition manuscrite n’est pas datée.
BAC, R12142-0-8.— BAnQ-CAM, CE605-S30, 1er juill. 1874, 27 juin 1875.— Univ. de Montréal, Div. des arch., P365.— Univ. Laval, Div. des arch., P269.— Le Devoir, 18 févr. 1930, 20 oct. 1986.— Gazette (Montréal), 4 oct. 1932.— Montreal Daily Star, 21 avril 1900.— Le Passe-Temps (Montréal), 17 mars 1900, 21 sept. 1918, octobre 1932.— La Patrie, 28 janv. 1897, 3 oct. 1932.— BCF.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— « Les Canadiens en Europe », l’Art musical (Montréal), 3 (1898–1899) : 9.— Dictionnaire biographique des musiciens canadiens (2e éd., Lachine [Montréal], 1935).— E. [G.] Hesselberg, A review of music in Canada (New York et Toronto, [1912 ?]).— L’Heure canadienne, réalisation de Johanne Goyette (émission de la Société Radio-Canada, Montréal, 13 nov. 1988).— Historica Canada, « l’Encyclopédie canadienne » : www.encyclopediecanadienne.ca/fr (consulté le 27 janv. 2016).— « Montréal », l’Art musical, 1 (1896–1897) : 291.— The musical red book of Montreal [...], B. K. Sandwell, édit. (Montréal, 1907).— Franz Pazdírek, Universal-Handbuch der Musikliteratur/Manuel universel de la littérature musicale (12 vol., Hilversum, Pays-Bas, 1967), 9.— « Une invention canadienne : Huneker apprécie l’œuvre d’Émiliano Renaud », le Canada musical (Montréal), 3 (1919–1920), no 2 : 9.— Vir, « Émiliano Renaud », la Quinzaine musicale et artistique [...] ([Montréal]), 2 (1931–1932) : 41.
Pascale-Andrée Bessette, « RENAUD, ÉMILIANO », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/renaud_emiliano_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/renaud_emiliano_16F.html |
Auteur de l'article: | Pascale-Andrée Bessette |
Titre de l'article: | RENAUD, ÉMILIANO |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2019 |
Année de la révision: | 2019 |
Date de consultation: | 7 déc. 2024 |