TUCK, WILLIAM HENRY, avocat et juge, né le 27 février 1831 à Indiantown (Saint-Jean, Nouveau-Brunswick), fils de Moses Tuck et d’Elizabeth Travis ; le 1er décembre 1857, il épousa à Eastport, Maine, Sarah Plummer Favor (décédée en 1917), et ils eurent quatre fils et deux filles ; décédé le 8 avril 1913 à Saint-Jean.

William Henry Tuck grandit dans un modeste voisinage de Saint-Jean dont la principale activité économique était de transborder des marchandises au delà des chutes Reversing et d’y faire descendre du bois d’œuvre. Dans sa jeunesse, il aida son père à faire descendre le courant à de gros trains de bois. De 1844 à 1848, il fit ses études secondaires à la Wesleyan Academy de Sackville, après quoi il entreprit son stage de droit à Fredericton, au cabinet de son coreligionnaire méthodiste Lemuel Allan Wilmot*, procureur général de la province. En 1851, lorsque Wilmot fut nommé juge, Tuck retourna à Saint-Jean pour terminer son stage auprès de William Jack. Admis comme attorney en 1853, il fut reçu au barreau le 11 octobre 1855.

Comme d’autres juges nommés au Nouveau-Brunswick après la Confédération, Tuck accéda à la magistrature en passant par la politique de parti. Cependant, fait rare, il n’occupa jamais de poste électif ; il se livrait uniquement à des jeux de coulisse. Toujours adepte des « vues libérales [et] démocratiques » défendues par les réformistes (Smashers) à ses débuts en politique, il était dès 1860 l’un des principaux organisateurs de Samuel Leonard Tilley* à Saint-Jean. Il lui resta fidèle tout au long du débat sur la Confédération et, même s’il n’obtint pas de siège au tribunal de comté créé en 1867, il fut nommé cette année-là, le même jour, conseiller de la reine, solicitor du chemin de fer provincial et greffier de la couronne. Dans cette dernière fonction, qu’il occupa jusqu’en 1883, il atteignit la notoriété en représentant la poursuite dans les procès criminels les plus sensationnels de l’époque. En 1874, la province le nomma recorder (conseiller juridique) de Saint-Jean, poste qu’il conserva jusqu’à son accession à la magistrature.

L’adhésion de Tuck à l’aile proconfédératrice du Parti libéral provincial signifait paradoxalement que, comme Tilley, il soutenait les conservateurs fédéraux. En 1867, il devint le premier représentant du procureur général fédéral, sir John Alexander Macdonald*, au Nouveau-Brunswick. Dès 1881, il était dans les faits organisateur en chef des conservateurs de Saint-Jean, et l’on disait de lui : « il crée tous les fonctionnaires [...] du gouvernement d’Ottawa dans cette partie du pays ». En acceptant de se porter candidat aux élections de 1882 sans avoir la moindre chance de l’emporter, il s’assura une grosse récompense, un poste de juge en 1885. Après avoir refusé en 1896 un siège à la Cour suprême du Canada en invoquant son désir de ne pas quitter Saint-Jean, il devint le premier non-anglican à accéder à la fonction de juge en chef de la province. Il démissionna en 1908, après avoir déclaré aux libéraux de sir Wilfrid Laurier qu’ils devraient le mettre en accusation pour avoir sa place.

En ces temps où la population considérait la Cour suprême de la province comme une désolante imitation de la magistrature aristocratique et cultivée qui était en place avant que les nominations ne deviennent du ressort du gouvernement fédéral en 1867, le juge Tuck ne pouvait guère avoir beaucoup d’admirateurs, car il avait des manières trop simples. Toujours conscient de ses antécédents modestes, il prétendait se réjouir que « tout le monde [l’] appelle Harry » et que les hommes ne voient pas la nécessité de lui tirer leur chapeau. Ce fut peut-être ce penchant démocratique qui l’amena à intervenir pour faciliter l’admission de Solomon Hart Green*, premier Juif des Maritimes à devenir avocat. Même une fois juge, Tuck conserva la réputation d’avoir l’esprit partisan, non sans raison ; ainsi, il négocia en 1893 la nomination de John James Fraser* au poste de lieutenant-gouverneur, comme il s’en vanterait plus tard dans la presse. Quant à son jugement sur une simple question de procédure, jugement qui coûta un siège aux libéraux aux tumultueuses élections fédérales de 1887, il poussa le rédacteur en chef du Saint John Globe John Valentine Ellis à mettre en doute son impartialité de façon si virulente qu’Ellis fut accusé d’outrage au tribunal. La pénible épopée des poursuites contre Ellis, qui dura six ans, devint le symbole le plus dramatique de la baisse de crédibilité du tribunal.

Récemment, William Henry Tuck est sorti de l’oubli à cause de ses opinions sur le rôle « légitime » des femmes. En 1905, lorsque Mabel Priscilla Penery French* demanda au tribunal de déterminer si la définition de « personne » habilitée à pratiquer le droit englobait les femmes, le juge en chef rétorqua que, si on les autorisait à devenir avocates, elles pourraient aussi bien être soldates, policières ou même juges, propositions manifestement absurdes. « [Je] ne partage nullement, dit-il, l’opinion selon laquelle les femmes doivent entrer en concurrence avec les hommes dans tous les secteurs de la vie. Mieux vaut qu’elles remplissent leurs fonctions légitimes. » L’état d’esprit qui régnait dans sa propre maison accroissait-il son agressivité à ce sujet ? On ne peut manquer de s’interroger là-dessus. Quand l’Association for the Advancement of Women tint son congrès de 1896 à Saint-Jean, ce fut Sarah Plummer Favor Tuck qui hébergea la célèbre féministe américaine Julia Ward Howe, et elle occupa des fonctions pendant plusieurs années au Local Council of Women.

D. G. Bell

AN, MG 26, A :199498–199499 ; MG 27, I, D15, Tuck à Tilley, 16 avril 1862, 6 juin 1867 ; RG 31, C1, 1881, Saint-Jean, N.-B.— APNB, MC 288, MS4 ; RS32, C, 11, 11 oct. 1855.— Saint John Jewish Hist. Museum Arch. (Saint-Jean), Green-Hart-Isaacs family tree, Phyllis Green, compil. (1976).— Daily Sun (Saint-Jean), 19 mars, 18 déc. 1885 ; publié par la suite sous le titre StJohn Daily Sun, 25 janv. 1895, 5, 29 mai 1896, 27 janv. 1900, 1er févr. 1904, 3 oct. 1906.— Morning Freeman (Saint-Jean), 10 mars 1860, 18 juin 1867.— Progress (Saint-Jean), 13 oct. 1888, 29 févr. 1896.— Saint John Globe, 19 nov. 1878, 22 févr. 1881, 19 mars 1885, 15 sept. 1896, 13 déc. 1911, 19 mai 1917.— St. John Morning Telegraph (Saint-Jean), 18 juin 1867.— D. G. Bell, « Judicial crisis in post-confederation New Brunswick », dans Glimpses of Canadian legal history, Dale Gibson et W. W. Pue, édit. ([Winnipeg], 1991), 189–203.— The Currie-Huestis « Striped Stockings » case : as heard at the York nisi prius sittings, August, 1885 ([Fredericton, 1885]).— Vital statistics from N.B. newspapers, 16, 26, 37, 40.— L. K. Yorke, « Mabel Penery French (1881–1955) : a life re-created », Rev. de droit de l’univ. du Nouveau-Brunswick (Fredericton), 42 (1993) : 3–49.

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D. G. Bell, « TUCK, WILLIAM HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/tuck_william_henry_14F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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