URRY, FREDERICK, architecte, militant syndical, rédacteur en chef, homme politique et leader communautaire, né le 6 juin 1863 à Sandown, Angleterre, fils de William Urry, maître maçon, et de Fanny Spanner ; le 7 juillet 1891, il épousa à Birmingham, Angleterre, Eliza Ashmore, et ils eurent deux fils et une fille ; décédé le 2 octobre 1927 à Port Arthur (Thunder Bay, Ontario).

Frederick Urry grandit à Birmingham, où il exerça la profession d’architecte après y avoir fait son stage. En cours de route, il acquit une solide formation en humanités. Socialiste fabien, il militait au Parti travailliste indépendant. En 1903, Urry et sa femme Eliza Ashmore, fille d’un artiste peintre qu’il avait épousée à Birmingham dans une chapelle indépendante (congrégationaliste), immigrèrent au Canada dans l’espoir d’offrir un meilleur avenir à leurs enfants. Pendant trois ans, ils exploitèrent une concession statutaire dans le district de la rivière à la Pluie, dans le nord-ouest de l’Ontario. Ensuite, ils s’installèrent dans la région du Lakehead (région de Thunder Bay), qui connaissait alors une croissance spectaculaire grâce à la forte progression du commerce du blé canadien. Urry ouvrit un bureau d’architecte à Port Arthur, où la prospérité avait aussi engendré de l’agitation ouvrière et de la misère, surtout parmi les travailleurs non syndiqués et les habitants d’origine étrangère. Jusqu’à la fin de ses jours, il s’emploierait à atténuer ces problèmes.

Urry tenta d’abord de conjuguer trois méthodes parfois contraires de réforme sociale : le syndicalisme, le Social Gospel et le socialisme. Les syndicats de Port Arthur étaient, à son avis, dans un état « lamentable ». Inscrit à la United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Urry en devint secrétaire et en fut le délégué en 1907 à l’assemblée du Congrès des métiers et du travail du Canada à Winnipeg. En avril 1908, il fonda le Trades and Labor Council de Port Arthur et souligna cet événement en organisant une célébration publique à l’église presbytérienne St Paul, qu’il fréquentait. L’orateur vedette était John George Shearer. Le ministre de cette église, Samuel Crothers Murray, partageait les opinions d’Urry. Ensemble, ils mirent sur pied une « fraternité » laïque afin de promouvoir le Social Gospel et la cause ouvrière et d’en débattre. Au cours d’une discussion, Urry expliqua : « l’objectif du socialisme est le commonwealth coopératif appartenant à l’ensemble du peuple plutôt que le capitalisme, basé sur la concurrence ».

En septembre 1908, Urry assista à trois conférences où il fut question de la situation sociale et des conditions de travail au Canada. À Toronto, il représenta les ouvriers à une réunion du Board of Moral and Social Reform de l’Église presbytérienne [V. John George Shearer]. Puis il assista, dans la même ville, à l’assemblée de fondation de la section ontarienne du Parti socialiste du Canada. Plus tard, pendant qu’il se trouvait à Halifax pour l’assemblée du Congrès des métiers et du travail, il apprit sa nomination comme candidat travailliste-socialiste dans la circonscription de Thunder Bay and Rainy River en prévision des élections fédérales. Il perdit cependant au profit de James Conmee* et récolta seulement 8 % des voix. En outre, il se brouilla avec le Parti socialiste en préconisant « un juste salaire quotidien » plutôt que l’« abolition du salariat ».

Urry conserva quand même l’estime du mouvement ouvrier. Sur son initiative, le Congrès des métiers et du travail tint son assemblée de 1910 dans la région du Lakehead. Un certain nombre de séances de cette assemblée eurent lieu au nouveau Labor Temple de l’organisation socialiste finnoise à Port Arthur ; sans en être l’architecte, Urry avait collaboré à la construction de cet édifice à titre d’expert-conseil. En 1911, avec l’appui des conseils ouvriers de Port Arthur et de Fort William (Thunder Bay), il fonda le Parti travailliste indépendant du « Nouvel-Ontario », en fut candidat sur la scène provinciale (il perdit) et lança un hebdomadaire, le Wage-Earner. Il réussit par contre à se faire élire au conseil municipal en 1911, en 1912 et en 1914.

Souvent, lors de conflits ouvriers dans la région du Lakehead, Urry intervint personnellement ou appartint à des commissions de conciliation. En 1909, à Fort William, une fusillade entre la police de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique et des grévistes non syndiqués – des manutentionnaires de fret, la plupart originaires de Grèce ou d’Italie – donna lieu à la lecture de la loi contre les attroupements, à la convocation de la milice et à la venue de soldats réguliers de Winnipeg. Alors correspondant de la Gazette du travail d’Ottawa, organe du ministère fédéral du Travail, Urry convainquit le ministère de nommer une commission de conciliation. Celle-ci trancha en faveur des grévistes – victoire futile puisque, en 1910, la compagnie décida de ne plus embaucher d’Européens du Sud. En 1912, « frère Urry » rédigea le rapport minoritaire sur un conflit entre des manutentionnaires de charbon syndiqués de Port Arthur et la Canadian Northern Coal and Ore Dock Company. La conciliation échoua. Actes de violence et recours à la milice marquèrent le débrayage qui s’ensuivit, ce qui amena les organisateurs syndicaux à déclencher une grève générale. Grâce à Urry, le différend se solda par quelques concessions aux débardeurs. C’était dans de telles situations, rappellerait sa fille, qu’on l’« appelait souvent en pleine nuit [...] Il avait de l’ascendant, poursuivait-elle, et il pouvait vite prendre les choses en main et calmer les hommes. Les policiers étaient là, revolver au poing, et il y avait souvent des coups de feu et des attaques au couteau. Maman avait tellement peur qu’il lui arrive quelque chose. Les hommes ne s’en seraient jamais pris à lui, mais elle craignait qu’il soit atteint par une balle perdue. »

En 1913, malgré ses talents de conciliateur, Urry ne put empêcher le syndicat des employés des tramways électriques de Port Arthur et Fort William de déclencher une grève pourtant vouée à l’échec. À la suite d’actes de violence commis par des sympathisants immigrants, du meurtre d’un badaud par la police et de l’embauche de gardes armés, les militants tentèrent, sans succès, de provoquer une grève de solidarité. Loin de reconnaître l’influence modératrice d’Urry, les élites municipales le qualifièrent d’« incendiaire ». En outre, Urry se querella avec les socialistes radicaux du Parti social-démocrate du Canada parce qu’ils prônaient la « reconnaissance de la lutte des classes », essayaient d’organiser les ouvriers de tout le bord du lac et appelaient à une grève générale – recours ultime, selon Urry, après l’échec de la conciliation. En juillet 1914, il quitta la direction du Wage-Earner et abandonna la politique travailliste.

Lorsque la guerre éclata, le mois suivant, Urry se retira aussi du mouvement syndical. En 1912, il avait dénoncé le chauvinisme et la course aux armements ; une fois les hostilités engagées, il prit une orientation tout à fait différente de celle du mouvement ouvrier en devenant « un ardent impérialiste ». Fasciné par la marine royale et fervent adepte de la navigation, il avait lancé l’idée de bâtir le Sailors’ Institute de Port Arthur et en avait dessiné les plans ; cet immeuble fut construit en 1913. Après la guerre, Urry fonda la Navy League de Port Arthur et fut membre de son comité directeur durant de nombreuses années.

Même après s’être retiré du mouvement syndical, Urry continua de promouvoir le bien-être des travailleurs. En 1918, après de lourds sacrifices professionnels, il trouva un poste permanent. Il devint en effet le premier surintendant du bureau provincial d’emploi de Port Arthur, service dont il réclamait la création depuis longtemps. En 1919, devant la commission royale fédérale d’enquête sur les relations industrielles, il déclara que le coût de la vie avait atteint un niveau inacceptable. La même année et la suivante, il représenta des grévistes de la Port Arthur Ship Building Company Limited. Son intervention en 1920, en faveur de la paix industrielle plutôt que de la fermeture du chantier naval, préserva des emplois mais brisa la grève. Toujours en 1920, il accéda à la présidence du Bureau de commerce de Port Arthur, signe que le fossé se creusait entre lui et le mouvement syndical.

Urry ne se dépensa pas seulement en faveur des ouvriers. Il contribua aussi, d’innombrables façons, à la vie régionale. Membre du conseil scolaire de Port Arthur en 1910 puis de 1923 à 1926, il travailla beaucoup pour cet organisme en tant qu’architecte, souvent à titre gracieux. Préoccupé par le sort des jeunes de la classe ouvrière, il appartint au comité consultatif d’orientation professionnelle du conseil scolaire de 1917 à 1919 et le dirigea de 1923 à 1926. Malgré une certaine opposition, il fit accepter la création d’une école technique. Dans l’espoir de se voir confier le soin de dessiner les plans de l’édifice, il démissionna du conseil scolaire en 1926. La décision de donner le contrat à un ingénieur spécialisé dans la conception de silos à céréales, Clarence Decatur Howe*, fut un « terrible choc » pour lui. Par ailleurs, il fut président de l’Arts and Letters Club de Port Arthur et membre du conseil de la bibliothèque et de la commission des parcs. Pendant les six dernières années de sa vie, il occupa la présidence du Thunder Bay Philharmonic Symphony Orchestra.

L’œuvre architecturale de Frederick Urry est modeste : elle se compose de logements pour les particuliers et d’édifices publics, des écoles surtout. Il fut avant tout un propagandiste de « l’évangile de l’amour fraternel » et du « commonwealth coopératif ».

Jean Morrison

Seuls six exemplaires du Wage-Earner de Port Arthur (Thunder Bay, Ontario), hebdomadaire ouvrier fondé et publié par Frederick Urry, existent encore. La date et le lieu de conservation de cinq de ces numéros sont mentionnés dans Jean Morrison, « Frederick Urry : the wage-earner’s advocate », Thunder Bay Hist. Museum Soc., Papers and Records, 14 (1986) : 8–22 ; nous avons par la suite fait don du sixième numéro (25 avril 1913) au musée. Urry a aussi rédigé une chronique dans l’Evening Chronicle de Port Arthur, mais il en existe seulement quelques exemplaires éparpillés, car les numéros antérieurs du journal ont été détruits quand ce dernier a été acheté par le Daily News en février 1916. [j. m.]

GRO, Reg. of births, Ryde (Southampton), 6 juin 1863 ; Reg. of marriages, Birmingham, 7 juill. 1891.— Daily Times-Journal (Fort William [Thunder Bay]), 3 oct. 1927.— Jean Morrison, « The organization of labour at Thunder Bay », dans Thunder Bay : from rivalry to unity, T. J. Tronrud et A. E. Epp, édit. (Thunder Bay, 1995), 120–141.

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Jean Morrison, « URRY, FREDERICK », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/urry_frederick_15F.html.

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Auteur de l'article:    Jean Morrison
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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