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VENIOT, PIERRE-JEAN (baptisé Pierre Vignault, il fut surtout connu sous les prénoms de Peter John et sous la signature P. J.), journaliste, typographe, propriétaire de journal, organisateur et homme politique, et fonctionnaire, né le 4 octobre 1863 à Richibucto, Nouveau-Brunswick, fils d’Étienne (Stephen) Vignault (Vineau) et de Marie Morell (Morel, Morelle) ; le 8 février 1885, il épousa à Scoudouc, Nouveau-Brunswick, Catherine Melançon, et ils eurent six garçons et une fille ; décédé le 6 juillet 1936 à Bathurst, Nouveau-Brunswick, et inhumé trois jours plus tard dans la même ville.
On connaît peu de chose sur la jeunesse et sur la vie privée de Pierre-Jean Veniot. À l’âge de sept ans, en 1870, ce dernier s’installe avec ses parents dans la communauté anglophone de Pictou, en Nouvelle-Écosse. De 1874 à 1878, il reçoit son éducation à la Pictou Academy, école publique anglophone où un professeur lui aurait suggéré d’adopter le nom de Veniot, moins difficile à prononcer que Vignault pour des anglophones.
Probablement dès la fin de ses études, Veniot commence à travailler comme journaliste au Colonial Standard. Il s’y initie de plus au métier de typographe, qu’il exerce au Daily Transcript de Moncton, au Nouveau-Brunswick, à partir de 1882. Veniot renoue alors avec ses racines acadiennes. Il apprend le français grâce à celle qu’il choisit pour épouse en 1885, Catherine Melançon, unilingue francophone. Il devient chef d’atelier au Courrier des provinces Maritimes de Bathurst en 1887, puis rédacteur en chef deux années plus tard. Il acquiert l’imprimerie en 1891 et l’hebdomadaire en 1896.
En 1891, Veniot a été élu secrétaire du comité d’organisation du congrès libéral pour désigner le candidat acadien aux prochaines élections fédérales dans la circonscription de Gloucester. Même si cette étiquette politique s’avérera ultérieurement, il commence déjà à être reconnu comme le chef libéral des Acadiens du Nouveau-Brunswick. Il se présente aux élections provinciales de l’année suivante dans la circonscription de Gloucester, sans succès. Il y est élu à l’élection partielle de 1894, puis réélu aux élections générales de 1895 et de 1899.
À la suite d’un accident, Veniot éprouve de sérieux problèmes de santé qui l’entraînent dans des difficultés financières. Il doit ainsi quitter la politique, vendre le Courrier des provinces Maritimes et démissionner de son poste de rédacteur en chef à la fin de l’année 1899. Veniot devient douanier dans la fonction publique fédérale, métier plus stable qu’il exerce à Bathurst à partir de l’année suivante. Toutefois, incapable de cacher ses couleurs partisanes, il perd son emploi à l’arrivée au pouvoir des conservateurs de Robert Laird Borden en 1911.
Veniot retourne sur la scène politique provinciale aux élections de 1912, à l’issue desquelles, sous le leadership du premier ministre James Kidd Flemming*, les conservateurs reprennent le pouvoir le 24 juin avec une imposante majorité, soit 44 des 48 sièges de l’Assemblée législative. Ses rangs décimés, le Parti libéral doit se rebâtir et décide de faire appel aux services de Veniot – battu dans Gloucester –, ainsi qu’à ceux d’Edward S. Carter, journaliste, et de Frank Broadstreet Carvell*, avocat et député libéral à la Chambre des communes. Ce trio forme la « brigade de la lanterne sourde ». Veniot s’occupe principalement des régions francophones situées dans le demi-cercle nord-est de la province, entre Moncton et Edmundston, qu’il sillonne jour et nuit pour organiser la machine libérale et lui attirer le vote acadien. Orateur doué autant en anglais qu’en français, à la tenue distinguée, il fait figure de personnalité charismatique.
En 1914, deux ans après la victoire écrasante des conservateurs, les libéraux, préparés et soutenus par le fameux trio, portent des accusations de collusion et de corruption contre le premier ministre. Pour faire la lumière sur la situation, les conservateurs instituent deux commissions royales d’enquête, dont les conclusions mènent à la démission de Flemming la même année.
Les libéraux exploitent ces scandales et prennent le pouvoir aux élections générales de 1917. L’influence de Veniot, lui-même élu dans Gloucester, a été déterminante, car, dans les circonscriptions où la lutte a été serrée, le vote acadien a fait la différence. La presse conservatrice qualifie Veniot de conspirateur : selon elle, il a passé les cinq années précédentes à mettre en œuvre, par l’intermédiaire de son réseau d’agents électoraux, une machine politique visant à donner le pouvoir aux Acadiens. Par-delà ces critiques partisanes, il s’avère que Veniot est non seulement le leader libéral des Acadiens, mais aussi l’homme indispensable du parti et son plus fort député.
Veniot devient ministre des Travaux publics le 4 avril 1917. Cette nomination à la tête du département le plus influent au sein du cabinet du premier ministre Walter Edward Foster* est très significative pour la minorité acadienne, car elle reconnaît la place importante et étend le pouvoir politique de l’un des siens. Selon l’historien Jean-Guy Finn, « il est en effet communément admis, tant au provincial qu’au fédéral, que ce ministère comporte des possibilités de “patronages” assez exceptionnelles ». Veniot congédie des centaines de fonctionnaires d’allégeance conservatrice pour les remplacer par des libéraux, dont plusieurs sont d’origine acadienne. Son influence au sein du cabinet provoque une certaine frustration dans les milieux anglo-protestants, ce qui contribue à diviser ethniquement les partis politiques. Plusieurs journaux anglophones font de Veniot un leader des Acadiens, et du Parti libéral un parti proacadien.
Comme ministre, Veniot met en œuvre un des plus ambitieux programmes de construction routière au pays. Financé par des obligations, les frais des propriétaires de voitures, une contribution annuelle de 230 000 $ du gouvernement fédéral et le tiers du budget provincial, celui-ci permet la création ou l’amélioration de plus de 1 200 milles du réseau routier du Nouveau-Brunswick. Ces réalisations méritent même au ministre le surnom de « Good Roads Veniot ». Pendant la campagne électorale de 1920, l’opposition conservatrice critique pour sa part l’imprudence et l’extravagance de ce programme, qui privilégierait la population riche et oisive qui emprunte les routes touristiques, aux dépens des fermiers qui utilisent les routes de campagne. Elle l’accuse également de dépenser de manière disproportionnée dans les circonscriptions acadiennes.
En 1920, les libéraux sont reportés au pouvoir. Veniot, réélu, réussit encore une fois à gagner le vote acadien. D’ailleurs, à l’Assemblée législative, les voix acadiennes se font de plus en plus entendre. En 1923, le premier ministre Foster annonce à son caucus qu’il se retire de la politique et lui demande d’appuyer la candidature de Veniot pour lui succéder. Veniot accède ainsi au plus haut poste politique de la province – il est le premier Acadien à y parvenir –, ce que l’on voit plus comme un acte de reconnaissance envers un politicien doué et un fidèle partisan que comme un geste de considération pour la population acadienne.
À titre de chef du gouvernement, Veniot se préoccupe de la dette publique et d’un projet de développement de l’hydroélectricité dans le nord du Nouveau-Brunswick, projet dont la viabilité économique dépend des plans d’expansion des trois grandes compagnies forestières de la province : Bathurst Lumber Company Limited, Fraser Companies Limited et International Paper Company. Même si la situation financière de la province reste difficile depuis 1921 – notamment en raison de la chute du prix et de la demande de presque toutes les matières premières, des nombreuses pertes d’emplois dans le milieu ouvrier et des sécheresses successives qui affectent les récoltes –, il considère que le projet ne doit pas être sous l’emprise de ces entreprises, car le développement économique appelle une approche interventionniste. Dans un discours prononcé le 7 mars 1924 à l’Assemblée législative, il résume bien sa pensée à cet égard : « Les opposants à la propriété publique lèveront les mains au ciel avec horreur et diront à la population que notre plan mènera la province à la faillite. Ils insisteront sur le besoin de restriction budgétaire en ces moments de tension dans le milieu économique et industriel. Mais, ce n’est pas économiser que de retenir l’utilisation de fonds publics quand on a la conviction que, grâce à des dépenses appropriées et judicieuses, on peut créer une plus grande expansion du commerce et de l’industrie […] Le développement hydroélectrique est le moyen de sauver la province du Nouveau-Brunswick. »
La campagne électorale déclenchée le 17 juillet 1925 se jouera sur deux fronts. L’enjeu énergétique montre la puissance des intérêts privés opposés à toute forme de nationalisation des ressources. Les compagnies forestières, notamment la Bathurst Lumber Company Limited, propriété d’Angus McLean, sont les grands adversaires de Veniot. Avant la campagne, elles font pression sur lui. En raison des temps économiques difficiles (la moitié des scieries de la province a fermé ses portes depuis 1921), elles demandent entre autres choses, le 2 juin, une réduction des droits de coupe et l’adoption de la méthode de mesurage de la province de Québec. Au début du mois de juillet, Veniot leur accorde une réduction moindre. Il ne peut donner suite à leur deuxième requête, car, pour ce faire, il faudrait voter une loi spéciale. Cela ne suffit pas à McLean qui déclare au premier ministre que la Lumbermen and Limit Holders’ Association of New Brunswick, dont il est l’un des principaux porte-parole, ne lui donnera pas son appui aux prochaines élections. Selon le Telegraph-Journal du 7 août 1925, Veniot lui réplique à sa façon en lui disant d’« amener [ses] “chiens de guerre” ». Il ne sait pas encore que McLean fait partie des hommes d’affaires qui ont convaincu le député fédéral conservateur John Babington Macaulay Baxter* de retourner sur la scène provinciale pour devenir premier ministre.
Veniot doit également faire face à une montée d’intolérance. Perçu comme le premier ministre des Acadiens et des catholiques, il mène une campagne dans des circonscriptions où l’intolérance à l’égard du français et de la religion catholique est fortement ancrée. Des pamphlets, qui circulent dans des régions majoritairement anglophones, déclarent que Veniot veut éliminer les protestants de la surface de la Terre. Cette fois, le 10 août, le vote acadien ne suffit pas pour reporter au pouvoir les libéraux qui remportent 11 sièges, dont celui de Veniot. Les vives tensions, ajoutées à la mobilisation de l’industrie forestière, n’ont pas permis de porter au pouvoir un parti dirigé par un Acadien.
Environ un an plus tard, Veniot quitte la scène provinciale et devient le premier Acadien à accéder au cabinet fédéral. En effet, élu dans la circonscription électorale fédérale de Gloucester le 14 septembre 1926, il sert en tant que ministre des Postes de 1926 à 1930 sous le gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King*. Sous son ministère, à l’occasion du soixantième anniversaire de la Confédération en 1927, le pays émet ses premiers timbres bilingues. Veniot contribue à l’organisation du transport du courrier par voie aérienne ; par exemple, il inaugure en 1928 une liaison entre Montréal et Toronto [V. Joseph-Hervé Saint-Martin]. Malgré la défaite du gouvernement de King en 1930, Veniot est réélu dans sa circonscription, où il gagne sa dernière élection en 1935 et où son fils Clarence Joseph lui succédera le 17 août 1936.
Après une carrière politique de près de 25 ans, Pierre-Jean Veniot meurt en fonction à Bathurst le 6 juillet 1936 d’un cancer de l’estomac et du foie. Trois jours plus tard, les pages de l’Évangéline lui rendent hommage : « M. Veniot a apporté au service de ses concitoyens un ensemble de qualités remarquables : un esprit lucide, une volonté énergique, le don de l’éloquence […] il a laissé une œuvre qui durera. Dans la province : un réseau de routes excellentes, et l’“hydro” […] Par son talent, son travail et la parfaite dignité de sa vie privée il aura contribué énormément à relever notre prestige et à inspirer aux nôtres confiance dans leurs propres destinées. » On peut certainement reconnaître que Veniot a amené les Acadiens à voter pour le Parti libéral. Avant tout, il a été un politicien qui ne reculait pas devant la joute politique, ainsi qu’un organisateur et un rassembleur habile. Il a reçu deux doctorats honorifiques en droit, en 1923 et en 1925, respectivement de la University of New Brunswick et de l’université Laval.
Nous remercions Maurice Basque, conseiller scientifique à l’Institut d’études acadiennes de l’université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, pour l’aide qu’il nous a apportée pendant la préparation de cette biographie.
APNB, SD141, F19330, 9 juill. 1936.— FD, Saint-Antoine-de-Padoue (Richibucto, N.-B.), 8 nov. 1863 ; Saint-Jacques (Scoudouc, N.-B.), 8 févr. 1885.— Courrier des provinces Maritimes (Bathurst, N.-B.), 5, 12, 26 févr., 14 mai 1891 ; 6 oct. 1892 ; 28 mai 1896 ; 6 juill., 31 août 1899.— Le Devoir, 7–8, 16 juill. 1936.— L’Évangéline (Moncton), 13 nov. 1894, 17 mai 1911, 30 sept. 1926, 7 juill. 1927, 9 juill. 1936, 29 oct. 1942.— Le Moniteur acadien (Shédiac, N.-B.), 5 avril 1887 ; 24 sept. 1889 ; 19 mai 1891 ; 13 nov. 1894 ; 28 sept., 7 déc. 1899 ; 12 juill. 1900 ; 12 avril 1917.— APNB, « Mgr Donat Robichaud, recherches historiques et généalogiques » : archives.gnb.ca/Search/FatherRobichaudTranscriptions/BiographyDocuments.aspx?culture=fr-CA (consulté le 14 août 2015).— Antoine Bernard, la Renaissance acadienne au xxe siècle (Québec, [1949]).— Canada, Chambre des communes, Débats, 1927–1929.— CPG, 1936.— A. T. Doyle, Front benches & back rooms : a story of corruption, muckraking, raw partisanship and intrigue in New Brunswick (Toronto, 1976) ; « New Brunswick’s first Acadian premier », Atlantic Advocate (Fredericton), 73 (1982–1983), no 2 : 48–49 ; The premiers of New Brunswick (Fredericton, 1983).— Les Élections au Nouveau-Brunswick, 1784–1984.— Jean-Guy Finn, « Développement et Persistance du vote ethnique : les Acadiens du Nouveau-Brunswick » (mémoire de m.a., univ. d’Ottawa, 1972).— Don Hoyt, Bref Aperçu de l’histoire du Parti libéral du Nouveau-Brunswick ([Fredericton ?, 2000 ?]).— Nicolas Landry et Nicole Lang, Histoire de l’Acadie (Sillery [Québec], 2001).— N.-B., Assemblée législative, Synoptic report of the proc., 1924 ; « l’Hon. Peter John (P. J.) Veniot » : gnb.ca/legis/publications/tradition/premiers/bio-f/VeniotPJ-TR.pdf (consulté le 14 août 2015).— Léon Thériault, la Question du pouvoir en Acadie : essai (Moncton, 1982).— [J.] R. [H.] Wilbur, The rise of French New Brunswick (Halifax, 1989).
En collaboration avec Chedly Belkhodja et Éric Thomas, « VENIOT, PIERRE-JEAN (baptisé Pierre Vignault) (Peter John, P. J.) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/veniot_pierre_jean_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/veniot_pierre_jean_16F.html |
Auteur de l'article: | En collaboration avec Chedly Belkhodja et Éric Thomas |
Titre de l'article: | VENIOT, PIERRE-JEAN (baptisé Pierre Vignault) (Peter John, P. J.) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2020 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 7 déc. 2024 |