CRUSE, THOMAS, colon indépendant établi à Terre-Neuve, né vers 1599 ; circa 1677.
Ce qu’on sait de la vie de Cruse nous vient d’une déposition qu’il fit en 1677 et qui figure parmi les témoignages recueillis à Totnes lors de l’enquête du Privy Council sur le différend survenu entre l’industrie de la pêche et les colons. Il s’agissait de déterminer s’il y avait lieu d’envoyer un gouverneur dans l’île et d’y construire des fortifications au cas où les Français, alors établis à la baie de Plaisance (Placentia), attaqueraient les pêcheries anglaises. D’après son propre témoignage, Cruse était alors marchand à Ashprington, dans le Devonshire.
Cruse avait visité Terre-Neuve pour la première fois plus de 50 ans auparavant, alors qu’il n’y avait là, dit-il, que deux ou trois habitants et pas de gouverneur ; à la vérité, la colonie de Cuper’s Cove (Cupids) devait déjà exister sous la direction de John Guy ou de John Mason. Environ quatre ans avant l’arrivée de Sir David Kirke en 1638, Cruse retourna à Terre-Neuve et s’établit à Bay Bulls, havre situé au sud de Saint-Jean et très fréquenté par les pêcheurs anglais. Il y resta 18 ans, vivant surtout sans doute de la pêche, mais comptant, de même que les autres colons, sur la visite des navires de pêche pour s’approvisionner, puisque cette terre aride ne rendait pas assez pour les faire vivre.
À en croire Cruse, avant 1638, colons et pêcheurs s’adonnaient à ce commerce librement, n, acquittant ni taxe ni impôt. Après l’arrivée de Kirke, tous les habitants furent contraints de payer un loyer pour leur gîte et leur lieu de pêche. Kirke se fit accompagner d’une trentaine de serviteurs chargés de faire respecter ses volontés. En 1640, Cruse consentit à verser un loyer annuel de £3 6s. 8d., ainsi qu’un porc ou 20s. supplémentaires, pour sa maison et sa terre. Kirke obligea aussi les colons à obtenir un permis pour tenir une taverne, bien que la vente de l’alcool fût interdite à Terre-Neuve en vertu de la Western Charter de 1634, dont découlaient les règlements régissant l’exploitation des pêcheries. Cruse détenait lui-même un tel permis pour lequel il versait à Kirke £15 par an. Cruse rentra en Angleterre vers 1653, et nous ne savons rien de sa vie là-bas, sinon qu’il était négociant.
Cruse manifeste dans ses témoignages une connaissance profonde de Terre-Neuve et de ses agglomérations clairsemées, pas tellement éloignées les unes des autres, mais isolées par un terrain difficile ou des havres fermés par les glaces, rendant ainsi un gouverneur et un fort inutiles parce qu’inaccessibles. Mais ses dépositions, comme celles des autres témoins, révèlent tout le ressentiment des pêcheurs du Sud-Ouest de l’Angleterre à l’égard de Kirke en particulier et de la colonisation dirigée, en général. En 1677, lorsque les marchands de Londres et de Bristol demandèrent au gouvernement de protéger l’industrie en nommant un gouverneur, les hommes des ports du Sud-Ouest de l’Angleterre s’élevèrent contre toute ingérence dans un commerce qui était leur gagne-pain. Pour Cruse et pour bien d’autres, colonisation et gouvernement devaient fatalement entraîner le déclin et la destruction éventuelle de l’industrie.
Il existe des copies de la déposition de Cruse au PRO, S.P. 29/223, no 126, ainsi qu’à la Bibliothèque centrale de Plymouth, MS 360/76.— Pour l’histoire du litige qui donne lieu à l’enquête, V. PRO, CSP, Col, 1675–76, 1677–80 ; Acts of P.C., Col. ser., 1613–80.— C. B. Judah, The North American fisheries and British policy to 1713 (« University of Illinois Studies in the Social Sciences », XVIII, nos 3–4, 1933).— Lounsbury, British Fishery at Nfld.
Gillian T. Cell, « CRUSE, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/cruse_thomas_1F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/cruse_thomas_1F.html |
Auteur de l'article: | Gillian T. Cell |
Titre de l'article: | CRUSE, THOMAS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 11 déc. 2024 |