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DUFRESNE, OSCAR (baptisé Joseph-George-Évariste-Oscar Rivard-Dufresne), homme d’affaires et homme politique, né le 17 octobre 1875 à La Visitation-de-la-Pointe-du-Lac (Trois-Rivières, Québec), fils de Thomas (J.-B.-Thomas) Dufresne (Rivard-Dufresne), cultivateur, et de Marie-Victoire Dussault ; le 16 mai 1899, il épousa dans la paroisse Saint-Jacques, Montréal, Laura-Alexandrina Pelletier (décédée le 27 février 1935), et ils prirent une fille en charge ; décédé le 1er mai 1936 à Montréal.
Des 11 enfants issus du mariage des parents d’Oscar Dufresne, seuls 5 atteignent l’âge adulte. Oscar, l’aîné d’entre eux, fréquente l’école du village de 1880 à 1883, puis le collège Sainte-Anne, à Yamachiche, de 1883 à 1887. À l’automne de 1887, tandis que son père est maire de Yamachiche, il étudie en anglais pendant un an à Trois-Rivières, dans la high school où il suit un cours commercial. Avec l’aide de son père, il obtient ensuite un poste de commis à Montréal. Il travaille pendant deux années chez Caverhill, Hughes and Company, puis chez Bourgouin, Duchesneau and Company.
Oscar est chargé par son père de tâter le pouls des affaires dans cette ville d’importance engagée dans la révolution industrielle. Responsable de la vente des chaussures que confectionne sa femme, Marie-Victoire Dussault, cordonnière et styliste depuis plus de 25 années, ce dernier souhaite en effet s’installer à Montréal pour faire progresser ce commerce. L’analyse d’Oscar est prometteuse et convaincante. Le reste de la famille s’établit donc dans la métropole en juin 1890 et ouvre la manufacture de chaussures Fabrique Dufresne et fils à l’automne. Oscar, alors âgé de 15 ans, fait son apprentissage en tant que fabricant de chaussures dans l’entreprise familiale, laquelle doit fermer ses portes en 1892, en raison du départ inattendu d’un associé. Deux années plus tard, ses parents créent avec George Pellerin la manufacture de chaussures Pellerin et Dufresne. Oscar en est nommé directeur adjoint en 1895.
Les tendances du marché et la facilité pour les hommes d’affaires anglophones d’obtenir du financement incitent Marie-Victoire Dussault à s’associer, vers 1900, au marchand de cuir Ralph Locke. La proximité des transports tant ferroviaires que maritimes, les exemptions de taxes et les subventions accordées par la ville de Maisonneuve (Montréal) à tout entrepreneur qui vient s’installer sur son territoire ont un effet persuasif sur eux. Locke et Marie-Victoire Dussault y construisent leur établissement industriel, mis en activité le 22 août 1900. Oscar, bilingue et établi à Montréal depuis plus de dix ans, en assume dès lors la direction, ce qu’il fera jusqu’à sa mort. L’année suivante, l’entreprise adopte la raison sociale Dufresne et Locke Limitée.
Intéressé par le monde des affaires, Dufresne n’en rêve pas moins de fonder une famille. Au mois de mai 1899, il a épousé Laura-Alexandrina Pelletier. Vers 1900–1901, il se fait bâtir une magnifique résidence au 434 du boulevard Pie-IX. Le couple n’aura pas de descendance, mais prendra en charge une nièce de Marie-Victoire Dussault, Laurette Normandin-Dufresne, née le 4 janvier 1908 et dont la mère mourra à la suite de l’accouchement.
À l’été de 1900, la ville de Maisonneuve envoie Dufresne, Napoléon Tétrault et Joseph Daoust en Europe à la recherche de débouchés pour le commerce du cuir et des chaussures canadiennes. Les résultats sont tels que, dès 1903, la Dufresne et Locke Limitée exporte au Maghreb, mais aussi au Caire et à Alexandrie, devenant ainsi la première entreprise nord-américaine à le faire en Égypte. La compagnie compte alors 400 employés et fabrique plus de 300 paires de souliers par jour. L’augmentation du volume de production et, en 1904, l’achat de la Royal Shoe Company commandent l’agrandissement de l’édifice. La croissance des entreprises auxquelles participe Oscar (la famille possède aussi une tannerie et une manufacture de chaussures pour fermiers à Acton Vale) est remarquable : les propriétaires ont versé 11 000 $ en salaires en 1902, 120 000 $ en 1906 et 300 000 $ en 1911. Pendant cette même période, le nombre d’employés double et le rendement passe de 350 paires de souliers par jour à 2 500. Les propriétés commerciales de la famille Dufresne sont évaluées à plus de 60 000 $ en 1911.
Si la Première Guerre mondiale profite aux fabricants de bottes d’armée, la plupart des propriétaires d’entreprises de chaussures voient leur chiffre d’affaires péricliter au cours de la grande crise économique des années 1930. La Dufresne et Locke Limitée ne fera pas exception : le marché ne suffira pas à absorber les coûts de production et à payer les salaires des 500 ouvriers en 1935. Elle devra fermer ses portes à la fin de la décennie.
Au cours des années 1910, la ville de Maisonneuve est devenue le centre industriel le plus important de la banlieue montréalaise et le deuxième de la province de Québec (avec 30 grosses entreprises, dont 7 de chaussures). En 1909, son administration prend une nouvelle direction avec l’élection d’un conseil municipal que, dans les faits, dirigeront le maire Alexandre Michaud et Dufresne, qui sera conseiller jusqu’en 1915 (il préside de plus le comité des finances de 1910 à 1914). L’équipe met sur pied des projets imposants, notamment grâce au travail de Marius, frère d’Oscar et ingénieur de la ville de 1910 à 1918.
Le premier monument de prestige érigé à Maisonneuve est un hôtel de ville plus spacieux et d’une architecture magistrale de style Beaux-Arts, construit à l’angle des rues Ontario et Pie-IX (1910–1912) et dont les plans sont confiés à l’architecte Joseph-Cajetan Dufort. En 1911, le conseil municipal de Maisonneuve appuie Montréal dans son vœu d’accueillir l’exposition universelle de 1917 et offre les terrains nécessaires. La Première Guerre mondiale fera avorter ce projet pour lequel Maisonneuve engage des dépenses considérables. La décision de construire un vaste marché dans l’axe de l’avenue qui sera connue sous le nom de Morgan en 1913 est prise l’année suivante. Marius conçoit les plans de cet établissement de style Beaux-Arts, qui sera considéré comme l’un des marchés agricoles majeurs de la province et qui servira aussi de lieu de réunions et de festivités. Le conseil municipal voit de plus à l’aménagement du boulevard Pie-IX et de l’avenue Morgan, réalisé de 1912 à 1915. Un poste de police et de pompiers (1914–1915) et, pour répondre aux besoins d’hygiène de la population, un bain public (1914–1916) sont également édifiés. On estimera que le Bain public et gymnase de Maisonneuve, œuvre de Marius inspirée du Grand Central Terminal de New York, est l’un des plus beaux d’Amérique du Nord. À la fin de l’année 1914, Dufresne est nommé président de la Commission du parc Maisonneuve, parc destiné aux activités culturelles et sportives où il souhaite trouver des cafés, des galeries d’art, des musées, une bibliothèque, des lacs artificiels, un amphithéâtre, un autodrome, un hippodrome, des hôtels, des jardins japonais et un casino. L’envergure et les coûts de production du parc en limiteront la réalisation.
Les capitaux investis pour tous ces projets font augmenter la dette de Maisonneuve qui, en raison de la Première Guerre mondiale, voit ses revenus diminuer en même temps que sa capacité à rembourser ses emprunts. En conséquence, en 1918, le gouvernement provincial impose à Montréal d’annexer Maisonneuve et d’assumer sa dette.
Entre-temps, en 1914, Dufresne a décidé de se faire construire une maison dans la rue Sherbrooke, à l’ouest de Pie-IX, d’où il a une vue panoramique sur le fleuve. Marius, qui l’habitera avec lui, trace, en collaboration avec Jules Renard, les plans de cette résidence de 40 pièces de style néoclassique français et d’inspiration Beaux-Arts. Un mur mitoyen partage en deux espaces égaux cet édifice qui prend modèle sur le Petit Trianon de Versailles, en France, et dont la façade, couverte de pierre calcaire de l’Indiana, mesure environ 133 pieds. Oscar et sa femme occupent la partie est, dont la décoration est confiée à Guido Nincheri, peintre et vitrier. L’intérieur, d’inspiration édouardienne, emprunte ses éléments à différents styles : Empire, Renaissance italienne, Louis XV et gothique. Des meubles et des tapisseries sont importés de France, le marbre, d’Italie et le bois, du Japon. La décoration des pièces de Marius est principalement l’œuvre de Jean-Alfred Faniel. Par son opulence et par la pureté de ses lignes, cette résidence, qui sera connue sous le nom de château Dufresne à partir des années 1970, puis de Musée du château Dufresne en 1998, compte parmi les plus beaux fleurons de l’architecture montréalaise.
Industriel en vue, Dufresne est aussi un homme dont l’appui est fort recherché, un philanthrope et un mécène. Le 29 mars 1913, cédant aux pressions d’Henri Bourassa*, Dufresne a accepté de siéger au conseil d’administration du Devoir. En 1924, il supprime le déficit de ce journal montréalais à même ses propres deniers. Il est le directeur de la Sun Trust, Limitée, de la Slater Shoe Company Limited et de la Paint Products Company Limited. Il préside la Librairie Beauchemin Limitée et l’Imprimerie populaire Limitée. Il dirige les conseils d’administration de l’hôpital Notre-Dame et de la Dufresne Construction Company Limited, qui édifie en 1925 les piles et approches du tronçon nord du futur pont Jacques-Cartier. Il siège au conseil d’administration de la Banque nationale, de la Banque provinciale du Canada, de Perfection Robert, de la Montreal Tramways and Power Company Limited et de la Canadian Military Stores and Wares Commission. Il est membre de la commission administrative de l’université de Montréal. Il fonde et préside la Société canadienne d’opérette incorporée, qu’il soutient par de nombreux dons. Il prête son nom et donne de son or à l’Institut national canadien des aveugles. Ami du frère Marie-Victorin [Conrad Kirouac*], avec qui il rêve de la construction d’un jardin botanique face à sa maison, Dufresne songe à occuper les écoliers pendant les vacances estivales. Il fait appel aux compétences du frère pour organiser des concours de botanique. Tous deux sollicitent la collaboration de Bourassa pour que ces événements soient annoncés dans le Devoir.
Mort d’une crise cardiaque le 1er mai 1936, Oscar Dufresne a droit, selon un article publié dans le Devoir du 6 mai 1936, à des funérailles dignes d’un « prince de la charité ». Treize landaus de fleurs et près de 3 000 personnes accompagnent le corbillard à l’église Saint-Jean-Baptiste-de-Lasalle, à Montréal. Sa dépouille mortelle est transportée au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. Les témoignages publiés dans les journaux après sa mort présentent Dufresne comme un travailleur aux larges horizons. Sa générosité, sa discrétion et son humilité, son sens des affaires, sa passion pour le beau et pour le progrès ont fait de cet homme un grand bâtisseur.
En plus des sources mentionnées ci-dessous, nous avons consulté les journaux suivants : le Devoir, la Patrie et la Presse. On trouvera d’autres renseignements sur l’histoire de Maisonneuve et de sa fusion à Montréal dans : P.-A. Linteau, Maisonneuve ou Comment des promoteurs fabriquent une ville, 1883–1918 (Montréal, 1981).
Atelier d’histoire d’Hochelaga-Maisonneuve, Centre de documentation (Montréal).— BAnQ-CAM, CA601-S21 ; CE601-S33, 16 mai 1899 ; CN601-S573.— BAnQ-MCQ, CE401-S14, 18 oct. 1875.— VM-SA, P25.— Le Devoir, 2 mai 1936.— Guy Bourassa, « les Élites politiques de Montréal : de l’aristocratie à la démocratie », dans le Personnel politique québécois, Richard Desrosiers, édit. ([Montréal, 1972]), 117–142.— François De Lagrave et le Comité du 250e anniversaire, Pointe-du-Lac, 1738–1988 (Pointe-du-Lac [Trois-Rivières, Québec], 1988).— André Dufresne, De Rivard à Dufresne... une histoire de famille (Montréal, 2006).— Pauline Gill, la Cordonnière (Montréal, 1998) ; les Fils de la cordonnière (Montréal, 2003) ; le Testament de la cordonnière (Montréal, 2000).— Industries of Canada, city of Montreal, historical and descriptive review, leading firms and moneyed institutions (Montréal, 1886).— Linteau, Hist. de Montréal.— P.-A. Linteau et al., Histoire du Québec contemporain (2 vol., Montréal, 1979–1986).— J.-A. Pellerin, Yamachiche et son histoire, [1672–1978] ([Trois-Rivières], 1980).— Guy Pinard, Montréal : son histoire, son architecture (6 vol. parus, Montréal, 1986– ), 1 : 251–256.— Fernande Roy, Progrès, Harmonie, Liberté : le libéralisme des milieux d’affaires francophones de Montréal au tournant du siècle (Montréal, 1988).— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec ; Hist. de Montréal, vol. 2–3.— Carmen Soucy-Roy, « le Quartier Ste-Marie, 1850–1900 » (mémoire de m.a., univ. du Québec à Montréal, 1977).
Pauline Gill, « DUFRESNE, OSCAR (baptisé Joseph-George-Évariste-Oscar Rivard-Dufresne) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 6 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dufresne_oscar_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/dufresne_oscar_16F.html |
Auteur de l'article: | Pauline Gill |
Titre de l'article: | DUFRESNE, OSCAR (baptisé Joseph-George-Évariste-Oscar Rivard-Dufresne) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2017 |
Année de la révision: | 2017 |
Date de consultation: | 6 déc. 2024 |