JEWITT, JOHN RODGERS, armurier, forgeron et auteur, né le 21 mai 1783 à Boston, Angleterre, fils d’Edward Jewitt ; vers 1804, il épousa une Nootka, puis le 25 décembre 1809, à Boston, Massachusetts, Hester Jones, et de ce mariage naquirent plusieurs enfants ; décédé le 7 janvier 1821 à Hartford, Connecticut.

John Rodgers Jewitt était le fils d’un forgeron de Boston, petite municipalité du Lincolnshire avec laquelle la Nouvelle-Angleterre avait conservé des liens. Il fit ses études dans une école privée de Boston. Son père souhaitait le placer en apprentissage chez un chirurgien mais, cédant à ses pressions, il le prit finalement comme apprenti forgeron en 1797. L’année suivante, la famille s’installa à Kingston upon Hull, où Jewitt père trouva un emploi aux chantiers navals.

En 1802, le capitaine John Salter, commandant du Boston, propriété des frères Amory, de Boston, au Massachusetts, arriva à Kingston upon Hull. Les Jewitt travaillèrent quelques semaines sur son navire pendant qu’il rassemblait des marchandises d’Angleterre et de Hollande en prévision d’un voyage sur la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord pour y faire la traite des fourrures. Salter embaucha John Rodgers comme armurier, non seulement pour qu’il entretienne les armes à feu mais aussi pour qu’il fabrique des objets de métal destinés à la traite avec les Indiens. Ayant quitté les eaux britanniques le 3 septembre 1802, le Boston jeta l’ancre le 12 mars 1803 dans la baie Nootka (île de Vancouver, Colombie-Britannique).

Les relations avec les Nootkas semblèrent d’abord cordiales, mais elles se détériorèrent à partir du moment où Salter insulta Muquinna*, un de leurs grands chefs, à leur village d’été d’Yuquot. Muquinna décida de se venger de cette humiliation et d’autres affronts qui avaient été infligés à son peuple par des capitaines américains et européens tels que James Hanna* et Esteban José Martinez*. Il lança donc ses hommes à l’assaut du Boston le 22 mars. Tout l’équipage fut massacré, à l’exception de Jewitt et du voilier John Thompson. Jewitt fut épargné parce qu’il accepta de devenir l’armurier et le forgeron de Muquinna ; il sauva aussi la vie de son compagnon, qui était plus âgé que lui, en prétendant que Thompson était son père.

Les deux hommes demeurèrent aux mains de Muquinna jusqu’à l’été de 1805. En principe, ils étaient des esclaves, mais avec le temps Jewitt gagna la confiance du chef, au point de lui servir de garde du corps, avec Thompson, pendant les périodes de tension. Leur condition d’esclaves était certainement moins dure que celle des prisonniers indiens. On sait en effet que lors d’une cérémonie hivernale ils furent initiés à une société chamanique connue sous le nom de Danseurs du loup, privilège qui n’était d’ordinaire pas accordé aux esclaves. De plus, pendant leur deuxième année de captivité, Muquinna maria Jewitt à la fille du chef d’un village nootka voisin. Le fait que Jewitt ait su travailler les métaux, que Thompson ait su coudre et qu’en plus ce dernier ait réussi à tuer seul sept ennemis de Muquinna lors d’un raid, leur donnait sans aucun doute droit à une considération particulière de la part des Nootkas.

Jewitt et Thompson partageaient en tous points la vie des Nootkas. Ils habitaient la maison longue de Muquinna, qui mesurait 150 pieds, et prenaient part aussi bien aux expéditions de pêche et de chasse qu’aux raids contre d’autres villages ou aux potlatchs et aux festins des fêtes de l’ours. Ils ne furent pas autorisés à accompagner Muquinna lorsqu’il partit chasser la baleine, mais Jewitt fabriqua ses harpons, observa ses préparatifs rituels et assista à son retour triompha. Il parvint en outre, en se servant de papier sauvé du Boston et d’encre de fabrication domestique, à tenir un journal dans lequel il notait non seulement les événements marquants mais aussi ce qu’il devait plus tard appeler « la plate uniformité qui caractérisait] la vie des sauvages ».

Le 19 juillet 1805, le brick Lydia, commandé par le capitaine Samuel Hill qui avait été informé de la présence de Jewitt par un chef des environs, arriva dans la baie Nootka. Employant la ruse pour persuader Muquinna de monter à bord, Hill l’y retint prisonnier jusqu’à ce que Jewitt et Thompson aient été libérés. Tous deux s’embarquèrent alors sur le Lydia ; le navire passa l’année sur la côte, puis fit voile vers la Chine en août 1806 afin d’y porter sa cargaison de fourrures. Jewitt et Thompson débarquèrent finalement à Boston, au Massachusetts, en juin 1807.

Jewitt ne tarda pas à publier son journal, qui parut à Boston en 1807. Intitulée A journal, kept at Nootka Sound [...], cette brochure de 48 pages souleva apparemment peu d’intérêt jusque vers 1814. À ce moment-là, un marchand et écrivain de Hartford, Richard Alsop, en entendit parler et communiqua avec Jewitt, qui vivait alors à Middletown, dans le Connecticut. De leurs conversations et de l’expérience littéraire d’Alsop naquit A narrative of the adventures and sufferings, of John R. Jewitt [...], ouvrage plus complet et plus intéressant que le précédent, à la manière de Daniel Defoe, qui fut publié à Middletown en 1815. Ce livre conserve une valeur unique, car il est l’un des rares à s’appuyer sur le témoignage de quelqu’un qui observa de près et pendant une longue période la vie de l’un des peuples indiens du Pacifique avant que leur société ne commence à changer radicalement sous l’influence des contacts avec les Européens.

Jewitt acquit une brève notoriété locale grâce à son ouvrage, qu’il colporta par toute la Nouvelle-Angleterre sur une charrette à bras en chantant pour attirer les clients The poor armourer boy, qui avait peut-être été composé par Alsop. En 1817, à Philadelphie, Jewitt participa aux trois représentations de The armourer’s escape ; or, three years at Nootka, spectacle dramatique « éclairé au gaz » et inspiré de son livre. Il donna aussi des spectacles de chants et danses nootkas dans un cirque. Son livre fut réédité à New York et à Londres, et fut même traduit en allemand ; il connut diverses éditions tout au long du xixe siècle. Par contre, Jewitt lui-même tomba dans l’oubli et mourut dans la pauvreté à Hartford, avant d’avoir atteint l’âge de 38 ans.

John Rodgers Jewitt ne passa qu’un peu plus de deux ans dans ce qui est aujourd’hui la Colombie-Britannique, mais ce fut dans une situation particulière, celle de prisonnier des Nootkas. Lui-même, Thompson et John Mackay*, aide-chirurgien à bord d’un navire qui séjourna sur la côte nord-ouest en 1786–1787, furent les premiers Européens à vivre longuement parmi les Indiens de la côte du Pacifique. Des trois, Jewitt fut le seul à rendre compte par écrit de ses expériences et de ses observations.

George Woodcock

John Rodgers Jewitt est l’auteur de : A journal, kept at Nootka Sound [...] (Boston, 1807 ; nouv. éd., N. L. Dodge, édit., 1931) ; et A narrative of the adventures and sufferings, of John R. Jewitt, only survivor of the crew of the ship Boston, during a captivity of nearly three years among the savages of Nootka Sound [...] (Middletown, Conn., 1815). Ce dernier ouvrage a connu, sous différents titres, plusieurs éditions et il a été traduit en allemand.

K. P. Harrington, Richard Alsop, « a Hartford wit » (Middletown, 1939).— F. W. Howay, « Indian attacks upon Maritime traders of the north-west coast, 17851805 », CHR, 6 (1925) : 287–309.— E. S. Meany, « The later life of John R. Jewitt », BCHQ, 4 (1940) : 143–161.

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George Woodcock, « JEWITT, JOHN RODGERS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jewitt_john_rodgers_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
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