JOHNSTON, JOHN, trafiquant de fourrures et juge de paix, né le 25 août 1762, fils de William Johnston, de Portrush (Irlande du Nord), et d’Elizabeth McNeil ; décédé le 22 septembre 1828 à Sault-Sainte-Marie (Sault Ste Marie, Michigan).

Issu de la gentry, John Johnston perdit son père au cours de sa septième année. Il fit néanmoins de bonnes études de littérature et d’histoire. En 1778 ou 1779, il se rendit à Belfast pour surveiller le réseau de distribution d’eau de la ville, qui faisait partie du patrimoine familial. Durant les dernières années de sa vie, Johnston estimait que, pendant cette période, il avait gaspillé son temps et son argent, et perdu de nombreuses heures à lire « la camelote d’une bibliothèque de prêt ». Il devait cependant admettre qu’il avait augmenté la valeur du réseau de distribution d’eau. En 1789, il décida de partir pour la province de Québec, puisqu’il était devenu évident que le bail de distribution d’eau ne serait pas renouvelé. Muni de lettres de recommandation adressées au gouverneur en chef lord Dorchester [Guy Carleton*] par le président du comité de commerce du Conseil privé, le baron Hawkesbury, et par le marchand influent Brook Watson*, Johnston s’embarqua en juin 1790 à bord du Clara à destination de New York. Il y arriva le 25 août, partit alors en sloop pour Albany, puis continua jusqu’à Montréal.

Dans un café de cette ville, le jeune Irlandais rencontra par hasard une de ses vieilles connaissances, Andrew Todd, neveu d’Isaac Todd*, qui lui suggéra de se joindre à la Todd, McGill and Company, à laquelle il était lui-même lié, pour faire la traite des fourrures avec les Indiens via Michillimakinac (Mackinac Island, Michigan). Johnston, qui nourrissait de plus grands espoirs, refusa et partit en calèche pour Québec où il rendit visite à lord Dorchester. Le gouverneur n’avait cependant rien à lui offrir, sauf une lettre d’introduction auprès de sir John Johnson, surintendant général des Affaires indiennes. Après son retour à Montréal à la fin de l’année, Johnston loua une chambre à Varennes et passa l’hiver à améliorer sa connaissance du français. Vers la fin de sa vie, il évoqua la « courtoisie et la politesse » avec lesquelles on avait accueilli son élocution hésitante.

En mai 1791, la perspective d’un voyage de traite à Michillimakinac avec Andrew Todd lui parut intéressante. Johnston arriva dans l’île Mackinac le 16 mai, offrant « un spectacle parfait de difformité » à cause des piqûres de moustiques. À la fin de la saison de traite, qui fut très active, Todd l’équipa d’un canot conduit par cinq voyageurs pour qu’il aille hiverner chez les Indiens de La Pointe, sur la rive sud du lac Supérieur, près de l’actuel Ashland, au Wisconsin. Après son arrivée à la fin de septembre, il rencontra le comte Andriani, un noble italien qui faisait des observations scientifiques afin de déterminer si la terre était aplatie aux pôles. Johnston construisit avec ses hommes une petite maison sur la rivière Bad (Wisconsin) et commença à apprendre la langue et à se familiariser avec les traditions des Sauteux. Vers le milieu de novembre, ses hommes l’abandonnèrent et le laissèrent seul avec un garçon ; cependant, deux trafiquants rivaux résidaient non loin de là. « Je fus frappé, se rappela-t-il, du fait que ma situation, par beaucoup de côtés, avait une certaine ressemblance avec celle de Robinson Crusoé. »

Johnston, toujours hospitalier, se lia d’amitié avec le vieux père de Wabojeeg (Waub Ojeeg), chef des Sauteux de La Pointe. Par la suite, il demanda en mariage la jeune et séduisante fille de Wabojeeg, Oshaguscodawaqua. Le chef répondit que Johnston devait promettre de ne jamais la quitter, contrairement à la plupart des Blancs qui abandonnaient leurs femmes indiennes, et qu’il devait attendre un an pour prouver ses bonnes intentions. Johnston alla porter ses fourrures à Montréal et, dès son retour à l’été de 1792, il épousa Oshaguscodawaqua à la façon du pays. Plus tard, au fort St Joseph (Île St Joseph, Ontario), il l’épousa de nouveau et lui donna le nom de Susan. Pour Johnston, cette union établissait une solide alliance commerciale avec les Sauteux. Il abandonna tout projet de retour en Irlande, car il avait le sentiment que sa femme n’y serait jamais heureuse.

Même si Andrew Todd voulait qu’il s’installe à La Nouvelle-Orléans, Johnston décida de s’établir à Sault-Sainte-Marie, en mai 1793, comme trafiquant indépendant. L’année précédente, il avait obtenu une concession de terre sur la rive sud de la Sainte-Marie, près de l’endroit où vivait le vieux trafiquant de fourrures Jean-Baptiste Cadot*. Les Indiens aimaient bien Johnston parce qu’il était courageux et qu’il ne leur ménageait pas son aide. Il ne tarda pas à dominer la traite des fourrures le long de la rive sud du lac Supérieur et s’enrichit graduellement.

Johnston était d’un naturel « à la fois pieux et plein d’entrain ». Coupé de tout lien avec l’Église organisée, il dirigeait les membres de sa famille dans leurs prières du matin et du soir et faisait lecture des sermons le dimanche. Il lisait aussi à sa famille des textes historiques, théologiques et classiques tirés de sa petite bibliothèque. Homme sensible, il transposait ses sentiments en poèmes, qu’il partageait à l’occasion avec ses amis. Il écrivit plus de 2 000 vers, mais il ne se donna pas la peine de les polir et de les faire publier. Même si sa femme Susan ne parla jamais l’anglais, elle fut pour lui une excellente compagne et elle sut transmettre à leurs huit enfants un riche héritage de traditions et de légendes indiennes.

La mère de Johnston mourut en 1804 et celui-ci hérita du domaine familial de Craige, près de Coleraine, en Irlande. Au début, il n’alla pas inspecter ses propriétés, car il était activement engagé dans la traite des fourrures, important des marchandises de Londres par l’intermédiaire de John Jacob Astor à New York. Il se rendait parfois à Montréal, et c’est là qu’il fut élu membre du Beaver Club, le 2 janvier 1808. L’année suivante, il s’embarqua à Québec pour l’Irlande, en compagnie de Jane (Obah-dahm-wawn-gezzhago-quay), sa fille de neuf ans. Après avoir débarqué à Cork, ils visitèrent Dublin, puis Johnston confia Jane à des parents de Wexford, tandis qu’il s’occupait de ses affaires. Sa famille et ses amis le pressèrent de renoncer à son pays sauvage et d’accepter un mariage « civilisé » et un poste en Irlande. Johnston refusa et se rendit à Londres, peut-être afin de faire entrer ses fils Lewis Saurin et George dans l’armée et dans la marine. Au cours de son séjour dans la capitale, il déclina l’invitation de lord Selkirk [Douglas*] à prendre la tête d’un projet de colonisation à la rivière Rouge. Il partit de Liverpool au milieu de juin 1810 et arriva chez lui avec sa fille à la fin de novembre. Ayant savouré les charmes de la civilisation, Johnston prit des dispositions, l’année suivante, pour acheter une propriété près de Montréal, dans l’intention de devenir gentleman-farmer. Il n’avait jamais pu se faire aux pratiques douteuses de la North West Company et de la Hudson’s Bay Company. Selon son gendre Henry Rowe Schoolcraft, il était « franc et mordant dans ses remarques contre la rapacité avec laquelle [ces compagnies] raflaient le produit de la chasse, souvent arraché avec violence et souillé de sang ».

La guerre de 1812 fit échouer les projets de départ de Johnston. Le traité de 1783 avait établi que la rive sud de la Sainte-Marie faisait partie des États-Unis, mais les Américains ne l’avaient jamais occupée, bien qu’ils aient pris possession de l’île Mackinac en 1796. Ainsi Johnston resta fidèle à la couronne et participa à la prise de l’île par le capitaine Charles Roberts*, le 17 juillet 1812. Peu après, Johnston revint à Sault-Sainte-Marie où il poursuivit ses activités de traite. L’hiver, il allait à Montréal vendre ses fourrures ; à cette époque, il faisait habituellement affaire avec le marchand David David. Le 12 mai 1814, il reçut une commission de juge de paix pour le Territoire indien, charge qu’il occupa jusqu’au 28 octobre 1816.

En 1814, les Américains, qui s’étaient assurés la maîtrise des lacs Supérieur, Michigan et Huron, envoyèrent des navires reprendre l’île Mackinac ; Johnston partit alors la défendre. Tandis qu’il s’y rendait, un détachement américain remonta la rivière Sainte-Marie et brûla le fort St Joseph ainsi que le poste de la North West Company du côté canadien, à Sault-Sainte-Marie. Même si elles avaient reçu ordre de ne pas endommager la propriété privée, les troupes américaines détruisirent le 24 juillet des marchandises d’une valeur de 40 000 $, appartenant à Johnston. En quelques heures, le fruit de 23 années de labeur fut anéanti. Ignorant ce qui était arrivé, Johnston assuma provisoirement le commandement à Michillimakinac, tandis que le lieutenant-colonel Robert McDouall* dirigeait les forces armées qui tentaient de repousser le débarquement des Américains dans l’île. Peu après que les Américains eurent baissé pavillon, Johnston revint à Sault-Sainte-Marie et évalua ses pertes. Soutenu par une foi profonde en la Providence, il commença à rebâtir sa vie. À la fin de l’automne, il se rendit à Montréal pour déposer une réclamation en dédommagement. Pendant de nombreuses années, il réitéra sa demande auprès des gouvernements britannique et américain, mais il ne reçut aucune indemnité. Les Britanniques rejetaient sa réclamation parce qu’il vivait du côté américain de la frontière, et les Américains refusaient de payer parce qu’il était sujet britannique.

Après la guerre, le tracé de la frontière fut ratifié et la propriété de Johnston se retrouva sans conteste aux États-Unis. Il ne devint jamais citoyen de ce pays, mais il ne garda aucun ressentiment à l’égard des forces d’occupation et se montra toujours hospitalier. Il préférait agir comme trafiquant indépendant mais, afin de rétablir sa situation financière, il se joignit à l’American Fur Company et administra le poste qui englobait Sault-Sainte-Marie et le sud du lac Supérieur. En 1816, le Congrès adopta des lois qui limitaient la traite des fourrures en territoire américain aux seuls citoyens des États-Unis ; cependant, grâce à ses relations avec une firme américaine, Johnston put poursuivre ses activités. À l’automne de 1816, il se rendit au fort William (Thunder Bay, Ontario) pour le compte de la North West Company, afin de soumettre à lord Selkirk la requête de cette compagnie concernant la restitution du fort que Selkirk avait pris. Dans un effort pour élargir ses activités de traite, Johnston mit sur pied en 1818 un poste dans l’île Drummond (Michigan), où la garnison britannique s’était établie après l’abandon de l’île Mackinac à la fin de la guerre.

En 1819–1820, comme il se trouvait dans une situation financière embarrassante, Johnston se rendit en Grande-Bretagne pour renouveler sa réclamation en dédommagement et pour vendre son domaine de Craige. Durant son absence, le gouverneur du territoire du Michigan, Lewis Cass, arriva à Sault-Sainte-Marie, accompagné d’un contingent militaire, pour traiter avec les Indiens et acheter une terre afin d’y bâtir un fort. Les Sauteux étant des plus belliqueux, seuls les efforts diplomatiques de la respectée Susan Johnston leur firent accepter le drapeau américain. Henry Rowe Schoolcraft accompagnait l’expédition ; en 1822, il revint à titre d’agent des Affaires indiennes avec les troupes américaines venues construire le fort et il demeura en pension chez les Johnston. Schoolcraft, qui était un homme cultivé et qui s’intéressait à tout, ne tarda pas à se lier d’amitié avec Johnston. Il épousa sa fille Jane en 1823. Au milieu des années 1820, la santé de John Johnston allait en déclinant. On le considérait toutefois comme le patriarche de Sault-Sainte-Marie et tous les dignitaires de passage pouvaient profiter de sa généreuse hospitalité. En 1826, Thomas Loraine McKenney du Bureau of Indian Affairs des États-Unis visita la région des Grands Lacs et fit le commentaire suivant : « M. J. est soigné de sa personne ; il a des manières affables et polies, et une conversation intelligente. Son langage est toujours celui de la réflexion, et souvent fort pittoresque. Il est toujours joyeux, même quand il est très affligé. » En 1828, Johnston se rendit à New York pour s’entretenir avec John Jacob Astor et le trafiquant de fourrures Ramsay Crooks*. Il revint le 17 septembre à Sault-Sainte-Marie dans un état de collapsus. Il mourut le 22 septembre et eut droit à des funérailles militaires deux jours plus tard. C’est peut-être Lewis Cass qui a le mieux résumé la vie de Johnston : « Il était vraiment un homme qui sortait du commun. Pour garder les manières d’un parfait gentleman et l’intelligence d’un homme qui a reçu une bonne éducation au sein des terres désolées et dans l’isolement de toute société, sauf celle de sa propre famille, il fallait une vigueur et une souplesse d’esprit comme on en voit rarement. »

David Arthur Armour

La Bayliss Public Library (Sault Ste Marie, Mich.) possède un portrait à l’huile de John Johnston, dont on dit qu’il fut peint par James Wilson en 1796.

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Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

David Arthur Armour, « JOHNSTON, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/johnston_john_6F.html.

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Auteur de l'article:    David Arthur Armour
Titre de l'article:    JOHNSTON, JOHN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    4 nov. 2024