MARTIN DE LINO, JEAN-FRANÇOIS (on trouve parfois Jean-François-Mathieu), commerçant québécois, procureur du roi à la prévôté de 1716 à 1721, et à l’amirauté de 1717 à 1721 ; né le 13 avril 1686 à Québec, fils de Mathieu-François Martin de Lino et de Catherine Nolan. Il épousa, le 3 novembre 1712, Angélique Chartier de Lotbinière et ils eurent quatre enfants. Il fut inhumé le 5 janvier 1721 en la crypte de l’église Notre-Dame, à Québec.

Jean-François Martin de Lino était le fils aîné d’un des membres de l’élite de la société de la Nouvelle-France et l’éducation qu’on lui donna le destinait tout à la fois au commerce et à l’administration, comme son père. Il fit ses études au petit séminaire de Québec et au collège des Jésuites et il reçut certainement des notions de comptabilité et de droit. À l’âge de 24 ans, il s’associa à deux autres commerçants, Pierre de Lestage* et Antoine Pascaud, mais trois ans plus tard rompit complètement avec les deux hommes.

Le père de Lino et un autre membre du Conseil supérieur, Nicolas Dupont de Neuville, décidèrent que Jean-François devait épouser la petite-fille de Dupont, Marie-Jeanne Renaud d’Avène Desmeloizes. Jean-François y aurait certes consenti, mais la jeune personne, qui avait fait son noviciat chez les Ursulines, se montra réticente. Lino et Dupont comparurent par-devant notaire le 4 mai 1711 afin d’y déclarer que, « pour des raisons particulières, qu’ils en ont par devers eux », le mariage serait retardé, mais que, s’il n’avait pas lieu avant la fin septembre, la partie qui ferait défaut y perdrait 10 000#.

Marie-Jeanne resta sur ses positions et, aux termes d’une entente conclue le 8 mai 1711, son grand-père, excédé, fit don au jeune Lino d’une maison sise rue Saint-Pierre, et qu’il estimait valoir 10 000ª. Jean-François, de son côté, s’engageait à verser à Dupont une rente viagère de 500#. Eustache Chartier* de Lotbinière, qui était le beau-frère de Mlle Desmeloizes, attaqua cette entente en justice, cherchant à la faire invalider sous prétexte que Dupont avait agi par « un sentiment de vengeance » et avait ainsi déshérité la jeune fille. On finit par s’entendre à l’amiable et Lino garda la maison. Mlle Desmeloizes ne se maria jamais, pas plus qu’elle ne retourna au couvent mais, ironie du sort, son frère, Nicolas-Marie*, épousa la veuve de Jean-François de Lino en 1722.

Les parents du jeune homme arrangèrent un mariage tout aussi avantageux pour leur fils en 1712. Il s’agissait de la sœur de Louis-Eustache Chartier, Angélique, dont le père, René-Louis Chartier de Lotbinière, était lui aussi membre du Conseil supérieur. Lors de la signature officielle du contrat de mariage, en présence de hauts dignitaires de la Nouvelle-France, Jean-François énuméra ses biens : la maison de la rue Saint-Pierre, 20 000# provenant de son association avec Lestage et Pascaud, et 5 000# en avance d’hoirie.

Dès l’âge de 30 ans, la carrière de Jean-François Martin de Lino s’annonça brillante. Il fut nommé procureur du roi à la Prévôté de Québec par lettres royales datées du 27 avril 1716. Bien que le texte de sa nomination fasse état de sa compétence, de son expérience dans le domaine juridique, de son dévouement à l’égard du roi, il est vraisemblable que les relations de sa famille y furent pour quelque chose. Dans le cadre de ses fonctions, il devait préparer les dossiers des causes pour les lieutenants qui jugeaient, les présenter devant le tribunal et, de façon générale, faire respecter les intérêts du roi. Lorsqu’un tribunal de l’amirauté fut institué à Québec en 1717, on nomma tout naturellement Lino procureur du roi. Les causes relevant du droit maritime étaient autrefois entendues par la prévôté et, au début, l’amirauté ne fut en fait que l’ancien tribunal siégeant en session spéciale.

Jean-François semble avoir été un homme consciencieux et peut-être compatissant. Lorsque la famine menaça la Nouvelle-France en 1717, il tenta de faire respecter les ordres qu’il avait reçus de contrôler le commerce du blé et d’empêcher l’exportation de farine. Mais il se heurta à l’intendant Michel Bégon* qui, selon Lino, lui dit « qu’il étoit dangereux de prématurer les chozes », car les commerçants pourraient bien se plaindre à Versailles. En dépit du fait qu’il était lui-même commerçant, Lino fit appel à la France et demanda qu’on ordonne l’arrêt des exportations de vivres de Nouvelle-France.

Lino fit beaucoup pour le bien-être social au Canada. Depuis que le Bureau des Pauvres vivotait, les miséreux ne pouvaient plus compter que sur la charité des églises et des particuliers. Les autorités considéraient comme sérieux le problème des enfants illégitimes, car les naissances étaient souvent gardées secrètes et la mère en venait à tuer ou à abandonner son enfant.

Lorsqu’une femme tenta de reprendre l’enfant illégitime qu’elle avait confié aux Indiens de Lorette, Lino sentit son intérêt s’éveiller. Il déplorait cette habitude de confier les enfants illégitimes aux Indiens, habitude qui allait à l’encontre de la politique de civilisation qu’on avait adoptée à l’égard des Indiens ; selon lui, elle permettait à la mère de reprendre son existence dévergondée, augmentait le nombre d’ennemis en puissance et ne pouvait faire que de piètres catholiques. Il s’adressa au Conseil de Marine en ces termes : « je le suplie tres humblement de pourvoir a cet abus et ordonner que les enfants trouvés ou Batards abandonnés seront ellevés à ses soins ou a ceux des autres Procureurs du Roy [...] pour ensuitte a la décharge du domaine être mis en apprentissage ou engagé a de bons habitans quand leurs âge Le permettra ». En France, le soin des enfants illégitimes avait été confié à des fonctionnaires royaux et il aurait suffi d’étendre l’application de l’édit de novembre 1706 à la colonie.

Il semble que la proposition de Lino ait été acceptée avec quelques modifications ; à Montréal, par exemple, le procureur du roi et son adjoint placèrent, entre 1730 et 1740, plusieurs enfants illégitimes dans des familles. En échange d’une petite somme d’argent, les parents nourriciers s’engageaient à « Le Nourrir Et Entretenir Tant En Santé qu’en maladie l’Elever Et L’Instruire, selon la Religion catholique apostolique Et Romaine [...] Luy apprendre a Gagner Sa Vie [...] Jusqu’a Ce que Ledit Enfant ait atteint L’age de Dix huit Ans ».

Si Lino n’était pas mort à l’âge de 34 ans, il aurait sans doute eu une brillante carrière dans l’administration. Le gouverneur Rigaud de Vaudreuil recommanda qu’on le fît membre du Conseil supérieur en 1717 mais, sans doute parce que son père en était déjà membre ou que d’autres avaient le pas sur lui, il n’obtint pas ce poste. La lignée des Lino se continua avec Jean-François et son fils, Ignace-François-Pierre, dernier grand voyer de la Nouvelle-France.

Peter N. Moogk

AJQ, Greffe de Jacques Barbel, 8 mai 1711, 18 avril 1722 ; Greffe de Louis Chambalon, 4 mai 1711, 14 nov. 1713, 18 août 1714, 4 mai 1716 ; Greffe de J.-É. Dubreuil, 24 janv. 1722 ; Greffe de Florent de La Cetière, 30 oct. 1712 ; Greffe de J.-C. Louet, 13 août 1722 ; Greffe de Pierre Rivet, 8 mai 1711, 16 janv. 1714, 4 sept. 1716, 10 sept. 1717, 28 oct. 1718. — AN, Col., C11A., 38, pp.207–212 (copies aux APC). — AQ, NF, Coll. de pièces jud. et not., 551 3/4. — Jug. et délib., VI : 1 198, 1 202s. — P.-G. Roy, Inv. ins. Cons. souv., 131, 147, 148, 164 ; Inv. jug. et délib., 1717–1760, I : 32, 33, 71, 72 ; Inv. ord. int., I : 216. — Charland, Notre-Dame de Québec : le nécrologe de la crypte, BRH, XX (1914) : 177.  Gareau, La prévôté de Québec, RAPQ, 1943–44 : 107–109. — P.-G. Roy, La famille Martin de Lino (Lévis, 1935) ; La ville de Québec, I : 418 ; II : 86, 238, 299, 435. — La famille Martin de Lino, BRH, XLI (1935) : 257–280. — Juliette Lalonde-Remillard, Angélique Lalonde-Remillard, RHAF, XIX (1965–66) : 520. — P.-G. Roy, La famille Renaud d’Avène Des Méloizes, BRH, XIII (1907) : 166s.

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Peter N. Moogk, « MARTIN DE LINO, JEAN-FRANÇOIS (Jean-François-Mathieu) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/martin_de_lino_jean_francois_2F.html.

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Auteur de l'article:    Peter N. Moogk
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    11 oct. 2024