MATHESON, JOHN, fermier, né le 29 janvier 1838 à Big Bras d’Or, Nouvelle-Écosse, fils de Hugh Matheson et de Margaret McKenzie ; vers 1864, il épousa dans le canton de Kincardine, Haut-Canada, Sarah Fraser, et ils eurent une fille, puis le 7 janvier 1869, au même endroit, Margaret McLennan, et de ce second mariage naquirent deux filles et sept fils ; décédé le 29 juillet 1922 dans le même canton.

Né dans l’île du Cap-Breton, John Matheson était l’aîné des neuf enfants d’un couple de presbytériens écossais. Son père, originaire d’Assynt en Écosse, avait émigré dans les Maritimes comme beaucoup d’autres Highlanders l’avaient fait là et ailleurs ; sa mère venait de Millbrook, près de Pictou en Nouvelle-Écosse. Probablement découragés par la pauvreté du sol et par la famine qui régnait au Cap-Breton, les Matheson allèrent s’installer en 1852 dans le canton de Kincardine, sur la péninsule de Bruce. Ce canton, arpenté depuis peu, faisait partie de la dernière région du sud du Haut-Canada à être ouverte à la colonisation. John aida sa famille à défricher et à essoucher un lot dans l’épaisse forêt primitive, à semer des cultures hâtives et à construire une maison et des bâtiments de ferme. Les Matheson survécurent à la sécheresse de 1858 et à la famine qui s’ensuivit en 1859, et le père de John obtint le premier titre de propriété de la ferme en 1861.

L’année suivante, John Matheson s’établit à son propre compte en achetant une propriété de 50 acres à un mille au sud-est de celle de ses parents. Il épousa une voisine, Sarah Fraser, mais elle mourut en 1865, probablement en couches ; leur fille survécut et serait élevée par ses parents à lui. On ignore comment il réagit à cette tragédie. Il continua de s’acquitter de ses corvées de colon avec l’aide de son frère Donald, qui exploitait un lot adjacent. Puis, ayant rempli toutes les exigences rattachées à l’obtention de sa concession, il épousa en 1869 Margaret McLennan, du canton d’Ashfield, non loin de là.

En 1871, Matheson agrandit sa ferme de 25 acres. Elle conserverait la même superficie durant un quart de siècle, mais les Matheson, eux, se multiplièrent : ils eurent neuf enfants entre 1869 et 1885. Avec l’aide de sa famille, John pratiquait la polyculture, très courante dans les exploitations de taille moyenne du voisinage. Sa ferme produisait notamment des pois, de l’avoine, du blé de printemps et du blé d’automne, quelques bovins, moutons et porcs pour la vente et la consommation domestique, du lait pour le beurre et, dans les années 1890, pour la fromagerie locale, des racines alimentaires pour les bêtes, du bois coupé dans son boisé, des légumes, des pommes et du sirop d’érable. Cette diversité protégeait les Matheson contre l’échec dans un secteur particulier tout en leur garantissant de quoi se nourrir convenablement. Ils se tirèrent d’affaire même pendant la dépression agricole des années 1890 et la sécheresse qui frappa la région au milieu de cette décennie. Comme ils faisaient eux-mêmes les travaux, ils purent ajouter une fondation de pierre à la grange en 1893 et briqueter la maison l’année suivante.

Au début de l’été de 1896, Matheson négocia une expansion audacieuse. Après avoir conclu que la situation de sa famille « se dégradait chaque jour » – il n’y avait que 2,50 $ dans la maison au début de l’année –, il décida d’acheter la parcelle voisine, qui s’étendait sur 50 acres et qu’il exploitait déjà en tant que métayer. Il espérait retirer, des récoltes supplémentaires, des gains supérieurs à l’intérêt sur l’hypothèque de cette parcelle. L’avenir lui donna raison : grâce à une saison exceptionnelle et à des vaches mieux nourries, il obtint des recettes plus élevées de la fromagerie, et sa récolte de céréales et de pois fut si abondante qu’elle débordait littéralement de sa grange. Dès le début du xxe siècle, la ferme ne se classait plus dans la catégorie moyenne : elle comptait plus de 20 bovins et une douzaine de porcs. Survenue au plus fort de l’amélioration des conditions de l’agriculture en Ontario, l’acquisition de 1896 avait ouvert la voie à d’autres activités d’expansion qui donnèrent à Matheson la possibilité de procéder à d’autres travaux (construction d’une nouvelle grange, creusage d’un nouveau puits, plâtrage de la maison), assurèrent sa prospérité jusqu’à la fin de ses jours et lui permirent d’établir deux de ses fils sur la terre. Vu son dur labeur et son sens des affaires, on pourrait croire être en présence d’un exemple classique du triomphe de l’individualisme d’un franc-tenancier. En fait, la réussite de Matheson reposait sur une répartition rigoureuse des responsabilités et des récompenses entre les membres de la famille. Matheson pouvait passer de longues journées dans ses champs, sa grange et son boisé parce que Margaret élevait les enfants, s’occupait du jardin et gérait le ménage avec perspicacité et parce que leurs fils et leurs filles les aidaient. Ceux des enfants qui n’héritèrent pas de la ferme continuèrent à le faire même après avoir commencé à voler de leurs propres ailes.

La clé de la participation de ce dernier groupe était l’instruction. Peut-être animé par la foi des presbytériens écossais en la valeur de l’école, Matheson, lui-même lecteur de livres et de journaux, veilla à ce que tous ses enfants terminent leurs études secondaires. En outre, les cinq garçons qui ne prirent pas sa succession reçurent une formation universitaire, ce qui favorisa leur indépendance économique. Deux devinrent ministres presbytériens, l’un devint actuaire et deux autres furent professeurs d’université. Une des filles étudia au conservatoire à London et donna des leçons de piano avant son mariage. L’autre se fit infirmière après la rupture de ses fiançailles ; elle prendrait soin de ses parents jusqu’à leur décès.

Les Matheson, qui avaient peu de capital, réussirent ce tour de force en veillant à ce que les enfants planifient leurs départs de manière que, à tout moment, quelques garçons et au moins une fille restent à la maison. Tous les garçons sauf un – dont ses frères et sœurs critiquaient la négligence – retournaient à la ferme au cours des vacances d’été afin de donner un coup de main pour les réparations et la récolte. Cette organisation du travail assurait un train de vie agréable aux membres de la famille qui restaient à la ferme et garantissait aux migrants les ressources dont ils avaient besoin pour leur avancement professionnel. Matheson correspondait avec ses enfants et les consultait sur l’exploitation de la ferme et ses grands projets, ce qui stimulait leur intérêt. Une fois établis, ils envoyaient de l’argent à la maison ou à leurs jeunes frères et sœurs. Contrairement au tableau lugubre que certains témoignages de l’époque et récits historiques brossent de la « dépopulation rurale » de l’Ontario, les jeunes Matheson restèrent intégrés à la vie et à l’économie de la ferme longtemps après leur départ initial.

En outre, les Matheson étaient tous unis par leur origine ethnique et leur religion. Ils vivaient dans ce qui était en 1901 le plus grand « bloc écossais » de la province, soit la région qui s’étendait de Point Clark à Southampton, au bord du lac Huron, puis dans le comté de Bruce et le nord du comté de Huron. Ils assistaient à des offices en gaélique à l’église presbytérienne locale, où John était conseiller presbytéral. Lui-même et sa femme encouragèrent leurs enfants à opter pour le sacerdoce, à appartenir à des assemblées ecclésiastiques ou à fréquenter assidûment l’église. En insistant pour qu’ils s’adressent à lui en gaélique à la maison, John en fit des Écossais bilingues qui cherchèrent à établir des contacts avec des communautés de langue gaélique ailleurs en Ontario et au Manitoba. Un des fils se distingua en tant que spécialiste du gaélique, un autre participa à la fondation de l’ensemble de cornemuses du canton de Kincardine. Ainsi, Matheson contribua à perpétuer la culture écossaise au Canada pendant une bonne partie du xxe siècle.

Une très belle photographie prise en 1901 montre John Matheson et Margaret McLennan assis au milieu de tous leurs enfants. Ce fut la dernière fois où toute la famille se trouva réunie. John a le haut du corps puissant et les mains déformées par l’arthrite, comme tant de fermiers vieillissants, et porte une barbe blanche de patriarche. Ralenti par le rhumatisme et par des vertiges une fois devenu sexagénaire puis septuagénaire, il confia peu à peu l’exploitation de la ferme à son fils Charles, officieusement au début du siècle puis par une vente de propriété en 1919, deux ans après le décès de Margaret. À sa mort, il laissa ses biens et le contrôle de l’hypothèque de Charles à sa fille Grace, qui avait pris soin de lui. En somme, jusqu’au bout, il resta fidèle à ses principes de réciprocité.

Adam Crerar

AO, D 217, Kincardine Township, assessment rolls, 1880, 1885, 1890, 1894, 1899 ; collectors’ rolls, 1895 ; RG 1-57-1-5 : 439 ; RG 22-358, nº 6844 ; RG 61-3-1, Kincardine Township, concession 6, lots 8 and 9 ; concession 7, lot 8 and western half of lot 9 ; concession 9, lot 3 ; RG 80-8-0-861, nº 8515.— EUC C, 3260.— Adam Crerar, « Ties that bind : farming, agrarian ideals, and life in Ontario, 1890–1930 » (thèse de ph.d., Univ. of Toronto, 1999).— Chad Gaffield, « Children, schooling, and family reproduction in nineteenth-century Ontario », CHR, 72 (1991) : 157–191.— Murdock Matheson, Looking backward over my fifty years in Saskatchewan (s.l., 1960).— Norman Robertson, The history of the county of Bruce [...], N. R. Shaw, édit. (Toronto, 1906) ; suite par Norman McLeod, The history of the county of Bruce [...] 1907–1968 [...] (Owen Sound, Ontario, 1969).— Toil, tears & triumph : a history of Kincardine Township, W. H. Fletcher, édit. (Kincardine, Ontario, 1990).— W. R. Young, « Conscription, rural depopulation, and the farmers of Ontario, 1917–19 », CHR, 53 (1972) : 289–320.

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Adam Crerar, « MATHESON, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/matheson_john_15F.html.

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Auteur de l'article:    Adam Crerar
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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