Titre original :  Frances Nickawa. Edmonton Journal, 02 February 1929, page 33.

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NICKAWA, FRANCES (baptisée Fanny Beardy ; également connue sous les noms de Nai-ka-way-a et de Ny-acka-way-a) (Mark), interprète et récitaliste crie, née vers le mois de juillet 1898, probablement à Split Lake (Manitoba), fille de Jack ou Thomas Beardy et de Betsy Necoway (Nickawa) ; le 29 janvier 1927, elle épousa à Victoria Arthur Russell Mark, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédée le 31 décembre 1928 à Vancouver.

Le peuple de Frances Nickawa était lié depuis longtemps au commerce des fourrures qui se pratiquait autour du grand dépôt de la Hudson’s Bay Company à York Factory (Manitoba). Dans les années 1890, toutefois, York Factory perdit de son importance. À peu près au moment de la naissance de Frances, les Beardy s’installèrent à l’intérieur des terres, à Split Lake. Le père de Frances mourut peu de temps après. Le 2 avril 1899, Frances fut baptisée par le ministre méthodiste cri Edward Paupanekis* à l’église (anglicane) St John sous le nom de Fanny Beardy, fille de Jack (que la mère adoptive de Frances désignait sous le nom de Thomas Beardy) et de Betsy Beardy.

En 1901, une femme parmi le personnel du pensionnat méthodiste de Norway House fit connaître son désir d’adopter un enfant amérindien. Le révérend Charles George Fox, missionnaire de l’Église d’Angleterre à Split Lake, amena Fanny, avec le consentement de sa mère, à Norway House en octobre, mais l’institutrice avait entre-temps adopté un autre enfant. Toutefois, l’enseignante de couture de l’école, Hannah Tindall Riley, pour qui Fanny s’était prise d’affection, adopta cette dernière. Célibataire, anglaise de naissance, au milieu de la quarantaine, Mlle Riley était entrée au service de l’établissement l’année précédente. Le 25 décembre 1901, Fox, Betsy Beardy et le chef de Split Lake, William Kitchekesik (Keche-kesik), signèrent une entente d’adoption. Le mois suivant, Mlle Riley inscrivit Fanny à l’école sous le nom de Frances Nickawa, reprenant ainsi le nom de famille de la mère. Elle expliquerait qu’une collègue lui avait suggéré de faire le changement de nom parce que Beardy ressemblait davantage à un sobriquet qu’à un nom amérindien. Mlle Riley et Frances se rendirent à Winnipeg pour participer à la Conférence générale de l’Église méthodiste du Canada en septembre 1902. Frances lut le psaume II devant un large auditoire réuni dans l’église méthodiste Grace et chanta un hymne en cri. Sa maîtrise d’elle-même ainsi que sa voix claire et vibrante dès l’âge de quatre ans firent forte impression sur l’assemblée.

En juin 1907, Mlle Riley accepta un poste à l’Alexandra Orphanage de Vancouver. Frances y fit son entrée à l’école publique, où elle fut la cible de préjugés raciaux pour la première fois de sa vie. Le révérend Egerton Ryerson Young, son biographe, écrirait : « Bravement elle disait : « Je suis Indienne ; je suis Crie jusqu’à la moelle et j’en suis fière ! » Mais son esprit sensible était constamment harcelé par des [êtres] méprisants, ignorants et brutaux. » Mlle Riley quitta l’orphelinat en 1910 et s’établit avec Frances à Port Kells. Ni l’une ni l’autre n’était en bonne santé ; Frances subit plusieurs opérations à la jambe pour traiter une blessure survenue à Norway House. Elle devint une soliste et une lectrice prisées aux rassemblements religieux. À 15 ans, elle s’installa avec Mlle Riley à South Vancouver. À cet endroit, elle participa à des concours de diction organisés par l’Union chrétienne de tempérance des femmes et gagna des médailles en 1914 et en 1916. Elle suivit des cours d’élocution auprès du directeur de théâtre et spécialiste de diction Harold Nelson Shaw. Pour payer son dû, elle faisait de la couture, des travaux de secrétariat et promenait des chiens. Shaw reconnut ses talents et l’appuya avec enthousiasme. Il avait certainement à l’esprit la remarquable carrière de l’interprète Emily Pauline Johnson*, d’ascendance mohawk et anglaise, morte à Vancouver en 1913. Quelque temps après, il décrirait Frances Nickawa comme « exceptionnellement douée pour l’interprétation de légendes et de personnages amérindiens, surtout [celles et] ceux de la défunte Emily Pauline Johnson ».

En janvier 1919, Frances Nickawa donna sa première représentation solo à l’église méthodiste Sixth Avenue, à Vancouver. Par la suite, invitée à donner une prestation à l’occasion d’une assemblée de la Conférence de la Colombie-Britannique tenue à New Westminster, elle récita des textes d’Emily Pauline Johnson et d’autres auteurs avec tant d’efficacité que de nombreux ministres lui demandèrent de se produire dans leur église. En novembre 1919, elle entreprit en compagnie de Mlle Riley une tournée en train qui dura trois mois ; elle donna 18 récitals dans diverses villes de Vancouver à Winnipeg. Son style de présentation rappelait celui de Mlle Johnson, mais elle ne composait pas ses propres textes. Le Manitoba Free Press décrivit un programme type. D’abord, elle se présentait habillée d’une robe blanche de style européen et interprétait avec « beaucoup de polyvalence » des textes à caractère humoristique, dramatique ou autre. Puis elle « revêtait une robe indienne », qu’elle avait cousue elle-même, avec « une frange de peau de daim et des perles [aux couleurs] vives », pour réciter des poèmes de Mlle Johnson, ainsi que des extraits de The song of Hiawatha de Henry Wadsworth Longfellow et d’autres œuvres.

À compter de septembre 1920, Frances Nickawa et Mlle Riley s’absentèrent pour des tournées qui duraient des mois. Le 24 mars 1921, elles parvinrent à Toronto, où Mlle Nickawa fut grandement acclamée. Dans cette ville, Ernest M. Sheldrick, rédacteur de la chronique musicale du Christian Guardian, affirma qu’elle était une « deuxième [Emily] Pauline Johnson » et « l’incarnation des Indiens d’autrefois ». « Crie de pure lignée [et] de belle prestance, fit-il observer, elle possède une voix magnifique, qu’elle exploite à merveille dans ses récits. » Tandis qu’elle était en Ontario, elle fit peindre son portrait par John Wycliffe Lowes Forster*.

Le 28 juillet 1921, avec l’appui d’un témoignage très positif de la Conférence de Toronto, Mlles Nickawa et Riley s’embarquèrent pour la Grande-Bretagne, où elles passèrent une année. Le révérend Samuel Dwight Chown*, surintendant général de l’Église méthodiste du Canada, prit des dispositions pour que Mlle Nickawa donne une prestation à une conférence œcuménique d’envergure. Des récitals présentés dans des églises et au Canadian Club, à Londres, lui valurent des critiques enthousiastes, ce qui ne fit qu’accroître sa renommée au Canada, à son retour en septembre 1922. Constamment en demande, Mlle Nickawa commença à donner plusieurs représentations par semaine. En février 1923, le périodique torontois Saturday Night écrivit un article sur cette « interprète douée de la poésie de sa race » et fit l’éloge du « succès de scène exceptionnel » de cette « Indienne crie de pure souche […] une authentique Canadienne ». Mlle Nickawa touchait la moitié des recettes de chaque spectacle en guise de salaire et pour payer ses dépenses ; le reste allait aux œuvres de l’Église.

Frances Nickawa ne retourna qu’une fois dans la contrée de son enfance, soit à l’été de 1923. Des missionnaires méthodistes organisèrent ses déplacements ; elle se rendit à Norway House, à Oxford House et à Cross Lake, où elle donna des représentations qui eurent beaucoup d’effet, rencontra des parents, et ressentit toute une gamme d’émotions. « Ma vie d’enfant me revint en mémoire, écrivit-elle, lentement au début, ensuite […] comme une tornade déracinant tout [ce qu’avait apporté] la civilisation[.] Où s’inscrit votre civilisation maintenant ? Quels sentiments envers votre propre peuple [la civilisation] éveille-t-elle ? C’était comme si la marée déferlait sur le sable de ma vie et emportait tous les signes de civilisation qui n’étaient pas fondés sur le Christ, toujours de plus en plus présent. »

En septembre 1923, Mlle Nickawa vécut une période d’abattement et souffrit d’amnésie. Après ce qui sembla un rétablissement complet, elle s’embarqua avec Mlle Riley pour l’Australie en mars 1924 afin d’entreprendre une tournée, qui reçut un accueil chaleureux. Les deux femmes firent le tour de la terre et parvinrent en juillet de l’année suivante en Angleterre, où Mlle Nickawa donna d’autres spectacles. Aussitôt revenues en Ontario, en décembre 1925, elles partirent de nouveau en tournée. La jeune femme donna 57 représentations de mars à mai 1926. Cet été-là, à Vancouver, elle fit la rencontre d’un homme d’affaires anglais, Arthur Russell Mark. Ils se marièrent le 29 janvier 1927. Mark devint son agent et, ensemble, ils reprirent la tournée de récitals. À Ottawa, en mai 1928, l’artiste eut un grave malaise et retourna à Vancouver. Après une maladie qui s’étira, elle mourut le 31 décembre.

À l’instar d’Emily Pauline Johnson et d’autres artistes de son temps, Frances Nickawa dut répondre aux demandes incessantes du public, qui cherchait l’image idéalisée de l’Amérindien d’antan. Dénuée d’intérêt mercantile, elle se servit de la scène pour soutenir les méthodistes dans leurs missions et leurs actions auprès des autochtones. Son décès prématuré suscita beaucoup de tristesse ; comme son biographe l’a écrit, « la lumière qui l’habitait s’éteignit [de façon] soudaine et déconcertante ».

Jennifer S. H. Brown

L’auteure aimerait remercier feu Harold Egerton Young, de North York (Toronto), qui lui a remis une copie du texte dactylographié de son père, Egerton Ryerson Young, intitulé « From wigwam to concert platform : the life of Frances Nickawa » (s.l.) et écrit probablement durant les années 1930, ainsi que des copies de documents et lettres conservés par ce dernier. Une grande partie de cette documentation a été déposée à l’EUC-C, Fonds 3431. L’auteure aimerait aussi remercier R. M. Shirritt-Beaumont, de Winnipeg, qui lui a permis de consulter sa compilation inédite « Nakawao or Brown family » (mise à jour du 27 sept. 2004), dans laquelle il retrace la famille jusqu’au début des années 1800. L’auteure a aussi bénéficié de l’aide de Lacey Sanders afin d’obtenir des copies des certificats de baptême de Nickawa et du remariage de sa mère (Église anglicane du Canada, Diocese of Keewatin Arch. (Keewatin, Ontario), St John’s Church (Split Lake, Manitoba), Reg. of baptisms, 2 avril 1899 ; Reg. of marriages, 13 nov. 1906). Le portrait qu’a réalisé J. W. L. Forster, Frances Nickawa (Nyakawaya), se trouve au Musée royal de l’Ontario (Toronto). [j. s. h. b.]

BAC, RG 10, 4092, dossier 558902.— BCA, GR-2951, no 1928-09-417422 ; GR-2962, no 1927-09-316920.— Manitoba Free Press, 6 déc. 1919.— [E. M. Sheldrick], « A second Pauline Johnson : Frances Nickawa », Christian Guardian, 6 avril 1921 : 16.— « Frances Nickawa : Cree girl who is a gifted interpreter of the poetry of her race », Saturday Night, 3 févr. 1923 : 12.— Voices from Hudson Bay : Cree stories from York Factory, Flora Beardy et Robert Coutts, compil. et édit. (Montréal, 1996).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Jennifer S. H. Brown, « NICKAWA (Nai-ka-way-a, Ny-acka-way-a), FRANCES, baptisée Fanny Beardy (Mark) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 3 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/nickawa_frances_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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