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TROYER, JOHN, fermier, homme d’affaires, guérisseur et exorciste, né le 3 février 1753 à Brothers Valley, Pennsylvanie, fils aîné de David Michael Troyer et de Magdalena Mast ; il épousa une prénommée Sophrona ; décédé le 28 février 1842 près de Port Rowan, Haut-Canada.
Descendant de Rhénans, John Troyer, qui était de foi baptiste, quitta la Pennsylvanie en 1789 avec sa femme, sa fille et son fils Michael. Il déclara plus tard avoir « beaucoup souffert à cause des rebelles américains, car ils n’eurent aucun scrupule à le dépouiller de tous ses biens ; et il vint [...] dans cette province [le Haut-Canada] afin de pouvoir jouir de la paix [dans une colonie] soumise aux bonnes lois de Sa Majesté ». Troyer s’établit près de Long Point, au bord du lac Érié, dans une ferme qui porte encore le nom de Troyer’s Flats. Dès 1797, il possédait un moulin et une forge, et avait entrepris de construire un sloop de 38 tonneaux qu’il mit en vente l’année suivante. Le docteur Troyer – c’est ainsi qu’on l’appelait généralement – avait des compétences médicales qui le rendirent célèbre dans sa région ; il n’avait jamais eu de formation en médecine, mais faisait des saignées et prescrivait des remèdes à base de plantes qui firent sa renommée.
Troyer doit sa célébrité non pas à ses exploits de colon de la première heure, mais à la place très importante qu’il occupe dans le folklore de sa région d’adoption. Amelia Harris [Ryerse*], une ancienne citoyenne de Long Point, se souvenait de lui comme d’« un beau vieillard à la longue barbe flottante [...]. Il avait une connaissance approfondie des sorcières, de leurs faits et gestes, de l’art de les chasser, et de la façon d’utiliser la baguette de sourcier avec laquelle il pouvait non seulement découvrir de l’eau mais aussi déterminer à quelle profondeur se trouvaient des métaux précieux. » Selon la tradition locale, le docteur Troyer et son fils auraient mis la main sur un fameux trésor caché dans leur ferme si, en creusant, ils n’avaient attiré l’attention d’un fantôme qui assurait la garde de ce trésor, un énorme chien noir, qui bondit sur eux et les obligea à fuir. On dit aussi qu’une voisine malicieuse, Jennie Elizabeth McMichael, se mit souvent en frais de tourmenter Troyer en se faisant passer pour une sorcière ; il lui était facile de le faire renoncer à une expédition de chasse – l’habileté au tir de Troyer était bien connue – en se moquant de lui, cachée derrière les buissons, et en traversant son chemin de façon mystérieuse. Réfugié dans sa maison, Troyer trouvait certainement du réconfort dans les signes cabalistiques dont il s’entourait pour se protéger ainsi que dans le piège à sorcière qu’il installait tous les soirs à côté de son lit. Pourtant, une nuit, affirma-t-il, des sorcières entrèrent dans sa chambre et, évitant son piège, le transformèrent en cheval, l’enfourchèrent et lui firent traverser le lac Érié en volant.
À Baldoon, dans la région de la rivière St Clair, commença vers la fin de 1829 l’affaire qui allait mettre le plus durement à l’épreuve la capacité de Troyer de produire des effets merveilleux au moyen de la magie blanche. John T. McDonald, fermier et pêcheur, avait construit sa maison au bord du Snye Carty, sur un terrain dont le choix avait donné lieu à une controverse. Bauzhi-geezhig-waeshikum, chef et sorcier de l’île Walpole (comté de Lambton), prétendit que McDonald avait rasé un petit bois de peupliers hanté par des mamagwesewug (fées) et s’était ainsi attiré de mystérieuses et terrifiantes attaques contre sa maison et sa ferme ; selon d’autres, McDonald commença à avoir des ennuis quand il ne tint pas compte des revendications d’une vieille femme qui vivait près de chez lui, dans une « longue maison basse » ; au xxe siècle, des personnes ont émis l’opinion que les problèmes de McDonald étaient dus à la présence dans sa famille d’une jeune orpheline sujette à des crises provoquées par un esprit frappeur. Pendant trois ans, des balles qui semblaient venir de nulle part fracassèrent des carreaux de sa maison, et d’autres phénomènes inexpliqués troublèrent son existence. La nuit, des bruits de pas mystérieux se faisaient entendre ; de lourdes pierres, des plats, des bûches, des louches, des fusils, la maison même étaient soudainement soulevées par lévitation ; des incendies éclatèrent ; le fantôme d’un chien se manifesta ; des animaux domestiques tombèrent malades et moururent ; des récoltes furent perdues.
Comme aucun des habitants de Baldoon ne semblait pouvoir aider McDonald, un ministre méthodiste lui conseilla de faire appel au docteur Troyer. Les deux hommes se mirent donc en route pour Long Point ; la nuit venue, ils s’arrêtèrent au bord de la rivière Thames, où des sorcières et d’autres esprits malfaisants les attaquèrent et, par leurs cris, les empêchèrent de dormir. À Long Point, la fille de Troyer, après s’être retirée avec la boule de cristal de son père, recouverte du chapeau de ce dernier, la consulta pendant des heures ; ces deux objets étaient reconnus comme de puissants instruments des pratiques de clairvoyance des Troyer. Quand elle revint, épuisée par les expériences qu’elle avait vécues pendant sa transe, elle étonna McDonald par sa connaissance précise de sa situation difficile et du coin de pays qu’il habitait. Elle lui dit de se fabriquer une balle d’argent et de tirer sur une oie étrange qu’on avait vue errer récemment sur sa propriété et dont l’une des ailes portait de bizarres plumes noires. De retour chez lui, McDonald suivit son conseil ; il visa l’oie et l’atteignit à l’aile ; l’oiseau disparut dans les joncs, puis réapparut dans la « longue maison basse » : c’était la vieille femme avec qui McDonald s’était querellé, qui avait maintenant le bras cassé. À partir de ce jour, les souffrances de la famille McDonald cessèrent.
Bien que la personnalité affable et hors de l’ordinaire de John Troyer ne cessa jamais de lui attirer des affaires étranges et d’exciter l’imagination de ceux qui en faisaient le récit, rien dans sa vie n’est aussi mémorable que l’épisode du mystère de Baldoon. Mais les histoires au sujet des derniers jours de son existence sont presque aussi saisissantes que cet épisode. Juste avant sa mort, il tira « un faucon, de but en blanc, du faîte du toit de la grange ». On raconta aussi que des voleurs voulurent dérober des talismans magiques dans sa tombe, mais un grand oiseau blanc les en empêcha. Il ne faudrait peut-être pas que le voile folklorique qui enveloppe aujourd’hui Troyer fasse oublier que non seulement il est la figure paternelle la plus légendaire de la région marécageuse de Long Point, mais qu’il fut aussi le premier habitant du comté de Norfolk à cultiver un jardin, à planter un verger et à posséder un coffre à médicaments.
Le docteur Troyer et tout le folklore qu’il a inspiré ont pris leur place dans l’histoire du théâtre canadien grâce aux trois saynètes de Hilda Mary Hooke, The witch-house at Baldoon, Widows’ scarlet et More things in heaven, publiées dans son ouvrage One act plays from Canadian history (Toronto, 1942), 79–96, 97–116, 117–130, et, plus récemment, grâce au volume de C. H. Gervais et James Reaney, Baldoon (Erin, Ontario, 1976).
APC, RG 1, L3, 495 : T2/73 ; RG 5, A1 : 56322–56335.— Arch. privées, James Reaney (London, Ontario), corr. reçue de Flora Aker, St Williams, Ontario ; O. Morrow, Stirling, Ontario ; R. G. T. Archibald, Unionville, Ontario.— Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints, Geneal. Soc. (Salt Lake City, Utah), International geneal. index.— UWOL, Regional Coll., J. A. Bannister papers.— Peter Jones, History of the Ojebway Indians ; with especial reference to their conversion to Christianity [...], [Elizabeth Field, édit.] (Londres, 1861).— Loyalist narratives from Upper Canada, J. J. Talman, édit. (Toronto, 1946).— Detroit Gazette, 14 nov. 1829.— R. S. Lambert, Exploring the supernatural : the weird in Canadian folklore (Toronto, [1955]).— N. T. McDonald, The Baldoon mystery (Wallaceburg, Ontario, s.d.).— E. A. Owen, Pioneer sketches of Long Point settlement [...] (Toronto, 1898 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972).— J. H. Coyne, « David Ramsay and Long Point in legend and history », SRC Mémoires, 3e sér., 13 (1919), sect. ii : 111–126.— George Laidler, « John Troyer of Long Point Bay, Lake Erie ; an appraisal of associated fact and legend », OH (1947) : 14–40.
James Reaney, « TROYER, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 4 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/troyer_john_7F.html.
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Auteur de l'article: | James Reaney |
Titre de l'article: | TROYER, JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 4 nov. 2024 |